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12/10/2020 | FRANCE | N°20BX01091

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 12 octobre 2020, 20BX01091


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel elle a été assignée à résidence.

Par un jugement n° 1905261 du 18 septembre 2019, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Toulouse, après avoir admis Mme F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle pro

visoire, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel elle a été assignée à résidence.

Par un jugement n° 1905261 du 18 septembre 2019, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Toulouse, après avoir admis Mme F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2020, Mme A... F..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces arrêtés du 12 septembre 2019 du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant transfert aux autorités espagnoles :

- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait et d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation, dès lors que le préfet omet de mentionner des éléments relatifs à son état de santé, dont il avait pourtant connaissance ;

- elle méconnaît l'article 17.1 du règlement (UE) n° 604/2013 dans la mesure où elle souhaite que sa demande d'asile soit examinée en France, car elle n'a reçu aucune aide en Espagne où elle a été victime de racisme et se trouvera en état de complet isolement en Espagne avec son enfant. Par ailleurs, le préfet n'ayant pas informé les autorités espagnoles de son état de grossesse pathologique, elles ne pouvaient donner de garanties suffisantes sur sa prise en charge. Le préfet ne disposait pas d'éléments suffisants pour garantir qu'en cas de renvoi vers l'Espagne, elle serait prise en charge de manière adaptée tant en attendant son accouchement qu'après la naissance de son enfant ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet s'étant estimé lié par la seule circonstance que sa demande d'asile semblait relever des autorités espagnoles.

S'agissant de la décision portant assignation à résidence :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile ;

- elle n'est pas nécessaire et est disproportionnée.

Mme F... a été admise à l'aide juridictionnelle totale le 27 février 2020.

Par un courrier en date du 15 avril 2020, une mesure d'instruction a été diligentée par la Cour aux fins de savoir si la décision de transfert attaquée a été exécutée et si le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a couru à compter de la date à laquelle le tribunal administratif a statué, a fait l'objet d'une décision de prolongation.

Par un courrier du 26 mai 2020, le préfet de la Haute-Garonne a indiqué que le délai de transfert avait fait l'objet d'une décision de prolongation.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat-membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats-membres par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... F..., ressortissante guinéenne née le 18 janvier 1994 à Conakry (Guinée), déclare être entrée irrégulièrement en France le 13 mai 2019. A l'occasion de l'enregistrement de son dossier complet de demande d'asile, le 5 juin 2019, les services préfectoraux ont constaté qu'elle avait fait l'objet d'un contrôle de police en Espagne le 23 juillet 2018. Le 13 juin 2019, le préfet de la Haute-Garonne a adressé aux autorités espagnoles une demande de reprise en charge de Mme F... en application des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités espagnoles ont acceptée par un accord du 21 juin 2019. Par deux arrêtés en date du 12 septembre 2019, le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence. Mme F... a demandé l'annulation de ces arrêtés au tribunal administratif de Toulouse. Par un jugement du 18 septembre 2019, dont elle relève appel, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur la légalité des arrêtés du 12 septembre 2019 :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date du 12 septembre 2019 à laquelle l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles a été pris, Mme F... était enceinte depuis la mi-mars 2019 et que le terme théorique de sa grossesse était prévu le 15 décembre 2019. Il ressort des certificats médicaux établis par deux médecins du pôle gynécologique obstétrique de l'hôpital Joseph Ducuing situé à Toulouse, les 9 août, 30 août et 10 septembre 2019, et de l'attestation d'une sage-femme de Protection Maternelle et Infantile (PMI) du 6 septembre 2019, dont rien ne permet de douter de leur valeur probante et de leur objectivité, que Mme F... est atteinte d'une grossesse pathologique accompagnée de contractions douloureuses nécessitant de programmer une césarienne avant le terme théorique de l'accouchement et que celle-ci ne lui permet pas de voyager. Dans ces conditions, alors même que le préfet de la Haute-Garonne avait été informé de l'état de grossesse pathologique de l'intéressée, avant de prendre son arrêté portant transfert de Mme F... aux autorités espagnoles, il a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'usant pas de la faculté que lui reconnaissent les dispositions précitées de l'article 17. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse n'a pas annulé l'arrêté du 12 septembre 2019 décidant son transfert vers l'Espagne et, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour l'assignant à résidence. Il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement et les arrêtés en litige.

Sur les conclusions à fin d'injonction

4. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat (...). ". L'article L. 741-2 du même code prévoit : " Lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence de la France, l'étranger introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat. L'autorité administrative compétente informe immédiatement l'office de l'enregistrement de la demande et de la remise de l'attestation de demande d'asile. L'office ne peut être saisi d'une demande d'asile que si celle-ci a été préalablement enregistrée par l'autorité administrative compétente et si l'attestation de demande d'asile a été remise à l'intéressé. ".

5. En l'espèce, compte tenu du motif d'annulation de l'arrêté de transfert, le présent arrêt implique que le préfet de la Haute-Garonne délivre à Mme F... une attestation de demande d'asile, dans un délai d'un mois, à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

6. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser au conseil de Mme F..., sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 septembre 2019 et les arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 12 septembre 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer une attestation de demandeur d'asile à Mme F... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme F.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme E... G..., présidente-assesseure,

Mme D... C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 octobre 2020.

Le rapporteur,

Déborah C...Le président,

Didier ARTUSLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX01091


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01091
Date de la décision : 12/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Séjour des étrangers - Restrictions apportées au séjour - Assignation à résidence.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-10-12;20bx01091 ?
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