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13/10/2020 | FRANCE | N°19BX04510

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 13 octobre 2020, 19BX04510


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F... épouse I... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 26 septembre 2019 par laquelle la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorité espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement nos 1904948 et 1904949 du 23 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 novembre 2019 et le 27 janvier 2020, Mme I... A.

.., représentée par Me K..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F... épouse I... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 26 septembre 2019 par laquelle la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorité espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement nos 1904948 et 1904949 du 23 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 novembre 2019 et le 27 janvier 2020, Mme I... A..., représentée par Me K..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision de la préfète de la Gironde du 26 septembre 2019 ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de prendre en charge sa demande d'asile et de l'enregistrer en procédure normale ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'erreur de droit commise par la préfète de la Gironde qui a fondé sa décision de transfert sur une reprise en charge par l'Espagne au titre des articles 3-2 et 18.1 b) à d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, alors que lui étaient applicables les articles 8 à 15 de ce même texte relatifs à la prise en charge d'un ressortissant étranger n'ayant pas encore formé de demande d'asile ;

- la décision de la préfète de la Gironde est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- la décision attaquée est entachée d'un défaut d'information et méconnaît les articles 4 et 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ainsi que l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'elle omet de mentionner les modalités de prolongation du délai de transfert en cas de recours contentieux ;

- elle lui a été notifiée dans des conditions irrégulières et méconnaissant l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de l'assistance d'un interprète par téléphone, dont il n'est pas établi que l'entreprise qui l'emploie était alors agréée par le ministère de l'intérieur ;

- la date et l'heure de notification indiquées sur la décision attaquée, identiques à ceux mentionnés pour son époux reçu séparément, révèlent que son droit à l'information a été méconnu, le résumé de ses droits ne pouvant être correctement effectué en moins d'une minute ;

- l'entretien individuel au cours duquel elle a été entendue n'a pas été conduit par un agent qualifié régulièrement désigné et s'est déroulé sans le concours nécessaire d'un interprète d'une société agréée, ce qui l'a empêché de formuler les observations qu'elle souhaitait ;

- les fiches décadactylaires Eurodac produites par la préfète de la Gironde mentionnent une date erronée de transmission à l'unité centrale de ses empreintes relevées par les autorités espagnoles, et l'administration ne justifie pas que les empreintes concernées sont bien les siennes ;

- les dates de prélèvement et de transmission de ses empreintes à l'unité centrale présentent des incohérences ;

- contrairement à ce qu'a retenu la préfète de la Gironde, elle n'a pas déposé de demande d'asile en Espagne ;

- c'est ainsi à tort que la préfète a saisi les autorités espagnoles d'une demande de reprise en charge sur le fondement des articles 3-2 et 18.1 b) à d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- faute pour la préfète de lui avoir communiqué des éléments suffisamment probants relatifs au relevé de ses empreintes en Espagne, la procédure méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la procédure est également irrégulière faute d'éléments indiquant les dates de réception du résultat positif Eurodac, de production de la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises et de l'accord explicite donné par les autorités espagnoles ;

- compte tenu des délais écoulés, il y a lieu de regarder la France comme le pays responsable de l'examen de sa demande d'asile ;

- la décision attaquée méconnaît le préambule du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dans ses § 15 et 16, ainsi que ses articles 9,10 et 11, dès lors que les parents et les frères et soeur de son conjoint ont pu y faire enregistrer leurs demandes d'asile selon la procédure normale ;

- elle méconnaît également l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la préfète, en considérant qu'elle ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation et a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle compte tenu de l'état de santé de son époux, des nombreux membres de sa famille présents en France, et de la scolarisation de ses trois enfants ;

- son éventuel renvoi en Syrie par les autorités espagnoles méconnaîtrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme I... A... ne sont pas fondés.

Mme I... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... G...,

- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteur public,

- et les observations de Me K..., représentant Mme I... A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme I... A..., ressortissante syrienne née le 1er avril 1993, est entrée en France, selon ses déclarations, au mois de juin 2019 avec son époux et leurs trois enfants afin d'y solliciter l'asile. La consultation des données de l'unité centrale Eurodac lors de l'instruction de cette demande ayant révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées en Espagne, la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles par une décision du 26 septembre 2019. Mme F... épouse I... A... relève appel du jugement nos 1904948 et 1904949 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. La préfète a informé la cour que Mme I... A... ne s'étant pas présentée à ses rendez-vous, elle a été déclarée en fuite, et que les autorités espagnoles ont été informées que le délai d'exécution de la mesure a été porté à 18 mois.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme I... A... soutient que les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise la préfète de la Gironde en édictant à son encontre une décision de reprise en charge sur le fondement des articles 3-2 et 18.1 b) à d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui ne lui étaient pas applicables dès lors qu'elle n'a pas demandé l'asile sur le territoire espagnol. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'un tel moyen n'a pas été soulevé en première instance. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'un défaut de réponse à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

