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08/12/2020 | FRANCE | N°18BX02650

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2020, 18BX02650


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à les indemniser de leurs préjudices personnels et, en leur qualité d'ayants-droit, des préjudices subis par Mme A...-O... H..., leur mère, consécutifs aux fautes commises par cet établissement dans la prise en charge de Mme H....

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Lot-et-Garonne a demandé

au tribunal administratif de Borde

aux de condamner le centre hospitalier universitaire

de Bordeaux à lui verser la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à les indemniser de leurs préjudices personnels et, en leur qualité d'ayants-droit, des préjudices subis par Mme A...-O... H..., leur mère, consécutifs aux fautes commises par cet établissement dans la prise en charge de Mme H....

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Lot-et-Garonne a demandé

au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire

de Bordeaux à lui verser la somme de 38 025 euros en remboursement des débours exposés

au profit de Mme H....

Par un jugement n° 1604307 du 4 mai 2018, le tribunal administratif de Bordeaux

a condamné le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à verser une somme globale

de 7 620 euros aux consorts C... en leur qualité d'ayants-droit de Mme H..., une somme

de 25 639 euros à M. I... C..., une somme de 15 500 euros chacune à Mmes L...

et M... C..., les sommes de 38 025 euros et 1 066 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne au titre des débours exposés et de l'indemnité forfaitaire de gestion,

a mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme globale

de 1 200 euros au profit des consorts C... au titre des frais d'instance et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 juillet 2018 et 7 mars 2019, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par Me K..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 4 mai 2018 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts C... et la CPAM de

Lot-et-Garonne devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- la faute commise dans la prise en charge de Mme H... n'est pas à l'origine directe de son décès, mais lui a seulement fait perdre une chance d'éviter le décès, qui doit être évaluée à 30 % ; l'intéressée présentait une rupture d'anévrisme intra crânien ayant entraîné une hémorragie méningée très grave ; deux patients sur trois décèdent dans les six mois de ce type de pathologie ; l'état neurologique de Mme H... a joué un rôle causal dans la survenance de l'accident d'inhalation ;

- le tribunal a fait une évaluation excessive des préjudices des consorts C... ; les indemnités allouées en réparation du préjudice d'affection des filles de Mme H..., qui ne vivaient plus à son domicile, et du préjudice d'affection de son fils, doivent être ramenées à de plus justes proportions ; le préjudice d'accompagnement des enfants de Mme H... a pour origine son état initial, qui justifiait la présence de sa famille à ses côtés, et non l'accident médical fautif ; il n'est pas démontré que Mme H... aurait eu conscience de sa fin prochaine ; à le supposer établi, son préjudice d'angoisse de mort imminente ne saurait être évalué à une somme excédant 5 000 euros ; le tribunal a fait une juste appréciation des souffrances endurées par Mme H..., évaluées à 4/7 par les experts, ainsi que de son déficit fonctionnel temporaire.

Par des mémoires enregistrés les 24 septembre 2018, 17 avril 2019, 19 juin 2020

et 3 juillet 2020, Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C... concluent au rejet de la requête du CHU de Bordeaux et à la mise à la charge de cet établissement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative,

et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de condamner le CHU de Bordeaux ou,

à titre subsidiaire l'ONIAM, à leur verser une somme globale de 51 770 euros en leur qualité d'ayants-droit de Mme H... et une somme totale de 110 139 euros en réparation de leurs préjudices propres.

Ils soutiennent que :

- il résulte de l'expertise que les fautes du CHU de Bordeaux tenant à la pose prématurée d'une sonde nasogastrique et un défaut de surveillance sont à l'origine directe du décès de Mme H... ; le décès est imputable à un accident d'inhalation, et sans lien avec l'état antérieur ; si Mme H... avait certes présenté une grave hémorragie méningée ayant justifié une intervention chirurgicale, les suites opératoires étaient favorables, son état s'était amélioré et son transfert vers une structure de réadaptation était envisagé ; le reflux gastro-oesophagien que présentait Mme H... n'est pas davantage à l'origine de son décès, mais constitue au contraire un facteur aggravant de la faute commise par l'établissement ; le centre hospitalier n'apporte aucun élément de nature à justifier le taux de 30 % de perte de chance qu'il revendique ; les vomissements provoqués par la pose prématurée d'une sonde nasogastrique ont entraîné une inhalation bronchique de nutriments qui a provoqué une détresse respiratoire aigüe, suivie d'un arrêt cardiaque puis d'une infection avec choc septique ; les fautes du centre hospitalier sont donc à l'origine exclusive du décès de Mme H... ;

