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30/03/2021 | FRANCE | N°20BX03237,20BX03242

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 30 mars 2021, 20BX03237,20BX03242


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La collectivité d'outre-mer (COM) de Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler l'arrêté préfectoral n° 2019-218 du 6 août 2019 par lequel la préfète déléguée auprès du représentant de l'Etat à Saint-Barthélemy et Saint-Martin a décidé d'appliquer par anticipation certaines dispositions du projet de révision du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) de la collectivité de Saint-Martin.

Par un jugement n° 19000107 du 23 juillet 2020, l

e tribunal administratif de Saint-Martin a annulé l'arrêté préfectoral du 6 août 2019.

Pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La collectivité d'outre-mer (COM) de Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler l'arrêté préfectoral n° 2019-218 du 6 août 2019 par lequel la préfète déléguée auprès du représentant de l'Etat à Saint-Barthélemy et Saint-Martin a décidé d'appliquer par anticipation certaines dispositions du projet de révision du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) de la collectivité de Saint-Martin.

Par un jugement n° 19000107 du 23 juillet 2020, le tribunal administratif de Saint-Martin a annulé l'arrêté préfectoral du 6 août 2019.

Procédure devant la cour :

I/ Par un recours n° 20BX03237 enregistré le 25 septembre 2020, le ministre de la transition écologique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 juillet 2020 du tribunal administratif de Saint-Martin ;

2°) de rejeter la requête de la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.

Le ministre soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le président de la formation de jugement qui était le rapporteur de l'affaire, avait déjà eu à connaitre de ce dossier dans le cadre d'une procédure de référé suspension et a dispensé le rapporteur public de prononcer des conclusions lors de l'audience du 30 juin 2020 sur le fondement de l'ordonnance du 25 mars 2020 ; le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne répond pas de façon circonstanciée à la requête mais de manière identique dans 4 requêtes distinctes dirigées contre le même arrêté ; il n'est pas établi que la minute du jugement ait été signée;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la condition d'urgence prévue par l'article L. 562-2 du code de l'environnement n'était pas remplie alors que le caractère récurrent de l'aléa cyclonique et l'existence d'un risque de survenance d'un nouveau cyclone à Saint-Martin démontrent le caractère avérée de cette urgence ; il en va de même de la nécessité de ne pas compromettre l'application du futur plan par une aggravation des risques notamment en raison de l'augmentation forte des demandes d'autorisation d'urbanisme depuis la survenance de l'ouragan Irma le 6 septembre 2017 notamment en raison de l'accroissement de la population, de la pression urbanistique importante sur le bord du littoral en raison du relief de l'île ; l'éventuelle délivrance d'autorisations de construire crée une aggravation du risque en raison de l'exposition des bâtiments futurs aux cyclones compte tenu de la situation météorologique de l'île et de la vulnérabilité des personnes et des biens et des délais longs de révision du PPRN ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que le contrôle de légalité exercé par le préfet sur les autorisations d'urbanisme faisait obstacle à ce que la condition d'urgence soit considérée comme remplie, un tel contrôle n'ayant pas le même objet ni le même effet que l'application anticipée d'un PPRN ; le porter à connaissance de la carte des risques actualisée à la collectivité de Saint-Martin est sans incidence sur ce point dès lors qu'elle n'a pas le statut de servitude d'utilité publique directement opposable aux décisions d'occupation des sols et ne fait pas l'objet de la même publicité ni d'une participation du public ; le juge n'exerce qu'un contrôle restreint au regard de l'article R 111-2 du code de l'urbanisme sur les autorisations délivrées par l'autorité compétente ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé au regard de l'article L. 562-2 du code de l'environnement que le projet de PPRN n'était pas suffisamment avancé dès lors qu'il a considéré en réalité que seul un projet finalisé et non suffisamment avancé était susceptible d'une application anticipée ; s'agissant des modèles numériques de terrain (MNT) et de surface en eau (MNSE) utilisés pour l'acquisition de la topographie, le dossier comprenait une carte de localisation du phénomène naturel historique de référence (ouragan Irma) à l'échelle 1/10000e, une cartographie de l'aléa naturel à l'échelle du 1/5000e sur tout le linéaire côtier et une cartographie des équipements sensibles de la commune à l'échelle 1/10000e, le CEREMA ayant réalisé un modèle numérique de surface en eau (MNSE) du niveau maximal de submersion à partir de relevés effectués du 7 au 15 octobre 2017 un mois après le passage d'Irma et utilisé un MNT de type Lidar de 2010 avec un pas de 5 mètres et une précision altimétrique de 25 cm, suffisamment précis pour rendre précisément la topographie du territoire concerné par le PPRN ;la référence à un relevé Lidar de type Litto 3D concerne l'application à une révision complète du PPRN prévue à moyen terme en vue de modéliser des aléas potentiels et c'est donc à tort que le tribunal s'est fondé sur la non-utilisation d'un tel relevé pour estimer que la connaissance du terrain était lacunaire dans le projet de révision du PPRN ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'administration ne disposait pas de données scientifiques sérieuses permettant d'évaluer le risque lié au choc mécanique des vagues et de fonder la mise en place d'une bande de précaution de 50 mètres appliquée aux littoraux d'une altimétrie inférieure à 10 mètres alors que la notice de présentation de la révision du PPRN rappelle que des sédiments ont été déposés jusqu'à 350 mètres à l'intérieur des terres et que selon le guide PPRL de 2014 il est préconisé de fixer une bande d'une largeur de 50 m pour déterminer la zone soumise au déferlement dans un contexte cyclonique, avec les hauteurs de submersion supérieures à 2 mètres pour déterminer l'aléa très fort de submersion marine ; la révision du PPR de St Martin intègre les dispositions du décret du 5 juillet 2019 prévoyant la prise en compte des chocs mécaniques des vagues et des projections de matériaux ; la circulaire de 2011 relative à la prise en compte du risque de submersion marine dans les PPRNL prévoit également l'identification des zones soumises au déferlement le cas échéant par l'application d'une méthode forfaitaire ; en l'absence de données scientifiques plus précises, tenant aux incertitudes liées à la modélisation des phénomènes d'impacts de vagues, c'est à tort que le tribunal a considéré que le projet de révision n'était pas assez avancé ;

