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07/04/2021 | FRANCE | N°18BX03398

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 07 avril 2021, 18BX03398


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Entreprise Villemonteil a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la région Limousin à lui verser la somme de 59 754,35 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis dans l'exécution du marché de rénovation de l'internat pour garçons du lycée Turgot à Limoges.

Par un jugement n° 1600603 du 11 juillet 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par

une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 7 septembre 2018, le 3 juillet 2020...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Entreprise Villemonteil a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la région Limousin à lui verser la somme de 59 754,35 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis dans l'exécution du marché de rénovation de l'internat pour garçons du lycée Turgot à Limoges.

Par un jugement n° 1600603 du 11 juillet 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 7 septembre 2018, le 3 juillet 2020 et le 7 août 2020, la société Entreprise Villemonteil, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 11 juillet 2018 ;

2°) de condamner la région Nouvelle-Aquitaine à lui verser la somme de 59 754,35 euros hors taxes ;

3°) de mettre à la charge de la région Nouvelle Aquitaine la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a subi un décalage de planning ayant généré des dépenses complémentaires d'un montant de 14 200 euros hors taxes ; si les travaux devaient durer dix mois, un ordre de service du 27 octobre 2014 a décidé une prolongation du délai d'exécution entraînant une nouvelle date de fin des travaux fixée au 14 avril 2015 au lieu du 10 octobre 2014, soit un décalage de six mois, ayant entraîné des incidences financières en lien avec la nécessité du maintien de personnel d'encadrement pendant plus de six mois, d'un compagnon supplémentaire par niveau pendant six jours et des dépenses supplémentaires d'installation de chantier, de comptes prorata, et de frais de déplacement ; le décalage du phasage des travaux a entraîné un défaut de coordination entre les entreprises, de sorte qu'elle n'a pas été en mesure de mettre en place une équipe de trois compagnons pour les travaux préparatoires et la pose du revêtement de sols collés ; il en a résulté l'adaptation et la manutention supplémentaires du fait de la nécessité de se faire livrer les matériaux au dépôt et non sur le chantier et la nécessité d'intervenir les week-ends et jours fériés qui lui ont causé un préjudice de 12 850 euros hors taxes ;

- elle a réalisé des prestations non prévues au marché pour un montant de 3 517,36 euros hors taxes ;

- elle a dépassé les prestations prévues au marché en matière première et en main d'oeuvre pour un montant de 32 314,35 euros hors taxes.

Par mémoires en défense, enregistrés le 14 octobre 2019, le 10 juillet 2020 et le 14 septembre 2020, la région Nouvelle-Aquitaine, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la société requérante a été radiée au registre du commerce à la suite d'une fusion par absorption et ne l'a pas tenu informée ; le signataire du mémoire en réclamation ne justifie d'aucune habilitation pour le signer au nom de la société requérante, en méconnaissance de l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés de travaux ;

- les autres moyens soulevés par la société Entreprise Villemonteil ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... F...,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La région Limousin a confié à la société Entreprise Villemonteil, par actes d'engagement du 8 janvier 2014, les lots n° 3 " Sols collés " et n° 4 " Carrelage - Faïence " du marché public de travaux portant sur la rénovation de l'internat pour garçons du lycée Turgot à Limoges, passé selon la procédure adaptée en application de l'article 28-I du code des marchés publics, et conclus à prix global et forfaitaire respectivement de 126 169,77 euros toutes taxes comprises et de 8 922,69 euros toutes taxes comprises. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 20 avril 2015. La société Entreprise Villemonteil a adressé, le 9 novembre 2015, au maître de l'ouvrage un mémoire en réclamation pour un montant de 67 356,36 euros hors taxes, sur lequel la région Nouvelle-Aquitaine a gardé le silence. La société Entreprise Villemonteil relève appel du jugement du tribunal administratif de Limoges du 11 juillet 2018 qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la région Limousin, aux droits de laquelle vient désormais la région Nouvelle-Aquitaine, à lui verser la somme de 59 754,35 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à l'occasion de l'exécution de ce marché.

