La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2020 | FRANCE | N°18BX03004

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 15 décembre 2020, 18BX03004


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Tannage, société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui lui ont été réclamés pour la période du 1er août 2010 au 30 juin 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie pour les exercices allant du 1er juillet 2010 au 30 juin 2013, des compléments de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage

et de taxe de participation des employeurs au développement de la formation profession...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Tannage, société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui lui ont été réclamés pour la période du 1er août 2010 au 30 juin 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie pour les exercices allant du 1er juillet 2010 au 30 juin 2013, des compléments de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue (PEDFPC) mis à sa charge au titre des années 2010 à 2012 et des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de taxe additionnelle à la même cotisation et de frais d'assiette sur ladite cotisation mis à sa charge au titre des années 2011 et 2012 par deux avis de mise en recouvrement en date du 18 janvier 2016.

Par un jugement n° 1603164 du 28 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire et une lettre, enregistrés le 30 juillet 2018, le 21 mars 2019 et le 11 mars 2020, la société Tannage, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 28 mai 2018 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions, intérêts et pénalités susmentionnés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- par jugement du tribunal de commerce du 4 mars 2020, la société a été placée en redressement judiciaire ;

- l'administration n'a pas respecté le débat oral et contradictoire ;

- l'administration a manqué de loyauté compte tenu qu'elle a constaté par un procès-verbal du 6 décembre 2013 que la comptabilité était irrégulière et non probante alors que dans d'autres contrôles antérieurs, sa comptabilité avait été regardée comme exempte d'irrégularité ;

- elle a méconnu le délai de vérification de droit commun de trois mois prévu par l'article 52 du livre des procédures fiscales ;

- la proposition de rectification du 2 juin 2014 est insuffisamment motivée en méconnaissance des articles L. 57 et L. 76 du livre des procédures fiscales ;

- en refusant de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de l'ensemble du litige et pas uniquement du litige en matière de taxe sur la valeur ajoutée, l'administration a méconnu l'article L. 59 du livre des procédures fiscales ;

- s'agissant de l'impôt sur les sociétés, le remboursement du fournisseur Estilo de 4 816 euros du 21 janvier 2013 et de 32 679,29 euros du 15 février 2013 doit être exclu du chiffre d'affaires ; de même les avoirs clients gros, les avoirs clients particuliers suite à retour de marchandises et les remises commerciales suite à réclamation doivent être déduits du chiffre d'affaires ; le traitement comptable des retours de marchandises donnant lieu à avoir client implique le cas échéant une réintégration au stock des montants correspondants aux retours ;

- le contrôleur a omis certaines charges ; le salaire du gérant au titre des trois années rectifiées ainsi que les charges sociales afférentes n'ont pas été pris en compte ; il en est de même des charges salariales au titre de l'année 2011 ;

- s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, le contrôleur a commis une erreur concernant les acomptes qui émanent non de particuliers mais du client Comptoir des matières ; en effet les achats sont formulés avec le prévisionnel de date de livraison à long terme et ne sont donc pas soumis à la TVA pour les montants de 46 000 euros en 2012 et 220 000 euros en 2013 ; les contraintes liées au délai de transformation de la matière brute achetée plusieurs années à l'avance doivent être prises en compte ; il en va de même de la TVA appliquée au chiffre d'affaires reconstitué qui est erronée par voie de conséquence ;

- les pénalités pour manquement délibéré en matière de TVA doivent être déchargées en l'absence de mauvaise foi établie par l'administration.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 février 2019 et le 26 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut aux fins de non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements accordés en cours d'instance et au rejet du surplus de la requête.

Il soutient qu'au vu des derniers éléments produits, il a décidé de procéder à un dégrèvement en droits et pénalités d'un montant global de 8 973 euros et que pour le surplus, aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 27 février 2020, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 30 mars 2020 à 12 heures.

