Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme J... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 38 032,35 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'un accident médical et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier de Rochefort à lui verser cette même somme.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Charente-Maritime a demandé au tribunal la condamnation du centre hospitalier de Rochefort à lui verser la somme de 63 468,53 euros correspondant au montant des débours exposés pour la prise en charge de Mme E....
Par un jugement n° 1601630 du 11 septembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête de Mme E... et les conclusions présentées par la CPAM de Charente-Maritime.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 novembre 2018 et le 4 mars 2020, Mme E..., représentée par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 11 septembre 2018 ;
2°) à titre principal, de condamner l'ONIAM à lui verser la somme globale de 38 032,51 euros ainsi qu'une rente de 46,26 euros par mois en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis et de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier de Rochefort à lui verser la somme globale de 38 032,51 euros ainsi qu'une rente de 46,26 euros par mois en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, et de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle remplit les conditions pour être indemnisée par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ;
- la condition de gravité du dommage est satisfaite dès lors qu'elle a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire de 75 % pendant plus de six mois consécutifs ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la survenance du dommage ne présentait pas une probabilité faible compte tenu de l'état de santé de Mme E... et n'ont tenu compte que des douleurs dont elle souffrait en raison de sa pathologie initiale ;
- il résulte du rapport d'expertise, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, que la perforation accidentelle de l'intestin lors de l'adhésiolyse du 29 mars 2013 a eu des conséquences anormales ;
- l'avis de la commission de conciliation et d'indemnisation, sur lequel les premiers juges se sont fondés, est erroné, contraire aux deux expertises figurant au dossier, et dépourvu de toute valeur juridique ;
- il y a lieu de retenir que les interventions postérieures à celle du 29 mars 2013 ont eu des conséquences anormales ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité du centre hospitalier de Rochefort est engagée en raison de la faute commise lors de la prise en charge de Mme E..., l'expert ayant retenu un retard de prise en charge ;
- son préjudice doit être évalué aux sommes suivantes :
- 5 759,20 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 6 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
- 2 364,29 euros au titre de l'assistance par tierce personne, ainsi qu'une rente de 46,26 euros par mois ;
- 9 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément.
Par un courrier, enregistré le 26 décembre 2018, la CPAM de Charente-Maritime indique ne pas avoir de créance à faire valoir dans la présente instance.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 février 2019 et le 8 septembre 2020, l'ONIAM conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la condition d'anormalité du dommage, qui doit s'apprécier compte tenu de l'état de santé de la victime, n'était pas remplie ;
- l'état de santé actuel de Mme E... n'est pas notablement plus grave qu'en l'absence de l'intervention litigieuse ;
- le dommage survenu ne présentait pas une probabilité faible compte tenu de l'état de santé de l'intéressée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2020, le centre hospitalier de Rochefort conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il n'a commis aucune faute à l'occasion de la première intervention du 29 mars 2013 ;
- si l'expert a relevé que l'intervention du 2 avril 2013 aurait pu être réalisée plus précocement, il constate également que ce retard n'a eu aucune incidence sur l'état de santé de Mme E... ;
- de même la réalisation d'un scanner aurait été préférable, en l'absence d'amélioration du syndrome infectieux biologique cinq jours après l'intervention du 12 avril 2013 et non dix jours, mais une recherche plus précoce n'aurait pas modifié les conditions de prises en charge de l'intéressée, une nouvelle intervention par laparotomie étant nécessaire ;
- faute de tout lien de causalité entre les retards qui lui sont reprochés et les préjudices de Mme E..., sa responsabilité ne saurait être engagée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... F...,
- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,
- et les observations de Me H..., représentant Mme E... et de Me D..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., souffrant d'occlusions intestinales récidivantes, a subi une adhésiolyse le 29 mars 2013 au centre hospitalier de Rochefort. Une nouvelle intervention a été réalisée en urgence le 2 avril suivant, en raison d'un tableau clinique évoquant un sepsis profond. Cette opération a permis de constater une perforation de l'intestin grêle qui a justifié la mise en place d'une iléostomie. En l'absence d'amélioration de l'état de santé de Mme E..., un scanner abdominal a été réalisé le 10 avril 2013, qui a révélé de multiples collections diffuses sous phrénique droite et splénique. A la demande de sa famille, l'intéressée a alors été transférée au centre hospitalier de La Rochelle où elle a immédiatement été réopérée afin de procéder à l'évacuation des collections visualisées au scanner ainsi qu'à un lavage et à un drainage du péritoine. Son état s'est alors progressivement amélioré, elle a été transférée en centre de convalescence le 13 mai 2013 et la poche de stomie a été retirée au centre hospitalier de La Rochelle le 15 janvier 2014.
