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02/11/2020 | FRANCE | N°19BX04439

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 02 novembre 2020, 19BX04439


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 octobre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 1ère section de l'unité territoriale de la Haute-Garonne a autorisé la société Continental Automotive France à le licencier.

Par un jugement n° 12005476 du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 15BX01957 du 11 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux

a, sur appel de la société Continental Automotive France, annulé ce jugement et rejeté l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 octobre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 1ère section de l'unité territoriale de la Haute-Garonne a autorisé la société Continental Automotive France à le licencier.

Par un jugement n° 12005476 du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 15BX01957 du 11 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Continental Automotive France, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. C....

Par une décision n° 418025 du 25 novembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. C..., a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 juin 2015 et le 5 janvier 2017, la société Continental Automotive France, représentée par la SELARL Juris Publica, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 avril 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Toulouse ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le remboursement de la somme mise à sa charge en première instance au titre des mêmes dispositions ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'existence d'un délit d'entrave est inopérant ;

- le moyen tiré du défaut de caractère contradictoire de l'enquête est pour partie inopérant et pour partie non fondé ;

- la décision du 25 octobre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. C... pour insuffisance professionnelle est suffisamment motivée ;

- le principe de non bis in idem n'a pu être méconnu dès lors qu'il est inapplicable dans le cadre d'un licenciement pour insuffisance professionnelle ;

- elle a rempli son obligation de reclassement lequel était, d'une part, impossible à effectuer et, d'autre part, empêché par M. C... qui a refusé de participer au processus.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 novembre 2015 et le 20 janvier 2017, M. C..., représenté par la SCP Dumaine-Rodriguez, conclut au rejet de la requête de la société Continental Automotive France et à ce que soit mise à la charge de cette dernière la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Continental Automotive France ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 5 janvier 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 27 janvier 2017.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire, enregistré le 16 décembre 2019, M. C..., représenté par la SCP F...-Delord-Rodriguez, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel présentée par la société Continental Automotive France ;

2°) de confirmer le jugement du 9 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 25 octobre 2012 de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de tout succombant la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le délit d'entrave est caractérisé à raison de sa mise à pied conservatoire en dehors de toute commission d'une faute grave et de son absence de réintégration ;

- la décision de l'inspectrice du travail a été prise aux termes d'une enquête non contradictoire dès lors que ladite inspectrice ne lui a pas communiqué l'ensemble des éléments transmis par son employeur dans le cadre de ses deux demandes d'autorisation de licenciement des 11 mai 2012 et 17 juillet 2012, lui a communiqué une copie tronquée de la demande d'autorisation de licenciement de l'employeur du 17 juillet 2012, ne l'a pas mis en situation de répondre à la totalité des éléments retenus par son employeur, n'a pas procédé à l'audition de témoins ni organisé de confrontations, ne lui a communiqué aucune pièce dans le cadre de l'examen du recours gracieux, ne lui a pas communiqué les pièces transmises par son employeur à l'appui de sa demande de licenciement dont il n'a pas été tenu informé et qu'il n'a pas été invité à consulter et ne lui a pas demandé de produire ses observations écrites sur la question de la recherche de reclassement ;

- cette décision est entachée d'un défaut de motivation quant à la recherche de reclassement, l'insuffisance professionnelle, l'absence de lien avec son mandat de conseiller prud'homal et la règle non bis in idem ;

- l'inspectrice du travail a méconnu la règle non bis in idem ;

- l'employeur n'a entrepris aucune recherche de reclassement préalablement à l'engagement de la procédure de licenciement ;

- l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation sur l'existence d'un lien entre le licenciement et le mandat de représentation ;

- l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation sur l'insuffisance professionnelle.

Par un mémoire, enregistré le 9 mars 2020, la société Continental Automotive France, représentée par la SELARL Legal et Resources, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 avril 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le remboursement de la somme mise à sa charge en première instance au titre des mêmes dispositions ainsi que les entiers dépens.

Elle réitère les moyens soulevés avant cassation auxquels elle ajoute que :

- le licenciement de M. C... était dépourvu de tout lien avec son mandat représentatif ;

- l'inspectrice du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation sur l'insuffisance professionnelle de M. C....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 5 octobre 2020 :

- le rapport de Mme D... B... ;

