Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... C... veuve H..., Mme E... H..., Mme L... H... épouse I... et Mme B... H... épouse P... ont demandé au tribunal administratif
de Toulouse de condamner le centre hospitalier (CH) de Montauban à verser à chacune d'elles une somme de 35 000 euros au titre de leur préjudice d'affection, à Mme G... H...
et à Mme E... H... une somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice économique,
et à Mme G... H... une somme de 21 000 euros au titre des préjudices
de M. K... H..., décédé dans cet établissement le 5 avril 2014.
Par un jugement n° 1604383 du 4 octobre 2018, le tribunal a condamné le CH
de Montauban à leur verser la somme globale de 2 000 euros au titre des souffrances endurées par M. H..., et rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 décembre 2018, Mme G... C... veuve H...,
Mme E... H..., Mme L... H... épouse I... et Mme B... H... épouse P..., représentées par Me O..., demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de leurs demandes ;
2°) de condamner le CH de Montauban à leur verser, en leur qualité d'ayants droits,
une somme de 21 000 euros au titre des préjudices de M. H... entrés dans sa succession,
à Mme G... H... et Mme E... H... une somme de 50 000 euros chacune au titre
de leur préjudice économique, et au titre de leur préjudice d'affection les sommes
de 25 000 euros chacune à Mme G... H... et Mme E... H... et de 10 000 euros chacune à Mme L... H... épouse I... et Mme B... H... épouse P... ;
3°) de mettre à la charge du CH de Montauban une somme de 3 000 euros pour l'ensemble de la procédure au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- M. H... a fait une chute le 25 mars 2014 après son admission au service
des urgences du CH de Montauban, alors qu'il était sorti de la salle d'attente où son état de santé ne lui permettait pas de se maintenir ; le jugement retient à bon droit une faute dès lors que
le service d'accueil aurait dû installer ce patient " remarquable " dans d'autres conditions ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le lien de causalité entre la chute et le décès est démontré dès lors que la dégradation de l'état de santé de M. H... est due à un traumatisme crânien avec hémorragie interne et à un affaiblissement des défenses due aux plaies et au choc ; l'existence d'un état antérieur ne fait pas obstacle à ce lien dès lors que le fait générateur est à l'origine du dommage ;
- le préjudice d'affection doit être évalué à 25 000 euros chacune pour Mme G... H..., veuve de M. H..., et Mme E... H... qui vivait au domicile de ses parents, et à 10 000 euros pour chacune des deux autres filles de M. H... ; Mme G... H... et Mme E... H... ont subi un préjudice économique qu'il convient d'évaluer à 50 000 euros chacune ; Mme G... H... et ses filles sont fondées à demander, en leur qualité d'ayants droits, les sommes de 11 000 euros au titre des souffrances endurées par M. H... entre sa chute et son décès et de 10 000 euros au titre de la perte de chance de vivre plus longtemps ;
- la cour pourra ordonner une expertise si elle l'estime utile.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 janvier 2019, le CH de Montauban, représenté par la SELARL Abeille et Associés, conclut au rejet de la requête, et, par la voie
de l'appel incident, demande à la cour :
1°) à titre principal de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau en tant qu'il a retenu une faute et de rejeter l'ensemble des demandes des consorts H...,
et à titre subsidiaire d'ordonner une expertise ;
2°) de mettre à la charge des consorts H... une somme de 1 000 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les requérantes, qui n'apportent pas la preuve de l'heure à laquelle le médecin traitant de M. H... aurait appelé le service des urgences, ne démontrent pas que l'établissement aurait disposé d'un temps suffisant pour anticiper l'arrivée du patient et prévoir une installation plus adaptée à son état de santé ; il n'appartenait pas au CH de retenir M. H... dès lors qu'il souhaitait sortir ; en l'absence d'expertise lui permettant de disposer d'un avis médical impartial et indépendant, la cour ne peut qu'annuler le jugement en tant qu'il a retenu l'existence d'une faute ;
- M. H... bénéficiait d'une prise en charge palliative d'une rechute de leucémie aiguë myéloïde secondaire engageant son pronostic vital ; les requérantes ne démontrent
pas l'existence d'un lien de causalité entre sa chute et son décès ;
- les préjudices allégués ne sont pas imputables à la chute ;
- à titre subsidiaire, il ne s'oppose pas à la réalisation d'une expertise, qu'il conviendrait de confier à un médecin spécialisé en hématologie.
Par un mémoire enregistré le 29 janvier 2019, présenté par la SELARL Birot, Ravaut
et Associés, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) demande à être mis hors de cause.
Il fait valoir que la faute commise par l'établissement hospitalier engage
la responsabilité de celui-ci et qu'aucun acte de soin n'est à l'origine du décès de M. H....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme Ladoire, rapporteur public,
- et les observations de Me J..., représentant le centre hospitalier de Montauban.
