Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... K... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner solidairement la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'infiltrations d'eau et de traces d'humidité à l'intérieur de sa maison à usage d'habitation. M. M... K..., héritier de Mme C... K..., décédée en cours d'instance le 15 février 2014, a repris l'instance.
Par un jugement avant dire droit du 7 février 2017, le tribunal administratif de Pau a ordonné une expertise afin de déterminer le lien de causalité entre les travaux publics d'assainissement ou les conditions d'utilisation du réseau d'assainissement et le dommage invoqué, et d'évaluer le préjudice subi.
Par un second jugement avant dire droit du 7 juillet 2017, le tribunal a étendu les opérations d'expertise à la société Bureau d'études A. et P. Dumons et à la société Scam TP.
Par un jugement n° 1401017 du 3 juillet 2018, le tribunal administratif de Pau n'a pas admis l'intervention de la société Safège, et a partiellement fait droit à la demande de M. K... en condamnant la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin à lui verser la somme de 2 080 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014 capitalisés au 14 juin 2018, mettant à leur charge solidaire les frais d'expertise dans la limite de 5 952 euros et dans la limite de 1 488 euros pour M. K..., en condamnant la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin à lui verser la somme de 2 538,70 euros au titre des dépens et la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et en rejetant l'appel en garantie formé par la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin à l'encontre des sociétés BET A. et P. Dumons et Scam TP.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 août 2018 et 3 août 2020, la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin, représentés par la SCP Personnaz - Huerta - Binet - Jambon, demandent à la cour :
A titre principal :
1°) d'annuler le jugement du 3 juillet 2018 du tribunal administratif de Pau ;
2°) de rejeter la demande de M. K... ;
3°) de mettre à la charge de M. K... les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
A titre subsidiaire :
1°) d'annuler le jugement du 3 juillet 2018 du tribunal administratif de Pau en ce qu'il a écarté leurs appels en garantie ;
2°) de condamner la société Scam TP et le bureau d'études Dumons Ingénierie à les relever indemnes de toute condamnation prononcée à leur encontre ;
3°) de mettre à la charge de la société Scam TP et du bureau d'études Dumons Ingénierie les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal s'est contenté de reprendre les allégations de M. K... qui n'ont jamais fait l'objet de vérifications par l'expert ;
- le lien de causalité direct et certain entre les travaux publics et les désordres n'est pas établi et n'a jamais été caractérisé par l'expert ; celui-ci se fonde sur une éventuelle concomitance de faits non avérés par les seules attestations produites par le demandeur pour indiquer, sans le démontrer techniquement, qu'il existerait un lien de causalité ; il omet totalement de rappeler l'historique de cette maison, et notamment le fait qu'elle a été inoccupée entre 1965 et 1990, puis que la mère de M. K... l'a habitée jusqu'en 2010 ; après cette date, et jusqu'à aujourd'hui, la maison n'a été que partiellement occupée ; M. K... reconnaît dans ses écritures de première instance que l'humidité a toujours existé et que la maison en litige était une grange qui a été transformée en maison d'habitation et que cette réhabilitation n'a pas fait l'objet de fondations ;
- il n'est techniquement pas possible que les tranchées aient favorisé la propagation et la stagnation des eaux au droit de la propriété de M. K..., ce qui aurait eu pour conséquence d'entraîner des remontées capillaires d'eau et de créer de l'humidité à l'intérieur de la maison ; aucune tranchée réalisée sous leur maîtrise d'ouvrage et aucun réseau électrique, de télécommunication ou d'eaux usées n'est en contact direct avec les fondations de l'immeuble contrairement à ce qu'a allégué M. K... lors des opérations d'expertise ; le niveau d'eau mesuré par les piézomètres se situe à un niveau très inférieur au niveau d'ancrage des fondations et du dallage de la maison ; les travaux n'ont, par ailleurs, pas porté sur les réseaux d'adduction d'eau potable ;
- aucune des maisons situées le long de l'impasse des Sources, lesquelles ont bénéficié des mêmes branchements que la maison de M. K..., ne comporte de désordres consécutifs aux travaux d'enfouissement des réseaux ;
