La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/12/2020 | FRANCE | N°18BX04376

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 18 décembre 2020, 18BX04376


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. J... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société Spie Sud-Ouest à lui verser une somme globale de 37 161,60 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la réalisation de travaux sur la voie publique et le trottoir à proximité du logement dont il est propriétaire.

Par un jugement n° 1602711 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la société Spie City Networks venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest à lui

verser la somme de 29 460 euros en réparation de ses préjudices ainsi que la somme de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. J... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société Spie Sud-Ouest à lui verser une somme globale de 37 161,60 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la réalisation de travaux sur la voie publique et le trottoir à proximité du logement dont il est propriétaire.

Par un jugement n° 1602711 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la société Spie City Networks venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest à lui verser la somme de 29 460 euros en réparation de ses préjudices ainsi que la somme de 3 918,36 euros au titre des dépens.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 décembre 2018, le 12 juillet 2019 et le 28 septembre 2020, la société Spie City Networks, venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest et représentée par Me I..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 octobre 2018 en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. D... la somme de 29 460 euros en réparation de ses préjudices, ainsi que la somme de 3 918,36 euros au titre des dépens ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes de M. D... et du syndicat des copropriétaires de l'immeuble 112-114 avenue de Lavaur ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société ERDF à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, à défaut, de prononcer un partage de responsabilité entre la société Spie City Networks, la société ERDF et M. D... et, à titre infiniment subsidiaire, de réduire à 3 050,84 euros le montant de l'indemnisation accordée au titre du préjudice matériel et de rejeter le surplus de la demande de M. D... et, à défaut, d'arrêter le préjudice locatif dont il se prévaut au mois de novembre 2018 ;

4°) de mettre à la charge de M. D... ou de toute partie perdante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier faute pour les premiers juges d'avoir répondu aux différents arguments qu'elle a soulevés, d'avoir motivé le rejet de son action en garantie à l'encontre d'ERDF, de s'être prononcés sur l'ensemble des fautes de la victime qu'elle a invoquées ainsi que sur le fait du tiers dont elle s'est prévalue ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir qu'elle avait fait valoir en première instance, tirée de l'absence d'intérêt et de qualité pour agir de M. D... dans le présent litige dès lors que les désordres dont il demande réparation ont été causés à une portion de la toiture qui se situe sur le domaine public ;

- il ne saurait lui être appliqué un régime de responsabilité sans faute ; il appartient à M. D... de diriger une action présentée sur un tel fondement contre la communauté urbaine du Grand Toulouse qui est maître de l'ouvrage ;

- M. D... ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait commis une faute à l'origine de ses préjudices, seule circonstance susceptible d'engager sa responsabilité ; en toute hypothèse les fautes commises par la société ERDF, la victime et les tiers rompent le lien de causalité entre sa propre faute et le dommage subi par M. D... ;

- la réception sans réserve, par la société ERDF, des travaux en cause fait obstacle à ce que la responsabilité de la société Spie City Networks puisse être recherchée ;

- la société ERDF a commis de nombreux manquements qui sont à l'origine directe des préjudices subis par M. D... et c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle ne pouvait se prévaloir du fait d'un tiers ; il incombait à la société ERDF de procéder aux travaux de réfection des trottoirs, préalable nécessaire à la réparation des désordres ; ERDF a également manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de la société Spie City Networks en ne l'informant pas des difficultés d'exécution des travaux liés à la présence d'une partie de la toiture de M. D... sur la voie publique ;

- à titre subsidiaire, M. D... a commis une faute exonératoire de sa responsabilité en ne faisant pas procéder en temps utile aux travaux nécessaires alors que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il n'existait pas d'autre solution possible que de commencer par réaliser la réfection du trottoir, et que la société Spie Sud-Ouest n'est pas à l'origine du choix de la chronologie des réparations ; M. D... a également commis des fautes à l'origine de son dommage en faisant réaliser, en 2005, des travaux d'étanchéité mal exécutés, dès lors que la toiture dépasse sur le domaine public sans autorisation délivrée par la commune et sans information préalable de celle-ci et que le local est dépourvu d'aération et de ventilation appropriée ;

