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22/12/2020 | FRANCE | N°20BX02031

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 22 décembre 2020, 20BX02031


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2019 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné son transfert aux autorités croates en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1905133 du 31 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 juin 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande

la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le tribunal administratif de Bord...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2019 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné son transfert aux autorités croates en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1905133 du 31 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 juin 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le tribunal administratif de Bordeaux du 31 octobre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 1er octobre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de prendre en charge sa demande d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

M. A... soutient que :

- l'arrêté en litige n'est pas suffisamment motivé, dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de faire valoir en temps utiles ses observations sur les conditions de son séjour en Croatie et en l'absence d'éléments de fait sur sa situation personnelle ;

- ni le nom ni la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien prévu à l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 n'apparaissent sur le document résumant cet entretien ; ainsi, il est impossible de vérifier l'habilitation de la personne qui a mené cet entretien ; dans ces conditions, les dispositions de l'article 5 du même règlement ont été méconnues ;

- la brochure A lui a été remise à la préfecture de police de Paris en l'absence d'interprète, si bien qu'il ne pouvait en comprendre le contenu ; par ailleurs, le préfet ne démontre pas que le traducteur a procédé, par voie téléphonique, à la traduction des deux brochures qui lui ont été remises dans leur intégralité, en méconnaissance de l'article 4 de ce règlement ;

- l'arrêté de transfert méconnaît les articles 3.2 et 17.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 en décidant de son transfert malgré les violences physiques et morales qu'il a subies de la part de la police croate et son souhait exprimé à l'audience devant le tribunal d'être renvoyé en Slovénie.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 juillet 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan né en 1995, est entré sur le territoire français le 9 mai 2019, selon ses déclarations, et a déposé une demande d'asile le 17 mai 2019 auprès du préfet de police avant de s'établir en Charente. Après avoir constaté, à la suite de la consultation du fichier Eurodac que les empreintes digitales de M. A... avaient été relevées par les autorités croates le 25 février 2019 lors d'une précédente demande d'asile dans ce pays, le préfet a adressé à la Croatie, le 21 mai 2019, une demande de reprise en charge de la demande d'asile de M. A.... Une décision explicite d'acceptation des autorités croates est intervenue le 3 juin 2019. Par un arrêté du 1er octobre 2019, le préfet de la Gironde a ordonné le transfert de l'intéressé en Croatie pour l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 31 octobre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté. Le préfet de la Gironde a informé les autorités croates, le 4 décembre 2019, que le délai d'exécution du transfert a été prolongé jusqu'au 30 avril 2021, M. A... ayant été déclaré en fuite.

2. En premier lieu, M. A... reprend, en des termes similaires et sans critique utile du jugement, le moyen soulevé en première instance tiré du défaut de motivation de l'arrêté en litige, auquel le premier juge a suffisamment et pertinemment répondu. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ".

4. Par ailleurs, selon l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. ". Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié d'un entretien individuel le 20 mai 2019 dans les locaux de la préfecture de police. Si M. A... reproche au résumé de l'entretien individuel de ne pas mentionner le prénom et le nom de l'agent ayant mené l'entretien, une telle obligation n'est pas prévue par l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par ailleurs, l'entretien a été mené par un agent de la préfecture de police, qui est une personne qualifiée en vertu du droit français au sens de l'article 5 de ce règlement, tandis que M. A... n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause cette qualité. Enfin, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. A... aurait été privé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que la procédure de détermination de l'État membre responsable que cet entretien a pour objet de faciliter aurait pu aboutir à un résultat différent ou encore qu'il aurait été privé de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien ou de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées ci-dessus de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. Il ressort également des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture de police le 17 mai 2019, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, brochures qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions citées ci-dessus. Ces brochures étaient rédigées en langue pachtou, qu'il a déclaré comprendre, sans préciser qu'il ne savait pas la lire, et sur lesquelles il a apposé sa signature. Si M. A... soutient que la brochure A, qui lui a été remise le 17 mai 2019, ne lui aurait pas été traduite oralement en pachtou, ces affirmations ne ressortent toutefois pas des termes du compte-rendu de l'entretien individuel mené le 20 mai 2019 avec le concours d'un interprète. En effet, M. A... a attesté, en signant le compte-rendu de cet entretien, que l'information prévue à l'article 4 lui avait été remise dans une langue qu'il comprenait en reconnaissant avoir compris les informations contenues dans les brochures A et B. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile dans une langue qu'il comprend énoncé à l'article 4 du règlement cité ci-dessus doit être écarté.

7. Enfin, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

8. M. A... n'établit pas plus en appel qu'en première instance avoir subi des violences policières pendant son séjour en Croatie ni que l'accueil des demandeurs d'asile n'y serait pas conforme à l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile. Il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants dans ce pays, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou encore que sa demande d'asile serait rejetée d'office par les autorités croates qui ont accepté sa reprise en charge. Par suite, les moyens tirés de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile, le préfet aurait méconnu les articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation des arrêtés du 1er octobre 2019 du préfet de la Gironde. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme C... B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 22 décembre 2020.

Le président,

Marianne Hardy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX02031


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02031
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SAMB-TOSCO

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-22;20bx02031 ?
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