Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... C... et Mme G... E... épouse C... ont demandé
au tribunal administratif de Toulouse de condamner la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) à verser à M. C... la somme de 90 933 euros au titre de l'impossibilité de commencer une activité de maraîchage, à Mme C... la somme de 3 665,68 euros au titre des dommages occasionnés aux prairies qu'elle exploitait, et à leur verser les sommes
de 3 000 euros au titre de leur préjudice moral et de 60 000 euros au titre du préjudice
de jouissance de l'emprise de la servitude d'implantation d'une canalisation, ainsi que d'enjoindre à la CACG de procéder à la remise en état de la parcelle AE n° 336 dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1503695 du 22 février 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2018 et un mémoire enregistré le
15 octobre 2018, M. et Mme C..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté les demandes relatives au préjudice
de jouissance et au préjudice moral, ainsi que la demande d'injonction ;
2°) de condamner la CACG à leur verser les sommes de 80 000 euros au titre
de leur préjudice de jouissance et de 6 000 euros au titre de leur préjudice moral ;
3°) d'enjoindre à la CACG de procéder à la remise en état de la parcelle AE n° 336 dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la CACG une somme de 6 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à bon droit que le tribunal a retenu le principe de la responsabilité de la CACG à raison des dommages occasionnés par la rupture de la canalisation publique d'irrigation et ses conséquences ;
- en rejetant leur demande relative au préjudice de jouissance au motif que la parcelle avait été nettoyée le 31 juillet 2015, le tribunal n'a pas tenu compte de la durée de 18 mois de la pollution du sol par les résidus amiantés, interdisant toute culture et tout élevage, et les empêchant de respecter leur obligation de débroussaillage, alors qu'ils avaient sollicité une dépollution dès le 4 février 2014 ; le passage des engins de chantier a fortement dégradé les lieux lors des interventions du 4 juin 2014 pour le remplacement de la canalisation et du 30 juillet 2015 pour la dépollution ; les interventions de la CACG ont fortement dégradé le terrain, causant des excavations et affaissements du sol ; ils ne peuvent jouir paisiblement de leur terrain en raison de son défaut de planéité et de la terre argileuse contenant des galets et coquillages, déposée le long du tracé de la canalisation ; leur préjudice de jouissance doit être évalué
à 20 000 euros par an, soit 80 000 euros ;
- l'inertie de la CACG devant leurs demandes de dépollution et de remise en état de leur terrain leur cause un préjudice moral qui perdure et doit être évalué à 6 000 euros ;
- dès lors que les constats d'huissier produits démontrent que le sable, le gravier et les coquillages ne sont présents que sur les zones impactées par les travaux sur un terrain plat et sans excavation, c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leur demande d'injonction.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 août 2018, la CACG, représentée
par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge
de M. et Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les demandes indemnitaires sont irrecevables dès lors que son assureur, la société Axa, a indemnisé à hauteur de 6 772,44 euros Mme C..., laquelle a renoncé à toute action judiciaire ;
- la demande relative à la privation de jouissance est irrecevable en tant qu'elle excède la demande de première instance et n'a pas été précédée d'une demande préalable ;
A titre subsidiaire :
- les dommages matériels affectant l'assiette de la servitude ayant été réparés
par l'indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive conclue avec la société Axa,
les époux C..., qui ne démontrent pas une aggravation de leurs préjudices, ne sont pas fondés à demander une augmentation de cette indemnité ;
- l'existence d'un préjudice moral n'est pas justifiée dès lors que les désordres
ont été réparés dans des conditions de délai et de sécurité optimales ;
- le juge administratif ne peut prononcer d'injonction à l'encontre d'un
concessionnaire ; au demeurant, les époux C... ne justifient pas de l'état antérieur de la parcelle, laquelle ne pouvait être dépourvue de cailloux et de trous compte tenu des caractéristiques géologiques du terrain et de la présence de chevaux ;
- la demande relative au préjudice de jouissance ne repose sur aucun élément comptable ou financier.
Par une ordonnance du 5 août 2019, la clôture de l'instruction a été fixée
au 4 octobre 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 60-383 du 14 avril 1960 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... est propriétaire de la parcelle référencée AE n° 336 au cadastre
de la commune de Mondonville (Haute-Garonne), grevée d'une servitude pour le passage d'une canalisation de la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), concessionnaire du réseau public d'irrigation et d'alimentation en eau des coteaux de Gascogne en vertu d'un décret du 14 avril 1960. Après avoir inondé la parcelle en décembre 2013,
la canalisation vétuste, mise au jour pour une réparation, a explosé en janvier 2014, projetant
des éclats de fibrociment sur le terrain utilisé comme pâture pour l'exploitation équine
de Mme C.... La CACG a remplacé la conduite défectueuse en juin 2014 et procédé
à l'enlèvement des débris amiantés le 30 juillet 2015. M. et Mme C..., invoquant la tardiveté de ce nettoyage et les dégradations causées par les travaux, ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de la condamner à leur verser les sommes de 3 000 euros au titre
de leur préjudice moral et de 60 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, ainsi
que les sommes de 90 933 euros au titre du préjudice économique de M. C... et
de 3 665,68 euros au titre des dommages occasionnés aux prairies exploitées par Mme C....