- l'article R. 562-2 du code de l'environnement prévoit que le PPRN doit être approuvé dans un délai maximal de 3 ans prorogeable dans la limite de 18 mois ; le projet de révision du PPRN effectué sur la base d'un évènement historique ne nécessitant pas une modélisation des écoulements mais fondé sur les relevés effectués sur le terrain après l'évènement a été conduit dans un délai de deux ans, comme d'autres PPR littoraux ; il s'agit d'un arrêté portant application anticipée et il parait donc logique que l'élaboration du projet s'achève avant la fin du délai de 3 ans ; le tribunal ne pouvait donc considérer que le délai de 2 ans pour élaborer le projet de révision du PPRN était anormalement bref ;

- la responsabilité administrative et pénale de l'Etat, des collectivités territoriales et des élus serait susceptible d'être engagée en l'absence de mise en oeuvre de mesures adaptées, telle l'application anticipée du PPRN, compte tenu des risques connus ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2020, et des pièces enregistrées le 25 février 2021 qui n'ont pas été communiquées, la collectivité de Saint-Martin, représentée par la Selarl d'avocats Cloix et Mendes-Gil, conclut :

- à titre principal au rejet de la requête de l'Etat ;

- à titre subsidiaire à l'annulation de l'arrêté DEAL n° 2019-218 du 6 août 2019 ;

- à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- l'arrêté est illégal dès lors qu'il nécessitait une évaluation environnementale ;

- l'autorité environnementale a dénaturé les faits ;

- l'arrêté est entaché d'incompétence négative.

Par ordonnance du 14 janvier 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 29 janvier 2021 à 12h00.

II/ Par un recours enregistré le 25 septembre 2020, sous le n° 20BX03242, le ministre de la transition écologique demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 1900107 du 23 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Saint-Martin a annulé l'arrêté de la préfète déléguée auprès du représentant de l'Etat à Saint-Barthélemy et Saint-Martin en date du 6 août 2019 portant application anticipée de certaines dispositions du projet de révision du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) de la collectivité de Saint-Martin.