Un mémoire enregistré le 10 novembre 2020 a été produit pour la société Tannage.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... C...,

- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Tannage, qui exerce à Mazamet (Tarn) une activité de fabrication de peaux et de fabrication et vente de vêtements en cuir, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos de juin 2010 à juin 2013 et, en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sur la période allant du 1er août 2010 au 30 juin 2013. A la suite des premières opérations de vérification, une proposition de rectification lui a été notifiée le 2 décembre 2013 concernant l'année 2010 et l'exercice clos le 30 juin 2010, suivant, en matière d'impôt sur les sociétés, la procédure de taxation d'office prévue par les dispositions combinées des articles L. 66 § 2° et L. 68 du livre des procédures fiscales et, en matière de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue (PEDFPC), la procédure de rectification contradictoire. Un procès-verbal de constatation de comptabilité irrégulière a été dressé le 6 décembre 2013 et une seconde proposition de rectification a été notifiée à la société le 2 juin 2014 concernant les années 2011 à 2013 ainsi que les exercices clos les 30 juin 2011 à 2013, suivant, en matière d'impôt sur les sociétés, la procédure de taxation d'office, en matière de TVA au titre des mois de septembre 2010 et de février 2011 à juin 2013, la procédure de taxation d'office et, en matière de TVA au titre des mois d'août 2010 et d'octobre 2010 à janvier 2011 et de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage, de PEDFPC et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la procédure de rectification contradictoire. La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis, dans sa séance du 20 novembre 2015, un avis favorable au maintien des rappels notifiés par l'administration concernant la TVA collectée au titre des mois d'août 2010 et d'octobre 2010 à janvier 2011. Il en est résulté l'assujettissement de la société Tannage à des rappels de TVA pour la période du 1er août 2010 au 30 juin 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2013, des compléments de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de PEDFPC au titre des années 2010 à 2012 et des compléments de CVAE, de taxe additionnelle à la même cotisation et de frais d'assiette sur ladite cotisation au titre des années 2011 et 2012.

2. La société Tannage a demandé au tribunal administratif de Toulouse la décharge de l'ensemble des impositions et pénalités mises à sa charge. Par un jugement du 28 mai 2018, dont la société Tannage relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur l'étendue du litige :

3. Le 22 février 2020, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement des rappels de TVA assignés pour la période correspondant à l'exercice clos au mois de juin 2013 et des pénalités correspondantes à hauteur de 6 144 euros en droits et de 2 829 euros en pénalités, en admettant l'exclusion, compte tenu des nouvelles pièces produites, d'un montant initialement retenu dans le chiffre d'affaires de 37 495 euros qui correspond à des remboursements consentis par la société Estilo de chèques qu'elle avait encaissés par erreur à l'avance. La requête est, par suite, devenue sans objet à hauteur de ce dégrèvement.

Sur le fond :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 13 A du livre des procédures fiscales : " Le défaut de présentation de la comptabilité est constaté par procès-verbal que le contribuable est invité à signer ". L'établissement d'un procès-verbal en application de ces dispositions ne constitue pour le vérificateur qu'une simple faculté, destinée à lui faciliter l'administration de la preuve. En conséquence, d'éventuelles irrégularités entachant ce procès-verbal au regard des exigences prévues par l'article L. 13 A précité, si elles privent celuici de sa valeur probante, sont sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Dès lors, la circonstance que le procès-verbal de constatation de comptabilité irrégulière et non probante a été établi le 6 décembre 2013, soit postérieurement à la proposition de rectification du 2 décembre 2013 portant sur l'année 2010 n'a pas, par elle-même, privé le contribuable d'un débat oral et contradictoire ni entaché d'irrégularité la procédure d'imposition. Au surplus, aucun texte ni aucun principe n'impose que ce procès-verbal soit établi avant l'envoi de la proposition de rectification.

