Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société SEBTP a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " La Bruyère " de Neuvic (Corrèze) à lui verser une somme de 46 872,85 euros HT au titre de travaux supplémentaires dans le cadre du marché relatif à la reconstruction de cet établissement, une somme de 194 184,86 euros HT en réparation du préjudice tiré de l'ajournement du chantier d'avril à novembre 2013 ainsi qu'une somme de 78 361,61 euros HT en réparation du préjudice lié à l'immobilisation du matériel et de la main d'oeuvre du fait du retard à transmettre les études d'exécution.
Par un jugement n° 1500656 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 février 2018, la société SEBTP, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 20 décembre 2017 ;
2°) de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " La Bruyère " de Neuvic (Corrèze) à lui verser une somme de 46 872,85 euros HT au titre de travaux supplémentaires dans le cadre du marché relatif à la reconstruction de cet établissement, une somme de 194 184,86 euros HT en réparation du préjudice tiré de l'ajournement du chantier d'avril à novembre 2013 ainsi qu'une somme de 78 361,61 euros HT en réparation du préjudice lié à l' immobilisation du matériel et de la main d'oeuvre du fait du retard à transmettre les études d'exécution ;
3°) de mettre à la charge de l'EHPAD " La Bruyère " le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réalisation des voiles en béton initialement prévue au cahier des clauses techniques particulières n'a plus été possible après la réalisation de l'enrochement pour la sécurisation des talus ; les voiles en béton ne pouvaient en effet se positionner dans les rochers ; les maîtres d'oeuvre et d'ouvrage ont d'ailleurs validé implicitement ce changement de mode opératoire notamment pour le maître d'oeuvre en fournissant les plans d'exécution correspondants à la pose de murs bilames ; le caractère indispensable des travaux n'est pas discutable et ils peuvent être indemnisés dans le cadre d'un marché forfaitaire ; le montant de ces travaux supplémentaires est de 46 872,85 euros HT ; le maître d'ouvrage a commis une faute en ne formalisant pas ce changement de mode opératoire ;
- les retards pris par la chantier dus à l'effondrement des talus ainsi que la résiliation du marché conclu avec la société Decutis ont conduit à un décalage et un arrêt de chantier du mois d'avril 2013 au mois de novembre 2013 ; les travaux ont ainsi été interrompus d'octobre 2010 à janvier 2011, puis elle a débuté son chantier sept mois après la date prévue sur le planning initial, alors qu'elle a immobilisé du matériel dès le mois d'avril ; cette dernière situation s'analyse comme un ajournement de chantier ouvrant droit à indemnisation de la part du maître d'ouvrage ;
- enfin, la transmission des plans d'exécution est intervenue avec un retard moyen de quarante- huit jours ; ce retard a conduit à la mobilisation de moyens non employés, soit le coût de la grue installée et non utilisée et celui des ouvriers, pour un total de 78 361,61 euros HT ; le fondement de cette demande consiste en la non-application du cahier des clauses administratives particulières ce qui constitue une faute du maître d'ouvrage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2018, l'EHPAD " La Bruyère ", représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société SEBTP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le maître d'oeuvre n'a jamais donné son approbation à la modification du mode opératoire réalisée par la société SEBTP et n'a pas fourni de plans d'exécution visés par elle ; l'accord du contrôleur technique sur ce point ne saurait engager le maître d'ouvrage ; l'entreprise requérante ne démontre aucunement en quoi cette modification constituerait des travaux supplémentaires indispensables dès lors en outre que l'instabilité du talus ne concernait qu'une zone limitée du chantier ; il n'a pas été produit d'étude technique ni de bilan financier par la société SEBTP de sorte que le maître d'ouvrage pouvait raisonnablement ignorer ce changement de mode opératoire ; la société SEBTP ne détenait pas d'ordre de service sur ces travaux modifiés ; elle ne démontre pas davantage que le procédé initial de murs en voile par banches ne pouvait pas être mis en oeuvre ; elle ne justifie en outre nullement des prix et des quantités retenues pour évaluer le coût de ces travaux ; enfin, si ces travaux devaient être qualifiés de travaux supplémentaires, la faute de la société requérante, qui disposait d'une étude de sol et d'une connaissance de leur nature, l'exonérera de sa responsabilité ;
- il ne saurait être tenu d'indemniser la société SEBTP des conséquences financières du retard du chantier, qui trouve son origine dans la défaillance de la société Decutis et la résiliation du marché passé avec cette société à ses torts exclusifs ;
- de même, il ne pourra être tenu d'indemniser le préjudice né du retard de transmission des plans d'exécution, mission confiée exclusivement à la maîtrise d'oeuvre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2020, la société Sextant Architecture, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société SEBTP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... E...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant la société SEBTP, les observations de Me B..., représentant l'EHPAD " La Bruyère " et les observations de Me A..., représentant la société Sextant Architecture.
