Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Multicar, société à responsabilité limitée (SARL), a demandé au tribunal administratif de la Martinique, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.
Par un jugement n°1800239 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a prononcé un non-lieu à statuer dans la limite d'un dégrèvement de 9 500 euros de droits et de 2 166 euros de pénalités au titre de l'année 2009 prononcé en cours d'instance par l'administration, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2019, la SARL Multicar, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 avril 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'annulation du report déficitaire de 26 633 euros au titre de l'exercice 2009 en raison de produits financiers non comptabilisés au titre de l'exercice clos en 2008 contrevient au principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit dès lors qu'il affecte un poste d'actif net de ce bilan et que ces profits non comptabilisés résultant d'une erreur de la société ne peuvent être qualifiés d'abandons de créances non justifiées ;
- le défaut d'inventaire des stocks de l'année 2011 a entraîné une déduction du prix de revient sur l'exercice d'acquisition et la constatation d'un produit égal au prix total de vente sur l'exercice 2012 de revente de sorte que le rehaussement pratiqué par l'administration implique la correction de la surimposition au titre de l'exercice de 2012 ;
- le rappel pratiqué au titre de l'année 2011 n'est pas justifié en ce que la facture du transitaire " Somotrans " comptabilisée le 22 mars 2011 pour 13 193,05 euros ne fait pas double emploi avec celle du 12 avril 2011 pour 10 628,07 euros, laquelle correspond à l'acquisition des deux véhicules " Glinche Automobiles " importés pour une valeur de 44 000 euros ;
- la charge réintégrée au titre de l'année 2011 pour 100 000 euros correspond à l'acquisition d'une grue destinée à la revente pour laquelle l'appelante s'engage à communiquer ultérieurement les pièces justificatives de cette acquisition ;
- les majorations pour manquement délibéré ne sont pas suffisamment motivées :
- en l'absence du caractère délibéré de l'omission constaté, l'application de la majoration de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme F..., rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Multicar, qui exerce une activité de commerce de voitures et de véhicules automobiles légers au Lamentin (Martinique), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. A la suite de cette vérification, la société appelante a été assujettie à un complément d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 du fait de l'annulation de reports des déficits constatés en 2008 et de la réintégration des stocks non comptabilisés au titre des trois exercices vérifiés. Par un jugement du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés établie au titre de l'exercice clos en 2009 pour un montant de 11 666 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête tendant à la décharge des compléments d'impôts sur la société ainsi que des pénalités dont ces droits ont été assortis. La SARL Multicar, qui relève appel de ce jugement, doit être regardée comme demandant sa réformation, en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la décharge des impositions restant en litige.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne le report déficitaire de 26 633 euros de l'exercice clos en 2008 sur l'exercice clos en 2009 :
2. Aux termes du 3ème alinéa de I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve de l'option prévue à l'article 220 quinquies, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d'un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants. Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa. " Aux termes du 4 bis de l'article 38 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier, deuxième et troisième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci (...) ". Et aux termes de l'article 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ".
3. Il résulte de l'instruction que l'administration a réintégré dans le résultat de l'exercice clos en 2008 un produit non comptabilisé de 27 835 euros, ramené à 26 633 euros après la réponse aux observations du contribuable, correspondant aux intérêts de prêts consentis par la société requérante à des tiers, non comptabilisés en produits, et a rehaussé, à due concurrence, le résultat de l'exercice 2009, premier exercice non prescrit, sur lequel avait été reporté le déficit de l'exercice 2008, prescrit en application de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales.