5. D'autre part, l'appelante soutient que la procédure de vérification de comptabilité dont elle a été l'objet n'a pas respecté le principe d'un débat oral et contradictoire compte tenu de la signature du procès-verbal de constatation de comptabilité irrégulière et non probante le 6 décembre 2013 soit postérieurement à la proposition de rectification portant sur l'année 2010 du 2 décembre 2013 et compte tenu de ce que ce document fait état de l'absence d'établissement des bilans au titre des années 2010 à 2013 alors que les bilans auraient seulement été établis avec retard. Toutefois il résulte de l'instruction que la vérification de comptabilité s'est déroulée dans les locaux de la société d'abord au siège social à Mazamet puis, à la demande du gérant, dans les locaux de la société au centre Bradfort à Aussillon, et qu'au cours des différents entretiens avec le vérificateur, le gérant de la société, ainsi que son épouse mandatée pour le représenter, ont pu faire valoir leurs observations et notamment faire valoir tous les éléments de nature à démontrer la régularité de la comptabilité. Ainsi l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le débat oral et contradictoire n'aurait pas été respecté.

6. En deuxième lieu, la société Tannage soutient que l'administration a manqué à son devoir de loyauté dès lors que les bilans de la société ont été non pas omis mais réalisés avec retard et qu'elle ne pouvait dès lors rejeter sa comptabilité au titre des années 2011, 2012 et 2013. Toutefois, le procès-verbal de constatation de comptabilité irrégulière et non probante établi par le vérificateur le 6 décembre 2013, comme la proposition de rectification, indiquent les motifs de rejet de la comptabilité de la société consistant notamment dans l'absence de bilans et de comptes de résultats pour l'ensemble des exercices et, pour une partie de la période vérifiée, dans la globalisation journalière des recettes par mode de paiement, sans doubles de factures ni brouillard de caisse, à l'exclusion des ventes de déchets et des ventes faites au client professionnel " Comptoir des matières ". En outre aucun élément de l'instruction ne permet d'estimer que les mentions du procès-verbal précité auraient été de nature à induire le contribuable en erreur. La circonstance que les bilans de la société auraient été finalement établis ne permet pas, en l'absence d'élément précis sur les conditions et la date de l'établissement des bilans, et alors que de nombreuses autres irrégularités ont été constatés, d'estimer que l'administration a manqué à son devoir de loyauté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. Aux termes de l'article L. 76 du même livre, applicable en matière de procédure d'imposition d'office : " Les bases ou les éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions (...) ".

8. La société Tannage soutient que la proposition de rectification du 2 juin 2014 portant sur les années 2011, 2012 et 2013 et les exercices clos durant ces années est insuffisamment motivée en l'absence de toute critique des bilans produits tardivement lors de la reconstitution de comptabilité. Toutefois il résulte de l'instruction que cette proposition de rectification énonce les motifs du rejet de la comptabilité de la société pour les années et exercices concernés et notamment l'absence de bilan tenu au titre des années vérifiées, décrit avec précision la méthode de reconstitution extracomptable du chiffre d'affaires et mentionne les bases d'imposition supplémentaire envisagées, impôt par impôt et période d'imposition par période d'imposition, ainsi que les motifs et la base imposable des rehaussements. Alors même que cette proposition de rectification ne se prononce pas sur la comptabilité qui aurait été reconstituée par la société en cours de contrôle, elle permettait au contribuable de connaître les motifs, le montant et le fondement légal des rehaussements envisagés et de les contester utilement. Elle répond ainsi aux exigences des dispositions précitées.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : " I.- La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; / 2° Sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, à l'exception de la qualification des dépenses de recherche mentionnées au II de l'article 244 quater B du code général des impôts ; / 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; / 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l'article 257 du même code. (...) ".

