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04/03/2021 | FRANCE | N°19BX02134

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 04 mars 2021, 19BX02134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Château Lilian Ladouys a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'établissement public Grand port maritime de Bordeaux à lui verser une indemnité de 104 960 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des fautes commises par le Grand port maritime de Bordeaux dans le cadre de l'instruction de sa demande du 7 juin 2010 d'autorisation d'occupation du domaine public fluvial pour l'installation d'un carrelet. Par un jugement n°

1500501 du 3 novembre 2016, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Château Lilian Ladouys a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'établissement public Grand port maritime de Bordeaux à lui verser une indemnité de 104 960 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des fautes commises par le Grand port maritime de Bordeaux dans le cadre de l'instruction de sa demande du 7 juin 2010 d'autorisation d'occupation du domaine public fluvial pour l'installation d'un carrelet. Par un jugement n° 1500501 du 3 novembre 2016, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16BX04268 du 5 février 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Château Lilian Ladouys, annulé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux, condamné le Grand port maritime de Bordeaux à verser à la société Château Lilian Ladouys la somme de 84 960 euros en réparation de son préjudice financier et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une décision n° 419584 du 29 mai 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour le Grand port maritime de Bordeaux, a annulé les articles 1er et 2 de cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la même cour.

Procédure devant la cour :

Par des mémoires, enregistrés les 26 septembre 2019, 10 décembre 2020 et 25 janvier 2021, la société Château Lilian Ladouys, représentée par la SELARL B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement précité du tribunal administratif de Bordeaux du 3 novembre 2016 ;

2°) de condamner le Grand port maritime de Bordeaux à lui verser la somme de 104 960 euros en réparation du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge du Grand port maritime de Bordeaux la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le GPMB a commis une faute en l'incitant à réaliser des travaux à un endroit déterminé par ses soins ;

- elle n'a commis aucune imprudence fautive ;

- en raison de ces fautes, elle a subi des préjudices ; elle a réalisé des travaux d'implantation d'une installation de pêche sur un emplacement qui se trouve inadéquat ; il en résulte un préjudice financier, qui correspond au montant de l'installation, soit 63 180 euros, et au montant de son démontage, soit 21 780 euros ; elle a également subi un préjudice moral et un préjudice d'image, dès lors que les manoeuvres du Grand port maritime de Bordeaux ont laissé croire pendant plusieurs années que la société avait tenté de s'implanter sur le domaine public sans autorisation ; à ce titre, elle réclame 20 000 euros.

Par des mémoires, enregistrés les 5 septembre 2019, 30 octobre 2019 et 24 décembre 2020, le Grand port maritime de Bordeaux, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Château Lilian Ladouys la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la société n'a pas respecté l'emplacement prévu pour le carrelet ; en tout état de cause, il lui appartenait de solliciter des précisions sur l'emplacement de celui-ci ;

- ses préjudices ne sont pas établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Château Lilian Ladouys, et de Me D..., représentant le Grand port maritime de Bordeaux.

Considérant ce qui suit :

1. La société Château Lilian Ladouys a sollicité du Grand port maritime de Bordeaux, le 7 juin 2010, une autorisation d'occupation du domaine public fluvial pour l'installation d'un carrelet de pêche sur la parcelle cadastrée A n° 376 à Saint-Estèphe, bordant l'estuaire de la Gironde en sortie du canal d'Estey d'Un. S'estimant titulaire de cette autorisation, la société a fait construire cet ouvrage en septembre 2010. Un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé à l'encontre du président de la société le 23 juin 2011 au motif que l'installation occupait le domaine public fluvial sans autorisation et constituait un obstacle à la navigation et aux opérations d'entretien du canal. Condamnée à payer une amende d'un montant de 300 euros et à démonter l'installation de pêche édifiée sur le domaine public par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 16BX02018, 16BX04307 du 5 février 2018, devenu définitif, la société Château Lilian Ladouys, se prévalant des fautes qu'aurait commises le Grand port maritime de Bordeaux dans le cadre de l'instruction de sa demande, a demandé la condamnation de ce dernier à lui verser une indemnité de 104 960 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un jugement n° 1500501 du 3 novembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire. La cour administrative d'appel de Bordeaux, a, par un arrêt du 5 février 2018, annulé ce jugement et a condamné le Grand port maritime de Bordeaux à verser à la société Château Lilian Ladouys la somme de 84 960 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière. Saisi d'un pourvoi présenté pour le Grand port maritime de Bordeaux, le Conseil d'Etat a annulé les articles 1er et 2 de cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. ".