- l'expert n'a réalisé aucune investigation aux fins de connaître la nature réelle du sol, et pas davantage d'investigation dans les canalisations ; son rapport n'est basé que sur des hypothèses ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu que " les parties basses des murs ont subi des dégradations " et l'existence de désordres tenant à la présence de salpêtre et aux taches d'efflorescence sur les ardoises au sol qui résulteraient d'inondations répétées ; l'existence de salpêtre n'est en général pas liée à une remontée d'humidité ; il s'agit d'un phénomène lié à la condensation sur un revêtement froid tel que l'ardoise ; par ailleurs, le seul fait que l'ardoise soit posée sur une dalle béton coulée sur terre-plein sur un terrain naturellement humide justifie d'éventuelles présences de salpêtre ; de plus, il a été relevé que le mur de façade adjacent à l'impasse des Sources, où ont eu lieu les travaux d'assainissement, affiche un taux de 0 % d'humidité, contrairement aux autres murs ; le taux d'humidité constaté sur les autres murs permet de conclure que l'origine des désordres est imputable à une autre cause que les travaux incriminés ;
- il n'existe, dès lors, aucun dommage anormal et spécial au sein de l'immeuble de M. K... ; l'expert lui-même indique que les phénomènes de remontée d'humidité restent dans des proportions modérées et n'empêchent pas de vivre dans l'habitation ;
- la technique de construction de la maison de M. K..., sans barrières anti remontées capillaires et sans vide sanitaire, est constitutive d'une faute de nature à exonérer la commune et le syndicat intercommunal de leur responsabilité à hauteur de 100 % ; les désordres résultent directement des travaux de transformation de la grange qui n'ont pas été conformes aux règles de l'art, la grange étant édifiée à même le sol, sans fondations ;
- la responsabilité des constructeurs en charge des travaux est engagée au titre de la garantie décennale dès lors que les dommages causés à un tiers aux travaux sont la conséquence directe de désordres affectant l'ouvrage garanti ;
- la responsabilité contractuelle des constructeurs est engagée ainsi qu'il résulte de la lecture combinée des articles 9-7-2 et 9-8 du CCAP Lot 1 Réseaux : la responsabilité de SCMA-TP est engagée en ce qu'elle aurait réalisé des tranchées rebouchées avec des gravats épais et du " tout venant " ; la responsabilité du bureau d'études Dumons Ingénierie est engagée en ce qu'il n'a pas préconisé la réalisation d'une étude géologique et a proposé une réception sans réserves alors que les désordres auraient dû être décelés ;
- la demande incidente de M. K... est irrecevable en ce qu'il sollicite la réfection du sol en ardoises, pour un montant de 9 520,16 euros, dès lors qu'une telle demande n'a pas fait l'objet d'une réclamation préalable, de sorte que le contentieux n'est pas lié ; en toute hypothèse, la décomposition ou le délitement du sol n'ont jamais été constatés ; une telle demande comportant la réalisation d'une dalle béton, serait constitutive d'un enrichissement sans cause ;
- la demande incidente de M. K... au titre de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros est également irrecevable faute de réclamation préalable ; en toute hypothèse, elle n'est pas fondée, les collectivités mises en cause ayant été réactives et ayant procédé à de nombreux travaux à la suite des premières réclamations de M. K... ; elles n'ont opposé, lors des opérations d'expertise, aucune résistance abusive et ont simplement entendu souligner l'absence de liens entre les désordres allégués et les travaux d'enfouissement réalisés ; toutes les pièces sollicitées ont été communiquées ;
- enfin, la demande au titre du préjudice moral est pareillement irrecevable, pour les mêmes motifs que précédemment, et n'est, de toute façon, pas fondée ;
- les demandes en injonction ne pourront qu'être rejetées, compte tenu de l'absence de lien de causalité entre les dommages et les travaux réalisés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 janvier 2019 et le 20 août 2020, M. G... K... venant aux droits de son père décédé, représenté par Me Larrouy-Castera, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de Sarrancolin et du Syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin et par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 3 juillet 2018 en tant qu'il exonère la commune de Sarrancolin et le Syndicat intercommunal de Beyrède Ilhet Sarrancolin de leur responsabilité à hauteur de 20 % et de les condamner à réparer l'intégralité du préjudice en lui versant solidairement la somme de 25 193,53 euros à titre de dommages et intérêts, assortis des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts ;