- les désordres ont également été causés par une fuite sur l'alimentation générale du réseau d'eau de la ville ;

- les désordres trouvent leur cause dans un défaut de conception du mur du local de M. D... ;

- la société Spie City Networks n'est pas responsable du préjudice subi par M. D..., et notamment de son aggravation du fait de l'absence de mise en oeuvre des travaux de reprise, dès lors que leur non réalisation ne résulte que de l'inertie de M. D..., du syndicat des copropriétaires et de la société ERDF alors qu'elle-même avait donné son accord pour la prise en charge financière des travaux ;

- en tout état de cause, seule la somme de 3 050,84 euros correspondant au devis pour la réalisation des travaux de réfection du complexe d'étanchéité de la toiture pourrait être mise à sa charge ; c'est à tort que les premiers juges ont accepté de porter un tel montant à la somme approximative de 5 000 euros en l'absence de nouveau devis ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont indemnisé un préjudice moral à hauteur de 1 000 euros alors que la réalité d'un tel préjudice n'est pas établie ;

- le lien de causalité entre les problèmes d'humidité et les pertes de loyer dont M. D... se prévaut n'est pas établi ; M. D... n'établit pas, en outre, ne pas avoir eu les moyens de faire procéder aux travaux nécessaires ; à supposer que la cour retienne l'existence d'un tel préjudice, il ne pourra qu'être arrêté au mois de novembre 2018, date à laquelle M. D... a perçu les sommes nécessaires à la réalisation des travaux ;

- la société ERDF a commis une faute en ne réalisant pas la réfection des trottoirs ainsi qu'elle s'y était engagée, préalable nécessaire à la réalisation des travaux que la société Spie City Networks avait accepté de financer ; son abstention est donc à l'origine de l'aggravation du préjudice de M. D... ; cette faute justifie que la société ERDF soit condamnée à garantir la société Spie City Networks de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ; la société ERDF ne justifie pas l'avoir informée de la réalisation des travaux de réfection du trottoir et aucune abstention ne saurait être reprochée à la société Spie City Networks ; il incombait à M. D... de procéder aux travaux dès le mois de mai 2015 et celui-ci est responsable de l'aggravation de son préjudice.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 février 2019 et le 23 mai 2019, M. D..., représenté par la SELARL Lagrange-Alengrin-Courdesses, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse en portant la somme qu'il a condamné la société Spie City Networks à lui verser à 40 221,60 euros, outre la somme de 510 euros par mois à compter du mois de décembre 2018 jusqu'à la date de la décision à intervenir, ainsi que de mettre à sa charge la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Il soutient que :

- le tribunal a omis de se prononcer sur la somme de 6 251,40 euros demandée pour le nettoyage des murs du local ;

- il a intérêt pour agir dès lors qu'il se borne à demander réparation du dommage causé, à l'occasion de travaux publics, dans le logement dont il est propriétaire ;

- la responsabilité sans faute de la société Spie City Networks est engagée du seul fait du dommage qu'il a subi et dès lors que le lien de causalité entre les travaux réalisés par la société Spie Sud-Ouest et son dommage résulte clairement de l'expertise réalisée ; cette société a d'ailleurs reconnu sa responsabilité en acceptant de prendre en charge les travaux de réparation et elle ne saurait s'en dégager au motif que la réfection du trottoir a été réalisée tardivement, cette réfection n'étant pas un préalable nécessaire aux travaux de reprise dans le logement selon l'expert ;

- il n'a commis aucune faute susceptible d'exonérer la société Spie City Networks de sa responsabilité ; l'expert a exclu que le système de ventilation du logement soit, même partiellement, à l'origine du désordre ;

- son préjudice matériel s'élève à 11 251,60 euros, somme à laquelle il convient d'ajouter la taxe sur la valeur ajoutée applicable, soit un montant de 5 000 euros estimé par l'expert pour les réparations nécessaires, et 6 251,60 euros correspondant au coût du nettoyage des murs à l'intérieur du local ;

