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16/06/2020 | FRANCE | N°18BX01403

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 16 juin 2020, 18BX01403


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions du 8 janvier 2015 et du 23 février 2015 par lesquelles le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de reconnaître un droit fondé en titre d'une consistance de 409 kW au moulin de Vialère, et de fixer à 628 kW la consistance légale du moulin.

Par un jugement n° 1502735 du 1er février 2018, le tribunal a fixé la consistance du droit fondé en titre attaché au moulin de Vialère à 628 kW et a mis à la charge de l'Etat

les frais d'un montant de 2 500 euros de l'expertise ordonnée avant-dire droit.

Procé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions du 8 janvier 2015 et du 23 février 2015 par lesquelles le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de reconnaître un droit fondé en titre d'une consistance de 409 kW au moulin de Vialère, et de fixer à 628 kW la consistance légale du moulin.

Par un jugement n° 1502735 du 1er février 2018, le tribunal a fixé la consistance du droit fondé en titre attaché au moulin de Vialère à 628 kW et a mis à la charge de l'Etat les frais d'un montant de 2 500 euros de l'expertise ordonnée avant-dire droit.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 avril 2018 et le 28 mai 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 1er février 2018 ;

2°) de fixer la consistance légale du droit d'eau fondé en titre en prenant en considération un débit maximum de la dérivation s'élevant à 6,3 m3/s.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- en l'absence de signature du président, du rapporteur et du greffier sur la minute du jugement, ce dernier est irrégulier ;

- en l'absence d'analyse des conclusions et mémoires produits, il est irrégulier ;

- les premiers juges ont omis de statuer sur les conclusions de M. D... tendant à l'annulation des décisions des 8 janvier 2015 et 23 février 2015 en litige ;

- il est entaché de contradiction de motifs s'agissant de la prise en compte des éléments du rapport de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- en écartant le rapport de l'IRSTEA en raison du défaut de contradictoire, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- la détermination du droit fondé en titre fixé par le tribunal à 628 kW est entachée d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit dès lors qu'une partie de l'ouvrage de foulon est comblée et n'est pas susceptible de participer à la détermination du droit fondé en titre ;

- en retenant la hauteur de chute de 4 mètres et en écartant les états statistiques produits par le préfet du Lot-et-Garonne en première instance pour évaluer la consistance légale du droit fondé en titre attaché au moulin à 628 kW, le tribunal a dénaturé les faits et commis une erreur de droit ;

- le débit de 16 m3/s retenu par le tribunal est erroné ; en effet, les quatre meules ne pouvaient pas fonctionner simultanément ; le débit des trois premières a été extrapolé à partir de celui de la quatrième alors que leur débit ne peut être identique compte tenu de leur différence de hauteur ; ainsi la somme des débits des quatre meules est de 4 m3/s ;

- de même, le débit pouvant transiter par le canal de la roue à aubes est erronée ; la perte de charge liée à la présence de cette roue n'a pas été prise en compte par l'expert ; il convient de prendre en compte les calculs de l'IRSTEA qui conduisent à retenir un débit de 2,3 m3/s transitant par la roue à aubes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2018, M. D..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête, subsidiairement, à ce que la cour reconnaisse que le moulin de Vialère bénéficie d'un droit fondé en titre de 628 kW, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 5 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 octobre 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... E...,

- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 janvier 2014, M. D..., propriétaire depuis 2003 du moulin à eau de Vialère situé à Moncrabeau, au bord de la rivière "la Baïse", moulin équipé d'une micro-centrale de production hydro-électrique et d'un barrage en pierre, a déposé une demande auprès de la direction départementale des territoires de Lot-et-Garonne en vue de la reconnaissance d'une consistance fondée en titre de 409 kW. Par un premier courrier du 8 janvier 2015, le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de reconnaître une telle consistance, en estimant que la consistance légale devait être de 107 kW. Le 23 février 2015, le préfet de Lot-et-Garonne a proposé de reconnaître comme droit fondé en titre, la puissance électrique actuellement vendue à Electricité de France, soit 220 kW. M. D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation des décisions des 8 janvier et 23 février 2015 du préfet et la reconnaissance d'une consistance légale de 409 kW du droit fondé en titre attaché au moulin de Vialère.

