Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... et Mme G... D... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'office public de l'habitat (OPH) Agen Habitat à leur verser une indemnité de 90 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la construction de logements sociaux sur la parcelle voisine de leur propriété.
Par un jugement n° 1601713 du 5 janvier 2018, le tribunal administratif de Bordeaux
a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 mars 2018 et un mémoire enregistré le 17 juillet 2018, M. et Mme B..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à leur demande indemnitaire, avec intérêts à compter
du 22 décembre 2015 et capitalisation ;
3°) de leur allouer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 76-1 du code
de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de l'OPH Agen Habitat est engagée pour les dommages permanents que leur causent les immeubles locatifs, ayant la qualité d'ouvrages publics, construits sur la parcelle voisine de leur habitation ;
- avant la construction de l'ensemble immobilier, leur propriété était ensoleillée, la vue dégagée, et personne ne pouvait les observer lorsqu'ils se trouvaient dans leur jardin ; désormais, le bâtiment A accolé au mur mitoyen de leur propriété occulte les deux fenêtres donnant sur leur cage d'escalier, ce qui assombrit la maison, occulte la vue et empêche l'aération ; par leur hauteur, les trois bâtiments sont à l'origine d'une importante perte de vue et d'ensoleillement dans la maison et le jardin, la piscine se trouvant dans l'ombre dès 14 h 30, donc inutilisable ; les habitants des immeubles ont une vue directe sur leur jardin, ce qui les prive de toute intimité et les empêche de jouir normalement de leur bien ; l'absence de fermeture des coursives et des balcons permet des chutes d'objets et de déchets dans leur piscine ; ils subissent les nuisances sonores de 42 familles circulant dans les coursives avec une vue directe sur leur propriété ; leur terrasse est directement accessible depuis les fenêtres de deux appartements ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'OPH est responsable du comportement inapproprié de ses résidents ; la hauteur du mur mitoyen est supérieure au maximum de 3,50 m autorisé par les règles d'urbanisme ; ils subissent en outre des nuisances sonores provenant d'un défaut dans l'écoulement des eaux pluviales sur le bâtiment voisin ; la moins-value résultant de ces dégradations de l'environnement a été évaluée à 75 000 euros en décembre 2015, et c'est à tort que le tribunal a écarté ce chef de préjudice au motif qu'ils n'avaient pas mis en vente leur maison ; ils sollicitent une indemnité de 90 000 euros en réparation de l'ensemble de leurs préjudices anormaux et spéciaux.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 mai 2018, l'OPH Agen Habitat, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge
de M. et Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. et Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... sont propriétaires depuis 1981 d'une maison d'habitation mitoyenne au n° 118 boulevard de la Liberté à Agen, implantée sur une parcelle
de 4 ares 10 centiares aménagée à l'arrière de la maison en jardin, terrasse et piscine. L'environnement de cette propriété est une zone urbanisée caractérisée par une mixité d'habitat individuel et collectif, avec des maisons de ville anciennes et mitoyennes pourvues de jardins en fond de parcelle, et des immeubles plus récents de R+3 à R+5. Après démolition des bâtiments anciens implantés aux nos 114, 112 et 110 du boulevard de la Liberté, l'OPH Agen Habitat, en vertu d'un permis de construire du 11 juillet 2012, a fait édifier un ensemble de trois immeubles accolés, respectivement en R+3, R+4 et R+5, comportant au total 42 logements sociaux, dénommé Résidence Concorde. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 5 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande de condamnation de l'OPH Agen Habitat à les indemniser des préjudices qu'ils estiment subir du fait de la présence de ces immeubles, lesquels ont le caractère d'ouvrages publics, sur le terrain limitrophe de leur propriété.
2. Pour retenir la responsabilité sans faute du propriétaire d'un ouvrage public à l'égard des tiers par rapport à cet ouvrage, le juge administratif apprécie si le préjudice allégué revêt un caractère anormal. Il lui revient d'apprécier si les troubles permanents qu'entraîne la présence de l'ouvrage public sont supérieurs à ceux qui affectent tout résident d'une habitation située dans une zone urbanisée, et qui se trouve normalement exposé au risque de voir des immeubles collectifs édifiés sur les parcelles voisines. Il appartient au juge du plein contentieux de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de préjudice allégués, aux fins de caractériser l'existence ou non d'un dommage revêtant, pris dans son ensemble, un caractère anormal et spécial.