- son préjudice locatif s'élève à la somme de 23 970 euros pour 47 mois et continue de courir ; il convient de lui verser, en outre, une indemnité calculée sur la base de 510 euros par mois à compter du mois de décembre 2018 inclus, jusqu'à la date de la décision à intervenir ;

- la somme de 1 000 euros qui lui a été allouée au titre de son préjudice moral doit être portée à 5 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 septembre 2020 et le 28 octobre 2020, la société Enedis, anciennement dénommée ERDF et représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Spie City Networks au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la responsabilité sans faute de la société Spie City Networks était engagée en raison des dommages causés à la propriété de M. D... ;

- la circonstance qu'elle ait réceptionné sans réserve les travaux n'exonère pas la société Spie City Networks de sa responsabilité ; en outre, une telle réception ne concerne que l'exécution des travaux et pas les éventuels dommages causés aux tiers ; les dommages causés à la propriété de M. D... ne sauraient être regardés comme apparents au jour de la réception ;

- à supposer qu'elle ait commis des fautes, ce qui n'est pas établi, celles-ci constitueraient un fait du tiers dont la société Spie City Networks ne peut utilement se prévaloir ;

- elle n'a commis aucune faute contractuelle à l'encontre de la société Spie City Networks, de sorte que sa demande tendant à ce qu'elle la garantisse de ses condamnations ne peut qu'être rejetée ; la non reprise des trottoirs n'est pas à l'origine du préjudice de M. D... dès lors que d'autres solutions techniques permettaient de procéder aux travaux nécessaires sans que cette étape ne soit un préalable requis ;

- il ne saurait lui être reproché aucun manquement à une obligation de conseil et d'information.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... E...,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... est propriétaire d'un local à usage d'habitation semi-enterré situé au 112-114 avenue de Lavaur à Toulouse, dont la toiture est constituée d'une dalle en béton au même niveau que le trottoir situé sur le domaine public. Des travaux de réfection du réseau public d'électricité ont été réalisés sur la voie publique et sur le trottoir, du 8 avril au 3 mai 2013, par la société Spie Sud-Ouest, pour le compte de la société ERDF, et selon une autorisation d'exécution de travaux délivrée par la Communauté urbaine du Grand Toulouse le 22 mars 2013. A la suite d'infiltrations constatées dans l'appartement de M. D..., la société Spie Sud-Ouest a accepté de prendre en charge le coût de la réparation estimé, par un devis du mois de juillet 2013, à un montant de 2 851,25 euros. En l'absence de réalisation de tels travaux et d'accord entre les intervenants concernés, M. D... a sollicité du tribunal de grande instance de Toulouse la désignation d'un expert judiciaire. L'expert désigné par une ordonnance du 29 janvier 2015 a remis son rapport le 10 juillet suivant. Par un acte du 10 septembre 2015, M. D... a fait assigner la société Spie Sud-Ouest devant le tribunal de grande instance de Toulouse pour obtenir la réparation de ses préjudices, puis s'est désisté de cette demande au vu des éléments produits à l'instance indiquant que le litige relevait de la compétence de la juridiction administrative, et a saisi le tribunal administratif de Toulouse. La société Spie City Networks, venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest, relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée à verser à M. D... la somme de 29 460 euros en réparation de ses préjudices, ainsi que la somme de 3 918,36 euros au titre des dépens. Par la voie de l'appel incident, M. D... demande à la cour de réformer ce jugement en portant la somme qu'il a condamné la Sté Spie City Networks à lui verser à 40 221,60 euros, outre la somme de 510 euros par mois à compter du mois de décembre 2018 et jusqu'à la date de la décision à intervenir.