Considérant ce qui suit :
1. L'EHPAD " La Bruyère " de Neuvic (Corrèze) a décidé de reconstruire son établissement et à cette fin a conclu des marchés publics. La maîtrise d'oeuvre de ce marché, divisé en 21 lots, a été confiée à un groupement d'entreprise composé du cabinet Sextant Architecture et de la société Lavalin, Orfea, Solener. Le lot n°4, " gros oeuvre ", a été confié à la société SEBTP par un acte d'engagement du 20 août 2010, et ce marché, à un prix forfaitaire, a été conclu pour un montant de 2 640 386,33 euros HT. Le calendrier initial d'exécution des travaux prévoyait leur démarrage au 2 novembre 2010, après une phase de préparation de chantier d'une durée de deux mois. Toutefois le début des opérations a été retardé par l'instabilité des talus réalisés au droit du bâtiment, qui a nécessité leur " enrochement ", par une société tierce. Les travaux ont repris le 3 janvier 2011. Puis, le maître d'ouvrage a procédé à la résiliation du marché initialement obtenu par la société Decutis, titulaire du lot n°1 " désamiantage- démolition ", aux torts exclusifs de l'entreprise, ainsi d'ailleurs que l'a décidé par un jugement du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Limoges. L'EHPAD a donc dû engager une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence, pour attribuer ce lot n°1 à l'entreprise Mons Robert. Estimant avoir subi des préjudices dans le cadre de l'exécution des travaux, la société SEBTP a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande tendant à la condamnation de l'EHPAD " La Bruyère " à l'indemniser de la somme de 46 872,85 euros HT au titre de travaux supplémentaires, de la somme de 194 184,86 euros HT au titre de l'ajournement du chantier d'avril à novembre 2013, ainsi que de la somme de 78 361,61 euros HT au titre de l'immobilisation du matériel et de la main d'oeuvre du fait du retard à transmettre les études d' exécution. Elle relève appel du jugement du 20 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur les travaux supplémentaires :
2. Aux termes de l'article 2.1.1 du cahier des clauses techniques particulières, il incombait à la société SEBTP " la réalisation des fondations, des travaux d'infrastructure et de superstructure du bâtiment ". La société SEBTP fait valoir que, s'agissant de la superstructure, la réalisation des murs en voiles en béton initialement prévue au cahier des clauses techniques particulières n'a plus été possible après la réalisation de l'enrochement pour la sécurisation des talus à la suite de leur effondrement en cours de chantier et que son choix technique s'est porté sur la mise en place de bilames. Elle ajoute que les maîtres d'oeuvre et d'ouvrage ont validé implicitement ce changement de mode opératoire par la pose de murs bilames qui était indispensable et a entrainé en outre un bouleversement du marché.
3. Le titulaire d'un marché conclu à prix global et forfaitaire peut obtenir une rémunération complémentaire lorsqu'il effectue des prestations non prévues au marché et commandées par ordre de service ou lorsque ces prestations, alors même qu'elles n'auraient pas été commandées par ordre de service, étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.