2. Estimant avoir subi un aléa thérapeutique ainsi qu'un retard dans sa prise en charge au sein du centre hospitalier de Rochefort, Mme E... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'expertise. Cette expertise a été ordonnée le 11 août 2014 et confiée au professeur Gainant, qui a remis son rapport le 16 janvier 2015. Par ailleurs, l'intéressée a saisi, le 16 juillet 2015, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Poitou-Charentes d'une demande d'indemnisation. Cette dernière a diligenté une expertise, également confiée au professeur Gainant. Par un avis du 4 février 2016, la CCI de la région Poitou-Charentes a conclu à l'absence de faute du centre hospitalier de Rochefort et à l'absence de réunion des conditions permettant une indemnisation au titre de la solidarité nationale. Par une décision du 17 mai 2016, l'ONIAM a rejeté la demande indemnitaire présentée par Mme E... au titre de la solidarité nationale. Le centre hospitalier de Rochefort a opposé une décision implicite de rejet à la demande d'indemnisation dont l'intéressée l'avait saisi le 23 juin 2016.
3. Mme E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 38 032,35 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'un accident médical et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier de Rochefort à lui verser cette même somme en réparation des fautes commises lors de sa prise en charge. Elle relève appel du jugement n° 1601630 du 11 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais d'expertise ordonnée par le juge des référés de ce tribunal.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Rochefort :
4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
5. Mme E... soutient que le centre hospitalier de Rochefort a commis des fautes au cours de sa prise en charge susceptibles d'engager sa responsabilité dès lors que tant l'intervention du 2 avril 2013 que celle du 12 avril suivant ont été réalisées tardivement. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise au dossier, que la réalisation d'une iléostomie était en toute hypothèse nécessaire compte tenu de l'infection péritonéale dont souffrait l'intéressée et qu'un diagnostic plus précoce des collections intra péritonéales aurait tout de même conduit à une réintervention par laparotomie, dont les conséquences auraient été identiques. Par suite, si les interventions des 2 et 12 avril 2013 auraient, en effet, pu être réalisées plus précocement, de tels retards sont dépourvus de tout lien de causalité avec les préjudices de Mme E.... Dans ces conditions, la dégradation de l'état de santé de l'intéressée étant uniquement due à la perforation intestinale survenue au cours de l'intervention du 29 mars 2013 qui a entraîné une péritonite, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la responsabilité du centre hospitalier de Rochefort n'était pas engagée, en l'absence de lien de causalité entre les fautes qui lui sont reprochées par Mme E... et les préjudices de celle-ci.
Sur le droit à réparation au titre de la solidarité nationale :
6. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
8. En premier lieu, il résulte des rapports d'expertise figurant au dossier que la perforation intestinale dont Mme E... a été victime à l'occasion de l'entérolyse coelioscopique du 29 mars 2013, et qui a été à l'origine de la dégradation de son état de santé, est un accident médical non fautif. Il résulte de l'instruction que Mme E... souffrait d'occlusions intestinales récidivantes attribuées à des adhérences intra péritonéales consécutives à de précédentes opérations et l'expert a indiqué que l'opération pratiquée le 29 mars 2013 présentait, dans ces conditions, un caractère indispensable. Ainsi, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que l'adhésiolyse pratiquée le 29 mars 2013 au centre hospitalier de Rochefort aurait entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.
9. En second lieu, pour apprécier si le risque auquel Mme E... était exposée présentait une probabilité faible au sens des principes ci-dessus rappelés, les premiers juges ont pu retenir les informations figurant tant dans l'expertise que dans l'avis de la CCI, qu'ils ne se sont pas sentis tenus de suivre. Il ressort de l'avis de la CCI de la région Poitou-Charentes, qui n'est pas précisément contesté par la requérante sur ce point, que le risque de survenue d'une plaie digestive lors d'une opération de viscérolyse est de l'ordre de 4 % en moyenne, qu'il est majoré chez un patient précédemment opéré et qu'il augmente considérablement en présence d'adhérences dues en particulier à une ou plusieurs interventions précédentes. L'expert a, à cet égard, précisé que le dossier médical de Mme E... indiquait, depuis 1998, cinq hospitalisations pour des syndromes occlusifs ainsi que plusieurs crises occlusives douloureuses. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la survenance du dommage ne présentait pas, dans les circonstances de l'espèce, une probabilité faible et qu'ils ont retenu que le dommage de Mme E... ne présentait pas le caractère d'anormalité requis au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour ouvrir droit à une indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de maintenir les frais d'expertise à la charge définitive de Mme E....
12. Mme E... étant la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens soient mises à la charge du centre hospitalier de Rochefort ou de l'ONIAM.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... E..., au centre hospitalier de Rochefort, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme I... G..., présidente,
Mme A... C..., présidente-assesseure,
Mme B... F..., conseillère.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
La rapporteure,
Kolia F...
La présidente,
Catherine G...
Le greffier,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03867