Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 27 février 2019 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours en fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 1902052 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 novembre 2019, M. F..., représenté par Me B... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 février 2019 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle ou une carte de séjour temporaire " salarié " ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à Me B... sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'incompétence ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen attentif de son dossier ;
- l'illégalité du refus d'autorisation de travail, non définitif, entache d'illégalité le refus de séjour qui lui a été opposé ;
- en effet, le refus d'autorisation de travail est entaché d'incompétence et d'erreur de fait et de droit ;
- il bénéficie des dispositions de l'article R. 5221-23 du code du travail permettant la délivrance d'une carte pluriannuelle ;
- le refus de titre de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme.
Par un mémoire enregistré le 2 mai 2020, la préfète de la Gironde demande à la cour de rejeter la requête de M. F....
Elle indique s'en remettre à ses écritures de première instance.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2019.
Vu :
-les autres pièces du dossier.
Vu :
-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience, en application de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme D... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., ressortissant libanais né le 20 juillet 1985, est entré en France le 28 septembre 2013. Le 6 janvier 2017, il a obtenu une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " salarié " pour travailler au sein de la société Bati-Mac 33 en tant qu'assembleur d'ouvrages en bois. Le 31 octobre 2017, il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour, sur le fondement de l'article L. 313-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) afin de se voir attribuer une carte de séjour pluriannuelle. Pendant l'instruction de sa demande, après avoir fait l'objet le 7 décembre 2017 d'un licenciement pour motif économique, M. F... a sollicité le renouvellement de son titre de séjour, sur le fondement de l'article L. 313-10 du CESEDA, en se prévalant d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu avec la société Les Milles et une Nuits en qualité de cuisinier. La demande d'autorisation de travail présentée à ce titre par son employeur a été rejetée par arrêté du 26 juin 2018, confirmé sur recours gracieux le 3 décembre 2018. Le 27 février 2019, le préfet de la Gironde a pris à l'encontre de M. F... un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. M. F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 28 juin 2019, dont M. F... relève appel, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête.
Sur la légalité du refus de séjour:
En ce qui concerne la légalité externe :
2. En premier lieu, M. Thierry Suquet, secrétaire général de la préfecture de la Gironde, signataire de l'arrêté attaqué, bénéficiait d'une délégation du préfet en date du 25 janvier 2019, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Gironde du 25 janvier 2019, à l'effet de signer les décisions de la nature de celles en litige. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la motivation de l'arrêté litigieux, que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation du requérant.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant du droit de l'intéressé d'être admis au séjour au titre du travail :
4. Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, alors applicable : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : / 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié ". (...) ".
5. En vertu du 2° de l'article L. 5221-2 du code du travail, le ressortissant étranger qui souhaite exercer une activité salariée en France doit fournir, à l'appui de sa demande de titre de séjour, formée sur le fondement des dispositions précitées du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une autorisation de travail, qui peut prendre la forme d'un visa apposé par l'autorité administrative compétente, c'est-à-dire par le préfet, sur son contrat de travail. Aux termes de l'article L. 5221-5 du code du travail : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. (...) " Enfin, l'article R. 5221-20 de ce code dispose que, pour accorder ou refuser une autorisation de travail sollicitée par un employeur aux fins de pouvoir recruter un ressortissant étranger, le préfet prend notamment en compte la situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, ainsi que les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail. En vertu du même texte, cette autorité tient aussi compte du respect par l'employeur ou l'entreprise d'accueil de la législation relative au travail et à la protection sociale.
6. En premier lieu, M. F... reprend en appel dans des termes similaires et sans critique utile du jugement, le moyen invoqué en première instance et tiré de l'incompétence du signataire de l'autorisation de travail. Il y a lieu, par adoption de motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter ce moyen.
7. Pour rejeter la demande d'autorisation de travail présentée par l'employeur de M. F... le 8 mars 2018, le préfet de la Gironde a notamment relevé dans son arrêté du 26 juin 2018 que l'intéressé travaillait déjà au sein de la société " Les mille et une nuits " depuis le 8 novembre 2017, soit en méconnaissance de la législation relative au travail, et que cette société n'avait pas justifié de ses recherches de candidats auprès des services de Pôle Emploi, alors que le métier de cuisinier ne fait pas partie des métiers " en tension " et que 2 299 demandeurs d'emploi sont inscrits à ce titre pour 246 offres en Gironde, de sorte que la difficulté à pourvoir l'emploi dont s'agit n'était pas démontrée. Alors même que les motifs tirés de ce que M. F... ne justifie d'aucune qualification et d'une expérience professionnelle en qualité de cuisinier et qu'il avait déclaré sur l'honneur ne pas travailler, sont erronés, le préfet de la Gironde aurait pris le même refus d'autorisation de travail en se fondant sur les autres motifs susmentionnés, qui ne sont entachés ni d'erreur de droit, ni d'inexactitude matérielle, ni d'erreur d'appréciation. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient M. F..., le refus de séjour en qualité de salarié qui lui a été opposé ne procède pas d'une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des articles précités du code du travail.
8. Aux termes du I de l'article L. 313-17 du CESEDA : " I. - Au terme d'une première année de séjour régulier en France (...), l'étranger bénéficie, à sa demande, d'une carte de séjour pluriannuelle dès lors que : (...) 2° Il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire./ La carte de séjour pluriannuelle porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-33 du code du travail : " (...) la validité de l'autorisation de travail (...) est prorogée d'un an lorsque l'étranger se trouve involontairement privé d'emploi à la date de la première demande de renouvellement (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de renouvellement de son titre de séjour le 31 octobre 2017, M. F... n'était pas involontairement privé d'emploi puisque son licenciement par la société Bati-Mac 33 est intervenu le 7 décembre 2017. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'à la date du refus de titre de séjour en litige, il travaillait pour la société " Les mille et une nuits " depuis le 8 novembre 2017 sans remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour dont il était précédemment titulaire. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir qu'il remplissait les conditions posées par l'article R. 5221-33 du code du travail lui permettant d'obtenir une carte de séjour pluriannuelle sur le fondement de l'article L. 313-17 du CESEDA.
10. En dernier lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. M. F... fait valoir qu'il vit depuis 6 ans en France, qu'il est inséré professionnellement, qu'il est proche de sa famille, en particulier de son frère de nationalité française, avec lequel il " partage " une pathologie cardiaque grave, le syndrome de Brugada, pour lequel il bénéficie d'un suivi et qu'il s'est marié en France avec une compatriote. Toutefois, son épouse, qui n'est pas en situation régulière sur le territoire, a la même nationalité que lui et rien ne s'oppose à ce que la vie familiale se poursuive dans leur pays d'origine, où l'intéressé a vécu jusqu'à l'âge de 28 ans et où résident sa mère et huit de ses neuf frères. Dans ces conditions, les circonstances invoquées ne suffisent pas à faire regarder le centre de la vie privée et familiale du requérant comme principalement constitué en France, alors même que M. F... s'y trouve depuis 2013, en situation régulière, et que la proximité avec son frère de nationalité française apparaît suffisamment établie. Par suite, le préfet de la Gironde n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. F... une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a pris l'arrêté litigieux. Dès lors, le refus de titre de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français n'ont pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté litigieux. Il y a lieu par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de ses frais d'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera transmise au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... G..., présidente-assesseure,
Mme D... C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.
Le président,
Dominique NAVES La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04316