Il soutient que :

Les conditions prévues par les articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont réunies dès lors que les moyens de sa requête d'appel sont non seulement sérieux mais de nature à entrainer l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le tribunal ; comme le démontre cette requête en annulation, l'urgence au sens de l'article L. 562-2 du code de l'environnement était avérée et le projet de révision du PPRN était suffisamment avancé au sens de ces dispositions et pouvait donc être appliqué par anticipation ;

L'exécution du jugement risque d'entrainer des conséquences difficilement réparables au sens de l'article R. 811-17 du code de justice administrative en permettant les nouvelles constructions en zone rouge c'est-à-dire dans les zones les plus vulnérables du territoire et en exposant de nouvelles populations et constructions à cet alea et en compromettant l'application future du PPRN comme démontré dans la requête en annulation ; l'exécution de ce jugement a pour conséquence d'aggraver les risques pesant sur les biens et les personnes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2020, et des pièces enregistrées le 25 février 2021 qui n'ont pas été communiquées, la collectivité de Saint-Martin, représentée par la Selarl d'avocats Cloix et Mendes-Gil, conclut :

- au rejet de la requête de l'Etat ;

- à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les conditions pour prononcer le sursis à exécution ne sont pas réunies.

Par ordonnance du 9 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée dans cette affaire au 8 janvier 2021 à 12 h.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Mme A..., cheffe de bureau des affaires juridiques des risques pour l'environnement, représentant la ministre de la transition écologique, et de Me C..., représentant la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.

Une note en délibéré présentée par la Selarl Cloix et Mendes-Gil représentant la collectivité de Saint-Martin a été enregistrée le 8 mars 2021 ;

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 10 février 2011, le préfet de la Guadeloupe a approuvé le plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) de la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin, relatif aux risques de cyclone, d'inondation, de mouvement de terrain, de séisme et de liquéfaction des sols. A la suite du passage du cyclone de catégorie 5, Irma, sur l'île de Saint-Martin le 6 septembre 2017, de fortes submersions marines ont frappé l'île occasionnant de très importants dégâts. Compte tenu de la violence et de l'importance inattendue de ces submersions, et de leurs conséquences désastreuses, l'Etat a décidé de procéder à la révision du PPRN en ce qui concerne le seul risque cyclonique, en prenant en compte le cyclone Irma comme aléa de référence. Des relevés sur le terrain, tendant à mesurer l'importance des submersions ont alors été effectués par des experts du Centre d'étude et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et pris en compte afin d'élaborer le projet de révision. Par arrêté du 12 mars 2019, le préfet de la Guadeloupe a prescrit la révision du PPRN en ce qui concerne l'aléa cyclonique. Par arrêté du 6 août 2019, la préfète déléguée de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a décidé de l'application anticipée de ce projet de révision du PPRN de Saint-Martin. La collectivité d'outre-mer (COM) de Saint-Martin, a saisi le tribunal administratif de Saint-Martin d'une demande d'annulation de cet arrêté du 6 août 2019. Par un jugement du 23 juillet 2020, le tribunal administratif de Saint-Martin a fait droit à sa demande. Par le recours enregistré sous le n° 20BX03237, le ministre de la transition écologique relève appel de ce jugement. Par le recours enregistré sous le n° 20BX03242, il demande le sursis à exécution du même jugement.

2. Il y a lieu de joindre les deux recours n° 20BX03237 et n° 20BX03242 du ministre de la transition écologique qui présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune.

Sur le recours n° 20BX03237 :

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L 562-1 du code de l'environnement : " I.- L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. II.- Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : 1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; 2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° ; 3° De définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent être prises, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, par les collectivités publiques dans le cadre de leurs compétences, ainsi que celles qui peuvent incomber aux particuliers ; (...) ". L'article L. 562-2 du même code dispose que : " Lorsqu'un projet de plan de prévention des risques naturels prévisibles contient certaines des dispositions mentionnées au 1° et au 2° du II de l'article L. 562-1 et que l'urgence le justifie, le préfet peut, après consultation des maires concernés, les rendre immédiatement opposables à toute personne publique ou privée par une décision rendue publique. Ces dispositions cessent d'être opposables si elles ne sont pas reprises dans le plan approuvé. ".

4. En premier lieu, pour considérer que la condition d'urgence prévue par les dispositions précitées de l'article L. 562-2 du code de l'environnement n'était pas remplie, le tribunal a estimé que la préfète déléguée s'était bornée à faire référence au caractère saisonnier des cyclones et à invoquer l'existence d'un risque de survenance d'un cyclone aussi violent qu'Irma, alors qu'elle disposait dans le cadre du contrôle de légalité, de la faculté de contester la délivrance d'un permis de construire en zone dangereuse sur le fondement de la carte de risque, notifiée le 30 novembre 2017 à la collectivité, et de l'article 11-5 du code de l'urbanisme de Saint-Martin.