Sur la demande d'indemnisation des surcoûts liés à l'allongement des délais d'exécution des travaux :

2. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

3. La société Entreprise Villemonteil demande à être indemnisée des surcoûts engendrés par les difficultés qu'elle a rencontrées sur le chantier en lien avec un décalage de planning, qu'elle chiffre à la somme de 14 200 euros.

4. En l'espèce, il est constant que les travaux, dont la durée était initialement fixée à 10 mois par les actes d'engagement des lots nos 3 et 4 du marché de travaux en cause, ont subi des retards et ont conduit à ce que le délai d'exécution global atteigne 15 mois en raison de " la rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier et la mise à disposition retardée de certains ouvrages non achevés ". Toutefois la société requérante n'établit ni même n'allègue que le maître d'ouvrage aurait commis une faute dans l'exécution du marché et serait responsable de cet allongement de durée, qu'elle impute d'ailleurs dans un courrier du 10 juillet 2014, aux autres corps d'état, notamment aux lots " démolition " et " plâtrerie ". Il résulte au surplus de l'instruction que la société requérante a contribué à l'allongement des délais contractuels par son comportement dans la livraison du niveau R+3 de l'internat en conditionnant l'intervention de son sous-traitant à la libération intégrale des niveaux R+2 et R+3. Par suite, en l'absence de démonstration d'une faute de sa part, la responsabilité du maître d'ouvrage ne saurait être recherchée pour les conséquences de l'allongement des délais pour la société requérante.

Sur la demande d'indemnisation des travaux supplémentaires :

5. La société Entreprise Villemonteil sollicite l'indemnisation de prestations supplémentaires résultant de l'utilisation de produits de la marque Tarkett en lieu et place des produits de la marque Forbo initialement prévus dans son mémoire technique, de l'augmentation des quantités de matière première de revêtement de sol et muraux, d'un changement de mode de pose des lés des revêtements muraux et de la nécessité de préparation du support mural non prévue au marché avant la pose des revêtements muraux.

6. L'entrepreneur étant rémunéré par un prix forfaitaire pour l'exécution du marché, seule une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une augmentation de sa rémunération. Par ailleurs, l'entrepreneur ayant effectué des prestations non prévues au marché et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si, d'une part, elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si, d'autre part, l'entrepreneur a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.

En ce qui concerne l'utilisation de produits de marque Tarkett en lieu et place des produits de marque Forbo :

7. Selon le chapitre 3.2.8 " revêtements sol et murs douches " du cahier des clauses administratives particulières applicable au lot n° 3 " sols collés ", la mise en oeuvre de produits de la marque Tarkett est explicitement prévue pour les sols, les murs, les barres de seuil et la protection murale. Si ce cahier précise qu'un produit équivalent peut être proposé par l'entreprise, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la société requérante aurait fait validé son choix de substituer des produits de la marque Forbo par la maitrise d'oeuvre qui en aurait apprécié l'équivalence. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à demander à être indemnisée pour l'utilisation de produits qui étaient prévus aux marchés.

En ce qui concerne l'augmentation des quantités de matière première de revêtement de sol et muraux :

8. Selon les stipulations de l'article 8 du cahier des clauses techniques particulières : " (...) Les entrepreneurs sont tenus de vérifier, avant toute exécution, les cotes figurant aux dessins et de signaler au Maître d'oeuvre les erreurs qui pourraient être constatées. / Ils sont tenus de signaler par écrit au Maître d'oeuvre, les discordances qui pourraient éventuellement exister entre le CCTP et les ouvrages à exécuter et qui seraient de nature à nuire à la parfaite réalisation de leurs propres ouvrages. (...) ".