4. En premier lieu, il est constant qu'aucun ordre de service ou acceptation expresse du maître d'ouvrage ou du maître d'oeuvre n'est intervenu sur le choix technique décrit ci-dessus. Si la société requérante fait valoir que le maître d'oeuvre a implicitement accepté sa proposition, cette allégation ne ressort d'aucun élément du dossier et en particulier pas d'un courrier électronique daté du 5 janvier 2011 où la solution du bilames n'a été qu'" évoquée ", dès lors que sa proposition n'était pas assortie d'étude technique et de bilan financier accepté ou à tout le moins portés à la connaissance du maître d'ouvrage qui ne s'y serait pas opposé. Ainsi, la société SEBTP ne peut se prévoir d'une autorisation tacite de la part de l'EHPAD " La Bruyère " sur ces travaux.
5. En deuxième lieu, il ne résulte pas davantage de l'instruction, et notamment des seuls schémas produits par la société SEBTP qui sont sommaires et d'une origine indéterminée, que la réalisation de murs en voile béton était devenue impossible. Par suite, le changement de mode opératoire par la réalisation de murs bilames, constituait une simple commodité pour l'entrepreneur.
6. Enfin, en troisième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit, que les travaux en cause consistant en un changement de mode opératoire ont été réalisés de la seule initiative de la société requérante, sans qu'ils aient présenté de caractère indispensable. Dès lors, la société SEBTP n'est pas fondée à demander une indemnisation au titre de ces travaux.
Sur les retards du chantier :
7. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.
8. Il résulte de l'instruction que le calendrier d'exécution initial des travaux prévoyait l'intervention de la société SEBTP à la suite de celle de l'entreprise Decutis, chargée du désamiantage et de la démolition. Cependant, devant la défaillance de cette société, l'EHPAD " La Bruyère " a été contraint à conclure un contrat de substitution conduisant à un arrêt de chantier d'avril à novembre 2013. La société SEBTP a donc débuté sa mission sept mois après la date initialement prévue, et demande une indemnisation des préjudices causés par ce retard, qu'elle analyse comme un ajournement à l'initiative du maître de l'ouvrage. Toutefois, il résulte de l'instruction que le retard de chantier est uniquement dû à l'entreprise Decutis qui a fait preuve d'inertie dans l'exécution de sa mission et il n'est pas contesté que le maître d'ouvrage n'a commis aucune faute dans la résiliation du contrat avec la société Decutis. Dès lors, en 1'absence de faute du maître d'ouvrage dans la survenance des difficultés d'exécution alléguées par la société, les conclusions présentées par la société SEBTP tendant à la réparation du surcoût résultant du retard pris par le chantier par le maître d'ouvrage ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les retards de transmission des plans :
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 7, que le maître d'ouvrage ne peut être tenu pour responsable des préjudices subis par un de ses cocontractants du fait d'une faute commise par un autre cocontractant. Il ne résulte pas de l'instruction que les retards pris dans la transmission des plans d'exécution qui relevaient de la mission confiée exclusivement à la maîtrise d'oeuvre et qui auraient, selon la requérante, entraîné une immobilisation de matériels, notamment la grue, et de main d'oeuvre, aient été imputables à l'EPHAD " La Bruyère ". En particulier, la société requérante ne démontre pas que l'EPHAD aurait commis un défaut de surveillance de la maîtrise d'oeuvre en ce qu'il n'aurait pas incité celle-ci à transmettre les plans dans les délais. En conséquence, la société requérante n'est pas fondée à demander réparation au maître d'ouvrage du fait de l'allongement de la durée d'exécution du marché de travaux résultant d'éventuels manquements à leurs obligations par la maîtrise d'oeuvre.
10. Il résulte de tout ce qui précède, que la société SEBTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande dirigée contre l'EHPAD " La Bruyère ".
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'EHPAD " La Bruyère " au titre des frais non compris dans les dépens exposés dès lors qu'il n'est pas dans la présente instance la partie perdante. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société SEBTP une somme de 1 500 euros qu'elle versera à l'EHPAD " La Bruyère " et de 800 euros à la société Sextant Architecture sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société SEBTP est rejetée.
Article 2 : La société SEBTP versera à l'EHPAD " La Bruyère " la somme de 1 500 euros et à la société Sextant Architecture au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société SEBTP, à l'EHPAD " La Bruyère " et à la SARL Sextant Architecture.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme D... E..., présidente-assesseure,
Mme Déborah de Paz, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.
Le président,
Dominique NAVES
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00750