5. Il ressort d'une part, des pièces du dossier, notamment de la notice de présentation du projet de révision du PPRN, que la survenance d'un évènement comparable au cyclone Irma de 2017 n'est pas dénuée de toute probabilité, alors même qu'aucun cyclone de cette ampleur n'aurait frappé Saint-Martin depuis 1900 et que l'île ne serait frappée en moyenne que tous les 4 ans par un cyclone. A cet égard, le ministre fait valoir sans être contredit que l'île de Saint-Martin se situe dans une région de l'Atlantique Nord soumise à un fort risque cyclonique et que des cyclones de la même puissance ont déjà frappé des îles situées dans cette région. Il ressort également des conclusions du groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) en 2013, rappelées dans la notice de présentation, que des cyclones majeurs de la même puissance qu'Irma seront plus fréquents à l'avenir, notamment dans l'atlantique nord, en raison du changement climatique, avec des vents plus élevés et des précipitations plus intenses, la baisse de la fréquence des cyclones concernant l'ouest de l'Atlantique Nord et non l'Est de ce secteur où se situe Saint-Martin. Les allégations présentées en défense selon lesquelles le risque cyclonique serait plus prévisible que le risque d'inondation ou le risque d'incendie ce qui permettrait une meilleure évacuation des zones exposées n'est établi par aucun élément probant alors au demeurant que le risque cyclonique est également caractérisé par la survenue d'inondations marines brutales ou la rupture d'éléments de protection. D'autre part, si le préfet dans le cadre de son contrôle de légalité a la possibilité de déférer au tribunal les autorisations qu'il estimerait délivrées en violation de l'article 11-5 du code de l'urbanisme de Saint-Martin, dans des secteurs exposés à un risque identifié dans la carte des risques notifiée le 30 novembre 2017, la mise en oeuvre d'un tel contrôle a posteriori n'a ni la même portée ni la même efficacité que les dispositions d'un plan de prévention des risques qui sont opposables directement aux pétitionnaires et à l'autorité compétente lors de la délivrance d'autorisation de construire. Il en est de même de la possibilité d'imposer des prescriptions supplémentaires à celles du PPRN sur le fondement de l'article R. 11-5 du code de l'urbanisme. Enfin, il ne peut être utilement argué de l'existence du PPRN approuvé en 2011 que le projet révisé a précisément pour objet de compléter en ce qui concerne l'aléa cyclonique. A cet égard, contrairement à ce qui est soutenu en défense, la notice de présentation du projet de révision, expose longuement le contexte urbain, démographique et socio-économique de Saint-Martin, notamment l'urbanisation littorale de l'ile en raison de sa topographie et les problèmes liés à cette urbanisation littorale. Elle rappelle les dégâts causés par l'ouragan, détaillant les types de bâti, leur vulnérabilité, les dommages causés notamment au secteur hôtelier, et fait état des reconstructions en notant leur progression rapide, facilitée en ce qui concerne les bâtiments endommagés par la délivrance d'une simple déclaration préalable IRMA (DPI). Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à tort que le tribunal a estimé que la condition d'urgence prévue par l'article L. 562-2 du code de l'environnement pour permettre l'application anticipée des dispositions du futur PPRN n'était pas remplie.

6. En second lieu, le tribunal a considéré que le projet de révision du PPRN n'était pas suffisamment avancé au sens de l'article L. 562-2 du code de l'environnement pour permettre son application anticipée en l'absence de données scientifiques suffisantes permettant d'évaluer le risque lié au choc des vagues et les caractères principaux d'une submersion marine de nature à justifier le zonage révisé et l'application d'une bande d'inconstructibilité d'une largeur de 50 mètres établie sur certaines portions du littoral insulaire.

