Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
Mme F... G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, L... G... et Côme G..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à réparer les préjudices consécutifs aux manquements de l'établissement lors de la prise en charge de Damien G....
Par un jugement n° 1601206 du 10 juillet 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête ainsi que les conclusions présentées par le Régime social des indépendants (RSI) et a mis les frais d'expertise à la charge du CHU de Poitiers.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 août 2018, Mme G..., agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, M. L... G... et M. A... G..., représentée par Me I..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 juillet 2018 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner le CHU de Poitiers :
- à lui verser une somme totale de 686 467, 99 euros en réparation tant de son préjudice personnel que, en sa qualité d'ayant droit, du préjudice subi par son époux E... G... ;
- à verser M. L... G..., son fils mineur, une somme de 199 714 euros en réparation tant de son préjudice personnel que, en sa qualité d'ayant droit, du préjudice subi par Damien G... ;
- à verser à M. A... G..., son fils mineur, une somme totale de 217 621 euros en réparation tant de son préjudice personnel que, en sa qualité d'ayant droit, du préjudice subi par Damien G... ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de nouvelle expertise présentée par le CHU de Poitiers doit être rejetée ; l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers est de nature à éclairer la juridiction sur la responsabilité du CHU de Poitiers ; les conclusions de l'expert ne sont pas sérieusement discutées par la production d'un document dactylographié non signé, présenté comme rédigé par un médecin dont les qualifications et compétences ne sont pas précisées et qui ne repose pas sur la consultation du dossier médical de Damien G... mais se borne à se livrer à une critique théorique du rapport d'expertise ; l'expert s'est notamment prononcé sur la pertinence du traitement par temodal à la suite de la rechute de Damien G... en février 2010 ; le CHU de Poitiers ne produit pas la note du professeur Duffau dont il se prévaut, note qui n'a jamais été produite lors des opérations d'expertise, et qui ne serait en tout état de cause pas de nature à remettre en cause l'analyse de l'expert quant à l'inefficacité du protocole thérapeutique dans le cas de Damien G... ;
- le CHU de Poitiers a commis une faute dans le choix du protocole thérapeutique ; ainsi que l'avait proposé le professeur Duffau, un protocole de type PCV aurait dû être mis en place à la suite de la rechute survenue en février 2010 ; le CHU de Poitiers a déterminé le protocole thérapeutique sans suivre les préconisations du professeur Duffau, et sans s'être au préalable procuré les résultats de la codélétion 1P/19Q détenus par le centre hospitalier de La Salpêtrière ; le choix thérapeutique du CHU de Poitiers n'était pas justifié, et ce traitement s'est avéré inefficace ; il résulte des résultats du prélèvement tumoral que Damien G... présentait une codélétion 1P/19Q, de sorte que le protocole thérapeutique PCV était indiqué dans son cas ; les fautes ainsi commises par le CHU de Poitiers ont fait perdre à Damien G... une chance de recevoir un traitement adapté, qui aurait allongé son espérance de vie sans évolution tumorale d'une durée supérieure à 24 mois ;
- une faute a également été commise par le CHU de Poitiers lors de la radiothérapie encéphalique réalisée de mai à juillet 2010 ; une erreur de saisie informatique du sens des filtres a eu pour conséquences une inhomogénéité de la dose d'irradiation délivrée dans le volume cible et des variations de doses largement supérieures à la dose devant être administrée ; ce surdosage a entrainé une nécrose post radique dans la zone tumorale, aggravant ainsi l'état de
Damien G... ;
- le CHU doit être condamné à réparer le préjudice lié aux frais d'obsèques
et de sépulture de Damien G... ;
- du fait de la perte de revenus de Damien G..., qui exerçait une activité libérale
d'avocat, le foyer subit un préjudice économique qui peut être évalué à 32 250 euros par an