2°) d'enjoindre à la commune de Sarrancolin et au Syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la date de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, toutes les mesures nécessaires à la cessation des infiltrations d'eau dans sa maison " selon les préconisations de l'expert et complétées par le remplacement du gravier de rebouchage de la tranchée par une terre argileuse (ou tout autre matériau ayant les mêmes caractéristiques) faisant contact avec la terre d'origine sur le dernier tiers de l'impasse après le barrage réalisé en 2013 suivi d'un drain tel que préconisé par l'expert sous canalisation, jusqu'à la route nationale " ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Sarrancolin et du Syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin le versement à son profit de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- en sa qualité d'héritier unique, il peut reprendre l'instance ;
- les requérants ne soulèvent aucun argument sérieux de nature à remettre en cause l'appréciation de l'expert et du tribunal administratif sur la réalité du lien de causalité entre les dommages et les remontées par capillarité du fait de la présence d'eau dans les tranchées réalisées dans l'impasse de Sources ; ce lien de causalité est établi ;
- la maison était parfaitement saine avant les travaux ;
- la commune et le syndicat, qui ont fait réaliser des travaux impasse des Sources sans connaître la nature du sol, sont particulièrement mal venus de critiquer dans l'expertise l'absence d'une étude qu'ils auraient dû eux-mêmes réaliser avant de procéder aux travaux au droit de la maison de la famille K... ;
- les désordres sont établis, ils ne trouvent pas leur origine dans le procédé de construction ainsi que le démontre la maison voisine construite selon ce procédé qui est exempte de désordres ;
- il n'est pas démontré que les désordres concernant les ardoises trouvent leur origine dans la condensation ainsi que l'a relevé l'expert ;
- contrairement aux dires des requérants à aucun moment le rapport d'expertise ne reprend l'affirmation selon laquelle " Monsieur K... a toujours indiqué que cette humidité avait toujours existé " ;
- les désordres résultent exclusivement des travaux réalisés par les appelantes et il n'existe aucune cause du dommage de nature à exonérer les appelantes de leurs responsabilités ;
- il justifie par la production d'un constat d'huissier d'un préjudice matériel résultant du délitement des ardoises ;
- le préjudice moral estimé par les premiers juges est sous-évalué alors que les désordres au sein de sa maison ont débuté en 2011, soit il y a plus de 7 ans, qu'une première expertise contradictoire a eu lieu par laquelle la responsabilité de la commune et du syndicat a été retenue et reconnue par le maire et le président de ces collectivités, et qu'il a rencontré des difficultés nécessitant la saisine de la commission d'accès aux documents administratifs pour obtenir des éléments sur les marchés exécutés ;
- dans le présent dossier tous les éléments requis sont réunis pour qu'il soit enjoint à la commune de Sarrancolin et au syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin d'avoir à réaliser les travaux de nature à mettre un terme aux désordres qu'il subit et qui perdurent, au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Par un mémoire enregistré le 14 août 2019, la société Scam TP, représentée par Me B..., demande à la cour, à titre principal de rejeter la requête de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin, de mettre à la charge solidaire de la commune et du syndicat les entiers dépens ainsi que le versement à son profit de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, de condamner la société Bureau d'études A et P Dumons à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre et de mettre à la charge de cette société les entiers dépens ainsi que le versement à son profit de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la demande en garantie formée par la commune et le syndicat ne saurait aboutir dans la mesure où le dommage anormal n'est pas caractérisé et le lien de causalité entre les désordres et les travaux n'est pas établi ;
- cette demande ne peut être accueillie dès lors que les réserves ont été levées ;
- la commune et le syndicat, qui ne produisent pas le CCAP, ne démontrent pas qu'il pourrait servir de fondement à leur demande subsidiaire en garantie ;
- les premiers juges n'ont pas abordé la question de la qualification des dommages invoqués par M. K... et n'ont pas démontré l'anormalité des dommages subis ;
- les prétendus dommages invoqués par M. K... ne le privent pas d'user normalement de ses droits de propriétaire du bien ; il n'a, en l'espèce, subi aucun dommage anormal ;
