Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement les 3 août 2018, 10 septembre 2018 et 19 juin 2019, la société anonyme Immobilière européenne des Mousquetaires, représentée par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'arrêté du 14 juin 2018 par lequel le maire d'Ussel a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale portant sur la création d'un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 11 293,41 m² ainsi qu'un " drive " de deux pistes de ravitaillement dans la zone du Theil sur la commune d'Ussel ;
2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial de réexaminer sa demande d'autorisation d'exploitation commerciale dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;
3°) d'enjoindre à la commune d'Ussel de se prononcer à nouveau sur sa demande de permis de construire, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- rien ne démontre que le signataire de l'arrêté en litige, maire adjoint en charge des travaux et de l'urbanisme, disposait d'une délégation régulière du maire pour signer le refus de permis de construire attaqué ; la commune n'a pas produit cette délégation ;
- les auteurs du recours examiné par la CNAC, commerçants ou regroupés au sein d'une association de commerçants, n'ont justifié ni de leur qualité ni de leur intérêt pour agir, comme l'impose l'article R. 752-31 du code de commerce ; aucun d'entre eux n'exerce une activité directement concurrente de celles prévues dans le projet et tous se bornent, par un formulaire stéréotypé, à défendre un intérêt collectif et une position de principe contre les moyennes et grandes surfaces, ; enfin, les quelques moyens elliptiques invoqués n'étaient assortis d'aucun élément de droit ou de fait venant à leur soutien ; ainsi, le recours devant la CNAC contre l'avis favorable au projet délivré par la commission départementale d'aménagement commercial de Corrèze aurait, dans ces conditions, dû être rejeté comme irrecevable ;
- l'avis est entaché d'un vice de procédure qui affecte la compétence de la CNAC et a eu une incidence sur le sens de son avis dès lors qu'elle était irrégulièrement composée à la date de la délibération ;
- rien n'indique qu'un dossier ait été communiqué aux membres de la commission nationale ou que celui-ci comportait l'ensemble des pièces imposées par les dispositions de l'article R. 752-35 du code de commerce ;
- contrairement à ce qu'a estimé la commission, le projet est parfaitement intégré à la commune, certes non pas en centre-ville, mais au sein d'une partie du territoire qui mixe déjà les différentes fonctions et destinations, le long de l'axe structurant de la commune, dont les habitants peuvent se rendre sur le site du projet à pied, à vélo ou en utilisant le service de transport alternatif collectif mis en place par la commune ; soutenir ainsi que le projet " ne facilitera pas l'accès au commerce des populations les plus fragiles " est entaché d'une erreur de fait ;
- si le commerce de proximité dans le centre-ville d'Ussel est en difficulté, c'est en raison de la faible attractivité de l'offre présentée ; or, le projet a pour objectif de fixer les habitants de la commune d'Ussel, en leur offrant la présence d'infrastructures commerciales d'une capacité en corrélation avec la ville et la zone de chalandise et en accroissant l'offre commerciale, mais aussi de rééquilibrer cette offre sur le territoire communal entre le Nord et le Sud-Ouest de la commune ; la CNAC a par suite commis une erreur d'appréciation en fondant son avis défavorable sur l'effet négatif qu'aurait le projet sur l'animation de la vie urbaine et rurale ;
- le motif tiré de l'accessibilité insuffisante du projet par les transports collectifs est également entaché d'une erreur d'appréciation, dès lors que la commission n'a pris en compte ni le projet de transport collectif à la demande envisagé avec la commune ni la proximité du terrain d'assiette du projet avec des zones d'habitation, ce qui permet aux habitants de pouvoir accéder rapidement au magasin sans utiliser leur voiture ;
- le projet respecte l'ensemble des critères définis à l'article L. 752-6 du code de commerce, s'agissant de l'aménagement du territoire, du développement durable ou de la protection du consommateur.
Par un mémoire enregistré le 14 septembre 2018, la commune d'Ussel indique qu'elle est en situation de compétence liée aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce et que, dans ces conditions, elle était tenue de refuser de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité au vu de l'avis défavorable émis par la Commission nationale d'aménagement commercial émis dans sa séance du 29 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société l'Immobilière européenne des Mousquetaires.
Considérant ce qui suit :
1. Le 2 novembre 2017, la société Immobilière européenne des Mousquetaires a déposé auprès du maire d'Ussel une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale afin de procéder, après transfert d'un magasin existant, à la création d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 11 293 m² composé d'un supermarché à l'enseigne " Intermarché " de 2 500 m² de surface de vente, d'une galerie marchande composée de deux boutiques totalisant une surface de vente de 141,42 m², de deux boutiques avec accès extérieur d'une surface de vente de 255,34 m², de huit moyennes surfaces totalisant une surface de vente de 8 400,65 m² et d'un " drive " de deux pistes de ravitaillement et de 55 m² d'emprise au sol, sur des terrains cadastrés section ZD n° 226 et 234 situés au sein de la zone d'aménagement commercial du Theil. La commission départementale d'aménagement commercial de la Corrèze a émis, le 19 décembre 2017, un avis favorable à cette demande. Par un recours conjoint enregistré le 18 janvier 2018, vingt-neuf commerçants et l'office du commerce et de l'artisanat de Haute-Corrèze ont demandé à la Commission nationale d'aménagement commercial d'annuler cet avis favorable. Le 29 mars 2018, la Commission nationale d'aménagement commercial a admis ce recours et émis un avis défavorable sur ce projet. Par un arrêté du 14 juin 2018, le maire d'Ussel a refusé de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité. La société Immobilière européenne des Mousquetaires demande à la cour d'annuler cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code du commerce : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / 1° La création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ; (...) / 4° La création d'un ensemble commercial tel que défini à l'article L. 752-3 et dont la surface de vente totale est supérieure à 1 000 mètres carrés ; / 5° L'extension de la surface de vente d'un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet (...) ". Selon l'article L. 752-6 du même code : " I. - L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ;/ b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés écoresponsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...) / 3° En matière de protection des consommateurs : /a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locale (...) ". Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles se prononcent sur un projet d'exploitation commerciale soumis à autorisation en application de l'article L. 752-1 du code de commerce, d'apprécier la conformité de ce projet aux objectifs définis à l'article L. 752-6 du même code et au vu des critères d'évaluation mentionnés dans ce même article. L'autorisation ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet compromet la réalisation de ces objectifs.