7. Il ressort des pièces du dossier d'une part, que le projet de PPRN révisé appliqué par anticipation, relatif au seul aléa cyclonique, comprenait une carte de localisation du phénomène naturel historique de référence correspondant à la submersion marine enregistrée après le passage du cyclone Irma au 1/10 000e, une cartographie de l'aléa naturel de submersion marine au 1/5 000e sur tout le linéaire côtier et une cartographie des équipements sensibles de la commune au 1/10 000e. Il est constant que pour établir ces cartes, le CEREMA a réalisé un modèle numérique des surfaces en eau (MNSE) du niveau maximal de submersion constaté, à partir de 96 relevés des plus hautes eaux (PHE) avec un nivellement altimétrique de précision centimètrique, des laisses de haute mer avec 2 279 mètres de relevés linéaire des limites de submersion aux endroits accessibles et encore visibles et des jets de rive avec 2 108 mètres de relevés linéaires de la limite terre-mer (indicateur de l'érosion) quasi-exhaustif sur l'ensemble du littoral sableux, relevés sur le terrain effectués du 7 au 15 octobre 2017, après le passage du cyclone. A cet égard, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment du document d'analyse établi par la " mission scientifique de la collectivité de Saint-Martin " le 1er mai 2020, très peu étayé produit en défense, que ces relevés seraient insuffisants ou empreints de confusion entre les submersions marine et les inondations liées au seul ruissellement des eaux pluviales issues des ravines, la révision n'ayant d'ailleurs pour objet que l'aléa cyclonique. Les hauteurs de submersion marine ainsi relevées ont ensuite été déduites du croisement du MNSE et d'un modèle numérique de terrain (MNT) fourni par l'IGN datant de 2010 et réalisé par levés par laser aéroporté (LIDAR) avec un pas de 5 mètres et une précision altimétrique de 25 cm. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la note technique du CEREMA à la commission Lacroix, que ce MNT au pas de 5 mètres établi en 2010, a fait l'objet d'un recalage altimétrique par les experts du CEREMA à l'aide des points relevés au sol et d'autres éléments de comparaison entre les emprises des hauteurs d'eau établies et la réalité au sol constatée en octobre 2017 et que cette valeur modifiée est d'ailleurs indiquée sur les cartes d'aléas. Ainsi, alors même que le MNT utilisé n'est pas issu de relevés de type Litto 3D plus précis, les éléments utilisés par le CEREMA, qui ont fait l'objet de corrections résultant de constatations sur le terrain après le passage du cyclone, ont permis une connaissance du phénomène de submersion marine dû à l'aléa de référence compte tenu des relevés de terrain ainsi effectués. La notice de présentation du projet de PPRN révisé, qui rappelle les modalités d'établissement des cartes d'aléa cyclonique relatives au seul aléa de référence, précise d'ailleurs que l'utilisation de relevés LIDAR type litto 3D, plus précis, ainsi que de levées bathymétriques et d'une cartographie exhaustive des ouvrages de protection contre les inondations, est prévue ultérieurement en ce qui concerne la révision complète du PPRN pour modéliser les aléas prenant en compte le changement climatique ou des cyclones aux trajectoires différentes, documents devant figurer dans le PPRN révisé définitif.