- les fautes commises par la famille K..., aux droits de laquelle vient M. K..., sont intégralement à l'origine des dommages subis ; l'immeuble constitue une ancienne grange édifiée à même le sol, qui ne dispose donc d'aucune barrière anti-remontées capillaires, cet immeuble ayant été de surcroît édifié à base de pierres et de chaux sans vide sanitaire ; M. K... a, en l'espèce, commis une faute exonérant totalement les parties qu'il estime responsables ;
- elle ne serait jamais intervenue si la société Bureau d'études A et P Dumons, maître d'oeuvre, avait fait réaliser les études techniques, géologiques ou d'impact idoines permettant de prévoir et prévenir les éventuelles répercussions des travaux sur les immeubles voisins.
Par des mémoires, enregistrés le 5 septembre 2019 et le 25 août 2020, la société SAS BET Dumons, représentée par Me Tricart, conclut à titre principal au rejet de la requête formée par la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin en ce que les appelants demandent à ce qu'elle les garantisse de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre, à titre subsidiaire, de réformer le jugement et de rejeter la demande de M. K..., à titre très subsidiaire, à ce que l'entreprise Scam TP la garantisse de l' ensemble des condamnations prononcées à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge des parties perdantes le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'appel en garantie de la commune et du syndicat est irrecevable ; la réception en date du 14 décembre 2012 doit être regardée comme étant sans réserve ; les clauses contractuelles invoquées par la commune et le syndicat intercommunal ne sont pas versées aux débats si bien que leur contenu allégué n'est pas démontré ; il n'est invoqué aucune manoeuvre dolosive ou frauduleuse ; l'ouvrage à la construction duquel elle a participé n'est pas atteint de désordre ;
- les dommages allégués par M. K... ne sont pas anormaux ;
- il n'y a pas de lien de causalité entre les désordres allégués et les travaux d'enfouissement des réseaux et de mise en place des réseaux d'eaux usées et pluviales, dont aucune fuite n'a été constatée ;
- les désordres allégués ne lui sont pas imputables, alors qu'il a suivi les préconisations du BET Alios pour le remblayage des tranchées, et que l'expert n'a pas accédé à sa demande de mise en cause de ce bureau d'études géotechniques ;
- l'entreprise SCAM TP qui a réalisé les tranchées devrait le garantir intégralement ;
- le procédé constructif de l'ancienne grange est constitutif d'une faute exonératoire de responsabilité pour les défendeurs ;
-les travaux préconisés par l'expert ne peuvent être entérinés dès lors qu'une partie est purement privée et l'autre devrait être appuyée sur une étude géotechnique que l'expert n'a pas réalisée.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrede Ilhet Sarrancolin n'ayant pas précisé en première instance le fondement de leurs appels en garantie, ils ne sont pas recevables à invoquer, pour la première fois en appel, la responsabilité décennale des constructeurs et la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre au regard de son obligation de conseil lors des opérations de réception.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier,
- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,
- les observations de Me Larrouy-Castera, représentant M. K..., et de Me Tricart, représentant la SAS bureau d'étude A. et P. Dumons.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... K..., propriétaire d'une maison située 6, impasse des Sources à Sarrancolin (Hautes-Pyrénées) qu'elle occupait depuis 1990, a constaté au mois de septembre 2011 la survenue d'infiltrations et de traces d'humidité à la fois sur la façade et à l'intérieur de son habitation. Soutenant que ces désordres sont apparus après la réalisation de travaux publics effectués plus tôt au cours de l'année 2011 par le syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin (BIS) et par la commune de Sarrancolin, elle a saisi le tribunal administratif de Pau afin d'obtenir la réparation des préjudices subis. Par un jugement du 7 février 2017, le tribunal administratif de Pau a décidé de faire procéder à une expertise, sur la demande présentée par M. M... K..., reprenant l'instance introduite par sa mère dont le décès est survenu le 15 février 2014. Par un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal a étendu les opérations d'expertise à la société Bureau d'études A. et P. Dumons et à la société Scam TP. L'expert a déposé son rapport le 28 mars 2018, concluant que les travaux ont contribué aux venues d'eau à l'origine des dommages.