3. La Commission nationale d'aménagement commercial a émis un avis défavorable à l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée aux motifs que la surface de vente du projet d'ensemble commercial est de 11 293 m² alors que la population de la zone de chalandise n'était que de quelque 17 900 habitants en 2015 en baisse de 4 % entre 1999 et 2015 et de 9 % pour la seule ville d'Ussel, que le projet, par son importance, est susceptible d'interférer avec les enjeux de redynamisation du centre-ville d'Ussel, situé à un peu plus de deux kilomètres, dont le taux de vacance des commerces atteint près de 40%, cette situation ayant justifié l'allocation de subvention au titre du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, que le projet risque de nuire aux efforts d'animation de la vie urbaine, qu'il n'est pas desservi par les transports en commun et que la relocalisation du magasin actuel en périphérie de ville ne facilitera pas l'accès au commerce des populations les plus fragiles.
4. Alors que le terrain d'assiette du projet se situe en périphérie de la commune d'Ussel à 2,2 kilomètres du centre-ville, la loi n'implique pas que le critère de contribution à l'animation de la vie urbaine ne puisse être respecté que par une implantation en centre-ville. Le projet de la société Immobilière européenne des Mousquetaires, qui consiste en un transfert et un agrandissement d'un magasin à dominante alimentaire ainsi qu'en la création de quatre boutiques et de huit moyennes surfaces, sera implanté au sein de la zone d'activité de Eybrail-Theil, classée en zone UXg et Uxc au plan local d'urbanisme, à proximité immédiate de plusieurs lotissements d'habitation, le long de la route départementale 1089 qui traverse la ville du nord au sud et constitue un axe structurant de la commune. Il résulte de l'instruction que le centre-ville n'offre aucun terrain de taille suffisante permettant d'accueillir des moyennes surfaces absentes de la zone de chalandise afin d'accroitre et de rééquilibrer l'offre commerciale sur le territoire communal entre le nord-est et le sud-ouest de la commune, la seule zone commerciale existante à l'entrée sud-ouest de la ville polarisant une grande partie des flux de déplacements internes à l'agglomération. En outre, le projet aura pour but de freiner l'évasion commerciale vers d'autres pôles commerciaux extérieurs et de conserver les clients au sein de la zone de chalandise. Il ressort du rapport d'instruction de la direction départementale des territoires devant la commission départementale d'aménagement commercial que " le projet pourra avoir un effet d'entrainement à même de tarir l'évasion commerciale vers les pôles commerciaux extérieurs et contribuer à affermir Ussel dans sa vocation de pôle urbain structurant ". Ni la déprise démographique et commerciale, ni l'allocation à la commune d'Ussel du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce ne permettent, compte tenu de la nature des commerces envisagés par le projet, de considérer que celui-ci serait de nature à avoir des conséquences négatives sur l'animation de la vie locale. En outre, si la desserte d'Ussel en transports urbains est limitée aux déplacements scolaires, l'installation en périphérie de l'équipement commercial de la société Immobilière européenne des Mousquetaires, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment sera situé à proximité immédiate de plusieurs lotissements, est accompagnée de mesures permettant à la population, notamment la plus fragile, de se rendre sur le nouveau point de vente par la mise en place par la pétitionnaire d'un service de mini-bus à intervalle régulier, en partenariat avec la commune pour permettre le transport des administrés désirant se rendre dans le centre-ville depuis les hameaux environnants, ce service complétant le système de transport à la demande déjà mis en place par le département. Le projet prévoit enfin la création d'un emplacement destiné à servir de point de rencontre pour les personnes souhaitant pratiquer le covoiturage. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir que la Commission nationale d'aménagement commercial a commis une erreur d'appréciation en considérant que le projet en litige ne répondait pas aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce précité.
5. Pour l'application de l'article L. 60041 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est de nature, en l'état de l'instruction, à conduire à l'annulation de l'arrêté litigieux.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité du recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial, que la décision du 14 juin 2018 du maire d'Ussel prise en application d'un avis illégal de la Commission nationale d'aménagement commercial est elle-même illégale et doit, dès lors, être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Le présent arrêt implique nécessairement que la Commission nationale d'aménagement commercial examine de nouveau la demande présentée par la société Immobilière européenne des Mousquetaires et que le maire d'Ussel procède, dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis, à une nouvelle instruction de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les conclusions présentées par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires en application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative, dirigées contre l'Etat, qui n'est pas partie au litige, ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 14 juin 2018 du maire d'Ussel est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au maire d'Ussel de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la réception de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial, à une nouvelle instruction de la demande de permis de construire présentée par la société Immobilière européennes des Mousquetaires.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Immobilière Européenne des Mousquetaires, à la commune d'Ussel et au ministre de l'économie et des finances (Commission nationale d'aménagement commercial).
Délibéré après l'audience du 11 juin 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 juillet 2020.
Le président,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX03070 2