Sur la régularité du jugement :

2. La société Spie City Networks soutenait notamment, aux termes de ses écritures en défense présentées devant le tribunal, que M. D... avait commis une faute à l'origine de son préjudice en faisant procéder, avant les travaux litigieux, à la réalisation d'une toiture étanche débordant sur le domaine public. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des parties relatifs à la régularité du jugement attaqué, le jugement du 18 octobre 2018 du tribunal administratif de Toulouse doit être annulé en tant qu'il condamne la société Spie City Networks à verser à M. D... la somme de 29 460 euros en réparation de ses préjudices, la somme de 3 918,36 euros au titre des dépens et qu'il met à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Sur la recevabilité de la demande de M. D... :

4. La société Spie City Networks fait valoir que M. D... n'a pas intérêt pour demander la réparation des préjudices dont il se prévaut dès lors que la partie de la toiture endommagée par l'opération de travaux se trouve sur le domaine public. S'il résulte, en effet, de l'instruction que le complexe étanche de la terrasse débordait de vingt centimètres environ sur l'asphalte du trottoir appartenant au domaine public, il résulte également clairement du rapport d'expertise que les travaux ont endommagé l'étanchéité et la protection de la terrasse du local de M. D..., causant d'importantes infiltrations d'eau à l'intérieur de celui-ci. Dans ces conditions, M. D... a intérêt à demander la réparation de ses préjudices et la fin de non-recevoir opposée par la société Spie City Networks ne peut qu'être écartée.

Sur la responsabilité de la société Spie City Networks :

5. Lorsqu'un immeuble subit des dommages du fait de l'exécution de travaux publics entrepris pour le compte d'une collectivité publique, le tiers propriétaire de cet immeuble est en droit de réclamer la réparation de ces dommages soit au maître d'ouvrage, soit à l'entreprise qui a été chargée des travaux par la collectivité maître d'ouvrage, soit à l'un et l'autre solidairement. Le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur sont responsables des dommages causés à l'immeuble, même en l'absence de faute, dès lors qu'un lien de causalité est établi entre ces dommages et les travaux. En l'espèce, M. D..., en sa qualité de propriétaire d'un local jouxtant la voie publique sur laquelle les travaux ont été réalisés, a la qualité de tiers par rapport à ces travaux publics et est en droit de réclamer la réparation de ses dommages à la société Spie City Networks, en charge de ces travaux.

6. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion des travaux réalisés sur la voie publique, la société Spie Sud-Ouest, désormais Spie City Networks, a dégradé partiellement le complexe d'étanchéité de la toiture du local appartenant à M. D... et la dalle en béton armé de protection au droit du trottoir. L'expert a relevé que les dommages causés au local de M. D... trouvaient leur origine dans cette dégradation, les eaux de pluie s'évacuant suivant la pente de la terrasse en direction du trottoir pour pénétrer dans les interstices de la maçonnerie de la voûte et à l'interface du bâti et du terre-plein avant de migrer dans les parois du local.

7. La société Spie City Networks ne saurait utilement se prévaloir de divers manquements de la société ERDF, qui constituent des faits d'un tiers insusceptibles de l'exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de M. D....

8. La société Spie City Networks soutient, ensuite, que le défaut initial de construction du bien de M. D..., dont le complexe d'étanchéité de la toiture débordait sur le domaine public, constitue une faute de la victime de nature à l'exonérer entièrement de sa responsabilité. Il résulte toutefois de l'instruction et des photographies produites au dossier que la différence de revêtement entre le complexe d'étanchéité de la toiture et l'asphalte du trottoir, sur lequel il débordait d'une vingtaine de centimètres, était nettement visible, de sorte qu'il appartenait à la société Spie City Networks, qui ne fait pas valoir que ce dommage était techniquement inévitable, de prendre l'ensemble des précautions nécessaires pour éviter qu'il ne survienne.

9. Il résulte du rapport d'expertise que le local de M. D... dispose d'un système de ventilation et d'un équipement d'extraction et de climatisation de l'air, contrairement à ce que fait valoir la société Spie City Networks. Si l'expert a relevé que le logement n'est plus occupé depuis le mois de décembre 2014 et qu'il existe une hygrométrie importante du fait de l'absence de fonctionnement de la ventilation et de la climatisation, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle circonstance serait à l'origine d'un préjudice distinct de ceux initialement causés par les infiltrations d'eau causées par les travaux de la société Spie City Networks, l'expert ayant retenu qu'il s'agissait d'un facteur aggravant mais non déclenchant. Par ailleurs, si l'expert a relevé que la réparation de la terrasse et la reprise de l'asphalte sur le trottoir ne peuvent éliminer totalement la possibilité de migration de l'humidité à l'intérieur des murs en briques du logement dès lors que le système d'appareillage et de protection du mur de soutènement n'est pas connu, cette circonstance est sans incidence sur le lien de causalité établi entre le dommage causé au local de M. D... et les travaux effectués sur la voie publique contiguë.