9. La société requérante demande à être indemnisée d'un dépassement des quantités prévues au marché, chiffré à un coût total de 20 807,60 euros, qu'elle impute au calepinage souhaité par le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre ayant généré des pertes importantes de revêtements de sols et de revêtements muraux. Toutefois, il ressort clairement des stipulations précitées qu'il incombait à la société requérante de vérifier, avant de fixer son prix et de remettre son offre, l'exactitude des quantitatifs de matériaux figurant dans les documents de la consultation nécessaires à la réalisation des lots, sans qu'elle puisse solliciter une indemnisation résultant d'erreurs ou d'omissions dans le calcul des quantités. Et il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs pas même allégué, que le calepinage demandé par la maitrise d'oeuvre aurait été plus exigeant que celui issu des seules règles de l'art. Par suite, à défaut de démontrer que les exigences du maître d'oeuvre en cours d'exécution des travaux l'auraient conduite à fournir plus de matière première que ce qui était prévu au marché, la société requérante ne peut demander à être indemnisée sur ce fondement.

En ce qui concerne le changement de mode de pose des lés des revêtements muraux :

10. La société Entreprise Villemonteil demande l'indemnisation du surcoût généré par la mise en oeuvre d'une technique présentant selon elle plus de complexité que celle initialement prévue. Toutefois, il résulte de l'instruction que le mémoire technique remis par la société requérante à l'appui de son offre mentionnait la présence de 3 compagnons pour la réalisation de cette prestation. La société ne démontrant pas que la modification du sens des lès en pose horizontale exigeait plus de main d'oeuvre que la pose verticale, alors d'ailleurs que la maitrise d'oeuvre soutient sans être contredite avoir envisagé cette modalité en vue de faciliter le travail de la société requérante en lui évitant des coupes, sa demande d'être indemnisée de travaux supplémentaires ne peut qu'être rejetée.

En ce qui concerne la préparation du support mural non prévue au marché :

11. La société Entreprise Villemonteil sollicite l'indemnisation de dépenses supplémentaires qu'elle estime non prévues au marché, qu'elle chiffre à 3 517,36 euros, en soutenant qu'elle a été contrainte de réaliser des travaux préparatoires de support sur les murs existants, ceux-ci étant non conformes et insusceptibles en l'état de recevoir les revêtements muraux, alors que ces travaux de préparation des murs n'étaient pas prévus au marché, et alors que la maîtrise d'oeuvre en avait été alertée.

12. Toutefois, aux termes des stipulations de l'article 13 du cahier des clauses techniques particulières " Généralités tous corps d'état ", " Ouvrages non décrits explicitement. Le CCTP décrit l'essentiel des ouvrages dus par l'entrepreneur, même s'il ne définit pas le détail des ouvrages tels que : façons de baies, de seuils, d'appuis, de tableaux, de linteaux, feuillures, rejingots, supports, joints, habillages... Ces travaux sont compris dans le marché au même titre que les autres ainsi que tous ceux nécessaires à la bonne finition des ouvrages. (...) ". Il résulte clairement de ces stipulations que les travaux de préparation des supports muraux destinés à recevoir un revêtement étaient prévus par les marchés conclus avec la société requérante. En outre, le mémoire technique produit par la société requérante à l'appui de son offre pour les lots n° 3 et n° 4 prévoit que les travaux sur cloisons sèches et peintures impliquaient la réalisation de travaux préparatoires. Enfin, la société requérante, qui avait candidaté au lot " peinture " du marché, ne pouvait ignorer que la prestation de préparation des supports muraux dans les zones couvertes par la protection murale n'était pas comprise dans le lot " peinture " contrairement à ce qu'elle soutient. Par suite, les travaux de préparation murale ne sauraient être regardés comme étant des travaux non prévus au marché, et la société requérante ne saurait être indemnisée de ce fait.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la région Nouvelle-Aquitaine, que la société Entreprise Villemonteil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant au paiement de la somme de 59 754,35 euros.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la région Nouvelle-Aquitaine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la société Entreprise Villemonteil demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la région Nouvelle-Aquitaine en mettant à la charge de la société Entreprise Villemonteil la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Entreprise Villemonteil est rejetée.

Article 2 : La société Entreprise Villemonteil versera à la région Nouvelle-Aquitaine une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entreprise Villemonteil et à la région Nouvelle-Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme E... F..., présidente-assesseure,

Mme C... B..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2021.

Le président,

Didier ARTUS

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX03398


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03398
Date de la décision : 07/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas - Marchés.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SCP MAURY CHAGNAUD CHABAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-04-07;18bx03398 ?
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