4. La décision attaquée mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et indique que Mme I... A... a présenté une demande d'asile en Espagne le 15 mai 2019 et que son transfert aux autorités de cet Etat résulte de l'application de l'article 18 1. b) du règlement. Elle est, dès lors, suffisamment motivée.

5. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des termes de la décision attaquée, qui n'avait pas à reprendre l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressée, que la préfète n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.

6. Mme I... A... ne peut utilement soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait les articles 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 faute de mentionner les modalités de prolongation du délai de transfert en cas de recours contentieux, dès lors que ces dispositions n'imposent pas la présence d'une telle mention dans une décision de transfert.

7. La requérante ne saurait davantage se prévaloir utilement de la méconnaissance de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui est relatif à la notification d'une décision de transfert, ni de ce que la décision attaquée lui a été notifiée dans des conditions irrégulières, les conditions de notification d'une décision administrative étant dépourvues d'influence sur la légalité de cette décision.

8. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013: " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme I... A... a été reçue le 17 juin 2019 dans les locaux de la préfecture de la Gironde afin de bénéficier de l'entretien individuel requis par les dispositions précitées, au cours duquel elle a pu présenter tous les éléments utiles à l'appui de sa demande d'asile, et qu'elle a bénéficié tout au long de la procédure de l'assistance d'un traducteur en langue arabe, qu'elle a déclaré comprendre et lire. Mme I... A... n'est pas fondée à se prévaloir de l'irrégularité de la procédure au motif que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone, comme le permettent les dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans que la préfète n'en justifie la nécessité, dès lors que les modalités techniques du déroulement de l'entretien ne l'ont pas privée de la garantie liée au bénéfice d'un interprète. En outre, la requérante n'explicite pas en quoi les conditions du déroulement de cet entretien l'auraient empêchée de formuler l'ensemble des observations qu'elle estimait nécessaires. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'à la date où l'entretien a été conduit, le 17 juin 2019, la société AFTCOM employant l'interprète ayant prêté son concours s'était vu accorder un agrément en qualité d'organisme d'interprétariat et de traduction à compter du 2 mai 2019, par une décision du ministre de l'intérieur du 23 avril 2019. Dès lors, le moyen tiré de ce que les conditions du recours à un interprète lors de l'entretien prévu par les dispositions précitées entacheraient d'irrégularité la procédure doit être écarté.

10. Mme I... A... soutient que la qualification de l'agent ayant conduit l'entretien n'est pas établie, mais n'apporte aucun élément permettant de contester les mentions portées sur le compte-rendu de l'entretien qui indiquent que l'agent de la préfecture de la Gironde concerné, dont l'identité est précisée, était bien qualifié.

11. La circonstance que la date de transmission des empreintes de Mme I... A... à l'unité centrale Eurodac par les autorités espagnoles indiquée sur la fiche décadactylaire produites au dossier par la préfète de la Gironde serait erronée, ce qui n'est au demeurant pas établi, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté, qui n'intervient pas automatiquement sur le fondement de ce relevé mais résulte uniquement de l'acceptation de ce transfert par l'État compétent. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les fiches décadactylaires produites par la préfète de la Gironde ne concerneraient pas la requérante, qui ne nie pas avoir fait l'objet d'un relevé de ses empreintes en Espagne.

12. Il ressort des pièces du dossier que Mme I... A... a été identifiée dans le fichier Eurodac, à la suite du relevé de ses empreintes, comme relevant de la catégorie 1, soit comme ayant préalablement déposé une demande d'asile, et que les autorités espagnoles ont expressément accepté de la reprendre en charge en application des dispositions de l'article 18 1. b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que Mme F... épouse I... A... a déposé une demande d'asile en Espagne contrairement à ce qu'elle soutient sans assortir son moyen d'aucune précision. Le moyen tiré de ce que la préfète de la Gironde se serait, à tort, fondée sur les dispositions de l'article 18 1. b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 pour décider son transfert aux autorités espagnoles doit donc être écarté.