10. La circonstance que M. D... n'aurait pas été suffisamment réactif pour la réparation de son préjudice ne saurait exonérer, même partiellement, la société Spie City Networks de sa responsabilité, dès lors qu'il résulte du rapport d'expertise qu'une solution technique pour remédier au désordre pouvait être envisagée, laquelle ne nécessitait pas, contrairement à celle que la société Spie Sud-Ouest avait initialement accepté de prendre en charge, une reprise préalable du trottoir par la société ERDF. Il lui incombait, par suite, ainsi que l'a retenu l'expert, de proposer une solution technique correspondant à la situation du chantier au moment du sinistre et indépendante de l'avancement des travaux nécessaires sur le domaine public.

11. La société Spie City Networks ne saurait, enfin, se prévaloir d'une faute de la commune de Toulouse, qui constituerait un fait du tiers insusceptible de l'exonérer de sa responsabilité. Il résulte, par ailleurs, du rapport d'expertise qu'aucune fuite du réseau d'alimentation générale de l'eau de la ville n'a pu être documentée, contrairement à ce que fait valoir la société, et que les infiltrations qui perdurent sont directement liées à la dégradation de l'étanchéité de la terrasse du local.

Sur les préjudices :

12. Lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique maître d'ouvrage ou de l'entreprise qu'elle a chargée de la réalisation des travaux, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir, du fait notamment de pertes de loyers, jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection.

13. Il résulte de l'instruction que les travaux réalisés par la société Spie Sud-Ouest ont été à l'origine d'infiltrations d'eau ayant rendu nécessaires des travaux de reprise du complexe d'étanchéité. Si un premier devis a été établi en 2013 pour un montant de 3 050,84 euros, l'expert a relevé que ce devis devait être réactualisé et complété par le coût de mise en oeuvre d'un dispositif étanche entre le bâti privé et le revêtement du trottoir, ainsi que d'une mission de maîtrise d'oeuvre. Cette préconisation technique n'étant pas précisément contestée par la société Spie City Networks, il y a lieu de la condamner à verser à M. D... la somme de 5 000 euros à ce titre.

14. Il résulte du rapport d'expertise que les travaux d'assèchement du local exécutés fin 2013 pour un montant de 1 680 euros ont été avancés par le syndic de la copropriété, puis réclamés par ce-dernier à M. D... par une facture du 6 décembre 2013. En outre, l'expert retient qu'une opération de nettoyage des murs par sablage de substrat pour faire disparaître les spectres de moisissure est nécessaire et qu'un devis a été fourni pour la réalisation de cette opération pour un montant de 4 571,60 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que de telles sommes auraient été définitivement prises en charge par le syndic, M. D... indiquant d'ailleurs que le retrait du lot concerné de la copropriété a été voté lors d'une assemblée générale le 18 juin 2018. Il y a lieu, par suite, de condamner la société Spie City Networks à verser la somme de 6 251,60 euros correspondante à M. D....