10. L'administration n'est tenue de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, sur demande du contribuable, que lorsque le litige concerne les matières pour lesquelles la commission est compétente en vertu de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales. Cette commission n'a pas compétence pour se prononcer sur les rectifications opérées en matière de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage, de participation des employeurs à la formation professionnelle continue et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et les taxes additionnelles à cette cotisation. Par ailleurs, cette commission n'est pas compétente en cas de mise en oeuvre d'une procédure d'imposition d'office, hormis le cas prévu à l'article L. 76 du même livre, étranger au présent litige, de la mise en oeuvre d'une procédure de taxation d'office en application de l'article L. 69 dudit livre à l'issue d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle. Par suite, l'administration fiscale n'a pas commis d'irrégularité en soumettant à ladite commission uniquement le litige en matière de TVA au titre du mois d'août 2010 et de la période d'octobre 2010 à janvier 2011, pour lequel la procédure de rectification contradictoire a été suivie et a exclu de la saisine de la commission le litige en matière de TVA au titre des mois de septembre 2010 et de février 2011 à juin 2013 et en matière d'impôt sur les sociétés, pour lequel une procédure d'imposition d'office a été suivie, de même que le litige en matière de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage, de participation des employeurs à la formation professionnelle continue et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxes additionnelles, qui ne relève pas de la compétence matérielle de cette commission.

11. Enfin, à l'appui du moyen qu'elle invoque, tiré de la méconnaissance de la garantie de durée maximale des opérations de vérification prévue par l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, la société Tannage ne se prévaut d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant du rejet de la comptabilité de la société au titre des années 2011 à 2013 :

12. Pour rejeter la comptabilité de la société Tannage, l'administration fiscale a relevé dans la proposition de rectification du 2 juin 2014, reprenant le procès-verbal de constatation de comptabilité irrégulière et non probante établi le 6 décembre 2013, que le brouillard de caisse qui enregistre le détail des ventes n'était ouvert et servi qu'à partir du 1er juillet 2011, que pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2011, seules certaines ventes ont donné lieu à l'établissement de factures et seules les ventes de déchets qui sont inscrites isolément sur un cahier réservé aux ventes de déchets sont justifiées, que pour toutes les autres ventes de la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2011, la société a procédé à un enregistrement globalisé et non détaillé de ses recettes journalières qui sont simplement ventilées par mode de paiement, que ces recettes ne sont pas justifiées, ni par des doubles de factures, ni par un brouillard de caisse, ni par d'autres justificatifs, que les écritures comptables enregistrées dans les livres comptables des exercices clos en 2010, 2011, 2012 et 2013 ne sont pas clôturées, que les éditions des livres comptables présentés sont intitulées " éditions provisoires ", que les écritures de fin d'exercice concernant la comptabilisation des amortissements et des provisions n'ont pas été passées, que les écritures d'inventaire des stocks n'ont pas été passées en fin d'exercice et les bilans et les comptes de résultats, ainsi que leurs annexes, des exercices clos en 2010, 2011, 2012 et 2013 n'ont pas été établis. Ces constatations traduisent de graves lacunes et irrégularités dans la tenue de la comptabilité des années considérées.

13. L'établissement par la société, postérieurement au contrôle, d'une comptabilité reconstituée et notamment des bilans, des comptes de résultats et d'une déclaration n° 2065 datant du 24 juillet 2015 et du 31 juillet 2015 qu'elle produit à l'appui de ses dires, n'est pas de nature, dès lors qu'il s'agit d'une comptabilité reconstituée a posteriori, à invalider les constatations faites par l'administration fiscale. L'attestation qu'elle a produite en première instance, établie par son expert-comptable le 24 juillet 2014, indiquant sous l'intitulé " description de l'organisation comptable de la SARL Tannage " que l'organisation en place permettait de répondre aux exigences comptables posées par l'article R. 123-173 du code de commerce, n'est pas davantage de nature à contredire la réalité des lacunes et irrégularités constatées lors du contrôle. Par suite, le vérificateur a pu à bon droit déclarer la comptabilité de la société irrégulière en raison des graves manquements commis au regard des obligations légales imposées aux entreprises dans la tenue de leur comptabilité.

S'agissant du résultat imposable à l'impôt sur les sociétés :

14. La société Tannage, ayant fait l'objet d'une procédure de taxation d'office en matière d'impôt sur les sociétés, supporte, en vertu de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve de l'exagération de la reconstitution de son résultat imposable.

