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07/07/2020 | FRANCE | N°18BX00927

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 07 juillet 2020, 18BX00927


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. G... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision par laquelle le directeur de la maison centrale de Saint-Maur l'a déclassé de son emploi et de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 11 590 euros en réparation de son préjudice financier et de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1501506 du 8 février 2018, le tribunal administratif de Limoges a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. C... tendant à l'annulation

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Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. G... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision par laquelle le directeur de la maison centrale de Saint-Maur l'a déclassé de son emploi et de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 11 590 euros en réparation de son préjudice financier et de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1501506 du 8 février 2018, le tribunal administratif de Limoges a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. C... tendant à l'annulation

de la décision le déclassant de son emploi et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 mars 2018, 27 juillet 2018

et 2 juillet 2019, M. C..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 février 2018 du tribunal administratif de Limoges ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le directeur de la maison centrale

de Saint-Maur l'a déclassé de son emploi ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 13 091 euros en réparation

de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des

articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ; elle a été régularisée par un mémoire motivé enregistré

le 27 juillet 2018, qui critique le jugement attaqué ;

- la décision de déclassement n'est pas motivée ;

- la décision de déclassement a été prise sans mise en oeuvre de la procédure disciplinaire ; il a été privé des garanties attachées à la procédure disciplinaire, notamment

d'un débat contradictoire ;

- la décision de déclassement, sanction disciplinaire prévue à l'article R. 57-7-34 du code de procédure pénale, a été prise sans qu'aucune faute ne lui soit reprochée ; la décision repose donc sur une erreur de droit ;

- il n'a commis aucune faute de nature à justifier une sanction de déclassement d'emploi ; la décision en litige est dès lors entachée d'une erreur de qualification juridique des faits ;

- son déclassement d'emploi a pris effet au 4 mai 2014 ; dès le 28 août 2014, un appel d'offres pour six techniciens du son a été affiché au sein de l'établissement pénitentiaire, ce qui tend à démontrer que la baisse d'activité de l'entreprise qui l'employait n'a été que temporaire ; sa candidature n'a cependant pas été retenue ; les erreurs et illégalités commises par l'administration lui ont causé un préjudice économique ; il demande ainsi la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes auxquelles il aurait pu prétendre devant le conseil de prud'hommes, qui s'élèvent à 11 591 euros et correspondent aux indemnités de licenciement à l'issue de 7 années d'activité ;

- le comportement de l'administration pénitentiaire, qui l'a laissé dans l'ignorance sur les recours envisageables en vue de défendre ses intérêts, lui a causé un préjudice moral ; la décision de retrait de celle en litige, intervenue plus de deux ans après son édiction, marque encore l'absence de respect de l'administration ; une somme de 1 500 euros doit lui être allouée à ce titre.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

du 12 avril 2018.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête d'appel ne comporte aucune critique du jugement et est ainsi irrecevable ;

- la décision en litige ayant été retirée en cours d'instance, les premiers juges ont à juste titre prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande tendant à son annulation ;

- le travail procuré en détention est soumis à la régularité des commandes et des approvisionnements ; la réalité du préjudice financier invoqué n'est pas établie et le montant demandé par le requérant ne repose sur aucun élément objectif d'évaluation;

- le requérant ne démontre pas avoir subi un préjudice moral du fait de son déclassement.

Par une ordonnance du 3 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 juillet 2019.

Les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de soulever d'office

un moyen d'ordre public en application de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme I... B...,

- les conclusions d'Aurélie Chauvin, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., avocat, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., incarcéré au sein de la maison centrale de Saint-Maur, a été classé, à partir d'avril 2007, sur un emploi d'ingénieur du son pour le compte de l'association " Les Musiques de la Boulangère ", qui avait conclu un contrat de concession de main d'oeuvre pénale avec l'établissement pénitentiaire. Par un courrier du 4 avril 2014, l'association qui l'employait lui a annoncé son " licenciement économique ", décision qui a pris effet le 4 mai 2014.