13. Mme I... A... soutient que la décision attaquée méconnaîtrait l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 faute pour la préfète de lui avoir communiqué des éléments suffisamment probants relatifs au relevé de ses empreintes décadactylaires en Espagne. Toutefois, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'imposer une telle obligation à l'autorité administrative qui décide du transfert d'un ressortissant d'un Etat tiers aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par ailleurs, aucune disposition n'impose au préfet de communiquer au demandeur d'asile, avant l'édiction d'une décision de transfert, les dates de réception du résultat positif Eurodac, de production de la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises et de l'accord explicite donné par les autorités espagnoles.

14. Aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale au sens de l'article 20, paragraphe 2. / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. ". L'article 25 du même règlement prévoit : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ". Enfin, aux termes de l'article 29 du même texte : " Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé (...) / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

15. Il ressort des pièces produites par la préfète de la Gironde devant le tribunal que la réception d'un résultat positif Eurodac à la suite du relevé des empreintes de la requérante date du 14 juin 2019, la demande de reprise en charge a été adressée aux autorités espagnoles le 26 juillet suivant et cet Etat a donné son accord à cette reprise en charge le 30 juillet 2019. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'à la date de la décision attaquée, le 26 septembre 2019, l'écoulement des délais avait rendu la France responsable de l'examen de sa demande d'asile.

16. Mme I... A... fait valoir que ses beaux-parents ont obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en France et que son beau-frère et sa belle-soeur voient leur demande d'asile examinée en France selon la procédure normale. Toutefois, elle ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des articles 9, 10 et 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, au demeurant applicables à la détermination de l'Etat responsable lorsqu'une demande d'asile n'a pas déjà été enregistrée dans un autre Etat membre, dès lors qu'il résulte du g) de l'article 2 du même règlement que, pour l'application des dispositions précitées à une personne majeure, seuls le conjoint ou les enfants mineurs du demandeur présents sur le territoire des États membres ont la qualité de membres de sa famille. Elle ne peut en outre utilement se prévaloir de la méconnaissance du préambule, qui est dépourvu de caractère obligatoire.

17. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

18. Mme I... A... n'était présente sur le territoire français que depuis quelques semaines à la date de la décision attaquée et il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que son époux, qui faisait également l'objet d'une décision de transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile, et ses enfants, l'accompagnent en Espagne. En outre, la requérante ne peut utilement faire valoir sa grossesse, postérieure à la décision attaquée. Dans ces conditions, quand bien même ses beaux-parents sont bénéficiaires de la protection subsidiaire en France et que sa soeur ainsi que son beau-frère et sa belle-soeur séjournent en France durant l'examen de leur demande d'asile, la préfète n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a pris la décision attaquée et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

19. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ; L'état membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit.". Il résulte de ces dispositions que si le préfet peut refuser l'admission au séjour d'un demandeur d'asile au motif que la responsabilité de l'examen de cette demande relève de la compétence d'un autre Etat membre, il n'est pas tenu de le faire et peut autoriser une telle admission au séjour en vue de permettre l'examen d'une demande d'asile présentée en France.

20. Mme I... A... expose être bien intégrée en France, où ses enfants sont scolarisés et où son époux bénéficie d'un suivi médical. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les problèmes de santé allégués par la requérante feraient obstacle au transfert de son époux aux autorités espagnoles, ni que celles-ci ne seraient pas en mesure d'assurer une prise en charge médicale équivalente à celle dont il bénéficie en France. Par ailleurs, les documents produits par la requérante ne sauraient suffire à établir que sa demande d'asile ne pourrait être correctement instruite par les autorités espagnoles. Dans ces conditions, quand bien même les beaux-parents de la requérante ainsi que sa soeur vivent en France, la préfète de la Gironde n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la faculté prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 précitées.

21. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

22. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté dès lors que le transfert de Mme I... A... aux autorités espagnoles n'implique pas, par lui-même, son éloignement vers son pays d'origine et qu'il ne ressort des pièces du dossier aucun élément permettant de douter que sa demande d'asile sera traitée par les autorités espagnoles dans le respect des droits fondamentaux.

23. Il résulte de tout ce qui précède que Mme I... A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions de la requête à fin d'injonction et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... épouse I... A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F... épouse I... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme J... H..., président,

Mme B... D..., présidente-assesseure,

Mme C... G..., conseillère.

Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.

La rapporteure,

Kolia G...

Le président,

Catherine H...

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 19BX04510


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04510
Date de la décision : 13/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : DE VERNEUIL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-10-13;19bx04510 ?
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