15. D'une part, aux termes des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Par ailleurs, aux termes du 1 de l'article 39 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges : 1° Les frais généraux de toute nature (...) 4° (...) les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Pour être admis en déduction des bénéfices imposables les frais et charges doivent être exposés dans l'intérêt direct de l'exploitation ou se rattacher à la gestion normale de l'entreprise, correspondre à une charge effective, être appuyés de justifications suffisantes et être compris dans les charges de l'exercice au cours duquel ils ont été engagés.

16. D'autre part, aux termes de l'article 39-5 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Sont également déductibles les dépenses suivantes : / a. Les rémunérations directes et indirectes, y compris les remboursements de frais versés aux personnes les mieux rémunérées ; / b. Les frais de voyage et de déplacements exposés par ces personnes ; / c. Les dépenses et charges afférentes aux véhicules et autres biens dont elles peuvent disposer en dehors des locaux professionnels ; / d. Les dépenses et charges de toute nature afférentes aux immeubles qui ne sont pas affectés à l'exploitation ; / e. Les cadeaux de toute nature, à l'exception des objets de faible valeur conçus spécialement pour la publicité ; / f. Les frais de réception, y compris les frais de restaurant et de spectacles. / Pour l'application de ces dispositions, les personnes les mieux rémunérées s'entendent, suivant que l'effectif du personnel excède ou non 200 salariés, des dix ou des cinq personnes dont les rémunérations directes ou indirectes ont été les plus importantes au cours de l'exercice. / Les dépenses ci-dessus énumérées peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise ". Il appartient à la société qui entend inscrire en charges des dépenses visées à l'article 39-5 rappelé ci-dessus de justifier non seulement de leur réalité et de l'exactitude de leur montant, mais aussi de ce qu'elles ont été engagées dans l'intérêt de l'entreprise.

17. La société Tannage soutient que l'administration n'a pas pris en compte à tort les avoirs et remises commerciales représentant un montant de 104 812 euros TTC en 2011, 70 393 euros TTC en 2012 et 99 860 euros en 2013. Toutefois, la société Tannage, qui se borne à produire un tableau chiffré par années des sommes dont elle demande la prise en compte, n'établit pas, ainsi qu'il lui incombe de le faire, que les encaissements en cause, correspondant aux factures clients à la suite desquelles des avoirs auraient été établis, figurent parmi les encaissements retenus par le service. Elle ne démontre pas davantage que les règlements clients tels que retenus par le service au titre des encaissements correspondent aux montants initialement facturés et que les clients n'ont pas imputés sur le montant dû à raison de l'avoir ou de la facture ultérieure. Dans ces conditions la société n'est pas fondée à remettre en cause le montant des encaissements retenus.

18. Par ailleurs la société Tannage demande la prise en compte de l'incidence sur la détermination de la variation des stocks des retours de marchandises à l'origine des avoirs émis. Toutefois il résulte de l'instruction que le service a déterminé les variations de stocks de produits finis sur la base des inventaires fournis par la société en cours de contrôle. Si la société soutient que les marchandises retournées ont été réintégrées au stock pour plusieurs années, elle ne démontre pas que l'inventaire des stocks qu'elle a elle-même réalisé et fourni au service n'en tiendrait pas compte et devrait ainsi être minoré.

19. La société Tannage soutient que le salaire du gérant doit être comptabilisé en charges sur les trois exercices redressés à hauteur de 18 000 euros par an et que les charges sociales relatives à sa rémunération doivent être prises en compte au titre de 2011 à hauteur de 7 895 euros. Toutefois, en l'absence de toute pièce justificative, la société n'est pas fondée à remettre en cause l'absence de prise en compte de ces rémunérations et charges sociales.