Par un jugement du 17 décembre 2015, le conseil de prud'hommes de Châteauroux s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de M. C... dirigée contre la décision du 4 avril 2014 de l'association " Les Musiques de la Boulangère ". L'appel formé par M. C... contre ce jugement a été rejeté par un arrêt de la cour d'appel de Bourges du 2 décembre 2016, qui a confirmé l'incompétence de la juridiction judiciaire. M. C... a alors saisi le tribunal administratif de Limoges d'une requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision non formalisée du directeur de la maison centrale de Saint-Maur le déclassant de son emploi d'ingénieur du son, décision dont l'existence était révélée par le courrier du 4 avril 2014 de l'association " Les Musiques de la Boulangère ", d'autre part, à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices financier et moral qu'il estime avoir subis. Par un jugement

du 8 février 2018, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Limoges a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision le déclassant de son emploi et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de déclassement d'emploi :

2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du recours pour excès de pouvoir dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution.

3. Par une décision du 13 septembre 2016 notifiée le 16 septembre suivant, postérieure à l'introduction de la requête de M. C... devant le tribunal administratif, la directrice de la maison centrale de Saint-Maur a procédé au retrait de la décision non formalisée du 4 mai 2014 portant déclassement d'emploi de M. C.... Ce retrait était devenu définitif à la date du jugement attaqué. Dans ces circonstances, et quels qu'aient pu être les effets de l'exécution de cette décision, la requête tendant à son annulation pour excès de pouvoir était devenue sans objet à la date du jugement attaqué. M. C... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions aux fins d'annulation de la décision en litige.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande indemnitaire de première instance tendant à la réparation du préjudice financier subi par M. C... du fait de l'illégalité fautive de la décision le déclassant de son emploi d'ingénieur du son :

4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, applicable aux requêtes enregistrées à compter du 1er janvier 2017 : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

5. Devant le tribunal administratif de Limoges, M. C..., dont la requête introductive d'instance tendait seulement à l'annulation de la décision ci-dessus mentionnée de déclassement d'emploi, a présenté, par un mémoire enregistré le 27 octobre 2016, des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral qu'il estimait avoir subi du fait des renseignements erronés sur les modalités de contestation de ladite décision, puis, par un mémoire enregistré

le 13 mars 2017, a en outre sollicité la réparation du préjudice financier consécutif, selon lui,

à l'illégalité fautive de la décision de déclassement d'emploi. Or, il ne résulte pas

de l'instruction et n'est pas même soutenu que M. C... aurait présenté devant l'administration, le cas échéant en cours d'instance, une demande tendant à la réparation du dommage consécutif à l'illégalité fautive de la décision le déclassant de son emploi. Il s'ensuit qu'à la date du jugement attaqué, aucune décision, expresse ou implicite, n'avait été prise par l'administration sur une telle demande indemnitaire formée devant elle. Dès lors, en vertu des dispositions précitées de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans leur rédaction applicable à la date d'enregistrement des conclusions de M. C... tendant à la réparation du dommage résultant, selon lui, de l'illégalité fautive de la décision le déclassant de son emploi, ces conclusions étaient irrecevables. M. C... n'est ainsi pas fondé à se plaindre du rejet de ces conclusions indemnitaires par le tribunal administratif de Limoges.

En ce qui concerne les conclusions de M. C... tendant à la réparation du préjudice moral qu'il impute aux renseignements erronés donnés par l'administration pénitentiaire :

6. M. C... fait valoir que l'administration pénitentiaire lui a indiqué à tort qu'il pouvait contester son déclassement d'emploi devant la juridiction judiciaire, qui était incompétente pour connaître d'un tel litige, et réitère en appel ses conclusions tendant à la réparation du préjudice moral qu'il affirme avoir subi. Toutefois, à supposer même que des renseignements erronés lui auraient été donnés quant aux voies de recours qu'il pouvait exercer, cette seule circonstance ne suffit pas à caractériser un agissement fautif, et le requérant n'établit au surplus pas avoir subi, de ce seul fait, un préjudice moral. Ses conclusions ne peuvent ainsi qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de première instance.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin

de non-recevoir opposée par la garde des sceaux, ministre de la justice, que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions à fin d'annulation de la décision non formalisée du directeur de la maison centrale de saint-Maur le déclassant de son emploi d'ingénieur du son et a rejeté ses conclusions indemnitaires. Ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... C... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020 à laquelle siégeaient :

Mme H... F..., présidente,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

Mme I... B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 juillet 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine F...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00927


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00927
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. Exécution des jugements. Exécution des peines. Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : DAVOUS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-07-07;18bx00927 ?
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