8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et notamment de la notice de présentation et du règlement du projet de PPRN révisé, que les hauteurs de submersion marine, vérifiées sur le terrain, ont été plus élevées lors du passage d'Irma, le CEREMA ayant relevé des traces de submersion à plus de 4 mètres au-dessus du niveau de la mer. La notice de présentation note que le croisement des données d'endommagement du bâti résultant du programme Copernicus et des hauteurs de submersion marine mesurées par le CEREMA permettent d'observer des différences de dommages significatives entre les zones submergées, notamment par plus d'un mètre d'eau, et les zones non submergées. Le règlement précise que le projet de révision est fondé sur la carte d'aléa de submersion marine du PPRN de 2011 qui définissait déjà différentes zones d'aléa fort, moyen ou faible et qu'il couple les hauteurs d'eau du PPRN 2011 avec les hauteurs d'eau de l'aléa de référence pour définir éventuellement de nouvelles zones d'aléas. La notice de présentation précise également que des zones de franchissements importants des flots, donc vulnérables au choc mécanique des vagues et aux projections de débris, ont été identifiées à la suite de l'aléa de référence, notamment sur la langue de sable de la baie Nettlé, de Sandy Ground et dans le quartier d'Anse Marcel et de la baie Orientale. La notice de présentation du PPRN précise que dans ces secteurs des sédiments ont été déposés jusqu'à 350 mètres à l'intérieur des terres lors du passage d'Irma, ce qui témoigne d'une force d'écoulement capable d'endommager le bâti et que les constructions légères arrachées par les flots sont alors transformées en projectiles endommageant également les bâtiments situés plus à l'arrière. Des résidences situées à plus de 5 mètres au-dessus du niveau de la mer ont également été détruites par les effets de vagues s'élevant jusqu'à 9 mètres d'altitude notamment à Oyster Pond. La notice rappelle que le guide national d'élaboration des plans de prévention des risques littoraux (PPRL) de mai 2014 recommande de classer en aléa très fort toutes les zones submergées par plus de deux mètres d'eau et d'étendre à 50 mètres la largeur d'une zone soumise au déferlement dans un contexte cyclonique pour les zones soumises à des franchissements modérés et que, dans l'attente d'analyses plus fines, il a été décidé d'instaurer cette bande de 50 mètres de largeur, " rouge foncé ", aux parcelles littorales d'une altitude inférieure à 10 mètres et/ou ayant fait l'objet d'une hauteur de submersion supérieure à 2 mètres. La collectivité de Saint-Martin n'est donc pas fondée à soutenir en défense que le classement de certaines parcelles situées à Marigot, et Terres Basses en zones d'alea fort et très fort ne serait pas justifié par la hauteur des eaux dès lors qu'est également prise en compte l'altitude des parcelles et leur distance par rapport à la mer. De plus, la cartographie révisée des hauteurs de la submersion marine issue de la superposition du niveau marin de référence à la topographie correspond à la méthode préconisée par le guide national méthodologique sur les plans de prévention des risques littoraux de 2014, dont se prévaut la collectivité en défense, notamment dans le chapitre relatif au choix de la méthode de caractérisation et de cartographie de l'aléa. Ainsi, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, c'est en se fondant tant sur les données du PPRN de 2011 que sur des données de terrain actualisées au vu de l'aléa de référence ainsi que sur des recommandations nationales d'élaboration des PPRN que la bande " rouge foncé " d'alea très fort, dite bande " de précaution " a été définie. Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, les données scientifiques dont disposait l'administration étaient suffisantes pour réviser le zonage applicable au regard de l'aléa cyclonique. Ainsi, le ministre est fondé à soutenir que le projet de PPRN révisé était suffisamment avancé au regard des dispositions de l'article L. 562-2 du code de l'environnement.

9.Par suite, et alors en tout état de cause que l'élaboration ou la révision d'un PPRN n'est encadrée par aucun délai minimal, il résulte de l'ensemble des éléments précédemment rappelés que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu les moyens tirés de l'absence d'urgence et de l'état insuffisamment avancé du projet de PPRN révisé au sens de l'article L. 562-2 du code de l'environnement pour annuler l'arrêté préfectoral du 6 août 2019.

10.Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la collectivité de Saint-Martin en première instance et en appel.

11. En premier lieu, si la collectivité de Saint-Martin soutient qu'en méconnaissance de l'arrêté prescrivant la révision du PPRN, l'arrêté en litige est intervenu sans qu'elle ait été associée à l'élaboration du plan, il ressort des pièces du dossier et notamment des écritures de la collectivité de Saint-Martin que plusieurs réunions se sont déroulées entre les services de l'Etat et ses services et que consultée sur le projet d'application anticipée du PPRN, elle a émis un avis défavorable le 17 juillet 2019. La circonstance que ses avis n'auraient pas été pris en compte n'est pas de nature à démontrer l'absence d'association alléguée. Par ailleurs, selon les articles L. 562-2 et R. 562-6 du code de l'environnement seule une consultation des maires intéressés est prévue lors de la procédure de mise en application anticipée du projet de plan. Par suite, et en tout état de cause l'arrêté en litige n'ayant pour objet que l'application anticipée du projet de révision du PPRN, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.

12. En deuxième lieu, et en tout état de cause compte tenu de son objet de prévention d'un risque connu de submersion marine cyclonique, en l'absence de démonstration de son coût économique inacceptable, de son caractère disproportionné ou inutile et d'une atteinte à l'environnement, l'arrêté en litige, notamment en ce qu'il procède à la délimitation de la bande dite " de précaution " d'une largeur de 50 mètres à partir du trait de côte, ne méconnait pas le principe de précaution posé par l'article L. 110-1 et l'article 5 de la Charte de l'environnement. Il ne méconnait pas davantage, en tout état de cause, le principe de prévention posé par l'article 3 de la même Charte.