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la société Continental Automotive France et de Me F... représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. La société Continental Automotive France a engagé M. C... le 20 septembre 2010, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, pour y exercer les fonctions de directeur des ressources humaines. Après le rejet, le 20 juin 2012, d'une demande de licenciement pour faute de M. C..., titulaire d'un mandat de conseiller prud'homal, la société Continental Automotive France a sollicité le 17 juillet 2012 l'autorisation de licencier ce même salarié pour insuffisance professionnelle, demande reçue le 18 juillet 2012 par l'inspection du travail. Saisie d'un recours gracieux formé contre sa décision du 13 septembre 2012 rejetant cette seconde demande au motif que " la demande d'autorisation présentée ne contient aucun élément quant à la réalisation d'une recherche de reclassement de Yannick C... au sein du groupe ", l'inspectrice du travail de la 1ère section de l'unité territoriale de la Haute-Garonne a autorisé la société Continental Automotive France à procéder à ce licenciement pour insuffisance professionnelle par une décision du 25 octobre 2012. Par un jugement du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Toulouse a annulé pour excès de pouvoir cette décision. Par un arrêt du 11 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Continental Automotive France, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. C.... Le Conseil d'Etat a annulé ce dernier arrêt par une décision du 25 novembre 2019 et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur la légalité de la décision attaquée :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle, il appartient à l'inspecteur du travail et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence. A l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, les articles R. 2421-4 et R. 2121-11 du code du travail disposent que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".

3. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions du code du travail qui viennent d'être citées impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif d'insuffisance professionnelle, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié soit susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. Ce n'est que lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

4. Il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de l'enquête contradictoire menée par l'inspectrice du travail à la suite de la demande du 17 juillet 2012 d'autorisation de licenciement pour insuffisance professionnelle présentée par la société Continental Automotive France et reçue par l'inspection du travail le 18 juillet 2012, M. C... a été rendu destinataire de cette demande. Cette dernière renvoie, au titre de la " Mauvaise exécution de ses tâches ", à 13 documents contenus dans une annexe IX et exposant différentes insuffisances reprochées à M. C... au titre de ses " Prises de décisions illégales ou risquées pour l'entreprise du fait de ses lacunes techniques ", à une annexe XI au titre de son " Incapacité à prendre des décisions, absence de pilotage et d'anticipation ", à une annexe IV au titre de sa méconnaissance des mécanismes propres au dialogue social et à la négociation dans le cadre des " Relations avec les partenaires sociaux ", à une annexe VIII au titre de ses insuffisances managériales caractérisées par des " Délégations anormales et inefficaces de ses responsabilités et tâches ", aux annexes VI et X au titre des mêmes insuffisances caractérisées par une " Absence de support et de soutien à ses collaborateurs au détriment de la cohésion d'équipe ", à des annexes II, X, XIII au titre de son incapacité à répondre aux courriels reçus dans le cadre de son périmètre professionnel, à une annexe III au titre de son " Niveau anormalement bas des résultats 2011 ", à une annexe IX et à une annexe VII relative à un " Audit interne 2012 et dysfonctionnements de la RH directement imputable à Monsieur E... C... " mettant en " évidence les graves dysfonctionnements du service RH et la responsabilité personnelle de Monsieur E... C... dans cette situation " et enfin à une annexe XII s'agissant de la " Perte de crédit vis à vis du personnel ". Or il ressort des pièces du dossier qu'à l'exception de l'unique feuillet " portant sur l'appréciation des résultats du salarié en 2011 " sur lequel M. C... a pu débattre lors de l'entretien du 4 octobre 2012 avec l'inspectrice du travail, laquelle dans sa décision contestée a écarté ce grief de l'employeur au motif que ces résultats " ne relevaient pas uniquement [du] périmètre d'action " de M. C..., ce dernier n'a été mis à même de prendre connaissance d'aucune de ces annexes, notamment de celle relative à " l'Audit interne 2012 " mentionné par l'inspectrice du travail dans sa décision contestée, et, par suite, des agissements contenus dans ces annexes qui lui étaient reprochés. La circonstance que M. C... a pu connaître le contenu de certaines pièces mentionnant certains des griefs susmentionnés pour lesquels, en retour à une demande d'éclaircissement de l'inspectrice du travail, il a répondu dans un courrier du 10 août 2012, n'est pas de nature à exonérer l'inspectrice du travail de l'obligation qui pèse sur elle.

5. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

6. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société Continental Automotive France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 25 octobre 2012.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens. Ces dispositions font obstacle aux conclusions de la société Continental Automotive France, également partie perdante, présentées au même titre pour obtenir le remboursement de ses frais exposés en première instance et en appel. Aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente espèce, la société Continental Automotive France n'est, en tout état de cause, pas fondée à demander à ce que les entiers dépens soient mis à la charge de M. C....

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Continental Automotive France est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Continental Automotive France, à M. E... C... et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme D... B..., présidente-assesseure,

Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 novembre 2020.

Le rapporteur,

Karine B...Le président,

Dominique Naves

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX04439 2


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