2. La commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal de BIS relèvent appel du jugement du 3 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Pau a retenu leur responsabilité à hauteur de 80 % des dommages et les a notamment condamnés solidairement à verser à M. K... la somme de 2 080 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2014, capitalisés au 14 juin 2018, a mis à leur charge solidaire les frais d'expertise dans la limite de 5 952 euros, les a condamnés à verser au requérant la somme de 2 538,70 euros au titre des dépens et a rejeté leurs appels en garantie formés à l'encontre des sociétés BET A. et P. Dumons et Scam TP. M. G... K..., venant aux droits de son père décédé le 22 novembre 2018, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures et à titre incident, de réformer le jugement et de condamner solidairement les appelants à réparer l'intégralité du préjudice subi en lui versant la somme de 25 193,53 euros, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, et d'enjoindre à la commune de Sarrancolin et au syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrede Ilhet Sarrancolin de prendre toutes les mesures nécessaires à la cessation des infiltrations d'eau dans sa maison.
Sur la responsabilité :
3. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.
4. Il résulte de l'instruction que les désordres qui ont affecté la maison d'habitation de M. K... sont survenus à la suite des travaux publics réalisés sous la maîtrise d'ouvrage du syndicat BIS et de la commune de Sarrancolin en septembre 2011, qui ont consisté à creuser trois tranchées le long de l'impasse des Sources, la première pour les réseaux d'eaux usées et les deux suivantes pour le réseau d'évacuation des eaux pluviales, ainsi que trois tranchées secondaires, perpendiculaires aux précédentes, au droit de la maison de M. K..., en vue de procéder à l'enfouissement des réseaux d'eaux usées, de télécommunications et d'électricité. M. K... ayant déclaré un dégât des eaux à son assureur, un constat contradictoire en présence de la commune et du syndicat a conclu le 7 décembre 2011 que " lors des travaux d'enfouissement, des tranchées ont été creusées perpendiculairement à la tranchée principale. L'une de ces tranchées draine l'eau de la nappe existante sous l'enrobé de l'impasse des Sources, sous l'habitation de Mme K..., générant des remontées capillaires par le sol du salon ". Il résulte également de l'instruction, et notamment du diagnostic de sinistre de dégât des eaux dressé par un architecte DPLG en novembre 2012 à la suite de l'expertise ordonnée par la compagnie d'assurance de M. K... et de la réunion amiable à laquelle étaient notamment présents le maire de la commune et des représentants de la SCAM et du BET Dumons, que les tranchées, comblées par des gravats en lieu et place de l'argile originelle qui assurait une imperméabilité naturelle du sol, sont à l'origine d'un phénomène de remontées capillaires d'eau ayant entraîné l'humidité à l'intérieur de la maison de M. K... et la formation de salpêtre et de taches sur les murs et les sols. L'expert judiciaire désigné par le tribunal administratif reconnaît également que les tranchées perpendiculaires réalisées seulement au droit de la maison en cause ont joué comme générateurs de l'arrivée d'eau vers la maison et comme exhausteurs de l'humidité existante dans le sol. Il résulte notamment des nombreux témoignages joints au dossier, que l'expert et le tribunal pouvaient utilement retenir, et de la comparaison des photographies de l'intérieur de la maison sur la période des années 2007 à 2017, que l'habitation était saine et ne présentait pas de traces d'humidité avant ces travaux. Contrairement à ce que soutiennent la commune et le syndicat, il ne