2. Par un jugement avant dire droit du 9 février 2017, le tribunal administratif a ordonné une expertise en vue d'apprécier la consistance légale du droit fondé en titre du moulin de Vialère. Après dépôt du rapport de l'expert, concluant à une puissance fondée en titre de 628 kW, M. D... a demandé que soit reconnu un droit fondé en titre de 628 kW. Puis, par un jugement du 1er février 2018, le tribunal a fixé la consistance du droit fondé en titre attaché au moulin de Vialère à 628 kW. Le ministre relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort de l'examen de la minute du jugement attaqué que celle-ci comporte les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience, requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".

5. Contrairement à ce que soutient le ministre, il ressort de l'examen de la minute du jugement attaqué que ce jugement mentionne dans les visas l'ensemble des moyens invoqués par M. D... au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation des décisions attaquées et à la reconnaissance d'un droit fondé en titre, et vise également les écritures en défense de manière précise et complète. Par suite le moyen tiré de l'absence de mention dans les visas du jugement attaqué des moyens invoqués manque en fait et doit être écarté.

6. En troisième lieu, le ministre ne peut utilement soutenir que le tribunal aurait omis de statuer sur les conclusions de M. D... tendant à l'annulation des décisions du 8 janvier et 23 février 2015 dès lors qu'à supposer cette omission établie, elle ne lui fait pas grief. En tout état de cause, il ressort des motifs et du dispositif du jugement attaqué que le tribunal, en tant que juge de plein contentieux, a estimé que le moulin de Vialère bénéficie d'un droit fondé en titre de 628 kW. Par suite et quand bien même il ne prononce pas explicitement l'annulation des décisions des 8 janvier et 23 février 2015 attaquées, il doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement réformé ces décisions par lesquelles le préfet de Lot-et-Garonne reconnait au moulin de Vialère un droit fondé en titre pour une consistance légale inférieure, respectivement de 107 kW et 220 kW.

7. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que le tribunal a entaché son jugement d'une contradiction de motifs relève du bien-fondé du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

8. Le droit fondé en titre conserve en principe la consistance qui était la sienne à l'origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer. Cette puissance maximale est calculée en faisant le produit de la hauteur de la chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur. Le débit maximum à prendre en compte correspond à celui du canal d'amenée, apprécié au niveau du vannage d'entrée dans l'usine, en aval de ce canal. La hauteur de chute à retenir est celle de la hauteur constatée de l'ouvrage, y compris les rehausses mobiles, sans tenir compte des variations de débit pouvant affecter le niveau d'eau au point de restitution.

9. Après visite sur place en présence des parties, et notamment de membres de la direction départementale des territoires et de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'expert judiciaire désigné par le tribunal a estimé dans son rapport du 22 juin 2017 que l'état initial du moulin de Vialère, avant 1789, correspondait à une installation comprenant quatre meules entrainées chacune par une roue hydraulique pour la production de farine, un foulon pour préparer les fils de tissage et un atelier de filature, couplés à l'énergie produite par une roue à aubes. Selon lui, la chute d'eau présentait à l'origine une hauteur de 4 mètres, mais a subi ultérieurement des variations à la baisse, en sorte qu'elle s'élève actuellement à 3 mètres. Après prise de mesure de la fente d'alimentation du puits de l'ancienne roue de la seule meule qui subsistait sur les quatre meules installées à l'origine, il a estimé que les orifices disposaient alors d'une capacité d'écoulement de 1,5 m3 par seconde chacun et en a déduit que le débit total correspondant aux quatre meules était de 6 m3 par seconde. Enfin, il a évalué la capacité d'écoulement du canal d'alimentation de la roue à aubes à 10 m3 par seconde et, par conséquent, le débit total du moulin à 16 m3 par seconde et la puissance fondée en titre du moulin à l'origine à 628 kW.

10. Pour contester ces conclusions, l'administration a notamment chargé l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), de réaliser une contre-expertise dont le rapport établi unilatéralement a été remis le 4 septembre 2017 sur la base des mesures relevées par l'expert judiciaire lors de sa visite sur place et des schémas contenus dans l'expertise.