et qui doit être réparti entre les membres du foyer à hauteur de 60 % pour Mme G... et à hauteur de 20% pour chacun de ses enfants ; ce préjudice est perpétuel pour Mme G... et sera subi par chacun de ses enfants jusqu'à ce qu'ils deviennent autonomes financièrement, soit jusqu'à l'âge de 25 ans ; il convient ainsi d'allouer une somme de 527 015 euros à Mme G..., une somme de 104 714 euros à M. L... G... et une somme de 122 621 euros à M. A... G..., respectivement âgés de 8 et 4 ans à la date du décès de leur père;
- Mme G... et ses enfants ont subi un préjudice d'affection lié au décès
de Damien G..., préjudice en réparation duquel doivent être allouées une somme de 50 000 euros à Mme G... et une somme de 35 000 euros à chacun de ses enfants ;
- Mme G... et ses enfants ont subi un préjudice d'accompagnement durant la maladie de Damien G..., en particulier à partir de février 2010 et durant une période de deux ans, qui correspond à l'aggravation radicale de l'état de santé de Damien G... ;
- Damien G... a subi un préjudice résultant de la perte de chance de voir sa vie prolongée conformément à l'espérance de vie d'une personne de son âge atteinte d'une affection similaire ; en réparation de ce préjudice, transmis à ses ayant-droits, il convient de condamner le CHU à verser une somme de 20 000 euros à Mme G... et une somme de 20 000 euros à chacun de ses enfants.
Par des mémoires enregistrés les 19 septembre 2018 et 7 février 2019, la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits du Régime social des indépendants (RSI), représentée par Me B..., demande à la cour d'annuler le jugement du 10 juillet 2018 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il a rejeté ses demandes, de condamner le CHU de Poitiers à lui verser une somme de 79 870, 24 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 août 2016, au titre de ses débours, ainsi qu'une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et de mettre à la charge de cet établissement une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- en vertu de l'article 15 de la loi n° 2017-1836 de financement de la sécurité sociale pour 2018, elle est recevable à agir en lieu et place des caisses régionales du Régime social des indépendants ;
- c'est à tort que les premiers juges se sont écartés des conclusions de l'expertise ; l'erreur de choix thérapeutique commise par le CHU de Poitiers est à l'origine de l'évolution défavorable de l'état de Damien G... ;
- elle a droit au remboursement des débours exposés au profit de Damien G...,
à savoir les frais médicaux et pharmaceutiques exposés du 28 novembre 2011 au
22 septembre 2012 et les frais d'hospitalisation exposés du 24 février 2010 au 22 septembre 2012.
Par un mémoire enregistré le 4 décembre 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me C..., conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que :
- le CHU de Poitiers a commis plusieurs fautes dans la prise en charge de Damien G..., tenant à l'administration d'un traitement inadapté et injustifié lors de sa récidive en février 2010, l'administration d'un traitement inadapté et injustifié après l'échec de la radiothérapie et un surdosage de la radiothérapie ; les fautes commises dans le choix des traitements ont réduit l'espérance de vie de Damien G... ; la faute tenant au surdosage de radiothérapie l'a exposé au risque, qui s'est réalisé, de nécrose cérébrale ; les fautes commises par le CHU de Potiers sont à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès de Damien G... ; la responsabilité du CHU de Poitiers étant engagée, les conditions d'indemnisation du dommage par la solidarité nationale ne sont pas réunies ;
- le décès de Damien G... est en lien, au moins en partie, avec l'évolution de sa maladie initiale ; il n'est ainsi pas imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, de sorte qu'aucune indemnisation ne saurait être allouée aux requérants au titre de la solidarité nationale.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er février 2019, le CHU de Poitiers, représenté par Me K..., conclut au rejet de la requête de Mme G... et des conclusions de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.