ressort pas des pièces qu'elles invoquent que M. K... aurait reconnu que la maison était humide auparavant. L'expert, qui a réalisé ses visites des lieux en période d'étiage, a également pris en compte des vidéos produites par M. K..., tournées pendant des périodes suivant un événement pluvieux important, montrant des regards remplis d'eau, pour souligner la nécessité de capter les eaux de résurgence dans ce secteur des sources de la commune de Sarrancolin, à proximité du bassin du Vivier et du canal de la Neste, lequel constitue, par nature, un secteur humide où il existe des circulations d'eau importantes dans le sous-sol. La circonstance que le mur au droit de l'impasse, situé au Sud, n'ait pas été constaté humide lors de ses visites, alors que les murs de refend l'étaient, n'est pas de nature à remettre en cause l'analyse des circulations d'eau à laquelle l'expert a procédé, et la commune et le syndicat ne sauraient reprocher à celui-ci, qui a expliqué son raisonnement, de n'avoir pas réalisé l'étude hydrogéologique détaillée qu'ils n'ont eux-mêmes pas ordonnée avant d'effectuer les travaux. Ne contestant ainsi pas utilement la nature argileuse du sol ni le rôle drainant des tranchées comblées en gravier, ils n'apportent aucun élément pour remettre en cause le lien reconnu par le tribunal entre les travaux et les phénomènes d'humidité constatés. La circonstance que les dommages ont été limités à des taches sur certains murs et sur les dalles d'ardoise du sol du salon n'est pas de nature à ôter au préjudice en résultant son caractère anormal et spécial. Par suite, la commune et le syndicat ne sont pas fondés à soutenir que leur responsabilité ne serait pas engagée.
5. L'expert a toutefois également estimé que l'apparition des désordres dans la maison est partiellement imputable à la circonstance que cette ancienne grange est dépourvue de fondation, et repose directement sur le sol naturel, qui était en terre battue avant son aménagement. Le tribunal a ainsi retenu, à sa suite, un défaut d'isolation favorisant les phénomènes de remontées par capillarité, pour limiter à 80 % la responsabilité du syndicat et de la commune. Ni les appelants, qui ne démontrent pas que l'absence de ventilation mécanique, alors que la maison est ventilée par plusieurs entrées et sorties d'air, ou une fréquentation épisodique après le décès de Mme K... seraient à l'origine des désordres, ni M. K..., qui ne peut utilement invoquer une attestation de sa voisine constatant l'absence de désordres dans une remise qui serait construite, selon ses dires, d'après les mêmes principes que la maison en litige, n'apportent d'éléments de nature à démontrer que ce partage procéderait d'une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce.
Sur le préjudice :
6. Lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité.
7. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 2017 applicable au litige : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) ".
8. La commune de Sarrancolin et le syndicat intercommunal d'assainissement BIS font valoir que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par M. K... concernant la réfection des ardoises du salon et son préjudice moral sont irrecevables faute de demande préalable. Toutefois, une telle fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée dès lors qu'en vertu des dispositions alors applicables de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, les conclusions présentées par Mme C... K... devant le tribunal administratif de Pau le 7 avril 2014 tendant à l'engagement de la responsabilité de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement BIS pour dommage de travaux publics sont recevables même en l'absence de demande préalable d'indemnité leur ayant été adressée.