- à titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas la responsabilité fautive du centre hospitalier, ils ont droit à la réparation intégrale de leurs préjudices par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ; les préjudices sont en effet imputables à une infection nosocomiale contractée au décours d'un acte de soins, qui a entraîné le décès de la patiente ;

- Mme H... a subi un préjudice de vie abrégée ; elle a eu conscience de ses vomissements et d'une mort imminente par noyade ; ce préjudice, entré dans le patrimoine de ses ayants-droit, doit être évalué à 30 000 euros ;

- l'évaluation des souffrances endurées par Mme H... doit être portée

à 20 000 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire total subi par Mme H... du 5 octobre au

3 décembre 2014 doit être évalué à 1 770 euros ;

- les frais de marbrerie funéraire et d'obsèques se sont montés à la somme totale

de 5 139 euros ;

- ils ont subi un préjudice d'affection lié au décès de leur mère, dont ils étaient très proches, et alors en outre que ce décès est survenu dans des circonstances dramatiques ; la somme allouée en réparation de ce préjudice doit être portée à 25 000 euros chacune pour

Mmes M... et L... C..., et à 35 000 euros pour M. I... C... qui vivait au domicile de sa mère et partageait son quotidien ;

- ils ont subi, du 5 octobre au 3 décembre 2014, un préjudice d'accompagnement, en réparation duquel doit leur être allouée une réparation de 20 000 euros chacun.

Par des mémoires enregistrés les 2 octobre 2018, 17 juin 2020 et 15 juillet 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me F..., conclut à titre principal à sa mise hors de cause et demande à titre subsidiaire de condamner le CHU de Bordeaux à le garantir de toute condamnation mise à sa charge et de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions des consorts C... tendant à sa condamnation sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;

- le décès de Mme H... est directement imputable aux fautes commises par le CHU de Bordeaux ;

- il ne saurait être condamné à réparer les dommages subis par Mme H... et ses enfants ; l'infection dont Mme H... est décédée n'a pas pour origine sa prise en charge, mais l'existence d'un reflux gastrique oesophagien et de troubles de la déglutition consécutifs à son accident vasculaire cérébral ; le décès n'est ainsi pas imputable à une infection nosocomiale ;

- en admettant le caractère nosocomial de l'infection en cause, les victimes ont, comme elles en avaient le choix, exercé une action en responsabilité pour faute à l'encontre du CHU de Bordeaux ; or, l'inhalation bronchique de produits nutritifs ayant entraîné l'infection a été causée par les fautes commises par le CHU de Bordeaux, à savoir la pose inappropriée d'une sonde nasogastrique et un défaut de surveillance ;

- il exerce à titre subsidiaire une action récursoire à l'encontre du CHU de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique.

Par un mémoire enregistré le 5 décembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête du CHU de Bordeaux et à la mise à la charge de cet établissement d'une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et d'une somme de 13 euros au titre des droits de plaidoirie et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, que la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à lui verser au titre de ses débours soit portée à 76 050 euros.

Elle soutient que :

- le tribunal a retenu à juste titre l'entière responsabilité du CHU de Bordeaux ;

- conformément aux conclusions de l'avis émis par la CCI, elle n'avait sollicité le remboursement de ses débours qu'à hauteur de 50 % ; elle sollicite désormais le remboursement total de sa créance, soit une somme de 76 050 euros.

Par une ordonnance du 9 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée

au 23 octobre 2020 à 12 heures.

Par des courriers des 26 mai et 30 septembre 2020, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de soulever d'office des moyens d'ordre public en application de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.