Il soutient que :
-le choix de traiter Damien G... par Temodal intensifié lors de la récidive anaplasique ne revêt pas un caractère fautif ; ce choix thérapeutique a été discuté avec le Professeur Duffau et M. G... lui-même, et se justifiait pas la mauvaise tolérance hématologique de M. G... au traitement par PCV ; la pertinence de ce choix est confirmée par le rapport critique rédigé par le docteur Frappaz, spécialiste des tumeurs cérébrales ;
- à le supposer fautif, ce choix de traitement n'a pas de lien direct et certain avec l'évolution défavorable de Damien G... ; l'expert ne démontre pas qu'un traitement par PCV à partir de février 2010 aurait constitué une option plus efficace ; comme le souligne le docteur Frappaz, il n'existait pas de stratégie standard au moment de la récidive ;
- le traitement par avastin/campto mis en place en 2011 était indiqué, ainsi que le relève le docteur Frappaz ; l'ensemble du corps médical était d'ailleurs favorable à un tel traitement, qui a eu des effets bénéfiques sur l'état de santé de Damien G... ; le lien de causalité entre l'administration d'avastin et l'hémorragie cérébrale présentée par Damien G... n'est pas établi ;
- l'erreur commise, lors de la radiothérapie, dans la pose des filtres n'a pas eu d'incidence sur l'évolution de l'état de Damien G... ;
- si une faute devait être retenue, seule une perte de chance pourrait être réparée ;
- les indemnités réclamées par Mme G... sont injustifiées ; il n'est pas établi que Mme G... aurait personnellement exposé les frais d'obsèques, et les frais d'édification d'un caveau familial de deux places, qui ne sont pas la conséquence directe des fautes imputables, n'ouvrent pas droit à réparation ; aucun justificatif n'est produit s'agissant de la perte de revenus alléguée ; les demandes présentées au titre des préjudices extrapatrimoniaux sont excessives ;
- les débours dont la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants sollicite le remboursement auraient dû être engagés en toute hypothèse compte tenu de l'état antérieur du patient.
Par une ordonnance du 17 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée
au 8 novembre 2019 à 12 heures.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2017-1836 du 31 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme M... D...,
- les conclusions d'Aurélie Chauvin, rapporteur public,
- les observations de Me J..., représentant le CHU de POITIERS et celles de Me H..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... G..., alors âgé de 33 ans, a subi le 6 décembre 2004 une intervention chirurgicale d'exérèse partielle d'une tumeur cérébrale, un oligodendrogliome typique de grade II qu'il présentait au niveau de l'aire de Broca. A partir de novembre 2007, l'augmentation de la fréquence des crises comitiales de l'intéressé et la prise de volume de la tumeur restante ont conduit à la mise en place d'une chimiothérapie par Temodal. En novembre 2009, à l'issue
de 24 cycles, ce traitement a été interrompu au motif que l'intéressé présentait une asthénie et une mauvaise tolérance hématologique, et aux fins de traiter un séminome testiculaire droit diagnostiqué en août 2009. En février 2010, une IRM cérébrale a mis en évidence une prise de contraste de la tumeur cérébrale révélant sa transformation anaplasique. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers, au sein duquel M. G... était alors suivi, a opté pour une reprise de la chimiothérapie par Temodal en intensifiant le traitement. L'IRM d'évaluation réalisée le 24 avril 2010 a mis en évidence une progression de la prise de contraste de la tumeur, ce qui a conduit à la mise en place d'une radiothérapie de mai 2010 à juillet 2010.
En décembre 2010, une IRM a révélé une nouvelle progression de la tumeur. Le CHU de Poitiers a alors mis en place une chimiothérapie par Avastin-Campto. Une IRM du 29 juillet 2011 a révélé une nouvelle prise de contraste, ce qui a conduit à la mise en place d'une chimiothérapie
par Avastin-CCNU. Les IRM réalisées les 14 décembre 2011 et 26 mars 2012 ont mis en évidence une nouvelle majoration de la prise de contraste et des remaniements hémorragiques de la lésion tumorale. M. G... est décédé le 22 septembre 2012. Mme G..., agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, L... et Côme G..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le CHU de Poitiers à réparer les préjudices consécutifs, selon elle, aux manquements de cet établissement lors de la prise en charge
de M. E... G.... Elle relève appel du jugement du 10 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. La caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits du Régime social des indépendants (RSI), relève appel du même jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à la condamnation
du CHU de Poitiers au remboursement de ses débours et au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion. L'ONIAM conclut à sa mise hors de cause.
