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09/07/2020 | FRANCE | N°18BX02363

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 09 juillet 2020, 18BX02363


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'être déchargé de son obligation solidaire de paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquels son épouse et lui-même ont été assujettis au titre des années 2004 à 2012.

Par un jugement n° 1603279 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a accordé cette décharge à M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2018, et

un mémoire complémentaire, enregistré le 3 décembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'être déchargé de son obligation solidaire de paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquels son épouse et lui-même ont été assujettis au titre des années 2004 à 2012.

Par un jugement n° 1603279 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a accordé cette décharge à M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 3 décembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 avril 2018.

Il soutient que :

- le contribuable a tenté de se soustraire frauduleusement au paiement des impositions en litige en vendant un immeuble et par l'utilisation qu'il a faite de son indemnité de licenciement ;

- l'évaluation retenue par le tribunal de la valeur, d'une part, de la maison dont l'intéressé est propriétaire à Arcachon et, d'autre part, des deux maisons à Targon dont il est nu-propriétaire est erronée ;

- les premiers juges ont pris en compte un montant de revenus postérieur à la demande de décharge et inférieur à ce qu'il était à cette date ;

- le montant de charges retenu par le tribunal n'est pas justifié ;

- il n'y a pas de disproportion marquée entre la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale de l'intéressé.

Par deux mémoires, enregistrés les 27 août 2018 et 22 juillet 2019, M. D..., représenté par la SELARL Lexymore, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 29 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 19 août 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. Après la condamnation de Mme D... pour détournement de fonds publics, l'administration a procédé à un examen de la situation fiscale de M. et Mme D... au titre des années 2010 à 2012, à une vérification de comptabilité de la SARL D... au titre des années 2007 à 2012 et à la mise en oeuvre de la procédure de redressement contradictoire prévue par l'article L. 55 du livre des procédures fiscales pour les années 2004 à 2012. Il en a résulté pour le couple des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2004 à 2012. Le 12 février 2015, M. D..., relaxé des poursuites pour recel de détournement de fonds publics, a demandé au service d'être déchargé de son obligation solidaire de paiement de ces cotisations supplémentaires. Après lui avoir accordé un dégrèvement partiel concernant les contributions sociales, l'administration a, par décision du 2 juin 2016, rejeté la demande de l'intéressé concernant l'impôt sur le revenu. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 18 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a accordé cette décharge à M. D....

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 1691 bis du code général des impôts : " I. - Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont tenus solidairement au paiement : 1° De l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune (...) / II. - 1. Les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement prévues au I ainsi qu'à l'article 1723 ter-00 B lorsque, à la date de la demande : a) Le jugement de divorce ou de séparation de corps a été prononcé ; (...) / 2. La décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur (...) / 3. Le bénéfice de la décharge de l'obligation de paiement est subordonné au respect des obligations déclaratives du demandeur prévues par les articles 170 et 885 W à compter de la date de la fin de la période d'imposition commune. La décharge de l'obligation de paiement ne peut pas être accordée lorsque le demandeur et son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité se sont frauduleusement soustraits, ou ont tenté de se soustraire frauduleusement, au paiement des impositions mentionnées aux 1° et 2° du I ainsi qu'à l'article 1723 ter-00 B, soit en organisant leur insolvabilité, soit en faisant obstacle, par d'autres manoeuvres, au paiement de l'impôt (...) ".

3. En premier lieu, d'une part, par compromis de vente signé le 12 septembre 2013, M. D... s'est engagé auprès d'un acquéreur à céder un immeuble situé à Targon et lui appartenant en propre au prix de 370 000 euros. Il est constant que la signature de cette promesse synallagmatique de vente est antérieure à la notification à l'intéressé de tout élément de nature à porter à sa connaissance l'intention du service de procéder à des opérations de contrôle. Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas contesté qu'indépendamment du produit de cette vente, l'intéressé disposait des sommes nécessaires pour couvrir ce que prévoyait les propositions de rectification datées du 18 décembre 2013, la vente de cet immeuble ne saurait être analysée comme une manoeuvre de M. D... tendant à faire obstacle au paiement des cotisations supplémentaires en litige. En outre, si l'administration soutient que l'intéressé a utilisé les fonds issus de cette cession de manière précipitée dès le 30 décembre 2013, l'utilisation de ces fonds ne révèle pas l'existence d'une manoeuvre, compte tenu de ce qui vient d'être dit.

4. D'autre part, M. D... a perçu en juillet 2014 une indemnité de licenciement de 40 685 euros et a a placé cette somme sur une assurance vie ouverte au nom de sa fille mineure avant d'en reprendre une partie pour payer notamment des frais d'avocat et l'achat d'une voiture à une date où il n'était encore redevable d'aucune dette fiscale. Il n'est en outre pas contesté qu'indépendamment de cette indemnité de licenciement, l'intéressé disposait, ainsi qu'il a été dit, des sommes nécessaires pour couvrir ce que prévoyait les propositions de rectification datées du 18 décembre 2013. Dans ces conditions, l'emploi par M. D... de cette indemnité de licenciement ne saurait pas davantage être analysé comme une manoeuvre de l'intéressé tendant à faire obstacle au paiement des cotisations supplémentaires en litige.