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'en réponse à la demande d'autorisation d'occupation du domaine public fluvial présentée par la société Château Lilian Ladouys, l'agent chargé d'instruire le dossier l'a informée, par un courriel du 10 juin 2010, que le dossier était complet et n'appelait pas, en l'état, de remarque et l'a autorisée à débuter les travaux d'implantation du carrelet. Ce même agent a confirmé cette autorisation par un courriel du 22 juillet 2010, ajoutant que le titre d'occupation ne serait pas établi avant septembre. Par un nouveau courriel du 2 septembre 2010, l'agent instructeur a indiqué à la société que le titre avait été créé et était " dans les circuits de signature ", lui a indiqué les références de ce titre d'occupation et précisé que le point d'implantation autorisé lui serait communiqué ultérieurement. Dès lors que le titre concerné n'avait pas été signé à cette date par le directeur général du Grand port maritime de Bordeaux et que l'agent en charge de l'instruction du dossier n'était pas compétent pour délivrer une telle autorisation d'occupation, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que le Grand port maritime de Bordeaux ne saurait être regardé comme ayant commis la faute invoquée par la requérante consistant en " la délivrance d'une autorisation d'occupation du domaine à un emplacement déterminé par ses soins mais apparemment inadéquat ". Pour les mêmes motifs, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que le Grand port maritime de Bordeaux aurait commis une faute en retirant cette prétendue autorisation d'occupation temporaire du domaine public quelques jours après sa délivrance et l'achèvement des travaux.

4. En deuxième lieu, les seuls éléments apportés par la société Château Lilian Ladouys ne sont pas de nature à caractériser des manoeuvres frauduleuses auxquelles le Grand port maritime de Bordeaux aurait procédé pour " masquer " une faute qu'il aurait commise en tentant de faire croire que l'emplacement sollicité dans la demande du 7 juin 2010 était précis et que l'appelante ne l'aurait pas respecté lors de la réalisation des travaux de construction du carrelet.

5. En troisième lieu, il résulte des attestations précises, circonstanciées et cohérentes versées au dossier, et qui émanent de trois personnes présentes lors d'une réunion qui s'est tenue le 11 décembre 2009 sur le lieu d'implantation du projet, que lors de cette réunion deux emplacements avaient été proposés par le service instructeur du Grand port maritime de Bordeaux. Dans les jours ayant suivi cette réunion, l'agent instructeur aurait indiqué, par téléphone, à la société qu'en raison de la location à un tiers du premier emplacement, elle pouvait installer son carrelet sur le second emplacement, où se trouvaient les vestiges des poteaux d'un ancien carrelet, ainsi qu'il résulte d'une attestation produite par la société Château Lilian Ladouys et non contestée par le Grand port maritime de Bordeaux sur ce point. Si le service instructeur a indiqué dans son message du 2 septembre 2010 que " le point kilométrique (PK) sera déterminé ultérieurement par GPS et vous sera communiqué par mail ", il avait déjà incité la société Château Lilian Ladouys, par deux fois, lors des messages des 10 juin et 22 juillet 2010 à commencer les travaux d'implantation du carrelet. Ce n'est que lors d'une réunion qui s'est tenue le 24 septembre 2010, alors que les travaux de construction du carrelet étaient achevés, en présence du représentant du Grand port maritime de Bordeaux et d'un représentant du syndicat intercommunal d'aménagement hydraulique des bassins versants du Centre Médoc, qu'a été évoqué pour la première fois l'obstacle que pouvait constituer cette installation aux opérations d'entretien et de circulation dans le chenal et qu'il a, en conséquence, été demandé à la société de déplacer cet ouvrage, demande exprimée formellement dans les courriers du Grand port maritime de Bordeaux du 7 octobre 2010 et du directeur de l'aménagement et de l'environnement du 23 novembre 2010. Par suite, la société Château Lilian Ladouys est fondée à soutenir qu'en l'incitant à entreprendre les travaux d'implantation du carrelet avant la délivrance de l'autorisation d'occupation du domaine public, le Grand port maritime de Bordeaux a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