Sur la responsabilité du CHU de Poitiers :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, qu'une erreur de saisie informatique commise par les radiophysiciens du service de radiothérapie du CHU de Poitiers a entraîné une erreur de dosimétrie de l'irradiation administrée à M. G.... Toutefois, si l'expert impute à cette erreur le remaniement nécrotique cérébral présenté par M. G... à la suite du traitement par radiothérapie, il précise que l'inhomogénéité de la dose d'irradiation délivrée dans le volume cible a été sans conséquence sur l'évolution de l'état de santé de l'intéressé dès lors que la zone tumorale a reçu, malgré cette erreur, une dose suffisante pour obtenir le contrôle de la tumeur. Cette erreur fautive n'est ainsi pas à l'origine du dommage dont la réparation est demandée.
4. En revanche, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que le traitement mis en place par le CHU de Poitiers à partir de mars 2010, à la suite de la transformation anaplasique de la tumeur cérébrale présentée par M. G..., n'était pas adapté à l'état de ce dernier et ne correspondait pas aux données de la science. L'expert indique à cet égard, en s'appuyant sur la littérature médicale, que le protocole associant une chimiothérapie par Procarbazine, Lomustine ou CCNU et Vincristine (PCV) associée à une radiothérapie était considéré, à l'époque, comme le traitement le plus efficace pour obtenir une stabilisation de ce type de tumeur. Il ajoute qu'un tel protocole, dont la mise en place avait d'ailleurs été préconisée en février 2010 par l'équipe de neuro-oncologie du CHU de Montpellier, s'avère d'autant plus efficace s'agissant des patients présentant une tumeur co-délétée 1p/19q, c'est-à-dire comportant la perte de fragments d'ADN sur le bras court du chromosome 1 et le bras long du chromosome 19. Le CHU produit une note rédigée par le docteur Frappaz, cancérologue spécialiste des tumeurs cérébrales, qui ne remet pas utilement en cause cette analyse en se bornant à faire état de la faible valeur statistique de l'étude médicale, citée par l'expert, relative à l'efficacité d'un tel protocole mis en place en deuxième ligne, et à contester, sans élément de justification, la pertinence des autres études médicales au seul motif qu'elles portaient sur des patients chimio- naïfs. L'expert relève encore que la récidive de la tumeur cérébrale au terme d'une période de seulement 4 mois suivant 24 cycles de chimiothérapie par Temodal révélait que cette tumeur était devenue résistante à ce traitement. Si, sur ce point, le docteur Frappaz relève que le traitement par Temodal avait, dans un premier temps, permis de contenir l'évolution de la tumeur, ce seul constat ne permet pas d'infirmer l'analyse de l'expert, analyse qui est au demeurant confirmée par les résultats de l'IRM réalisée le 24 avril 2010 ayant révélé l'inefficacité de la reprise d'une chimiothérapie par Temodal. L'expert souligne enfin que, contrairement à ce que fait valoir le CHU de Poitiers, la toxicité hématologique du PCV ne contre-indiquait pas son administration à M. G..., dont la réserve médullaire n'était pas obérée et alors en outre que cette toxicité peut être modulée. Il conclut que le traitement proposé n'était pas conforme aux données acquises de la science à l'époque des faits. Dans ces conditions, la mise en place, à partir de mars 2010, d'une reprise intensifiée de chimiothérapie par Temodal, alors que la tumeur était devenue résistante à un tel traitement, sans avoir au préalable recherché si cette tumeur présentait une délétion alors que des prélèvements tissulaires en 2004 démontraient l'existence de celle-ci, qui conduisait à une indication favorable au protocole PCV dont des études médicales avaient montré la meilleure efficacité sur les oligodendrogliomes anaplasiques, est constitutive d'une erreur médicale fautive.
