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12/05/2020 | FRANCE | N°18BX00860

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 mai 2020, 18BX00860


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... J... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la communauté d'agglomération Grand Angoulême (COMAGA) à lui verser les sommes de 160 260 euros hors taxes avec indexation sur le coût de la construction au titre des travaux de reconstruction de sa maison, de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et de 96 000 euros au titre de son préjudice de jouissance.

Par un jugement n° 1503224 du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa de

mande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... J... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la communauté d'agglomération Grand Angoulême (COMAGA) à lui verser les sommes de 160 260 euros hors taxes avec indexation sur le coût de la construction au titre des travaux de reconstruction de sa maison, de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et de 96 000 euros au titre de son préjudice de jouissance.

Par un jugement n° 1503224 du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2018 et des mémoires enregistrés les 18 avril et 7 juin 2019, Mme J..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler le rapport d'expertise de M. G... pour n'avoir pas rempli sa mission, notamment en n'entendant pas tout sachant et en ne vérifiant pas si la COMAGA s'était entourée des précautions nécessaires pour réaliser les travaux ;

3°) d'ordonner si besoin une expertise à confier à un expert en hydrogéologie ;

4°) de condamner la COMAGA à lui verser les sommes de 237 500 euros au titre de sa perte patrimoniale, de 104 250 euros au titre des pertes de loyer de décembre 2015 à juin 2017

et de 41 846 euros de taxes foncières de 2005 à 2017, à parfaire et à indexer sur le coût de la construction, ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

5°) de mettre à la charge de la COMAGA les frais des expertises

réalisées par M. H... et M. G..., ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en statuant sans attendre le dépôt du rapport de M. G..., le tribunal l'a privée du double degré de juridiction ;

- l'expertise de M. H... a clairement démontré la responsabilité de la COMAGA en sa qualité de maître d'ouvrage des travaux de réfection du réseau des eaux usées ;

- le constat d'huissier réalisé à la demande de la COMAGA avant les travaux ne lui est pas opposable en l'absence de saisine du tribunal administratif sur le fondement des dispositions de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, et ne démontre pas l'existence d'un basculement de la maison, lequel n'a pas été constaté lors de l'entrée de la locataire en 2004 ; avant les travaux, l'immeuble n'était pas altéré dans les proportions constatées en 2005 ; ainsi, c'est à tort que M. G... s'est fondé sur ce constat pour estimer que le basculement était antérieur aux travaux ;

- M. G... a dirigé ses investigations sur des éléments sans lien avec l'origine du sinistre, sans rechercher la cause réelle de l'affaissement des ouvrages ; il n'a pas suffisamment analysé le contexte hydraulique défavorable et n'a réalisé aucune investigation sur les travaux de rehaussement réalisés par la COMAGA afin de dissimuler l'affaissement des trottoirs au droit des maisons des nos 12, du 14 et du 16 rue Broquisse ; ainsi, son rapport doit être annulé, et il convient de missionner un troisième expert afin de départager les avis opposés des deux premiers ;

- elle sollicite les sommes de 237 500 euros correspondant à la perte patrimoniale évaluée par M. G..., 104 250 euros au titre de la perte des loyers de décembre 2005 à juin 2017 et 41 486 euros au titre de la taxe foncière de 2005 à 2017, le tout étant à parfaire et à indexer sur le coût de la construction ;

- son préjudice moral est caractérisé dès lors qu'elle a vécu dans cette maison qu'elle tient de ses parents, que les désordres lui causent des difficultés depuis une dizaine d'années, et qu'ils ont une incidence sur son état de santé.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 mars et 9 mai 2019, la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme J... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le rapport d'expertise de M. H..., ultérieurement récusé par la cour d'appel de Pau, est dépourvu d'objectivité et ne doit pas être évoqué dans le cadre de la présente instance ;

- il ressort de l'expertise de M. G... que le basculement de la maison est dû à la consistance des sols sur lesquels elle est assise, associée au déficit pluviométrique particulièrement important de l'année 2005, et que les désordres sont sans lien tant avec la fuite d'eau observée en 2005 qu'avec les travaux de pose de réseaux dans la rue ;

- l'hypothèse du rapport Sogéo selon laquelle le remblai de la tranchée d'égout serait à l'origine du drainage des couches superficielles et du déjaugeage n'est corroborée par aucune constatation ;

- l'origine du basculement de la maison, déjà visible avant la réalisation des travaux, ainsi qu'il résulte du constat d'huissier communiqué dans le cadre de l'expertise, réside dans l'hétérogénéité du sol d'assise du radier ; si d'autres immeubles assis sur le même sol présentent des défauts de rectitude, aucun autre sinistre n'a été signalé depuis les travaux réalisés en 2003 ;

- à titre infiniment subsidiaire, la perte de valeur vénale de la maison s'établit

à 133 500 euros, l'indemnité relative aux pertes de loyers doit être réduite à de plus justes proportions, la taxe foncière est due indépendamment du sinistre, et le préjudice moral n'est pas établi.