3. M. et Mme B..., qui invoquent une perte de vue, ne démontrent pas, par les photographies produites, que leur vue antérieure sur le paysage urbain avoisinant depuis les pièces situées à l'arrière de leur maison, désormais occultée par la Résidence Concorde, aurait présenté un intérêt particulier. En outre, l'unique façade de leur maison ayant une vue directe sur le terrain d'assiette de cette résidence ne comportait que deux fenêtres de petites dimensions donnant sur l'escalier, situées respectivement entre le premier et le deuxième étage, et entre le deuxième étage et le grenier. Si la construction de la résidence en limite de parcelle a eu pour effet d'occulter ces fenêtres, mettant fin à leur fonction d'aération et occasionnant une perte de lumière naturelle, il résulte de l'instruction que les requérants ont refusé la mesure compensatoire d'installation d'une fenêtre de toit proposée à deux reprises par l'OPH Agen Habitat, les 18 mars et 15 juin 2011. En revanche, la perte d'ensoleillement résultant de la densification de la construction du terrain voisin et de la hauteur des immeubles en R+4 et R+5, supérieure à celle de la maison, n'est pas contestable. Toutefois, la circonstance que la piscine se trouve de ce fait dans l'ombre dès 14 h 30, au début du mois de septembre, ne suffit pas à la faire regarder comme inutilisable.
4. Il résulte de l'instruction que deux appartements de la Résidence Concorde, l'un au cinquième et l'autre au troisième étage, ont des vues directes sur le jardin et la piscine
de M. et Mme B..., de même qu'une partie des coursives des cinquième, quatrième et troisième étages desservant quelques appartements. Il en résulte ainsi une aggravation de la situation antérieure, déjà caractérisée par l'existence de vues directes, notamment des voisins de la maison mitoyenne et d'un appartement d'un immeuble proche.
5. Si les coursives, parties communes desservant les appartements, sont utilisées par les locataires de la Résidence Concorde comme espace extérieur pour fumer, téléphoner ou converser occasionnellement, les photographies produites par les requérants, montrant la présence simultanée de trois personnes au maximum à différents étages au droit de leur propriété, ne démontrent pas l'existence de nuisances, notamment sonores, d'une importance telle qu'elles puissent être regardées comme faisant obstacle à la jouissance de leur terrain.
6. M. et Mme B... ne peuvent utilement invoquer le comportement des locataires de la Résidence Concorde, notamment en ce qui concerne des jets de papiers et de détritus, lesquels ne sont pas la conséquence nécessaire de la présence des immeubles à usage d'habitation.
7. L'OPH Agen Habitat établit, par les pièces produites, avoir fait installer dès juillet 2016 des grilles de défense pour empêcher l'accès à la propriété de M. et Mme B... depuis le toit terrasse de la Résidence Concorde. Si les requérants produisent un constat d'huissier relatif à un bruit de gouttes d'eau tombant dans une canalisation d'eaux pluviales, ces nuisances sonores ne sont perceptibles que dans leur jardin et par temps de pluie.
8. Quand bien même la hauteur du mur de la Résidence Concorde mitoyen de la propriété de M. et Mme B... dépasserait de 50 centimètres la hauteur autorisée par les règles d'urbanisme applicables, les requérants, qui n'ont pas invoqué ce moyen à l'appui de leur demande d'annulation du permis de construire, rejetée par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1203149 du 25 septembre 2014, ne se prévalent d'aucun préjudice en lien avec cette prétendue irrégularité.
9. La circonstance, relevée par le jugement attaqué, que M. et Mme B... n'ont pas mis en vente leur propriété, ne pouvait suffire à écarter toute perte de valeur vénale. Toutefois, si la présence de la Résidence Concorde a nécessairement pour effet de rendre leur propriété moins attractive sur le marché de l'immobilier que lorsqu'elle se trouvait au voisinage des bâtiments anciens ultérieurement démolis, les requérants, qui n'ont pas démontré devant le tribunal administratif que le permis de construire aurait été entaché d'illégalité, n'avaient aucun droit au maintien en l'état du terrain limitrophe de leur propriété.
10. Il résulte de ce qui précède qu'appréciés globalement, les troubles permanents résultant de la présence de la Résidence Concorde n'excèdent pas ceux qui affectent tout résident d'une habitation située dans une zone urbanisée, et qui se trouve normalement exposé au risque de voir des immeubles collectifs édifiés sur les parcelles voisines. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
11. M. et Mme B..., qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à leur charge au titre des frais exposés par l'OPH Agen Habitat à l'occasion du présent litige. Par suite, les conclusions présentées au titre des frais exposés par les parties doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'OPH Agen Habitat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., à Mme G... D... épouse B... et à l'office public de l'habitat Agen Habitat.
Délibéré après l'audience du 25 février 2020 à laquelle siégeaient :
Mme G... Girault, président,
Mme A... C..., présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 mai 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au préfet de Lot-et-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00921