4. Le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit fait obstacle à la correction par l'administration du bilan de l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit à raisons des erreurs ou omissions commises au cours des exercices précédents. Toutefois, ainsi que l'a jugé le tribunal, le déficit en litige en l'espèce est né d'un abandon de créance non justifié et la correction opérée par l'administration pour le remettre en cause porte non sur un poste du bilan mais sur les produits comptabilisés au compte de résultat. La société requérante ne peut donc se prévaloir de la règle d'intangibilité du bilan d'ouverture pour contester la remise en cause par l'administration du report déficitaire de l'exercice 2008 sur l'exercice 2009. Par suite, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le rehaussement des stocks des exercices 2009, 2010 et 2011 :
5. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) 3. Pour l'application des 1 et 2, les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l'exercice, si ce cours est inférieur au prix de revient (...) ". Et aux termes de l'article 38 ter de l'annexe III du même code : " Le stock est constitué par l'ensemble des marchandises, des matières premières, des matières et fournitures consommables, des productions en cours, des produits intermédiaires, des produits finis, des produits résiduels et des emballages non destinés à être récupérés, qui sont la propriété de l'entreprise à la date de l'inventaire et dont la vente en l'état ou au terme d'un processus de production à venir ou en cours permet la réalisation d'un bénéfice d'exploitation (...) ".
6. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la société Multicar a comptabilisé des factures d'achats de marchandises dans un compte de charges pour un montant de 79 129 euros au titre de l'exercice 2009, de 171 875 euros au titre de l'exercice 2010 et de 67 822 euros au titre de l'exercice 2011, sans procéder à l'inventaire et à leur comptabilisation dans le stock des marchandises invendues, entrainant une minoration corrélative des résultats de ces exercices. Si la société requérante invoque l'existence d'une double imposition au titre de l'exercice de revente de ces marchandises, soit sur l'exercice 2012, un tel moyen, ainsi que l'a jugé le tribunal, est inopérant dès lors que cet exercice n'est pas au nombre des exercices vérifiés.
7. Par ailleurs, si la société conteste l'inclusion dans la base taxable de l'exercice 2011 d'une somme 13 193,05 euros au motif que cette facture correspondrait à l'achat d'un autre véhicule que ceux acquis auprès de la société Glinche Automobiles, toutefois, en l'absence de production de la facture d'achat dudit véhicule, elle ne démontre pas par la production de la seule facture du transitaire Ideal Import transport que ces frais auraient été engagés pour une autre opération que celle qui a été intégrée par l'administration dans les stocks de l'année 2011. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les marchandises devaient être inscrites, en application des dispositions précitées de l'article 38 ter de l'annexe III au code général des impôts, pour un montant total de 318 826 euros, dans les stocks de la SARL Multicar au titre des exercices clos de 2009 à 2011.
En ce qui concerne les charges déductibles :
8. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
9. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
10. La SARL Multicar, à qui il incombe de justifier la réalité de la charge d'exploitation de 100 000 euros comptabilisée au titre de l'exercice 2011, se borne à affirmer que cette écriture correspond à l'acquisition d'une grue destinée à la revente, dont la facture sera ultérieurement communiquée. En l'absence de production de la facture régulière relative à cet achat, c'est par une exacte application des dispositions de l'article 39-1° du code général des impôts que l'administration a refusé la déduction de cette somme de son résultat.
En ce qui concerne la majoration pour manquement délibéré :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (...) ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 alors applicable : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) - infligent une sanction (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
12. La proposition de rectification du 19 décembre 2012, qui cite les dispositions du a. de l'article 1729 du code général des impôts, comporte le fondement légal des majorations appliquées aux rehaussements prononcés ainsi que les circonstances permettant d'établir le manquement délibéré ainsi reproché au contribuable. Dans ces conditions, la proposition de rectification adressée à la société Multicar répond suffisamment aux exigences de motivation prescrites par l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales.
13. D'autre part, en relevant que la société qui a minoré systématiquement des stocks sur les trois exercices vérifiés, ne pouvait ignorer que les achats de marchandises qui n'ont pas été revendus devaient faire l'objet d'écritures d'inventaire conduisant au constat d'un stock à la fin de chaque exercice, l'administration fiscale établit suffisamment l'intention délibérée de la société Multicar d'éluder l'impôt. L'application de la majoration de 40 %, en cas de manquement délibéré, prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts est, dès lors, fondée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Multicar, n'est pas fondée à soutenir, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Martinique a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions restant en litige.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que soit mis à la charge l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SARL Multicar demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Multicar est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Multicar et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 23 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme D... B..., présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
Mme C... E..., première conseillère,
Rendu public par mise à la disposition au greffe le 23 mars 2021.
La présidente,
Elisabeth B... La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02966