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12/03/2020 | FRANCE | N°18BX00353

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 12 mars 2020, 18BX00353


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. M... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 6 novembre 2014 par laquelle la commission d'aménagement foncier de la Charente a modifié ses attributions et le plan d'aménagement foncier agricole et forestier en conséquence.

Par un jugement n° 1500534 du 29 novembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 6 novembre 2014 de la commission d'aménagement foncier de la Charente.

Procédure devant la cour :

Par une requê

te et des pièces complémentaires enregistrées le 29 janvier 2018 et le 14 janvier 2020, le d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. M... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 6 novembre 2014 par laquelle la commission d'aménagement foncier de la Charente a modifié ses attributions et le plan d'aménagement foncier agricole et forestier en conséquence.

Par un jugement n° 1500534 du 29 novembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 6 novembre 2014 de la commission d'aménagement foncier de la Charente.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées le 29 janvier 2018 et le 14 janvier 2020, le département de la Charente, représenté par la société d'avocat C.V.S, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1500534 en date du 29 novembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter les demandes de M. E....

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a accueilli un moyen alors que ce dernier n'était assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 octobre 2018, M. E..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du département de la Charente au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

Il soutient que :

- les premiers juges n'ont commis aucune erreur de droit ;

- la décision du 6 novembre 2014 est entachée de vice de procédure et méconnait les droits de la défense ; il n'a pas été informé du droit à être assisté d'un avocat ; il n'a pas été informé du contenu exact des points à débattre devant la commission départementale ;

- la CDAF a statué ultra petita dès lors que l'attribution intégrale de la parcelle cadastrée section ZD numéro 1058 par la commission communale n'a fait l'objet d'aucune réclamation ;

- la décision est entachée d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif ; elle prévoit que la source doit être réattribuée à son propriétaire initial, donc lui-même, mais affecte la partie de parcelle l'hébergeant à M. B... ;

- la décision méconnait les dispositions des articles L. 121-1 et 123-1 du code rural et de la pêche maritime ; elle n'améliore pas ses conditions d'exploitation en le privant d'une ressource en eau sans compensation ; elle n'assure pas la mise en valeur des espaces naturels dès lors qu'elle implique une coupe de bois plus importante que celle prévue initialement.

La requête a été communiquée à M. et Mme B... qui, bien qu'informés de l'obligation de ministère d'avocat, n'ont pas produit de mémoire par avocat.

Par ordonnance du 30 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 29 novembre 2019 à 12h00.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L... J...,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., représentant du département de la Charente.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la réalisation du projet de ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, le président du conseil départemental de la Charente a ordonné, par arrêté du 9 décembre 2009 modifié, un aménagement foncier agricole et forestier sur le territoire des communes de Sainte-Souline et Passirac (Charente). M. E... est propriétaire de nombreuses parcelles comprises dans le périmètre de l'opération d'aménagement sur la commune de Sainte-Souline. Le 23 juillet 2014, la commission communale d'aménagement foncier (CCAF) a rejeté la réclamation de M. B... dirigée contre l'attribution des terres effectuée dans ce cadre. M. B... a contesté la décision de la CCAF devant la commission départementale d'aménagement foncier (CDAF). Par une décision du 6 novembre 2014, la CDAF a décidé d'agrandir la parcelle d'attribution ZD n° 1012 dévolue à M. B... en lui affectant la partie Nord-Ouest de la parcelle ZD 1058 attribuée initialement à M. E... par la CCAF. Le département de la Charente relève appel du jugement en date du 29 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 6 novembre 2014 à la demande de M. E....

Sur la recevabilité du mémoire présenté par M. et Mme B... :

2. Aux termes de l'article R. 811-7 du code de justice administrative : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 774-8, les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. (...) ". Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme B... ont présenté le 24 octobre 2018 au greffe de la cour un mémoire sans avoir recours au mandataire prévu à l'article R. 811-7 du code de justice administrative, alors que cette obligation était mentionnée dans la notification du jugement attaqué. Ils n'ont pas donné suite à l'invitation qui leur a été faite le 24 octobre 2018 par le greffe de la cour de régulariser leurs écritures lesquelles doivent, en conséquence, être écartées des débats.

Sur la légalité de la décision du 6 novembre 2014 :

En ce qui concerne le moyen retenu par le tribunal administratif de Poitiers :

3. Aux termes de l'article R. 121-10 du code rural et de la pêche maritime : " La commission départementale a son siège à l'hôtel du département. Elle délibère dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article R. 121-4. ". Aux termes de l'article R. 121-4 du même code : " (...) Elle ne peut valablement délibérer que lorsque la moitié au moins de ses membres dont le président ou le président suppléant sont présents. / Sur seconde convocation, elle peut siéger quel que soit le nombre des membres présents. / (...) ".

4. Selon l'arrêté du président du conseil départemental de la Charente du 30 juillet 2014 fixant sa composition, la CDAF de la Charente est composée de trente membres. Il ressort du procès-verbal de la réunion du 6 novembre 2014 de la CDAF de la Charente que vingt-et-un membres de cette commission ont assisté à la séance au cours de laquelle a été examinée la réclamation de M. B.... Le moyen tiré de ce que le quorum exigé par les dispositions de l'article R. 121-10 du code rural et de la pêche maritime n'aurait pas été atteint manque en fait.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur le moyen tiré de l'absence de quorum pour annuler la décision de la CDAF de la Charente du 6 novembre 2014.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif de Poitiers et devant la cour.