5. En second lieu, aux termes de l'article 382 bis de l'annexe II du code général des impôts : " La demande en décharge de responsabilité prévue par les dispositions du II de l'article 1691 bis du code général des impôts est adressée au directeur départemental des finances publiques du lieu d'établissement des impositions concernées ou, s'agissant d'impositions et de pénalités recouvrées par un service à compétence nationale, au directeur chargé de ce service. Elle est appuyée de toutes les justifications nécessaires à l'appréciation de la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur ". Aux termes de l'article 382 ter de la même annexe : " Le directeur départemental des finances publiques ou le directeur chargé du service à compétence nationale se prononce dans un délai de six mois à compter de la date de sa réception sur la demande de décharge de responsabilité. Ce délai peut être prorogé dans la limite de trois mois après information du demandeur par lettre simple. / Lorsque l'administration demande la production de pièces complémentaires nécessaires à l'instruction de la demande, le délai d'instruction mentionné au premier alinéa est suspendu jusqu'à la date fixée pour produire les pièces requises. Toutefois, la production de ces pièces avant l'expiration du délai fixé met fin à cette suspension ". Aux termes de l'article 382 quater de la même annexe : " Si aucune décision n'a été prise dans les délais prévus à l'article 382 ter ou lorsque la décision, notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ne lui donne pas satisfaction, le demandeur doit, à peine de forclusion, porter l'affaire devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à compter : a) Soit de la date d'expiration du délai mentionné au premier alinéa de l'article 382 ter ; b) Soit de la date de notification de la décision prise sur la demande en décharge. / La procédure ne peut, à peine d'irrecevabilité, être engagée avant ces dates. / Le demandeur ne peut soumettre au juge des pièces justificatives autres que celles qu'il a déjà produites à l'appui de la demande de décharge de responsabilité qu'il a présentée au directeur départemental des finances publiques ou au directeur en charge du service à compétence nationale, ni invoquer des faits autres que ceux exposés dans cette demande ".

6. M. D... a demandé, le 12 février 2015, à être déchargé de l'obligation de paiement solidaire des cotisations supplémentaires en litige. Le service lui a demandé des informations complémentaires, en particulier sur son patrimoine, par courrier du 21 janvier 2016 et, à cette occasion, de lui " communiquer tous les justificatifs actualisés de ressources et de charges indispensables à l'instruction du dossier ". M. D... a communiqué ces éléments par courrier du 17 mars 2016. Il appartenait au service de prendre en compte l'ensemble de ces éléments, qu'il a au demeurant demandés.

7. D'une part, il n'est pas sérieusement contesté que la maison que M. D... détient en pleine propriété à Arcachon peut être évaluée, en tenant compte de l'estimation faite par France Domaine et en se basant notamment sur une analyse des ventes de biens similaires à Arcachon entre janvier 2015 et janvier 2017, et de l'impôt sur les plus-values et des prélèvements sociaux à acquitter en cas de cession immobilière, à la somme arrondie de 250 000 euros. Compte tenu de l'estimation également réalisée par France domaine ainsi que de l'âge des usufruitiers, les deux maisons dont M. D... est nu-propriétaire à Targon peuvent être évaluées à la somme totale de 200 000 euros. A cet égard, les éléments de comparaison sur lesquels l'intimé, qui n'a au demeurant pas présenté de conclusions incidentes, se fonde concernent des biens ne présentant pas les mêmes caractéristiques. Il est constant que le patrimoine mobilier de l'intéressé s'élève à 92 412 euros. Dans ces conditions, la valeur du patrimoine immobilier et mobilier de M. D... à prendre en compte doit être estimée à 542 412 euros.

8. D'autre part, M. D... disposait à la date de sa demande, d'un revenu de 3 033 euros par mois. L'intéressé ayant fait état, dès le 12 février 2015, date de sa demande, de son licenciement intervenu le 15 juillet 2014, et ayant produit les justificatifs de ses revenus après son licenciement, en réponse à la demande du service portant sur les justificatifs postérieurs à sa demande, il y a lieu de tenir compte de la diminution sensible de ses revenus qui peuvent dès lors être évalués à la somme de 2 500 euros par mois.

9. M. D... évalue ses charges à un montant de 1 747 euros. A supposer qu'il faille en déduire, ainsi que le soutient le ministre, les charges relatives à sa maison à Arcachon, les charges grevant ses revenus représentaient 1 566 euros par mois. La situation mensuelle nette de charges de l'intéressé représentait donc environ 900 euros.

10. Il résulte de ce qui précède que, alors que sa dette fiscale s'élevait à 656 714 euros, M. D... disposait, à la date de sa demande, d'un patrimoine de 542 412 euros et d'un revenu mensuel de 900 euros. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont constaté une disproportion marquée entre le montant de sa dette fiscale et sa situation patrimoniale et financière nette de charge.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a accordé à M. D... la décharge prévue au II de l'article 1691 bis du code général des impôts.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. D... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. D... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2020 à laquelle siégeaient :

Mme C... B..., présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Romain Roussel, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.

La présidente,

Elisabeth B... La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 18BX02363


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02363
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux fiscal

Analyses

19-04 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices.


Composition du Tribunal
Président : M. FAÏCK
Rapporteur ?: M. Romain ROUSSEL
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : LEXYMORE CABINET D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-07-09;18bx02363 ?
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