13. En troisième lieu, la collectivité de Saint-Martin soutient que l'arrêté en litige est entaché d'illégalité en tant qu'il nécessitait une évaluation environnementale au regard des dispositions de l'article R. 122-17 II du code de l'environnement alors que l'autorité environnementale a décidé de dispenser la révision du plan de prévention des risques d'une telle évaluation. Toutefois, d'une part, les dispositions de l'article R. 122-17 II du code de l'environnement ne visent pas l'application par anticipation de certaines des dispositions du projet de révision du plan de prévention des risques naturels. D'autre part, la décision de dispense d'évaluation environnementale qui a le caractère d'une mesure préparatoire à la révision de ce plan insusceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, ne peut être contestée qu'à l'occasion de l'exercice d'un recours contre la décision approuvant ce plan révisé. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant à l'encontre de l'arrêté de mise en application anticipée de certaines dispositions du projet de révision du plan de prévention des risques.

14. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, le moyen tiré de l'illégalité de la décision de l'autorité environnementale doit être écarté comme inopérant.

15. En cinquième lieu, la collectivité de Saint-Martin soutient que l'Etat a entaché sa décision d'erreur de droit en méconnaissant l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article L. 562-2 du code de l'environnement qui limite la possibilité d'application anticipée aux dispositions des 1° et 2° de cet article relatifs aux mesures d'interdiction et de prescriptions pour les constructions nouvelles des propriétaires. Il résulte des dispositions de l'article L. 562-2 du code de l'environnement qu'il a entendu limiter la possibilité d'application immédiate des projets de plans de prévention des risques naturels prévisibles aux dispositions mentionnées aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 c'est-à-dire aux dispositions applicables aux travaux décidés par les propriétaires, en en excluant les dispositions des 3° et 4° du II du même article qui seules permettent de prescrire des travaux de mise en conformité aux collectivités territoriales et aux particuliers. Or, il résulte des termes mêmes de l'arrêté du 6 août 2019 qu'il n'a pour objet de rendre applicable par anticipation que les dispositions du plan " qui concernent des projets nouveaux " et les " constructions nouvelles " au visa de l'article L. 562-2 et R. 562-6 du code de l'environnement. Par suite, le moyen doit être écarté.

16. Enfin, la collectivité de Saint-Martin soutient que l'arrêté du 6 août 2019 est entaché d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu des imprécisions et insuffisances figurant dans les cartes relatives à la hauteur des plus hautes eaux, à l'aléa cyclonique et au zonage règlementaire. Toutefois, au soutien de ce moyen, elle se borne à reprendre ses critiques de la méthodologie utilisée par l'Etat notamment le caractère insuffisant et erroné des relevés du CEREMA, l'insuffisante fiabilité des données scientifiques utilisées et les incohérences entre les hauteurs d'eau et les aléas retenus, s'agissant notamment des secteurs des Terres Basses, Marigot, Sandy Ground. Par suite, et pour les motifs précédemment exposés au points 7, 8 et 15, et alors qu'une marge d'incertitude s'attache nécessairement aux prévisions quant aux submersions qui résulteraient d'un évènement de même ampleur alors qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, il existe un risque avéré de survenue de nouveaux épisodes cycloniques plus violents, il y a lieu d'écarter ce moyen.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que le ministre de la transition écologique est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Martin a annulé l'arrêté du 6 août 2019 par lequel la préfète déléguée de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a décidé de l'application anticipée de ce projet de révision du PPRN de Saint-Martin.

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance soit condamné à verser quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Sur le recours n° 20BX03242 :

19. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Saint-Martin, les conclusions du recours n° 20BX03242 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20BX03242.

Article 2 : Le jugement n° 1900107 du tribunal administratif de Saint-Martin du 23 juillet 2020 est annulé.

Article 3 : La demande de la collectivité de Saint-Martin devant le tribunal administratif et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne B..., présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Stéphane Gueguein, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition le 30 mars 2021.

Le président-assesseur, La présidente-rapporteure,

Dominique Ferrari Evelyne B...

La greffière

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 20BX03237, 20BX03242


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03237,20BX03242
Date de la décision : 30/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-05-08 Nature et environnement. Divers régimes protecteurs de l`environnement. Prévention des crues, des risques majeurs et des risques sismiques.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Evelyne BALZAMO
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL CLOIX et MENDES-GIL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-30;20bx03237.20bx03242 ?
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