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08/12/2020 | FRANCE | N°18BX04216,18BX04378

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2020, 18BX04216,18BX04378


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... D... et M. P... H... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement le centre hospitalier (CH) de Montauban, son assureur la société d'assurance AGSM et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme globale de 333 334,20 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de la prise en charge de l'accouchement de Mme D... au CH de Montauban.

Par un jugement n

1605020 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... D... et M. P... H... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement le centre hospitalier (CH) de Montauban, son assureur la société d'assurance AGSM et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme globale de 333 334,20 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de la prise en charge de l'accouchement de Mme D... au CH de Montauban.

Par un jugement n° 1605020 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le CH de Montauban et son assureur à verser à Mme D... la somme de 116 500 euros et à M. H... la somme de 2 000 euros, à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Tarn une somme de 6 920,70 euros en remboursement de ses débours et a également mis à leur charge les frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 décembre 2018, le 27 février 2019 et le 15 octobre 2020, sous le n° 18BX04216, le CH de Montauban et son assureur, la société AGSM, représentés par Me E..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 octobre 2018 ;

2°) de ramener le montant de la somme qu'il a été condamné à verser à Mme D... et à M. H... à 7 253,56 euros ;

3°) de rejeter la demande de la CPAM du Tarn et, à défaut, de limiter à 16,5% du montant alloué par le tribunal la somme qu'il sera condamné à lui verser en remboursement de ses débours ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner la réalisation d'une expertise par un nouvel expert.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les fautes commises ont entraîné une perte de chance de 100 % de se soustraire au dommage qui s'est réalisé ;

- le taux de perte de chance de 33 % retenu par l'expert est surévalué car l'existence d'une faute dans le diagnostic de déchirure de la muqueuse rectale, soumis à une part d'incertitude, n'est pas établie ;

- la complication fistuleuse qu'a subie Mme D... est un accident médical non fautif, qui n'a pas nécessairement de lien avec une déchirure sphinctérienne, de sorte que le taux de perte de chance doit être fixé à 16,5 % ;

- l'indemnisation accordée à Mme D... doit être réduite aux sommes suivantes :

o 315,31 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 594 euros au titre des souffrances endurées ;

o 165 euros au titre du préjudice esthétique ;

o 495 euros au titre du préjudice sexuel ;

o 3 712,50 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

o 1 559,20 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- Mme D... ne peut prétendre à une indemnisation au titre du préjudice d'agrément qui n'est pas justifié ;

- M. H... ne peut prétendre à aucune somme au titre de son préjudice moral contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ;

- les frais d'expertise mis à leur charge ne sauraient excéder 412,50 euros ;

- les débours dont la CPAM demande le remboursement et leur lien de causalité avec l'accident en cause ne sont pas justifiés ; à titre subsidiaire, il convient d'appliquer au montant des débours accordés par le tribunal un taux de perte de chance de 16,5 % ;

- à titre subsidiaire, une nouvelle expertise doit être ordonnée pour se prononcer sur le taux de perte de chance et l'ampleur des préjudices.

Par des mémoires, enregistrés le 5 février 2019 et le 9 octobre 2020, la CPAM du Lot, représentée par Me N..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a limité à la somme de 6 920,70 euros le montant qu'il a condamné le CH de Montauban et son assureur à lui verser en remboursement de ses débours ;

2°) de condamner le CH de Montauban et son assureur à lui verser la somme de 15 093,74 euros au titre de ses débours ou subsidiairement la somme de 6 920,70 euros au titre des débours échus et la somme de 8 173,04 euros au titre des débours futurs sur production de justificatifs, sommes assorties des intérêts à compter du dépôt de son premier mémoire ;

3°) de mettre à la charge du CH de Montauban et de son assureur les sommes de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que, le cas échéant, les dépens.

