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16/11/2020 | FRANCE | N°18BX01401

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 16 novembre 2020, 18BX01401


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices causés par le comportement fautif de son administration.

Par un jugement n° 1601920 du 5 février 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 avril 2018, 12 mars et 26 août 2020, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :


1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros en répa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices causés par le comportement fautif de son administration.

Par un jugement n° 1601920 du 5 février 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 avril 2018, 12 mars et 26 août 2020, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices causés par le comportement fautif de son administration ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'attitude inappropriée de sa chef de poste, à deux reprises, à la fin de l'année 2010 et au début de l'année 2011, ainsi que l'inertie de son administration face à un tel comportement sont constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de l'administration à raison des préjudices qu'elle a subis ;

- elle apporte de nombreux éléments permettant de démontrer la réalité des faits reprochés à l'administration ;

- ces graves agissements, qui l'ont conduit à son placement en arrêt de travail, à une souffrance professionnelle, à sa mise à l'écart du service, à sa baisse de notation, à sa mutation d'office, sont constitutifs d'actes de harcèlement de la part de son administration ;

- les écritures de première instance sont incohérentes et contradictoires sur les raisons ayant justifiées une réorganisation du service, ce qui permet de présumer qu'une telle réorganisation a été décidée dans le but de la sanctionner. Avant 2010, ses qualités humaines et professionnelles sont appréciées ;

- contrairement à ce que soutient l'administration, après l'entretien du 25 janvier 2011, elle n'a pas exercé son droit de retrait ;

- elle a subi un préjudice moral dont elle est fondée à demander réparation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2019, le ministre de l'économie et des finances demande à la cour de rejeter la requête de Mme C....

Il soutient que :

- Mme C... n'établit pas le harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime ;

- si elle soutient pour la première fois en appel avoir été privée de façon injustifiée de sa messagerie professionnelle, toutefois ce fait résulte d'une insuffisance de branchement informatique et n'est pas fautif ;

- s'agissant de l'entretien du 25 janvier 2011, la responsabilité de l'administration ne saurait être engagée au titre d'un comportement fautif de la responsable de la trésorerie de Troyes-hôpital, car cet entretien avait pour objectif de lui présenter la nouvelle organisation mise en place par l'administration pendant son congé de maladie ;

- si Mme C... a fait valoir son droit de retrait, l'administration a aussitôt saisi le médecin de la prévention ;

- s'il est vrai que l'administration a décidé de modifier les fonctions de Mme C... pour pallier ses absences, cette mesure relève de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ;

- son changement d'affectation a été décidé dans l'intérêt du service car Mme C... faisait l'objet de plaintes de la part de ses collègues et des patients du centre. Il ne s'agit pas d'une sanction déguisée ;

- Mme C... ne saurait invoquer des répercussions sur sa notation, ses compétences professionnelles n'ayant jamais été remises en causes par l'administration.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... A...,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... exerce dans les services de la direction générale de la comptabilité publique depuis le 1er avril 1980 et a accédé en dernier lieu au grade d'agent d'administration principal du Trésor public. Elle a été affectée à la trésorerie de Troyes-hôpital le 1er septembre 2000, a été mutée en dernier lieu le 1er mai 2013 à la trésorerie de Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne) et a fait valoir ses droits à la retraite le 11 mars 2017. Estimant avoir été " mutée d'office " le 21 mars 2011 à la trésorerie municipale de Troyes-municipale, à la suite d'une réorganisation du service, et avoir été victime du comportement fautif de son administration, notamment d'un harcèlement moral, elle a saisi le 28 décembre 2015 le directeur départemental des finances publiques de l'Aube d'une réclamation indemnitaire puis, suite au rejet implicite de sa demande, elle a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat au versement de la somme de 90 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des agissements de son administration. Elle relève appel du jugement du 5 février 2018, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

3. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

5. Mme C... soutient qu'au mois d'octobre 2010, elle a été privée pendant plusieurs mois de l'accès à sa messagerie professionnelle et que, de ce fait, elle a été contrainte d'utiliser l'ordinateur de l'adjointe au chef de poste, après son départ, pour consulter sa messagerie professionnelle et syndicale, jusqu'au jour où, lors de sa connexion, elle a causé involontairement des problèmes informatiques, ce qui a provoqué une réaction violente et agressive de sa supérieure hiérarchique. Elle soutient que le 25 janvier 2011, elle a subi une autre agression verbale de la part de sa cheffe de poste, qu'elle a été mutée d'office et a subi une baisse de notation.

