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08/12/2020 | FRANCE | N°20BX01759

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2020, 20BX01759


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... épouse G... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1904301 du 9 janvier 2020, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 mai 2020, Mme F..., représenté

e par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... épouse G... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1904301 du 9 janvier 2020, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 mai 2020, Mme F..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 18 avril 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- le préfet n'a pas consulté la commission du titre de séjour, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les dispositions de l'article R. 312-2 limitant la saisine de la commission au seul cas de l'étranger qui remplit effectivement les conditions qui président à la délivrance sont illégales dès lors qu'elles fixent une condition non prévue par le législateur ;

- elle souffre d'une drépanocytose hétérozygote composite de type SC, a été hospitalisée en 2017 pour un premier bilan de cette maladie, a présenté de nombreuses crises douloureuses et bénéficie d'un suivi en France ; il n'existe pas en Algérie une offre de soins comparable permettant de traiter efficacement la drépanocytose ; par les pièces produites, elle démontre que la prise en charge est très aléatoire en Algérie, que les malades ne bénéficient d'aucun suivi, et que les traitements ne soulagent pas la crise douloureuse ; son traitement, qui ne se limite pas à du paracétamol, n'est pas disponible en Algérie ; elle présente des complications sous la forme d'une pathologie vésiculaire lithiasique et a besoin d'un suivi régulier ; c'est ainsi à tort que les médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et le préfet, qui n'était pas tenu de suivre leur avis, ont estimé qu'elle pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Algérie ; ainsi, la décision méconnaît les stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle réside depuis 2017 auprès de sa fille atteinte de la même maladie, de sorte que la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle a droit à un titre de séjour sur le fondement du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée

et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour

et de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2020, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme F... ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 avril 2020.

Par ordonnance du 1er septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée

au 2 octobre 2020.

Un mémoire présenté pour Mme F... a été enregistré le 29 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... épouse G..., de nationalité algérienne, est entrée régulièrement

en France le 19 mars 2017 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa à entrées multiples valable du 20 janvier 2017 au 19 janvier 2019 et a été accueillie par sa fille de nationalité française. Le 13 mars 2018, elle a sollicité son admission au séjour en raison de son état de santé. Par un arrêté du 18 avril 2019, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme F... relève appel du jugement du 9 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif

de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...). / 7. au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. / (...). " Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants algériens pour la mise en oeuvre de ces stipulations : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, il appartient au juge administratif, lorsque le demandeur lève le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire.

3. Par un avis du 30 juin 2018, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme F... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... souffre d'une drépanocytose diagnostiquée pour la première fois en France en 2017, alors qu'elle était âgée de 68 ans. Cette pathologie génétique de l'hémoglobine, à l'origine d'un tableau d'anémie hémolytique chronique pouvant s'aggraver, s'associant à des phénomènes vaso-occlusifs majoritairement osseux responsables de douleurs aiguës, ainsi qu'à un risque accru de thrombose et d'infection, peut entraîner des complications aiguës ou chroniques, notamment en rapport avec une vasculopathie pouvant intéresser divers organes tels que les reins et le cerveau. Le pronostic vital pouvant être engagé, le recours d'urgence à des services de soins spécialisés peut s'avérer nécessaire. En l'espèce, le médecin spécialiste traitant de Mme F... atteste que l'évolution chez cette patiente est marquée par des événements douloureux aigus en rapport avec les crises vaso-occlusives, qui peuvent requérir des hospitalisations en urgence et en milieu spécialisé. L'une de ces crises est documentée par un compte-rendu de passage au service des urgences du centre hospitalier universitaire de Toulouse du 26 juin 2018 faisant état de douleurs évaluées à 8 sur 10 durant deux jours, non soulagées par les antalgiques Ixprim et Doliprane. La requérante produit un article de presse du 15 juin 2017 dont il ressort que l'Algérie est en retard en matière de prise en charge de la drépanocytose, pathologie mal connue des médecins bien que touchant 2 à 3 % de la population, et un autre du 11 novembre 2018 sur la prise en charge des crises vaso-occlusives drépanocytaires en Algérie, selon lequel ces crises caractérisées par des douleurs osseuses très intenses, qui peuvent se compliquer rapidement et engager le pronostic vital, sont soit sous-évaluées par le personnel soignant, soit traitées inefficacement ou de manière inappropriée par la prescription abusive de dérivés morphiniques pouvant conduire à la toxicomanie. Ces éléments sont de nature à contredire l'avis du collège de médecins de l'OFII sur l'existence d'une prise en charge appropriée en Algérie, laquelle n'est pas démontrée par le préfet qui se borne à justifier de la disponibilité en Algérie des antalgiques Doliprane et Ixprim, inefficaces dans le soulagement des douleurs de Mme F.... Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme F... est fondée soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'annulation de la décision de refus de titre de séjour

du 18 avril 2019, ainsi que, par voie de conséquence, des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

4. Eu égard au motif d'annulation retenu au point précédent, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme F... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

5. Mme F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me D..., sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1904301 du 9 janvier 2020

et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 18 avril 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme F... un certificat

de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois

à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive

de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... épouse G..., au préfet de la Haute-Garonne, au ministre de l'intérieur et à Me D....

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme H... E..., présidente,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

Mme I..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2020.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine E...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX01759


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01759
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : T et L AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-08;20bx01759 ?
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