Ils ont également demandé qu'il soit enjoint sous astreinte à la CACG de remettre dans son état initial la bande de terrain dont ils estimaient qu'elle avait été recouverte, après la pose
de la nouvelle canalisation, d'une " terre de fond de fouille " inexploitable, et présentait des inégalités. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 22 février 2018 par lequel
le tribunal a rejeté ces demandes, limitent leurs prétentions indemnitaires aux sommes
de 80 000 euros au titre du préjudice de jouissance et de 6 000 euros au titre du préjudice moral, et maintiennent leurs conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la CACG :
2. Il résulte de l'instruction que la transaction conclue le 16 décembre 2015 par Mme C... avec l'assureur de la CACG pour une somme forfaitaire de 6 772,44 euros portait sur les dommages causés à son élevage équin par les travaux de réfection de la canalisation réalisés en 2014, et qu'elle correspondait au coût des labours et des semences de
la prairie endommagée, à l'achat de bottes de foin, ainsi qu'à un préjudice de jouissance caractérisé par l'impossibilité pour les juments poulinières de bénéficier des apports caloriques de la prairie fraîche dégradée par le passage des camions de la CACG. Cette indemnisation portait ainsi sur des préjudices distincts de ceux, relatifs à l'absence de nettoyage du terrain pollué par l'amiante et aux autres conséquences des dégradations du terrain, qui font l'objet de l'appel. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du caractère transactionnel de l'indemnité déjà versée ne peut être accueillie.
3. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. En l'espèce, M. et Mme C... ont présenté une demande préalable en invoquant la pollution de leur terrain par des débris amiantés et les dégâts causés par les interventions de la CACG. Leur demande relative au préjudice de jouissance se rattache aux mêmes faits générateurs. La circonstance qu'elle a été majorée en appel est sans incidence sur sa recevabilité dès lors que le montant global de l'indemnisation sollicitée n'a pas été augmenté.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Il leur appartient toutefois d'apporter la preuve de la réalité des préjudices allégués et du lien de causalité entre la présence ou le fonctionnement de l'ouvrage et lesdits préjudices.
En ce qui concerne le préjudice de jouissance :
5. M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté leur demande relative au préjudice de jouissance au motif que la parcelle avait été nettoyée le 30 juillet 2015, sans tenir compte du fait que le sol était resté pollué par des résidus amiantés depuis janvier 2014, soit durant environ dix-huit mois. Il résulte de l'instruction que la parcelle AE n° 336 est de forme approximativement rectangulaire, et que la servitude est constituée d'une bande de terrain oblique traversant le tiers supérieur de ce rectangle dans le sens de la longueur. Si les requérants ont missionné un huissier le 7 juillet 2015 " à l'effet de procéder à toutes constatations utiles quant à la présence de particules amiantées disséminées ", le constat qu'ils produisent ne comporte aucune précision sur la superficie affectée par la pollution et ne permet pas d'établir que les débris de fibrociment, photographiés en deux endroits matérialisés par des piquets, auraient été dispersés au-delà d'une zone très proche de l'explosion de la canalisation. Il sera fait une juste appréciation du préjudice de jouissance causé par la présence de déchets amiantés durant dix-huit mois sur une faible partie de la parcelle AE n° 336 en fixant son indemnisation à la somme de 2 000 euros.
6. M. et Mme C... invoquent en outre des dégradations de la végétation lors du passage des engins de chantier de la CACG en juin 2014 et juillet 2015. Toutefois, le préjudice relatif à l'année 2014 a été indemnisé dans les conditions exposées au point 2, et l'existence d'un préjudice pour l'année 2015, au cours de laquelle la parcelle était en friche, n'est pas établie.
7. Si les requérants font valoir que le comblement de la tranchée creusée pour le remplacement de la canalisation serait à l'origine d'excavations et de décaissements du sol, l'existence d'inégalités importantes n'est pas démontrée par les pièces produites, et l'excavation de dimensions modestes photographiée le 30 juillet 2015 ne fait pas obstacle à l'utilisation de la partie de terrain en cause pour l'élevage de poules.
8. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas du constat d'huissier réalisé le 30 juillet 2015 à la demande de la CACG pour constater l'état de la parcelle avant et après l'enlèvement des déchets amiantés, que la tranchée aurait été recouverte par une " terre de fond de fouille " d'une qualité différente de celle de la terre de surface.
En ce qui concerne le préjudice moral :
9. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, il ne peut être reproché à la CACG de ne pas avoir donné suite aux demandes de remise en état de la partie de la parcelle AE n° 336 sur laquelle une tranchée a été ouverte puis refermée pour la pose de la nouvelle canalisation. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. et Mme C... ont été très affectés par la présence durant dix-huit mois de débris amiantés sur leur terrain, estimant qu'ils étaient de nature à mettre en danger leur santé ainsi que celle des chevaux, et les empêchaient même de procéder au débroussaillage de la parcelle dans le cadre de la prévention des incendies. Il sera fait une juste appréciation de leur préjudice moral en fixant son indemnisation à la somme de 3 000 euros
Sur les autres conclusions :
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. et Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à la CACG de remettre en état la parcelle AE n° 336 doivent être rejetées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué qui a rejeté leurs conclusions indemnitaires et mis à leur charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la condamnation de la CACG à leur verser une indemnité de 5 000 euros.
12. La CACG, qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise à la charge de M. et Mme C... au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion du présent litige. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1503695 du 22 février 2018 est annulé.
Article 2 : La CACG est condamnée à verser une indemnité de 5 000 euros à M. et Mme C....
Article 3 : La CACG versera à M. et Mme C... une somme de 2 000 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... C..., à Mme G... E... épouse C... et à la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme A... B..., présidente-assesseure,
M. Thierry Sorin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX01496