6. Il résulte de l'instruction qu'alors que le service ne bénéficiait pas d'un nombre de branchements suffisant, Mme C... disposait d'un accès à sa messagerie professionnelle en empruntant l'ordinateur de l'adjointe au chef de poste, après avoir au préalable demandé l'accord de la cheffe de service. Il ne résulte pas de l'instruction que ce défaut d'accès permanent à sa messagerie aurait eu pour objet d'isoler l'agent ou aurait été décidé dans un but vexatoire. Ensuite, Mme C... fait état que c'est à l'occasion de la consultation de l'ordinateur de l'adjointe au chef de poste, sans avoir au préalable sollicité l'accord du chef de poste, qu'un problème informatique, se traduisant par une interruption momentanée d'une application, s'est produit le 29 octobre 2010, provoquant selon elle une réaction " violente et agressive " de sa supérieure hiérarchique. Toutefois, il ne résulte pas des éléments soumis au débat que les agissements de sa cheffe de poste ce jour-là aient excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, notamment qu'elle aurait eu une réaction violente et agressive à son égard. Il ressort même de l'attestation de Mme E... que la situation aurait été apaisée.

7. En ce qui concerne l'entretien du 25 janvier 2011, au cours duquel elle a été informée de la nouvelle organisation décidée pendant son congé de maladie, qui avait pour effet de l'affecter exclusivement au guichet, il ne résulte pas de l'instruction que sa cheffe de poste aurait eu une attitude fautive à son égard au cours de cet entretien, ni que la décision de l'affecter exclusivement au guichet et non plus à la caisse ne se rattacherait pas à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que suite au droit de retrait exercé par Mme C... à l'issue de cet entretien, l'administration n'est pas demeurée inactive mais a, au contraire, saisi le médecin de prévention.

8. En ce qui concerne son affectation sur un autre site, la trésorerie de Troyes municipale à compter du 21 mars 2011, il résulte de l'instruction, notamment de la note de service du trésorier en chef du 4 mars 2011 relatant l'entretien du 25 janvier 2011 ainsi que des témoignages produits par Mme C..., qu'elle faisait l'objet de plaintes de la part de certains collègues en raison de son attitude et qu'il existait des dysfonctionnements dans le service, induits par ses absences. Si Mme C... soutient avoir été mis à l'écart du service par ses collègues de travail, les témoignages produits, notamment celui de Mme H... du 15 juillet 2020, ne sont pas suffisamment circonstanciés pour identifier des éléments de nature à laisser présumer des agissements de harcèlement moral. Il ressort également de la note du 7 février 2011 du directeur du centre hospitalier que le comportement de Mme C... faisait l'objet de plaintes de la part des patients et des personnels du centre hospitalier qui se rendaient à l'accueil de la trésorerie du centre hospitalier. Par suite, la décision de l'affecter au site de la trésorerie de Troyes-municipale, laquelle est justifiée dans l'intérêt du service, ne constitue pas une sanction disciplinaire déguisée.

9. Enfin, Mme C... ne produit pas d'éléments permettant de remettre en cause le bien-fondé de sa baisse de note chiffrée qui est en corrélation avec les appréciations littérales mentionnées dans son compte-rendu d'entretien professionnel au titre de l'année 2011, relatives à son sens des relations avec les usagers et les partenaires et à son esprit d'équipe, lesquels sont corroborés par la note de service du trésorier principal du 4 mars 2011, par l'attestation du directeur du centre hospitalier du 7 février 2011, ainsi que par l'attestation de Mme E....

10. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que Mme C... n'apporte pas d'éléments suffisamment probants pour permettre de regarder comme au moins plausible le harcèlement moral dont elle se prétend victime de la part de son administration. Dans ces conditions, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme que demande Mme C... au titre de ses frais d'instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C... et au ministre de l'économie, des finances publique et de la relance.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme G... I..., présidente-assesseure,

Mme D... A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.

Le rapporteur,

Déborah A...Le président,

Didier ARTUSLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 18BX01401 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01401
Date de la décision : 16/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : T et L AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-16;18bx01401 ?
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