11. Pour estimer à 4 mètres la hauteur de chute existant à l'origine, l'expert judiciaire s'est fondé sur des documents et plans émanant du service des Ponts et chaussées du 31 juillet 1840 et sur le relevé du profil en long IGN établi vers 1920 et actualisé en 1986 pour les altitudes. Il a relevé qu'au vu de ces données, la construction du barrage de Lapierre en 1840, puis la restauration de celui-ci en 1995, avaient entraîné une diminution de la hauteur initiale de la chute de Vialère d'un mètre, la réduisant ainsi à la hauteur actuelle dont il n'est pas contesté qu'elle s'établit à 3 mètres. En se bornant à se prévaloir d'états statistiques sur les irrigations et les usines établi en 1899, le ministre ne produit pas d'éléments permettant de tenir pour erroné le calcul de l'expert, assorti de toutes les précisions utiles sur sa méthodologie, ni d'estimer que l'évaluation qu'il préconise serait plus fiable que celle retenue par l'expert. Ainsi, à défaut de données plus précises, il y a lieu de retenir, comme l'ont fait les premiers juges, une hauteur d'origine de la chute de 4 mètres.

12. Si le ministre soutient qu'une partie de l'ouvrage, le canal du foulon, serait comblée et n'est ainsi pas susceptible de participer à la détermination de la consistance légale attachée à cet ouvrage, cette affirmation n'est corroborée par aucune précision. A supposer le comblement établi, aucun élément ne permet d'en conclure, alors que l'expert a pu mesurer l'ouverture de la façade du moulin correspondant à l'ancienne roue à aubes ainsi que la largeur du canal et sa pente d'écoulement, que cet élément du droit fondé en titre aurait disparu.

13. S'agissant du débit correspondant aux quatre meules, il a été évalué par l'expert à quatre fois 1,5 m3 par seconde, soit au total 6 m3 par seconde. Il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que la quatrième roue, située au-dessus du niveau des eaux aval, n'aurait pas pu fonctionner simultanément avec les trois autres, alors même qu'elle était située à un niveau inférieur de hauteur. Au surplus, et à supposer même que tel serait le cas, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance aurait une incidence sur le calcul du débit maximum qui s'apprécie indépendamment de la force motrice utile correspondant à l'installation de l'exploitant. Si le rapport produit par l'administration comporte une évaluation du débit correspondant à chacune des quatre roues qui diffère, d'ailleurs de peu, de celle faite par l'expert, aucun élément de l'instruction ne permet de considérer que cette estimation de l'IRSTEA serait plus fiable que celle à laquelle a contradictoirement procédé l'expert désigné par le tribunal, sur la base de mesures de hauteur et de largeur des fentes que ne reprend pas l'IRSTEA.

14. S'agissant, enfin, du débit pouvant transiter par le canal de l'ancienne roue à aubes, évalué par l'expert à 10 m3 par seconde, le ministre, s'appuyant sur les calculs de l'IRSTEA, soutient qu'il convient de retenir un débit de 2,3 m3 par seconde seulement, l'expert n'ayant pas pris en compte la perte de charge liée à la présence de cette roue et ayant évalué le débit en prenant en considération un écoulement libre des eaux dans le canal. Si l'IRSTEA affirme dans son étude que la roue du moulin de Vialère était une roue " en-dessous " et à aubes pleines, M. D... affirme qu'au contraire, la roue était positionnée avec un espace entre le radier et les pales et que les pales étaient fixées en bout de jantes, de sorte que l'eau passait librement sous les pales et entre les jantes et que la roue générait ainsi une perte de charge négligeable. L'expert judiciaire, quant à lui, a relevé que, pour tenir compte de la présence de la roue, il conviendrait d'en connaître le type et les dimensions et, en l'absence de telles données, il a raisonné comme si la section d'écoulement de l'eau dans le canal était libre. En l'absence de toute donnée précise permettant de remettre sérieusement en cause les hypothèses de calcul de l'expert judiciaire, il y a lieu de retenir, comme l'a fait le tribunal, le débit de 10 m3 par seconde résultant des conclusions de l'expertise contradictoire.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal, retenant les conclusions de l'expertise qu'il a ordonnée, a fixé la consistance du droit fondé en titre du moulin de Vialère à 628 kW.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et solidaire est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. D... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire et à M. B... D.... Copie en sera délivrée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

Mme C... E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juin 2020.

Le président,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 18BX01403


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01403
Date de la décision : 16/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Eaux - Ouvrages - Établissement des ouvrages - Prises d'eau.

Eaux - Énergie hydraulique (voir : Energie).

Energie - Énergie hydraulique.


Composition du Tribunal
Président : M. FAÏCK
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : CABINET GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-16;18bx01403 ?
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