Elle soutient que le montant des débours qu'elle a exposés ou devra de manière certaine exposer en raison des fautes commises par le CH de Montauban s'élève à 15 093,74 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2019, l'ONIAM, représenté par Me G..., conclut à sa mise hors de cause et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du CH de Montauban au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies dès lors que les fautes commises par le CH de Montauban sont à l'origine des préjudices subis par Mme D... et M. H... et que ces préjudices ne résultent pas d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, l'accouchement par voie basse n'étant pas un acte médical et le lien de causalité entre le dommage et les manoeuvres instrumentales réalisées lors de l'accouchement n'étant pas établi ;

- la nouvelle expertise demandée par le CH de Montauban n'est pas utile.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 février 2019, le 22 mars 2019 et le 14 septembre 2020, Mme D... et M. H..., représentés par Me R..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de rejeter la requête du CH de Montauban et de son assureur ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a limité à la somme de 118 500 euros le montant de la condamnation du CH de Montauban et de son assureur ;

3°) de condamner le CH de Montauban à leur verser la somme globale de 333 334,20 euros en réparation de leurs préjudices ;

4°) de mettre à la charge du CH de Montauban une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- le CH a commis des fautes à l'origine de leurs préjudices, notamment l'absence de toucher rectal qui est pourtant une manoeuvre indispensable ;

- les premiers juges ont sous-évalué leurs préjudices qui devront être réparés à hauteur de :

o 31 350 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

o 6 000 euros au titre des souffrances endurées ;

o 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

o 1 500 euros au titre du préjudice esthétique ;

o 40 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

o 3 360 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 9 450 euros au titre des frais de reconversion professionnelle ;

o 206 674,20 euros au titre de la perte de chance de passer avec succès le concours d'aide-soignante et de poursuivre cette carrière ;

o 15 000 euros au titre du préjudice moral de M. H... ;

- le CH et l'ONIAM doivent être condamnés à leur verser la somme de 2 500 euros correspondant aux frais d'expertise restés à leur charge ;

- la nouvelle expertise demandée par le CH et son assureur n'est pas utile.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 décembre 2018, le 22 mars 2019 et le 14 septembre 2020, Mme D... et M. H..., représentés par Me R..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a limité à la somme de 118 500 euros le montant de la condamnation du CH de Montauban et de son assureur ;

2°) de condamner le CH de Montauban à leur verser la somme globale de 333 334,20 euros en réparation de leurs préjudices ;

3°) de mettre à la charge du CH de Montauban une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- le CH a commis des fautes à l'origine de leurs préjudices, notamment l'absence de toucher rectal qui est pourtant une manoeuvre indispensable ;

- les premiers juges ont sous-évalué leurs préjudices qui devront être réparés à hauteur de :

o 31 350 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

o 6 000 euros au titre des souffrances endurées ;

o 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

o 1 500 euros au titre du préjudice esthétique ;

o 40 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

o 3 360 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 9 450 euros au titre des frais de reconversion professionnelle ;

o 206 674,20 euros au titre de la perte de chance de passer avec succès le concours d'aide-soignante et de poursuivre cette carrière ;

o 15 000 euros au titre du préjudice moral de M. I... ;

- le CH doit être condamné à leur verser la somme de 2 500 euros correspondant aux frais d'expertise restés à leur charge ;

- la nouvelle expertise demandée par le CH et son assureur n'est pas utile.

Par des mémoires, enregistrés le 5 février 2019 et le 9 octobre 2020, la CPAM du Lot, représentée par Me N..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a limité à la somme de 6 920,70 euros le montant qu'il a condamné le CH de Montauban et son assureur à lui verser en remboursement de ses débours ;

2°) de condamner le CH de Montauban et son assureur à lui verser la somme de 15 093,74 euros au titre de ses débours ou subsidiairement la somme de 6 920,70 euros au titre des débours échus et la somme de 8 173,04 euros au titre des débours futurs sur production de justificatifs, sommes assorties des intérêts à compter du dépôt de son premier mémoire ;

3°) de mettre à la charge du CH de Montauban et de son assureur la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi le cas échéant que les dépens.

Elle soutient que le montant des débours qu'elle a exposés ou devra de manière certaine exposer en raison des fautes commises par le CH de Montauban s'élève à 15 093,74 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 février 2019 et le 15 octobre 2020, le CH de Montauban et son assureur, la société AGSM, représentés par Me E..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme D... et de M. H... ;

2°) par la voie de l'appel incident, de ramener le montant de la somme qu'ils ont été condamnés à verser à Mme D... et à M. H... à 7 253,56 euros ;

3°) de rejeter la demande de la CPAM du Tarn et, à défaut, de limiter à 16,5 % du montant alloué par le tribunal en remboursement de ses débours le montant de la somme qu'ils seront condamnés à lui verser ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner la réalisation d'une expertise par un nouvel expert.

