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23/03/2021 | FRANCE | N°20BX03317

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 23 mars 2021, 20BX03317


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 5 mars 2019 par laquelle la préfète de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 1902061 du 3 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 octobre 2020, M. F..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 3 jui

n 2020 ;

2°) d'annuler la décision de la préfète de la Gironde du 5 mars 2019 portant refus de titre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 5 mars 2019 par laquelle la préfète de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 1902061 du 3 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 octobre 2020, M. F..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision de la préfète de la Gironde du 5 mars 2019 portant refus de titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer le titre de séjour sollicité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit dès lors que sa situation relève des seules stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien et non des dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'absence d'un visa long séjour ne peut lui être valablement opposée au regard des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien applicable aux ressortissants tunisiens présents en France mais ne disposant pas des titres de séjour visés à l'article 1er dudit accord alors en outre que cette exigence d'un visa long séjour ne fait pas l'objet d'une clause de réciprocité ;

- la préfète a commis une erreur de droit en rejetant sa demande sans avoir statué sur la demande d'autorisation de travail sollicité ; la préfète a porté sur le contrat de travail présenté une appréciation fondée sur des faits erronés et gravement diffamatoires ; le préfet ne pouvait, sans méconnaître les textes applicables, fonder son refus sur une appréciation de la moralité de l'employeur ;

- la décision contestée méconnait l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie d'une intégration ancienne en France et en Europe ainsi que d'un projet professionnel ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.

Par un courrier du 11 février 2021, les parties ont été informées en application des dispositions de l'article R.611-7 du code de justice administrative de ce que la cour était susceptible de substituer d'office les stipulations de l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 à l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comme base légale de la décision contestée du 5 mars 2019.

Une réponse au moyen d'ordre public présentée par M. F... a été enregistrée le 19 février 2021.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- les conclusions de Mme I..., rapporteure publique ;

- et les observations de Me C..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant tunisien, né le 6 septembre 1987, est entré en France sous couvert d'un titre de résident longue durée-UE délivré par les autorités polonaises. Le 20 décembre 2017, il a sollicité un titre de séjour " salarié " sur le fondement de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Par une décision du 5 mars 2019, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande. M. F... relève appel du jugement du 3 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail, du 17 mars 1988 : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention " salarié ". / Après trois ans de séjour régulier en France, les ressortissants tunisiens visés à l'alinéa précédent peuvent obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er sont applicables pour le renouvellement du titre de séjour après dix ans. / Les autres ressortissants tunisiens ne relevant pas de l'article 1er du présent Accord et titulaires d'un titre de séjour peuvent également obtenir un titre de séjour d'une durée de dix ans s'ils justifient d'une résidence régulière en France de trois années. Il est statué sur leur demande en tenant compte des moyens d'existence professionnels ou non, dont ils peuvent faire état et, le cas échéant, des justifications qu'ils peuvent invoquer à l'appui de leur demande. / Ces titres de séjour confèrent à leurs titulaires le droit d'exercer en France la profession de leur choix. Ils sont renouvelables de plein droit ". En vertu du point 2.3.3 du protocole du 28 avril 2008 : " Le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'Accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent Protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi ". Aux termes du premier alinéa de l'article 11 de l'accord du 17 mars 1988 : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / (...) 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ".

3. Il résulte des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, qui prévoient que le titre de séjour " salarié " n'est délivré que sur la présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité compétente, que les dispositions de l'article R. 5221-20 du code du travail relatives aux conditions de délivrance des autorisations de travail demeurent applicables aux demandes de titre de séjour portant la mention " salarié " et valable un an formulées par les ressortissants tunisiens. La réserve prévue au point 2.3.3 du protocole du 28 avril 2008 a pour seul effet d'écarter, pour les seuls métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I de ce protocole, l'application de la condition relative à la prise en compte de la situation de l'emploi prévue par le 1° de l'article R. 5221-20 du code du travail.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent code régit l'entrée et le séjour des étrangers en France métropolitaine (...). Ses dispositions s'appliquent sous réserve des conventions internationales. (...) ". L'article L. 313-2 de ce code dispose : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle (...) sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1 ". Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée : 1° A l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l'article L. 341-2 du code du travail. / (...) La carte porte la mention " salarié " lorsque l'activité est exercée pour une durée supérieure ou égale à douze mois. (...) ".

5. Il résulte de ces stipulations que la situation des ressortissants tunisiens désireux d'obtenir une carte d'un titre de séjour portant la mention " salarié " est régie par les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susvisé et non par les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La préfète de la Gironde ne pouvait donc légalement se fonder, pour prendre l'arrêté contesté, sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que la convention franco-tunisienne du 17 mars 1988 régit les conditions dans lesquelles les ressortissants tunisiens peuvent être admis à séjourner en France en qualité de salarié. Toutefois, et dès lors que l'application des dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont privé M. F... d'aucune des garanties prévues par les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien, il y a lieu, pour la cour, de procéder à une substitution de base légale en examinant la légalité de la décision contestée au regard de ces dernières stipulations.

6. Comme il a été dit, il résulte des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susvisé et du point 2.3.3 du protocole du 28 avril 2008 annexé à cet accord, combinées avec les dispositions des articles L. 5221-2 et R. 5221-3 à R. 5221-14 du code du travail, que la délivrance aux ressortissants tunisiens d'un titre de séjour portant la mention " salarié " est subordonnée à la présentation d'un visa de long séjour et d'un contrat visé par les services en charge de l'emploi.

7. M. F... n'établit pas, ni même n'allègue, qu'il aurait présenté aux services préfectoraux le visa de long séjour requis à l'appui de sa demande d'admission au séjour en qualité de salarié. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait sollicité une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispensant l'étranger titulaire de la carte de résident longue-durée-UE de présenter un visa long séjour. Dès lors, la préfète a pu légalement ne pas accorder l'autorisation de travail sollicitée et, sans méconnaître les stipulations précitées de l'accord franco-tunisien, refuser de délivrer à l'intéressé un titre de séjour en qualité de salarié.

8. En deuxième lieu, le défaut de présentation d'un visa long séjour justifiant à lui seul le refus de titre de séjour litigieux, la préfète qui n'était dès lors pas tenue de statuer explicitement sur les demandes d'autorisation de travail présentées par les sociétés Sandi Fraj et ZSM 33 avant de prendre la décision contestée, n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit. La circonstance qu'elle aurait porté une appréciation infondée sur la moralité de l'employeur étant sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

9. En troisième lieu, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7.(...) ". Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. F... ne peut utilement invoquer la méconnaissance par la préfète de la Gironde des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne lui sont pas applicables. Toutefois, et en admettant même que M. F... ait entendu soutenir, en réalité, que la préfète a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, les circonstances qu'il est titulaire d'un titre de séjour longue durée-UE, qu'il justifie d'une présence régulière sur le territoire français, ainsi que d'une promesse d'embauche, ne constituent pas des circonstances particulières de nature à faire regarder la décision contestée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 23 février 2021 à laquelle siégeaient :

Mme G... A..., présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme B... H..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021

La présidente,

Elisabeth A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°20BX03317


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03317
Date de la décision : 23/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Birsen SARAC-DELEIGNE
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : GEORGES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-23;20bx03317 ?
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