5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que le décès
de M. G... est en rapport avec la transformation anaplasique de sa tumeur cérébrale, qui survient dans au moins 70 % des cas, et est donc exclusivement imputable à l'évolution défavorable de son état de santé préexistant.
7. Il résulte cependant également des éléments de littérature médicale cités par l'expert que la mise en place d'une chimiothérapie par PCV aboutit, dans 46 % des cas, à une réponse sans progression tumorale de 12 mois et à une survie globale de 20 mois, que la mise en place d'un protocole associant une chimiothérapie par PCV et une radiothérapie permet, en moyenne, une survie sans progression tumorale de 24 mois et une survie globale de 42 mois, et que les résultats sont encore plus favorables en cas de co-délétion de la tumeur. Or, la requérante établit, devant la cour, que la tumeur cérébrale de M. G... était co-délétée. Dans les circonstances de l'espèce, la faute ci-dessus retenue doit être regardée comme ayant fait perdre à M. G... une chance de stabilisation temporaire de sa tumeur, et, partant, d'espérance de vie sans progression tumorale. Il y a lieu d'évaluer à 50 % le taux de perte de chance, et de condamner
en conséquence le CHU de Poitiers à la réparation de cette fraction des préjudices consécutifs
à cette erreur fautive de choix de traitement médical.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que Mme G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Poitiers à l'indemniser.
9. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par la requérante.
Sur la réparation :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'évolution défavorable
de l'état de santé de M. G... et le décès de ce dernier ne trouvent pas leur origine dans l'erreur fautive de traitement commise en mars 2010 par le CHU de Poitiers, laquelle
a uniquement fait perdre à l'intéressé une chance de survie temporaire sans progression tumorale. Par suite, les conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice financier lié aux frais d'obsèques de M. G..., du préjudice économique du foyer du fait de la perte des revenus de M. G..., et des préjudices d'affection et d'accompagnement subis par la requérante et ses enfants ne peuvent être accueillies.
11. En revanche, M. G... a, en perdant une chance de bénéficier d'une période de rémission de sa tumeur cérébrale en raison de la faute du CHU de Poitiers dans le choix de traitement, perte dont il a eu effectivement conscience, subi un préjudice moral dont la réparation constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès, qui peut être transmis à ses héritiers. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 10 000 euros
et en allouant, après application du taux de perte de chance de 50 %, une somme globale
de 5 000 euros à ses ayant-droits.
12. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Poitiers doit être condamné à verser à Mme F... G..., M. L... G... et M. A... G... une somme globale
de 5 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par M. E... G....
Sur les droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants :
13. Compte tenu de ce qui a été dit, les dépenses de santé exposées par le Régime social des indépendants au profit de M. E... G... et liées à l'évolution défavorable de son état
de santé ne peuvent être regardées comme étant en rapport avec la faute commise par
le CHU de Poitiers. Les conclusions de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale
des travailleurs indépendants ne peuvent ainsi qu'être rejetées.
Sur les conclusions de l'ONIAM tendant à sa mise hors de cause :
14. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire./Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ".
15. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le préjudice moral subi par M. E... G... est entièrement imputable à la faute commise par le CHU de Poitiers. Il suit de
là que l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme G... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre
par la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601206 du 10 juillet 2018 du tribunal administratif de Poitiers
est annulé.
Article 2 : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 3 : Le CHU de Poitiers est condamné à verser à Mme F... G...,
M. L... G... et M. A... G... une somme globale de 5 000 euros en leur qualité d'ayant-droits de M. E... G....
Article 4 : Le CHU de Poitiers versera à Mme F... G... une somme de 1 500 euros
sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6: Le présent arrêt sera notifié à Mme F... G..., au centre hospitalier universitaire de Poitiers, à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme M... D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03268