Ils présentent les mêmes moyens que dans la requête précédente.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 mars 2019 et le 1er juillet 2019, l'ONIAM, représenté par Me G..., conclut à sa mise hors de cause et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du CH de Montauban au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies dès lors que les fautes commises par le CH de Montauban sont à l'origine des préjudices subis par Mme D... et M. H... et que ces préjudices ne résultent pas d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, l'accouchement par voie basse n'étant pas un acte médical et le lien de causalité entre le dommage et les manoeuvres instrumentales réalisées lors de l'accouchement n'étant pas établi ;

- la nouvelle expertise demandée par le CH de Montauban n'est pas utile.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de sécurité sociale pour l'année 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Kolia Gallier,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., représentant le CH de Montauban et la société d'assurance AGSM, et de Me O..., représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., alors âgée de 30 ans, a accouché le 9 décembre 2015 au centre hospitalier de Montauban d'un enfant de 3,8 kg dont la naissance a nécessité la pose de spatules de Thierry et une épisiotomie. Une déchirure périnéale constatée immédiatement après l'accouchement a conduit à une suture réalisée par des points simples. Dès son retour à son domicile, le 12 décembre 2015, Mme D... a souffert d'une incontinence anale, et quelques fuites urinaires et de gaz ont été relevées par la sage-femme à l'occasion de la visite post-natale effectuée le 25 janvier 2016. Une échographie pelvienne et de l'anus réalisée le 25 février 2016 a conduit à suspecter une fistule basse entre le canal anal et le vagin, et une nouvelle échographie endo-anale du 24 mars 2016 a révélé une rupture des sphincters interne et externe. Mme D... et son compagnon, M. H..., ont saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande de condamnation solidaire du CH de Montauban, de son assureur, et de l'ONIAM à leur verser la somme globale de 333 334,20 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de la prise en charge de l'accouchement de Mme D.... Par un jugement du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le CH de Montauban et son assureur à verser à Mme D... et à M. H... la somme de 118 500 euros et à la CPAM du Tarn une somme de 6 920,70 euros en remboursement de ses débours, et a mis les dépens de l'instance à la charge du CH de Montauban. Par une requête, enregistrée sous le n° 18BX04216, le CH de Montauban et son assureur relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il les a condamnés à verser à Mme D... et à M. H... une somme supérieure à 7 253,56 euros, et à la CPAM du Tarn une somme de 6 920,70 euros en remboursement de ses débours. Par une requête enregistrée sous le n° 18BX04378, Mme D... et M. H... relèvent également appel de ce jugement en sollicitant que le montant de la condamnation du CH de Montauban et de son assureur soit porté à 333 334,20 euros. Ces requêtes étant relatives à un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. ".

3. Il résulte du rapport d'expertise que la déchirure complète compliquée du périnée identifiée dans les suites de l'accouchement de Mme D... aurait dû conduire le gynécologue obstétricien à procéder à un bilan complet de l'état du périnée et que le toucher rectal pratiqué avant la suture, qui n'a rien retrouvé " de particulier ", n'a pas été réalisé avec suffisamment de rigueur, ce qui constitue une négligence dans la découverte de la déchirure sphinctérienne, pourtant présente dans 33 % des cas de déchirures périnéales. L'expert relève également que si la plaie ano-rectale avait alors été correctement diagnostiquée et suturée, une antibiothérapie post opératoire et un régime adapté auraient été prescrits afin de limiter le risque, qui s'est réalisé, d'une fistule secondaire. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le centre hospitalier de Montauban a commis une faute en ne diagnostiquant pas, à défaut d'un bilan suffisamment complet, l'existence d'une déchirure sphinctérienne à l'origine de l'apparition d'une fistule recto-vaginale.

