La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2020 | FRANCE | N°19BX04388

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 mai 2020, 19BX04388


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler l'arrêté du 7 juin 2017 par lequel le préfet de Mayotte a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1701136 du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Mayotte

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 novembre 2019, Mme E..., rep

résentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler l'arrêté du 7 juin 2017 par lequel le préfet de Mayotte a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1701136 du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Mayotte

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 novembre 2019, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Mayotte du 7 juin 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Mayotte de réexaminer sa demande et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de demande de titre de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a jamais reçu la convocation du médecin de l'OFII ; en s'abstenant de vérifier si " elle avait été touchée par la convocation adressée à la bonne adresse " du médecin rapporteur de l'OFII, le préfet a méconnu les dispositions des articles L. 110-1, L. 120-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration imposant de convoquer régulièrement les personnes et de recueillir leurs observations ;

- en se bornant à s'approprier l'avis médical sans motiver sa décision, le préfet a exposé son arrêté à l'annulation ;

- en affirmant qu'il existe aux Comores un traitement approprié, le préfet ne démontre pas que son pays serait en capacité de la prendre effectivement en charge ;

- le préfet n'a pas examiné sa situation personnelle et familiale ;

- le préfet était tenu, en vertu des dispositions des articles L. 114-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, d'examiner sa demande sur tout autre fondement que ceux invoqués ;

- eu égard à la scolarisation de ses enfants à Mayotte et au récépissé valant titre de séjour de son conjoint, le refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle vit depuis des années à Mayotte avec son conjoint et ses enfants, sa plus jeune fille y est née le 26 décembre 2015, ses autres enfants y sont scolarisés et son conjoint dispose d'un récépissé de demande de titre de séjour, de sorte que les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., de nationalité comorienne, a déclaré être entrée irrégulièrement à Mayotte en 2014. Elle a bénéficié d'une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé, renouvelée une fois. Par un arrêté du 7 juin 2017, le préfet de Mayotte lui a refusé le second renouvellement de ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme E... relève appel du jugement

du 18 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la décision de refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...)". Aux termes de

l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. A défaut de réponse dans le délai de quinze jours, ou si le demandeur ne se présente pas à la convocation qui lui a été fixée, ou s'il n'a pas présenté les documents justifiant de son identité le médecin de l'office établit son rapport au vu des éléments dont il dispose et y indique que le demandeur n'a pas répondu à sa convocation ou n'a pas justifié de son identité. Il transmet son rapport médical au collège de médecins. (...). "

3. Il ressort de l'avis du collège de médecins de l'OFII du 6 juin 2017, produit en première instance par le préfet de Mayotte, que le médecin rapporteur a convoqué Mme E... et qu'elle ne s'est pas présentée. En conséquence, ce médecin a établi son rapport au vu des éléments dont il disposait, conformément à l'article R. 313-23 du code de l'entrée

et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Aucune disposition de ce code, ni du code des relations entre le public et l'administration invoqué par la requérante, n'impose au préfet

de s'assurer de la réception des courriers de l'OFII envoyés à l'adresse indiquée par le demandeur. En se bornant à faire valoir qu'elle n'aurait jamais reçu la convocation du médecin rapporteur de l'OFII, la requérante, qui n'apporte aucune précision quant à l'adresse qu'elle avait communiquée pour l'instruction de sa demande, ne démontre l'existence d'aucune irrégularité.

4. Le préfet de Mayotte pouvait légalement s'approprier l'avis du collège de médecins pour estimer que Mme E... ne remplissait plus les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'intéressée, qui n'a porté à sa connaissance ni à celle de la juridiction aucun élément relatif à son état de santé, n'est pas fondée à critiquer cette position du préfet, qui est suffisamment motivée.

5. Par son avis du 6 juin 2017, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme E... nécessite une prise en charge dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Mme E..., qui n'a pas levé le secret médical, n'apporte aucun élément de nature à contredire cet avis.

6. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office

si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue

de régulariser la situation de l'intéressé. Les dispositions des articles L. 114-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, invoquées sans aucune précision

par Mme E..., n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à l'application de cette règle. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait dû examiner d'office sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la demande de titre de séjour qu'elle avait présentée sur le fondement du 11° du même article.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Si Mme E... fait valoir qu'elle réside " depuis des années " à Mayotte avec sa famille et que sa plus jeune fille y est née le 26 décembre 2015, elle ne conteste pas y être entrée en 2014, de sorte qu'elle n'y séjournait que depuis environ trois ans à la date de la décision contestée. Le fait que son conjoint s'est vu délivrer, le 16 mai 2017,

un récépissé de demande de titre de séjour valable jusqu'au 15 novembre suivant n'est pas de nature à démontrer qu'il pourrait prétendre de plein droit à la délivrance d'un tel titre. Les cinq enfants mineurs à la date de la décision ont vocation à suivre leurs parents, tous deux de nationalité comorienne. Par suite le refus de titre de séjour ne peut être regardé comme portant au droit de Mme E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations précitées.

8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

En l'espèce, la scolarisation à Mayotte des enfants de Mme E... ne suffit pas à faire regarder le refus de titre de séjour opposé à leur mère comme contraire à leur intérêt supérieur.

Sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :

9. Il appartient à l'autorité administrative, avant de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger, de se livrer à un examen de la situation personnelle et familiale de l'intéressé et de prendre en compte les éventuelles circonstances faisant obstacle à l'adoption d'une telle mesure. L'arrêté contesté ne comporte aucun élément relatif à la situation personnelle et familiale de Mme E.... Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme E... est fondée à demander l'annulation de l'obligation de quitter

le territoire français, et, par voie de conséquence, celle de la décision fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

10. Eu égard à l'annulation prononcée au point précédent, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Mayotte de réexaminer la situation de Mme E... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

11. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à Me B..., sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : Les décisions du 7 juin 2017 par lesquelles le préfet de Mayotte a fait a fait obligation à Mme E... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi sont annulées.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte n° 1701136 du 18 juin 2019

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Mayotte de réexaminer la situation de Mme E... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me B... une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive

de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., au préfet de Mayotte

et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 25 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... C..., présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine Girault

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04388


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04388
Date de la décision : 12/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : EKEU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-12;19bx04388 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award