En ce qui concerne le préjudice matériel :
9. Il résulte de l'instruction que les parties basses des murs ont subi des dégradations et que l'apparition de salpêtre et d'efflorescences a été constatée sur les ardoises posées au sol du salon de la maison. Si M. K... fait valoir, en se prévalant d'un constat d'huissier du 12 avril 2018, que les ardoises se délitent et, qu'en conséquence, elles devront être changées et non simplement nettoyées comme cela a été retenu en première instance, il ne précise pas la date de pose de ces ardoises et ne démontre pas que ce dommage serait en lien direct avec les travaux litigieux.
En ce qui concerne le préjudice moral :
10. Les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante du préjudice moral de M. K..., à raison des contraintes particulières d'organisation de la vie quotidienne imposées par la durée des désordres subis et des difficultés auxquelles il s'est heurté pour obtenir les documents nécessaires au soutien de l'instance contentieuse, en fixant l'indemnisation à la somme de 2 000 euros.
En ce qui concerne les frais d'huissier :
11. Contrairement à ce que fait valoir M. K..., c'est à bon droit que les premiers juges ont fait application du partage de responsabilité retenu pour fixer la part des frais qu'il a exposés pour la réalisation de procès-verbaux par un huissier de justice et d'un rapport d'étude par la société Dyverce mise à la charge de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Lorsque le juge administratif met à la charge d'une personne publique la réparation d'un préjudice grave et spécial imputable à des travaux publics, il ne peut user du pouvoir de lui enjoindre d'exécuter les travaux nécessaires pour mettre un terme au dommage que si le requérant fait également état, à l'appui de ses conclusions à fin d'injonction, de ce que la poursuite de ce préjudice, ainsi réparé sur le terrain de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage, trouve sa cause au moins pour partie dans une faute du propriétaire de l'ouvrage. Il peut alors enjoindre à la personne publique, dans cette seule mesure, de mettre fin à ce comportement fautif ou d'en pallier les effets.
13. Si la condamnation indemnitaire prononcée à l'encontre de la commune et du syndicat et les motifs qui en sont le support inséparable impliquent que cette commune est tenue de prendre toute mesure de nature à faire cesser les désordres constatés, s'ils perdurent après réparation, M. K... n'a pas invoqué une faute des maîtres d'ouvrage. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal a rejeté ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les appels en garantie :
En ce qui concerne les appels en garantie de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin :
14. Les requérants ne contestent pas ne pas avoir indiqué le fondement juridique de leur appel en garantie en première instance, comme l'a justement relevé le tribunal. Ils ne sont, par suite, pas recevables à invoquer pour la première fois en appel la responsabilité décennale des constructeurs et la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre au regard de son obligation de conseil lors des opérations de réception.
En ce qui concerne les appels en garantie de la société Scam TP et de la société Bureau d'études A et P Dumons :
15. Dès lors que la demande de garantie de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin, maîtres de l'ouvrage, a été rejetée, les conclusions d'appel en garantie de la société Scam TP à l'encontre de la société Bureau d'études A et P Dumons, et de cette société à l'encontre de la société Scam TP, sont dépourvues d'objet.
Sur les dépens :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune et du syndicat l'intégralité des frais d'expertise.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. K..., la société SCAM TP et le bureau d'études Dumons Ingénierie versent à la commune de Sarrancolin et au syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire droit aux demandes présentées par M. K..., la société Scam TP et la société Bureau d'études Dumons Ingénierie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise sont intégralement mis à la charge de la commune de Sarrancolin et du syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin.
Article 3 : Le jugement est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 2.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Sarrancolin, au syndicat intercommunal d'assainissement de Beyrède Ilhet Sarrancolin, à M. G... K..., à la société Scam TP et au bureau d'études Dumons Ingénierie. Copie en sera adressée à M. F..., expert.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, conseillère.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
La rapporteure,
Kolia Gallier
La présidente,
Catherine Girault
Le président-rapporteur,
Catherine GiraultLe greffier,
Virginie Guillout
Le greffier,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX03265