Considérant ce qui suit :
1. M. K... H..., né le 30 novembre 1945, présentait une myélodysplasie diagnostiquée en 2010, ayant évolué à partir de novembre 2013 en leucémie aiguë myéloïde, compliquée par une dermatose neutrophilique depuis le début de l'année 2013, puis par une vascularite avec hypodermite nécrosante du membre inférieur gauche ayant nécessité
son hospitalisation du 20 février au 7 mars 2014. Un prélèvement sanguin du 25 mars 2014 ayant révélé une rechute de l'anémie avec thrombopénie, le patient a été adressé par le laboratoire d'analyses médicales au service des urgences du CH de Montauban et a fait une chute après
être sorti de la salle d'attente en raison de ses craintes de contamination par les autres patients, alors qu'il était immunodéprimé du fait de sa pathologie. M. H..., pris en charge à l'hôpital jusqu'au 29 mars, puis en hospitalisation à domicile jusqu'au 1er avril, a été réadmis à cette dernière date au CH de Montauban, où il est décédé le 5 avril. Son épouse et ses trois filles
ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'établissement hospitalier
à les indemniser des préjudices en lien avec la chute survenue le 29 mars. Elles relèvent appel
du jugement du 4 octobre 2018 en tant que le tribunal, qui a estimé que la chute engageait
la responsabilité pour faute du centre hospitalier, n'a pas retenu de lien de causalité avec le décès et leur a seulement alloué une indemnité de 2 000 euros au titre des souffrances endurées
par M. H.... Le CH de Montauban, par son appel incident, conteste l'existence d'une faute.
2. Aux termes de l'article L. 1112-2 du code de la santé publique : " La qualité de la prise en charge des patients est un objectif essentiel pour tout établissement de santé. (...). " Aux termes du 1° de l'article D. 6124-23 du même code, l'établissement de santé autorisé à exercer l'activité de soins de médecine d'urgence " met en place les aménagements de locaux et d'équipements permettant l'accès des personnes vulnérables, notamment handicapées, et organise spécifiquement leur accueil au sein de la structure des urgences ".
3. Les requérantes produisent un récit détaillé des circonstances de l'admission
de M. H... à l'hôpital, précisant que son épouse l'a alerté téléphoniquement de la nécessité de s'y rendre d'urgence, qu'il est parti seul en véhicule sanitaire léger, que Mme H..., au retour de son travail, a reçu un appel de son époux lui signalant qu'il n'était pas pris en charge malgré son état, qu'elle s'est adressée en vain au service des urgences qui lui a répondu qu'il fallait attendre son tour, qu'elle a alors sollicité l'intervention du médecin traitant, et que lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital, elle a trouvé son conjoint blessé après sa chute. Ce récit est corroboré par une attestation du médecin traitant indiquant avoir appelé le service des urgences en insistant sur l'urgence de la prise en charge médicale. Enfin, une lettre de la commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge du centre hospitalier, faisant état de la relecture du dossier de M. H... et d'entretiens avec les personnels administratifs, infirmiers et médicaux, relève notamment que l'absence d'information concernant la pathologie chronique du patient n'a pas permis une installation plus confortable, et que le personnel soignant et administratif en charge de l'accueil des urgences doit écouter et vérifier les dires des malades. En l'espèce, l'information sur la pathologie chronique était disponible dans le service de médecine interne de l'établissement, auquel il appartenait au service d'accueil des urgences de s'adresser sans attendre dès lors que le patient, suivi dans ce service, avait fait état de sa pathologie nécessitant une transfusion. Ainsi, l'accueil de M. H... au service des urgences n'a pas été adapté à sa vulnérabilité. Par suite, la responsabilité du CH de Montauban est engagée à raison des conséquences de la chute que ce manquement a rendu possible.
4. Il résulte de l'instruction que la chute M. H... a été à l'origine d'un oedème de la face avec un hématome de la pommette droite, d'une plaie du bras droit et d'un hématome au niveau de la cuisse droite, ainsi que d'un syndrome confusionnel assez bref. Si un scanner réalisé le 26 mars a mis en évidence une hyperdensité spontanée dans les espaces sous arachnoïdiens à l'étage sus tentoriel d'origine traumatique permettant de conclure à une hémorragie méningée post-traumatique, aucune autre anomalie n'a été constatée, et la conscience du patient est restée normale. Le dossier médical produit ne fait pas davantage apparaître d'incidence des autres traumatismes en lien avec la chute sur l'évolution de l'état de santé de M. H..., dont le pronostic hématologique était qualifié de " péjoratif à court terme " dès le 26 février 2014, date à laquelle la décision avait été prise de ne traiter toute nouvelle aggravation que de manière symptomatique, sans recours aux manoeuvres de réanimation. Il résulte des comptes rendus
de l'hospitalisation à domicile du 29 mars au 1er avril pour des soins palliatifs et du dernier séjour à l'hôpital que le décès est exclusivement imputable au stade terminal de la leucémie aiguë dont M. H... était atteint.
5. Dès lors que le décès de M. H... est la conséquence de l'évolution prévisible
de son état de santé, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.
6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les consorts H... ne sont pas fondés
à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs demandes d'indemnisation
de leurs préjudices en lien avec le décès de leur époux et père, ainsi que celle relative à une perte de chance de M. H... de vivre plus longtemps.
7. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation des souffrances endurées
par M. H... à raison de la chute engageant la responsabilité pour faute du CH de Montauban en allouant une indemnité de 2 000 euros à ses ayants droits.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, l'appel des consorts H... et l'appel incident du CH de Montauban doivent être rejetés.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application
des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par les consorts H... et par le CH de Montauban doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts H... est rejetée.
Article 2 : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 3 : L'appel incident du CH de Montauban et le surplus des conclusions des parties
sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... C... veuve H...,
à Mme E... H..., à Mme L... H... épouse I..., à Mme B... H...
épouse P..., au centre hospitalier de Montauban et à l'Office national d'indemnisation
des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Q... N..., présidente,
Mme A... F..., présidente-assesseure,
Mme D... M..., conseillère.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
La rapporteure,
Anne F...
La présidente,
Catherine N...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04141