4. Si l'expertise mentionne que la déchirure périnéale est accompagnée dans 33 % des cas d'une déchirure du sphincter, un tel taux de perte de chance ne saurait être retenu dès lors que, ce risque s'étant d'ores et déjà réalisé, c'est la probabilité qu'une exploration correctement pratiquée avant la suture du périnée ait permis d'éviter le dommage qui doit être considérée. A cet égard, l'expert relève que l'état de santé actuel de Mme D... est lié de manière certaine, directe et exclusive à la méconnaissance de la pathologie et à sa prise en charge inadaptée, c'est-à-dire à un sphincter rompu laissé en l'état faute de diagnostic adéquat et à une absence de suture d'une plaie ano-rectale passée inaperçue. Dans ces conditions, le CH de Montauban, qui ne justifie d'aucune difficulté particulière à réaliser le diagnostic d'une déchirure périnéale grave et compliquée, n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges se seraient mépris en retenant que les dommages subis par Mme D... sont intégralement imputables à la faute qu'il a commise, ni à demander une nouvelle expertise pour remettre en cause les conclusions de l'expert. Pour les mêmes motifs, il y a lieu de mettre l'ONIAM hors de cause, ainsi qu'il le demande.

Sur les préjudices :

5. Contrairement à ce que soutient le CH de Montauban, la réalité des débours échus de la CPAM est suffisamment établie, ainsi que leur lien de causalité avec les fautes, par une notification de ses débours, une attestation d'imputabilité ainsi qu'un relevé des actes concernés par une prise en charge. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont condamné le CH à verser à la CPAM du Lot la somme de 6 920,70 euros au titre de frais médicaux, de frais pharmaceutiques, de frais d'appareillage et d'indemnités journalières, majorée comme il était demandé des intérêts au taux légal à compter du jugement.

6. Il résulte de l'instruction qu'une reprise chirurgicale sera nécessaire pour remédier à la fistule recto-vaginale dont reste atteinte Mme D..., mais que cette dernière refuse pour le moment de s'y soumettre en raison d'importantes appréhensions qu'elle conserve depuis les difficultés qui ont accompagné son accouchement. La CPAM justifie qu'une telle intervention entraînera des débours à hauteur de 8 173,04 euros, somme qu'il y a lieu de condamner le CH de Montauban à prendre en charge, sur production de justificatif, lorsque cette intervention aura effectivement eu lieu.

7. Mme D... ne justifie pas davantage en appel que devant les premiers juges des frais de médecin conseil qu'elle aurait exposés pour se faire assister par un professionnel de santé au cours des opérations d'expertise.

8. Il résulte de l'expertise que l'état de santé de Mme D..., alors agent des services hospitaliers, ne lui permet pas d'exercer sa profession dans de bonnes conditions. L'intéressée justifie, par des pièces produites pour la première fois en appel, avoir été licenciée pour inaptitude physique le 8 janvier 2019 après avoir refusé, pour des raisons personnelles, deux postes administratifs qui lui avaient été proposés par son employeur. Il ne saurait lui être alloué la somme de 9 450 euros qu'elle demande au titre d'une formation en restauration de meubles dès lors qu'elle indique, dans ses dernières écritures, devoir abandonner un tel projet compte tenu de son impossibilité de porter des charges lourdes, et dès lors qu'une telle dépense pour se former à une autre profession ne présente qu'un caractère éventuel. Il résulte en revanche de l'instruction que Mme D... est contrainte à une reconversion professionnelle, qu'elle a renoncé à se présenter à l'examen d'admission à l'école d'aides-soignantes et que la pénibilité d'exercice de toute nouvelle profession entraîne une dévalorisation sur le marché du travail. Compte tenu notamment de l'âge de Mme D... à la date de consolidation de son état de santé, 31 ans, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice, qui ne saurait être calculé ainsi qu'elle le demande sur la base de la différence entre le montant qu'elle aurait perçu si elle était devenue aide-soignante et le salaire auquel elle estime désormais être limitée, en ramenant la somme allouée par les premiers juges en réparation de ce poste de préjudice à 50 000 euros.

9. Il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire, évalué à 10 %, subi par Mme D... du 12 décembre 2015 au 21 décembre 2016, en lui allouant à ce titre la somme de 630 euros.