Des observations en réponse spécifiques sur le second moyen ont été présentées

le 8 octobre 2020 par le CHU de Bordeaux et par la CPAM de Lot-et-Garonne.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme O...-P... B...,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C... et de Me J... représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme H... a été admise le 4 octobre 2014 au service d'accueil des urgences du centre hospitalier de Marmande pour des troubles de la conscience et des céphalées apparus brutalement. Un scanner crânien a révélé qu'elle présentait une hémorragie sous arachnoïdienne consécutive à une rupture d'anévrisme intracrânien. Mme H... a été transférée

le 5 octobre 2014 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, et y a subi le lendemain une intervention par craniotomie de pose d'un clip chirurgical. A la suite de cette opération, elle a été hospitalisée au sein du service de soins intensifs de l'établissement puis, compte tenu de l'amélioration clinique de son état, elle a été transférée le 29 octobre 2014 au sein de l'unité de neurochirurgie. Le 6 novembre, en fin de journée, il a été constaté que Mme H... présentait une somnolence et une hyperthermie. Une sonde nasogastrique a été posée le 7 novembre 2014 à 18 heures. Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2014, Mme H... a présenté des vomissements qui ont entraîné une inhalation bronchique des produits nutritifs. Cette inhalation a provoqué une défaillance cardio-respiratoire aigüe avec un arrêt cardiaque, récupéré, ainsi qu'une infection pulmonaire avec choc septique. Mme H... a été transférée au sein du service de réanimation médicale, où elle est tombée dans le coma. Des examens réalisés les 19, 20 et 28 novembre 2014 ont mis à jour une souffrance du tronc cérébral, une hydrocéphalie et une ischémie du corps calleux. Mme H... est décédée le 3 décembre 2014.

2. Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C..., enfants

de Mme H..., ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Aquitaine qui, après avoir diligenté une expertise médicale confiée à un neurochirurgien et un anesthésiste-réanimateur, a estimé, dans un avis du 23 septembre 2015, que l'indemnisation des préjudices subis du fait du décès de Mme H... incombait au CHU de Bordeaux à hauteur de 50 %. Les consorts C..., après avoir décliné l'offre d'indemnisation adressée le 9 février 2016 par l'assureur du CHU de Bordeaux, ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement à réparer leurs préjudices propres et, en leur qualité d'ayants-droit, les préjudices subis par Mme H..., consécutifs selon eux aux fautes commises par le centre hospitalier dans la prise en charge de leur mère. Par un jugement

du 4 mai 2018, le tribunal administratif de Bordeaux, estimant que le décès de Mme H... était entièrement imputable aux fautes commises par le CHU de Bordeaux, a condamné cet établissement à verser une somme globale de 7 620 euros aux consorts C... en leur qualité d'ayants-droit de Mme H..., une somme de 25 639 euros à M. I... C..., une somme de 15 500 euros chacune à Mmes L... et M... C..., ainsi que les sommes de 38 025 euros et 1 066 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne au titre des débours exposés et de l'indemnité forfaitaire de gestion, et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires des consorts C.... Le CHU de Bordeaux relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à réparer l'intégralité du dommage. Par la voie de l'appel incident, les consorts C... demandent à la cour de porter leur indemnisation en leur qualité d'ayants-droit de Mme H... à une somme globale de 51 770 euros et la réparation de leurs préjudices propres à une somme totale de 110 139 euros et présentent, à titre subsidiaire, des conclusions tendant à ce que l'ONIAM soit condamné à leur verser ces mêmes sommes. L'ONIAM conclut à sa mise hors de cause et demande, à titre subsidiaire, la condamnation du CHU de Bordeaux à le garantir de toute condamnation. La CPAM de Lot-et-Garonne demande enfin, par la voie de l'appel incident, que la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à lui verser au titre des débours exposés au profit de Mme H... soit portée à 76 050 euros.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel incident de la CPAM de

Lot-et-Garonne :

3. Il résulte de l'instruction que, appelée en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale en déclaration de jugement commun dans l'instance engagée devant le tribunal administratif de Bordeaux tendant à la condamnation du CHU de Bordeaux à réparer les conséquences dommageables ayant résulté de la prise en charge de Mme H..., la CPAM de Lot-et-Garonne a limité au montant de 38 025 euros la somme demandée au titre des dépenses de santé effectivement supportées au profit de Mme H... en 2014. La caisse n'est pas recevable, en appel, à augmenter ses prétentions au titre des frais exposés durant cette même période, qui est antérieure au jugement attaqué. La circonstance invoquée qu'elle n'aurait pas jugé utile de présenter de telles conclusions devant le tribunal au regard du sens de l'avis émis par la CCI, lequel ne revêt pas un caractère décisoire et ne lie pas le juge, est dépourvue d'incidence sur la recevabilité de ces conclusions d'appel incident tendant à ce que la somme de 38 025 euros que le CHU de Bordeaux a été condamné à lui verser au titre de ses débours soit portée

à 76 050 euros.