20. La société Tannage soutient que les charges salariales au titre de l'exercice clos en 2011 doivent être augmentées de 29 832 euros. Si elle produit à cet égard des fiches de paie de ses salariés au titre de la période de juillet à décembre 2010, elle ne produit aucune fiche de paie au titre des mois de janvier à juin 2011, et les documents intitulés " livre de paye-valeurs salariales et patronales ", non accompagnés d'un bordereau de charges ni des écritures ayant conduit à la constatation sur le compte de résultat de l'exercice clos en 2011 établi a posteriori de montants différents de ceux relevés par le service lors du contrôle, ne peuvent être pris en compte.

S'agissant du chiffre d'affaires en matière de taxe sur la valeur ajoutée :

21. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge ". L'article L. 193 du même livre dispose que : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ".

22. Les impositions en litige en matière de TVA au titre d'août 2010 et d'octobre 2010 à janvier 2011 soumis à procédure contradictoire ayant été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, il appartient ainsi à la société requérante, en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales et compte tenu des irrégularités entachant sa comptabilité, d'apporter la preuve de l'exagération de ces impositions.

23. Les rappels de TVA au titre de février 2011 à juin 2013 ont été établis selon la procédure de taxation d'office. Il appartient au contribuable en application de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales d'apporter la preuve de l'exagération de ces impositions.

24. Aux termes de l'article 269 du code général des impôts " 1 Le fait générateur de la taxe se produit : a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectuée (...) 2. La taxe est exigible : a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b et d du même 1, lors de la réalisation du fait générateur (...) c) Pour les prestations de services autres que celles visées au b bis, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits. En cas d'escompte d'effet de commerce ou de transmission de créance, l'exigibilité intervient respectivement à la date du paiement de l'effet par le client ou à celle du paiement de la dette transmise entre les mains du bénéficiaire de la transmission. Les entrepreneurs de travaux immobiliers peuvent, dans des conditions et pour les travaux qui sont fixés par décret, opter pour le paiement de la taxe sur les livraisons (...) "

25. La société Tannage soutient, s'agissant du montant de TVA collectée exigible, que le service a retenu dans les encaissements, des acomptes versés par le client " Comptoir des matières " qui concernent des marchandises livrables à plus d'un an, d'un montant de 46 000 euros en 2012 et de 220 000 euros en 2013. Toutefois il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que les encaissements correspondant aux demandes d'acomptes figurent parmi les encaissements retenus par le service et la société n'établit pas que parmi les opérations retenues par l'administration, se trouveraient des opérations pour lesquelles l'exigibilité de la TVA serait intervenue à une date postérieure au terme de la période vérifiée.

Sur les pénalités pour manquement délibéré :

26. Ainsi que l'a relevé l'administration dans la proposition de rectification du 2 juin 2014, la société Tannage ne pouvait sérieusement ignorer l'obligation de reversement au Trésor de la TVA collectée mentionnée sur les factures délivrées à ses clients. En faisant état de cet élément, l'administration justifie du caractère délibéré des omissions de TVA collectée. En outre, en se prévalant du caractère répété, sur l'ensemble des mois de la période vérifiée, de la TVA éludée, qui correspond en moyenne à 1569 % de la TVA nette due déclarée sur les déclarations CA3 déposées, l'administration établit le caractère délibéré des omissions de TVA collectée comme des majorations de TVA déductible. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve, qui lui incombe, du bien-fondé de l'application aux rappels de TVA en litige de la majoration pour manquement délibéré.

27. Il résulte de ce qui précède que la société Tannage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté le surplus de sa demande.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que la société Tannage demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Tannage tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie, à hauteur des sommes de 6 144 euros en droits et de 2 829 euros en pénalités au titre de l'année 2013.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Tannage est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Tannage et au ministre de l'économie, des finances et de la relance. Copie en sera délivrée à la direction de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme B... C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.

Le président,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX03004


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03004
Date de la décision : 15/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-01-02 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Contrôle fiscal. Vérification de comptabilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : JUNG EDOUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-15;18bx03004 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award