10. Il résulte de l'instruction que Mme D... a dû subir, après son accouchement, plusieurs explorations et consultations afin d'essayer de remédier au dommage, elle a également souffert d'une incontinence aux gaz et aux matières, dû prévoir de réaliser des lavements avant chaque sortie et porter des protections en permanence. L'expert a également relevé l'existence d'une souffrance psychologique tenant à l'appréhension d'une future intervention chirurgicale pour tenter de remédier au dommage. Les souffrances endurées par l'intéressée ont été évaluées à un degré de 3 sur une échelle de 7 par l'expert. Il sera fait une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à Mme D... une somme de 4 000 euros à ce titre.

11. Mme D... est notamment contrainte de suivre un régime alimentaire particulier, lequel favorise une prise de poids. Il sera fait une juste évaluation de son préjudice esthétique évalué à un degré de 1 sur une échelle de 7 par l'expert, en lui allouant la somme de 1 000 euros à ce titre.

12. L'expert a retenu que Mme D... reste atteinte, en raison de la faute commise par le CH de Montauban, d'un déficit fonctionnel permanent de 15 %. Les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce poste de préjudice en condamnant le CH de Montauban à verser à Mme D... la somme de 23 500 euros à ce titre.

13. Faute pour Mme D... de justifier d'une activité de loisir pratiquée, avant son accouchement, avec une intensité telle qu'elle justifierait une indemnisation distincte de celle déjà accordée au titre du déficit fonctionnel permanent, l'impossibilité de continuer à randonner en famille et à pêcher en rivière ainsi que les contraintes dans sa vie sociale ne sauraient donner lieu à une indemnisation au titre du préjudice d'agrément.

14. Il sera fait une juste évaluation du préjudice sexuel de Mme D... du fait des fautes commises par le CH en lui allouant la somme de 8 000 euros à ce titre. Les premiers juges ont, par ailleurs, procédé à une juste évaluation du préjudice moral de son compagnon en fixant à 2 000 euros la somme due par le CH à ce titre.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le CH de Montauban et son assureur sont seulement fondés à demander que la somme que les premiers juges les ont condamnés à verser à Mme D... et à M. H... soit ramenée à 89 130 euros. La CPAM du Lot est fondée à demander la condamnation du CH de Montauban et son assureur à lui verser, en plus du remboursement de ses débours, les frais futurs qu'elle aurait à supporter en fonction des justificatifs liés à une nouvelle opération. Mme D... et M. H... n'étant pas fondés à soutenir que la somme qui leur a été allouée par le tribunal administratif de Toulouse était insuffisante, les conclusions qu'ils ont présentées ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les intérêts :

16. La CPAM du Lot ne saurait demander des intérêts au taux légal sur les frais futurs dont elle a obtenu le principe d'une prise en charge, qui lui seront remboursés lorsqu'elle les aura exposés.

Sur les frais liés au litige :

17. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée ".

18. La CPAM du Lot, qui a obtenu la majoration des sommes dues au titre des prestations versées à la victime, est fondée à demander que l'indemnité forfaitaire de gestion accordée par les premiers juges soit portée à 1 091 euros.

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les sommes qu'elles ont exposées au titre des frais non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 116 500 euros que le CH de Montauban et son assureur, la société AGSM, ont été condamnés à payer à Mme D... et à M. H... est ramenée à 89 130 euros.

Article 2 : Le CH de Montauban et son assureur, la société AGSM, rembourseront à la CPAM du Lot ses frais futurs en lien avec l'opération qui sera nécessaire, sur justificatifs et dans la limite de la somme de 8 173,04 euros.

Article 3 : La somme que le CH de Montauban et son assureur, la société AGSM, ont été condamnés à verser à la CPAM du Lot au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à 1 091 euros.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 octobre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Montauban, à la société AGSM, à Mme J... D..., à M. M... H... et à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme A... C..., présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2020.

La rapporteure,

Kolia Gallier

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX04216 ; 18BX04378


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX04216,18BX04378
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SCP NORMAND et ASSOCIES ; BERGES KUNTZ ; SCP NORMAND et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-08;18bx04216.18bx04378 ?
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