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11/03/2021 | FRANCE | N°20BX00529

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 11 mars 2021, 20BX00529


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision implicite de rejet née le 2 février 2019 du silence de la préfète de la Gironde sur sa demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", présentée le 2 octobre 2018.

Par une ordonnance n° 1905774 du 11 décembre 2019, le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2020, transmise

à la cour administrative d'appel de Bordeaux où elle a été enregistrée le 23 janvier 2020 et rég...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision implicite de rejet née le 2 février 2019 du silence de la préfète de la Gironde sur sa demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", présentée le 2 octobre 2018.

Par une ordonnance n° 1905774 du 11 décembre 2019, le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2020, transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux où elle a été enregistrée le 23 janvier 2020 et régularisée le 20 mars 2020, et un mémoire, enregistré le 27 août 2020, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux du 11 décembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la préfète de la Gironde sur sa demande de titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde, dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard, principalement, de lui délivrer un titre de séjour et, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de demande de titre de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son action n'était pas tardive et ne relevait pas des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ; en l'absence d'accusé de réception de la demande avec indication des délais et voies de recours concernant une éventuelle décision implicite de rejet et en l'absence d'échange avec l'administration concernant ladite décision implicite de rejet, il se trouvait dans un délai raisonnable pour saisir le tribunal ;

- la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.

La demande de M. A... B... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle a été rejetée par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 11 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention signée à New-York le 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité marocaine, a demandé à la préfète de la Gironde, le 2 octobre 2018, sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il relève appel de l'ordonnance par laquelle le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus implicite de délivrance d'un titre de séjour comme étant manifestement irrecevable.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Selon l'article R. 222-1 du code de justice administrative, les présidents de tribunal administratif peuvent, par ordonnance, " 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ".

3. Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Il résulte de ces dispositions que cette notification doit, s'agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l'autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Il résulte des dispositions citées au point précédent que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n'est pas opposable.

5. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si la méconnaissance de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

6. Les règles énoncées au point 5, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes cités au point 3, dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.

7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. B... a déposé le 2 octobre 2018 une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile reçu le 22 octobre suivant. Une décision implicite de rejet est née au terme d'un délai de quatre mois, soit le 22 février 2019. Dès lors, en l'absence de toute indication des délais et des voies de recours et alors que moins d'un an s'était écoulé à la date à laquelle il a saisi le tribunal administratif, le 25 novembre 2019, sa demande n'était pas tardive.

8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

9. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., arrivé en France en octobre 2016, y a épousé, en 2018, une compatriote, titulaire d'une carte de résident de dix ans, avec laquelle il a eu deux enfants, nés en 2018 et en 2019. Il ressort également des éléments produits par M. B... que son épouse travaille en tant qu'agent de service et qu'il est titulaire d'une promesse d'embauche. La préfète, qui n'a produit ni devant le tribunal ni devant la cour, ne conteste pas la vie commune du couple attestée par un courrier de son épouse alléguant qu'ils vivent ensemble depuis septembre 2017. Dans ces conditions, M. B... établit avoir fixé en France le centre de ses intérêts privés et familiaux. Ainsi, eu égard à l'ancienneté et aux conditions de son séjour en France, il est fondé à soutenir que, dans les circonstances particulières de l'espèce, la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation en refusant de lui délivrer un titre de séjour. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par l'appelant, celui-ci est fondé à demander l'annulation de la décision implicite née le 22 février 2019 de refus de délivrance d'un titre de séjour.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

11. Le présent arrêt, qui annule la décision implicite de refus de titre de séjour de la préfète de la Gironde, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, et en l'absence d'élément faisant apparaître une évolution dans la situation de droit ou de fait de M. B..., que la préfète de la Gironde délivre le titre sollicité à l'appelant. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Gironde de délivrer à M. B... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux du 11 décembre 2019 est annulée.

Article 2 : La décision de la préfète de Gironde de refus implicite de délivrance d'un titre de séjour est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à M. B... la somme de 1 200 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la préfète de la Gironde. Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 11 février 2021 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme F..., présidente-assesseure

Mme C... E..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mars 2021.

Le président de chambre,

Éric Rey-Bèthbéder

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 20BX00529


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 20BX00529
Date de la décision : 11/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. BOURGEOIS
Avocat(s) : TREBESSES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-11;20bx00529 ?
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