Sur la responsabilité du CHU de Bordeaux :

4. En vertu des dispositions du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. En vertu des dispositions de l'article L. 1142-1-1 du même code, les dommages résultant d'infections nosocomiales correspondant à un taux d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %, ainsi que les décès provoqués par des infections nosocomiales, sont réparés au titre de la solidarité nationale. Aux termes du I de l'article L. 1142-21 : " Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure./ Lorsqu'il résulte de la décision du juge que l'office indemnise la victime ou ses ayants droit au titre de l'article L. 1142-1-1, celui-ci ne peut exercer une action récursoire contre le professionnel, l'établissement de santé, le service ou l'organisme concerné ou son assureur, sauf en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la responsabilité d'un établissement de santé au titre d'une infection nosocomiale ayant entraîné des conséquences répondant aux conditions de l'article L. 1142-1-1 ne peut être recherchée, par la victime elle-même ou ses subrogés ou par l'ONIAM dans le cadre d'une action récursoire, qu'à raison d'une faute établie à l'origine du dommage.

5. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise diligentée par la CCI d'Aquitaine, d'une part , que la pose d'une sonde nasogastrique réalisée le 7 novembre 2014 en fin de journée présentait un caractère prématuré au regard de l'état de conscience altéré

de Mme H..., et d'autre part, que cette reprise de l'alimentation par sonde ne s'est pas accompagnée d'une surveillance appropriée de la patiente. Ces fautes, dont la réalité n'est pas contestée par le CHU de Bordeaux, sont à l'origine de l'inhalation bronchique survenue dans la nuit du 7 au 8 novembre 2014, dont les conséquences, une détresse cardio-respiratoire aiguë et une infection pulmonaire, ont été fatales à Mme H.... Si cet accident d'inhalation a certes été favorisé par l'état initial de la patiente, qui présentait un reflux gastro-oesophagien et des troubles neurologiques, ces éléments, dont le CHU de Bordeaux avait connaissance, auraient dû le conduire à différer la reprise de l'alimentation par sonde ou, à tout le moins, à renforcer la surveillance de la patiente. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, cet accident d'inhalation a pour cause directe les fautes commises par le centre hospitalier et n'est pas imputable à l'état initial de Mme H....

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

7. En l'espèce, si, comme le soutient le CHU de Bordeaux, Mme H... a présenté en octobre 2014 une très grave hémorragie méningée, d'un pronostic initial défavorable, il résulte de l'instruction que son état s'était nettement amélioré à la suite de l'intervention chirurgicale de clippage de l'anévrysme. A la date du 7 novembre 2014 à laquelle est survenue l'inhalation bronchique, Mme H... était sortie du service de soins intensifs et était hospitalisée depuis plusieurs jours au sein du service de neurochirurgie, et une demande avait même été formulée en vue d'un séjour en centre de réadaptation. L'expertise souligne à cet égard que " le décès a été la conséquence de la survenue de l'accident incriminé et non de l'évolution post chirurgicale de la rupture d'anévrysme ". Dans ces conditions, compte tenu de l'évolution de l'état de l'intéressée depuis la survenance de l'hémorragie méningée, le décès de Mme H... est entièrement la conséquence directe des fautes ci-dessus retenues engageant la responsabilité du CHU de Bordeaux. Cet établissement n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné à réparer l'intégralité des préjudices consécutifs au décès de Mme H..., et non pas seulement une fraction du dommage.

Sur la réparation :

En ce qui concerne les préjudices subis par Mme H... :

8. En premier lieu, il résulte du rapport d'expertise que Mme H... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 5 octobre 2014, date de son hospitalisation, au 3 décembre 2014, date de son décès. Ainsi que l'a relevé le tribunal, ce déficit n'est cependant pas en lien, pour la période antérieure au 7 novembre 2014, avec les fautes ci-dessus relevées. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en allouant aux consorts C..., en leur qualité d'ayants-droit de Mme H..., la somme non contestée par le CHU de 420 euros.

9. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal se serait livré à une insuffisante évaluation des souffrances endurées par Mme H..., estimées à 4/7 par les experts, en allouant à ses ayants-droit une somme de 7 200 euros.

10. Enfin, si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite, en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers.

11. Il résulte de l'instruction que lors de son accident d'inhalation bronchique,

Mme H... a subi une défaillance respiratoire aiguë comparable, selon les experts, à un étouffement par noyade. Si la patiente présentait, au moment de son accident, de la fièvre et un état de conscience altéré, elle n'est cependant tombée dans le coma qu'après son transfert au sein du service de réanimation. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'altération de son état était telle, au moment de l'accident d'inhalation, qu'elle n'aurait pas été à même de mesurer les conséquences d'une sensation d'étouffement, il doit être tenu pour établi qu'elle a enduré une douleur morale du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à ses ayants-droit une somme de 2 000 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que la somme allouée aux ayants-droit de Mme H... en réparation des préjudices subis par cette dernière doit être portée de 7 620 euros à 9 620 euros.

En ce qui concerne les préjudices subis par Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C..., enfants de Mme H... :

S'agissant des préjudices subis par M. I... C... :

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des factures produites au dossier, que M. I... C... a réglé les frais d'obsèques de Mme H... pour un montant total de 5 139 euros. Le CHU de Bordeaux doit dès lors être condamné à lui verser cette somme.

14. En deuxième lieu, en allouant à M. I... C..., fils de Mme H..., avec lequel elle cohabitait, une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'affection, le tribunal s'est livré à une évaluation qui n'est, dans les circonstances de l'espèce, ni insuffisante,

ni excessive.

15. Enfin, si M. I... C... fait valoir qu'il s'est régulièrement rendu au chevet de Mme H..., le préjudice d'accompagnement dont il sollicite la réparation n'est pas en lien avec les fautes du CHU de Bordeaux s'agissant de la période allant du 5 octobre au 7 novembre 2014, et l'intéressé n'apporte pas d'élément de nature à caractériser un bouleversement de son mode de vie au quotidien au cours de la période allant du 8 novembre 2014 au 3 décembre suivant.

16. Il résulte de ce qui précède que la somme de 25 639 euros que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à M. I... C... doit être ramenée à 25 139 euros.

S'agissant des préjudices subis par Mmes L... et M... C... :

17. En premier lieu, les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation du préjudice d'affection de Mmes L... et M... C..., filles de Mme H... avec lesquelles elle ne cohabitait pas, en leur octroyant une somme de 15 000 euros chacune.

18. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14,

Mmes L... et M... C... n'apportent pas d'élément de nature à établir qu'elles auraient subi un préjudice d'accompagnement.

19. Il résulte de ce qui précède que la somme de 15 500 euros chacune que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mmes L... et M... C... doit être ramenée

à 15 000 euros chacune.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les parties sont seulement fondées à demander que les sommes que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mme L... C...,

à Mme M... C..., à M. I... C... en réparation des préjudices subis par Mme H... et de leurs préjudices propres soient modifiées dans les conditions définies aux points 11, 15

et 19 du présent arrêt, et à solliciter, dans cette mesure la réformation du jugement attaqué.

Sur les conclusions de l'ONIAM rendant à sa mise hors de cause :

21. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les préjudices subis par Mme H... et ses enfants, Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C..., sont entièrement imputables aux fautes commises par le CHU de Bordeaux. Il suit de là que l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts C...

et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mme L... C..., Mme M... C... et M. I... C..., en leur qualité d'ayants-droit de Mme H...,

est portée à 9 620 euros.

Article 3 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à M. I... C... est ramenée à 25 139 euros.

Article 4 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mme L... C... et à Mme M... C... est ramenée à 15 000 euros pour chacune.

Article 5 : Le jugement n° 1604307 du 4 mai 2018 du tribunal administratif de Bordeaux

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le CHU de Bordeaux versera à Mme L... C..., Mme M... C...

et M. I... C... une somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme L... C..., à Mme M... C...,

à M. I... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme N... G..., présidente,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

Mme O...-P... B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2020.

Le rapporteur,

Marie-Pierre Beuve B...

La présidente,

Catherine G...

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02650


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02650
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : CABINET BARDET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-08;18bx02650 ?
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