6. Toutefois, la société Château Lilian Ladouys, bien qu'elle ne soit pas une professionnelle du droit, a elle-même commis une imprudence en installant le carrelet sans attendre la délivrance de l'autorisation d'occupation du domaine public et alors qu'elle avait été informée, par un message du 2 septembre 2010, que le point kilométrique de l'installation projetée lui serait ultérieurement communiqué. Dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation des circonstances de l'espèce en déclarant le Grand port maritime de Bordeaux responsable pour moitié du préjudice subi par la société Château Lilian Ladouys.

Sur les préjudices :

7. Si l'incitation à entreprendre les travaux en l'absence d'autorisation d'occupation du domaine public constitue une faute de nature à engager la responsabilité du Grand port maritime de Bordeaux à l'égard de la société Château Lilian Ladouys, cette dernière n'est fondée à demander à être indemnisée que des seuls préjudices présentant un caractère réel, direct et certain avec la faute ainsi commise.

8. En premier lieu, par la production de deux factures établies les 31 août et 30 septembre 2010 ainsi que de ses relevés de compte établissant le prélèvement des chèques correspondants, la société Château Lilian Ladouys justifie avoir exposé la somme de 42 500 euros hors taxes pour la réalisation du ponton qu'elle a implanté en 2010. Cependant, le préjudice en lien direct avec la faute doit être limité à la seule somme de 35 200 euros, afin de prendre en compte la valeur des matériaux réutilisables pour la réalisation d'un nouveau carrelet après l'obtention d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public. En deuxième lieu, dès lors que la démolition du carrelet irrégulièrement implanté est certaine, compte tenu de la condamnation prononcée par la cour dans son arrêt du 5 février 2018 cité au point 1, et en lien direct avec la faute du Grand port maritime de Bordeaux, il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 18 150 euros, valeur des travaux hors taxes résultant du devis de la société GTM Bâtiment Aquitaine du 1er octobre 2014 dont le montant n'est pas contesté et n'apparait pas erroné. En troisième lieu, la dépense liée à la réalisation d'un nouveau ponton ne présente pas de lien de causalité direct et certain avec la faute du Grand port maritime de Bordeaux.

9. La société ne justifie pas de l'existence d'un préjudice moral et n'apporte pas d'élément de nature à établir l'existence d'un préjudice lié à une perte d'image. Par suite, la demande indemnitaire de ces chefs de préjudice doit être rejetée.

10. Ainsi, compte tenu du partage de responsabilité défini au point 6, il y a lieu de condamner le Grand port maritime de Bordeaux à verser à la société Château Lilian Ladouys, d'une part, la somme de 17 600 euros au titre des travaux relatifs à la réalisation du ponton et, d'autre part, sous réserve de la justification par la société Lilian Ladouys de la réalisation des travaux de démolition dudit ponton, la somme de 9 075 euros à ce titre.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Château Lilian Ladouys est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Château Lilian Ladouys, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le Grand port maritime de Bordeaux au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Grand port maritime de Bordeaux une somme de 1 500 euros à verser à la société Château Lilian Ladouys en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1500501 du 3 novembre 2016 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : Le Grand port maritime de Bordeaux est condamné à verser à la société Château Lilian Ladouys, d'une part, la somme de 17 600 euros et, d'autre part, la somme de 9 075 euros sous réserve de la justification par ladite société de la réalisation des travaux de démolition de l'ouvrage réalisé sans autorisation.

Article 3 : Le Grand port maritime de Bordeaux versera à la société Château Lilian Ladouys une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête et les conclusions du Grand port maritime de Bordeaux tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Château Lilian Ladouys et au Grand port maritime de Bordeaux.

Délibéré après l'audience du 4 février 2021 à laquelle siégeaient :

Mme C... A..., présidente,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2021.

La présidente,

Marianne A...

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX02134 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02134
Date de la décision : 04/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SELARL DINETY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-04;19bx02134 ?
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