Par lettre du 4 février 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation du rapport d'expertise.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant Mme J..., et de Me D..., représentant la communauté d'agglomération Grand Angoulême.

Considérant ce qui suit :

1. Les époux J..., décédés en 2007, étaient propriétaires d'une maison d'habitation au n° 16 rue Broquisse à Angoulême, construite en 1958 et mise en location depuis 2002, dont leur fille, Mme I... J... épouse C..., a hérité. Le 11 septembre 2005, au retour d'une courte absence, la locataire a constaté un dégât des eaux que les propriétaires ont déclaré à leur assureur, la compagnie Groupama Centre-Atlantique. Un " craquement " survenu une nuit de novembre 2005 s'est accompagné de l'apparition de fissures sur les murs

du rez-de-chaussée et de l'étage. Peu après, un agent technique de la commune d'Angoulême a conseillé le relogement de la locataire, ce qui a été fait. Leur assureur ayant refusé d'intervenir sur le second sinistre au motif qu'il relevait d'une déstabilisation des fondations de l'habitation ne pouvant être prise en charge au titre de la garantie " dégât des eaux ", les époux J... ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Angoulême, lequel a ordonné une expertise, ultérieurement étendue à la communauté d'agglomération Grand Angoulême (COMAGA) en raison de l'hypothèse, évoquée par l'expert, selon laquelle les désordres pourraient être liés à la réalisation en 2003, sous la maîtrise d'ouvrage de cette personne publique, de travaux de réfection et de construction du réseau des eaux usées. M. H..., expert, a déposé le 13 août 2012 un rapport attribuant les dommages, caractérisés par l'inclinaison générale des sols de la construction, des fissures extérieures des façades et des fissures intérieures des cloisons et des plafonds, au drainage des sols d'assise consécutif à la réalisation de ces travaux. Toutefois, cet expert a été récusé par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 12 février 2014, et un nouvel expert, M. G..., a été désigné par le tribunal de grande instance d'Angoulême. Mme J... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation de la COMAGA à l'indemniser en se fondant sur les conclusions

de la première expertise, alors que la seconde était en cours. Elle relève appel du jugement

du 26 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement :

2. La circonstance que le tribunal s'est fondé sur les éléments d'information figurant au pré-rapport de l'expertise de M. G... ordonnée par le juge judiciaire, produit par la COMAGA et sur lequel Mme J... a eu la possibilité de présenter des observations devant le tribunal, n'a pas pour effet de la priver du double degré de juridiction et ne caractérise,

par elle-même, aucune irrégularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation du rapport d'expertise de M. G... :

3. Un rapport d'expertise a pour objet d'apporter au juge les éléments d'information nécessaires à la solution du litige dont il est saisi. Il ne constitue pas une décision et ne lie pas le juge, auquel il appartient d'en retenir ou non les conclusions compte tenu de l'ensemble des pièces du dossier. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation du rapport d'expertise

de M. G... ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur la responsabilité :

4. Même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage est responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution de travaux publics, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient au juge, pour se prononcer sur le lien de causalité entre les travaux publics et les dommages invoqués, de fonder sa conviction sur l'ensemble des pièces produites par les parties, notamment, le cas échéant, sur les rapports des expertises préalablement prescrites par une autre juridiction.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du diagnostic des sols réalisé à l'occasion de la première expertise, que le terrain d'assiette de la maison, situé dans l'ancien lit d'un cours d'eau qui a été dévié et canalisé à proximité, est constitué, sous une couche de remblais superficiels peu plastiques, d'alluvions de sable fin et de tourbe, matériaux évolutifs présentant une forte teneur en eau, dont le mouvement a conduit au basculement du radier sur lequel la maison est construite. L'expertise de M. H..., dont Mme J... invoque les conclusions, attribuait ce mouvement au drainage des eaux superficielles par le remblai comblant la tranchée dans laquelle la canalisation d'eaux usées a été posée, ayant pour effet de " déjauger " les couches supérieures du sol. Au contraire, l'expertise de M. G... déposée le 19 janvier 2018 conclut que les désordres n'ont pas pour origine la pose de réseaux dans la rue Broquisse, mais que l'affaissement du radier, dû à la consistance extrêmement médiocre et à la consolidation des tourbes constituant le sol d'assise, préexistait à ces travaux, et que le brusque " craquement " survenu en novembre 2005 peut s'expliquer par le déficit pluviométrique particulièrement important de l'année 2005, accélérant la consolidation des tourbes du fait de l'abaissement de la nappe phréatique, et provoquant un affaissement complémentaire du sol d'assise.