15. La société Spie City Networks soutient que le lien de causalité entre le préjudice locatif dont se prévaut M. D... et les dommages causés à son local par l'opération de travaux publics dont elle avait la charge n'est pas établi, dès lors que le locataire du logement n'a quitté les lieux qu'au mois de novembre 2014. Il résulte toutefois de l'instruction que le locataire a constaté d'importantes infiltrations d'eau dès le 17 mai 2013 et que c'est en raison de la persistance des infiltrations et de leurs effets qu'il a donné son congé. M. D... n'établit, ni même n'allègue, ne pas avoir eu les moyens de faire procéder aux travaux de réparation nécessaires à la date du dépôt du rapport de l'expert, soit le 8 juillet 2015, date à laquelle la cause des dommages avait pris fin du fait des travaux de réfection des trottoirs et leur étendue était connue. Dans ces conditions, M. D... est seulement fondé à demander la réparation de son préjudice locatif du 1er décembre 2014 au 1er septembre 2015, date à compter de laquelle il peut être raisonnablement estimé que les travaux intérieurs nécessaires auraient pu être réalisés. Compte tenu du montant du loyer de 510 euros, il y a lieu de condamner la société Spie City Networks à verser à M. D... une somme de 5 100 euros en réparation de ce poste de préjudice.

16. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. D... compte tenu de la durée de la procédure nécessaire à la réparation du dommage causé à son bien, ainsi que des différentes démarches qu'il a dû entreprendre en lui allouant à ce titre la somme de 1 000 euros.

17. Enfin, l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Toulouse, incompétent pour se prononcer sur le fond du litige, a été utile à l'appréciation de la juridiction administrative. Les frais de cette expertise, qui a servi à M. D... pour faire valoir ses droits, doivent être comptés au nombre des préjudices qui résultent directement des travaux publics litigieux. Il y a lieu de condamner la société Spie City Networks à verser à M. D... la somme de 3 918,36 euros mise à sa charge par une ordonnance du 29 janvier 2015 du tribunal de grande instance de Toulouse taxant et liquidant les frais d'expertise.

18. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Spie City Networks à verser à M. D... la somme de 21 269,96 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les conclusions d'appel en garantie :

19. La société Spie City Networks soutient que la société ERDF, désormais ENEDIS, pour le compte de laquelle elle a réalisé les travaux litigieux, doit être condamnée à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre dès lors, tout d'abord, qu'elle ne l'a pas informée de la particularité de la configuration des lieux avant qu'elle ne procède à ses travaux. Toutefois, la société ENEDIS n'étant pas le maître d'ouvrage de la voie publique sur laquelle est intervenue la société Spie Sud-Ouest, cette dernière ne saurait soutenir que lui incombait une obligation de conseil et d'information avant la réalisation des travaux quant à la configuration particulière des lieux sur lesquels elle allait intervenir. Ensuite, la circonstance que la société ERDF ait réceptionné sans réserve les travaux effectués par la société Spie Sud-Ouest n'est pas de nature à faire obstacle à la condamnation de la société Spie City Networks, contrairement à ce qu'elle soutient, une telle réception n'ayant aucunement pour effet de transférer à la société ERDF la responsabilité des dommages que l'entreprise de travaux publics a causés aux tiers. Enfin, si la société Spie City Networks soutient que la société ERDF a commis une faute en ne procédant pas plus rapidement aux travaux de réfection du trottoir qui conditionnaient la réalisation des travaux nécessaires pour remédier au dommage causé au bien de M. D... et en ne l'ayant pas informée lorsque ces travaux ont finalement été réalisés dans le courant de l'année 2015, elle n'établit pas l'existence d'une telle faute de nature à engager la responsabilité de la société ERDF.

20. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société Spie City Networks tendant à ce que la société ENEDIS soit condamnée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Spie City Networks des sommes de 1 500 euros à verser à M. D... et à la société ENEDIS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Spie City Networks au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 octobre 2018 sont annulés.

Article 2 : La société Spie City Networks, venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest, est condamnée à verser à M. D... la somme de 21 269,96 euros en réparation de ses préjudices.

Article 3 : La société Spie City Networks versera à M. D... et à la société ENEDIS la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties en première instance et en appel est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Spie City Networks, à M. J... D..., à la société ENEDIS et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble 112-114 avenue de Lavaur.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme H... F..., présidente,

Mme A... C..., présidente-assesseure,

Mme B... E..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2020.

La rapporteure,

Kolia E...

La présidente,

Catherine F...

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX04376


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SCP SALESSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 18/12/2020
Date de l'import : 16/01/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18BX04376
Numéro NOR : CETATEXT000042737564 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-18;18bx04376 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award