6. La circonstance que la COMAGA aurait pu, sur le fondement des dispositions de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, saisir le juge des référés pour faire constater l'état des bâtiments riverains avant la réalisation des travaux, est sans incidence sur le caractère probant du constat d'huissier réalisé au même effet. Ce constat, présenté sous forme d'une vidéo non reproductible, n'a pas été pris en compte lors de la première expertise et a été soumis au débat contradictoire lors de la seconde. La COMAGA en présente des extraits photographiques faisant apparaître qu'en octobre 2003, avant le commencement des travaux, la maison comportait de nombreuses fissures extérieures, et que l'angle Est de sa façade sur la rue Broquisse présentait par rapport au mur de clôture voisin un écart s'élargissant à partir de la base, ce qui démontre l'existence d'un basculement du terrain visible de l'extérieur, sans que Mme J... puisse utilement faire valoir qu'aucune fissure n'avait été constatée à l'intérieur ni par le locataire sorti en 2002, ni par la locataire entrée le 1er décembre 2004. Cette dernière, auditionnée en présence des parties lors de la seconde expertise, a déclaré que les fissures intérieures étaient apparues brusquement, une nuit de novembre 2005, lors d'un " craquement " important de la maison. L'hypothèse d'une cause liée au drainage par le remblai de la tranchée réalisée sous la chaussée au droit de la maison repose ainsi sur le postulat erroné que la maison serait restée stable de sa construction en 1958 à 2005. En outre, cette hypothèse laisse inexpliqué le délai de deux ans écoulé entre la fin des travaux en novembre 2003 et le dommage survenu brutalement en novembre 2005, ainsi que l'absence d'aggravation notable, après la fin de l'année 2005, de l'état de la maison devenue inhabitable. Le fait que des maisons voisines ont également présenté une inclinaison vers la rue est mentionné par les deux expertises, la seconde relevant que le propriétaire ayant acquis en 2007 celle située au n° 14 de la rue Broquisse a dû rehausser la dalle jusqu'à 12 centimètres pour retrouver un niveau horizontal. La réalisation à une date indéterminée de travaux de réfection de la voirie au droit des nos 12, 14 et 16 de la rue Broquisse, afin de rehausser les trottoirs qui s'étaient affaissés " en même temps que les maisons sinistrées ", selon la plus précise des attestations produites par Mme J..., tend seulement à confirmer que les dommages constatés au n° 16, et dans une moindre mesure au n° 14 dont le garage s'est trouvé inaccessible jusqu'à la réfection de la voirie, sont en lien avec un mouvement du sol tourbeux survenu en novembre 2005, sans qu'il soit possible d'établir un lien entre ce mouvement et les travaux d'installation et de remplacement des réseaux d'eaux usées réalisés en octobre et novembre 2003.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise qui apparaît frustratoire, l'existence d'un lien de causalité entre les travaux publics et les désordres apparus en novembre 2005 n'est pas établie. Par suite, la responsabilité de la COMAGA n'est pas engagée. Dès lors, Mme J... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais d'expertise :

8. Les frais des expertises ordonnées par le tribunal de grande instance d'Angoulême ne constituent pas des dépens relatifs au présent litige. Par suite, la demande de Mme J... tendant à ce que la COMAGA soit condamnée à les lui rembourser doit être rejetée.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme J... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la COMAGA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... J... épouse C...

et à la communauté d'agglomération du Grand Angoulême.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

M. Thierry Sorin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine Girault

La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00860


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00860
Date de la décision : 12/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Régime de la responsabilité - Qualité de tiers.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Lien de causalité - Absence.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : PHELIP et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-12;18bx00860 ?
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