En ce qui concerne les autres moyens :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les règles de composition de la commission départementale d'aménagement foncier de la Charente, telle qu'elles ont été fixées par l'arrêté du 30 juillet 2014 du président du conseil général de la Charente, sont conformes aux dispositions de l'article L. 121-8 du code rural et de la pêche maritime. Et le moyen selon lequel la commission ayant siégé lors de la séance du 6 novembre 2014 aurait été composée irrégulièrement est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 121-17 du code rural et de la pêche maritime : " Devant toutes les commissions d'aménagement foncier, les propriétaires, personnes physiques ou morales, ont la faculté de se faire représenter soit par un avocat inscrit au barreau, soit par toute personne dûment mandatée. / Les séances des commissions d'aménagement foncier ne sont pas publiques. ".

9. Il ne résulte pas de ces dispositions que la faculté de se faire représenter devant la commission départementale d'aménagement foncier par un avocat ou par toute autre personne dûment mandatée doive, à peine d'irrégularité, être rappelée dans la convocation des intéressés devant cette commission. Le moyen tiré de ce que la convocation adressée à M. E... ne mentionnait pas cette faculté doit, dès lors, être écarté.

10. En troisième lieu, M. E..., qui a été entendu en tant que tiers intéressé lors de la séance du 6 novembre 2014, n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait intervenue en méconnaissance de ses droits de la défense au seul motif qu'il n'a pas été prévenu, dès la convocation à la séance de la CDAF, de ce que l'attribution de la parcelle ZD 1058 était susceptible d'être remise en cause.

11. En quatrième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 121-10 du code rural et de la pêche maritime que la CDAF, saisie d'une réclamation, a alors qualité pour modifier les opérations décidées par la décision d'une CCAF sans pour autant que sa décision soit limitée par la teneur de la réclamation dont elle est saisie. Ainsi le seul fait que la réclamation de M. et de Mme B... et celle des consorts K... ne fassent pas mention de la possibilité de remettre en cause l'attribution à M. E... de l'intégralité de la parcelle ZD n° 1058 n'empêchait pas cette commission d'adopter un projet parcellaire modifiant l'attribution de cette parcelle.

12. En cinquième lieu, la décision du 6 novembre 2014 indique que le maître d'ouvrage de l'opération d'aménagement de la ligne grande vitesse Sud-Europe-Atlantique devra rétablir la source " Chez Migou ", située dans l'emprise du projet, " chez le propriétaire initial ". Cette mention, pour regrettable qu'elle ait été, ne peut être interprétée que comme ayant rappelé l'obligation incombant au maître d'ouvrage de préserver la source. Elle ne préjugeait pas de l'affectation de la parcelle sur laquelle elle se trouvait, cette question étant de la compétence de la CDAF et non du maître d'ouvrage. Le moyen tiré ce que la décision en litige serait entachée de contradiction doit par suite être écarté.

13. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code rural et de la pêche maritime : " L'aménagement foncier rural a pour but d'améliorer les conditions d'exploitation des propriétés rurales agricoles ou forestières, d'assurer la mise en valeur des espaces naturels ruraux et de contribuer à l'aménagement du territoire communal ou intercommunal défini dans les plans locaux d'urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu, dans le respect des objectifs mentionnés aux articles L. 111-1 et L. 111-2... ". Aux termes de l'article L. 123-1 du même code : " aux termes de l'article L. 123-1 du code rural et de la pêche maritime : " L'aménagement foncier agricole et forestier, applicable aux propriétés rurales non bâties, se fait au moyen d'une nouvelle distribution des parcelles morcelées et dispersées. Il a principalement pour but, par la constitution d'exploitations rurales d'un seul tenant ou à grandes parcelles bien groupées, d'améliorer l'exploitation agricole des biens qui y sont soumis. Il doit également avoir pour objet l'aménagement rural du périmètre dans lequel il est mis en oeuvre. Sauf accord des propriétaires et exploitants intéressés, le nouveau lotissement ne peut allonger la distance moyenne des terres au centre d'exploitation principale, si ce n'est dans la mesure nécessaire au regroupement parcellaire. ". Ces dispositions ne garantissent aux propriétaires ni une égalité absolue entre la surface qui leur est attribuée et celle de leurs apports, ni une équivalence parcelle par parcelle ou classe par classe entre ces terres. Les commissions d'aménagement foncier sont seulement tenues d'attribuer des lots équivalents en valeur de productivité réelle aux apports de chaque propriétaire après déduction de la surface nécessaire aux ouvrages collectifs. L'aggravation éventuelle des conditions d'exploitation et la règle de l'équivalence entre les apports et les attributions s'apprécient non parcelle par parcelle mais pour l'ensemble d'un compte de propriété.

14. D'une part, il n'est ni établi ni même n'allégué que la source " chez Migou " serait un immeuble " d'utilisation spéciale " qui aurait dû être réaffecté à M. E... en application des dispositions de l'article L. 123-3 du code rural et de la pêche maritime. D'autre part, M. E..., qui ne fournit aucune précision quant à l'usage qu'il faisait de cette source pour l'exploitation de sa propriété, ne justifie pas que la décision en litige aggraverait ses conditions d'exploitation ou méconnaitrait la règle d'équivalence entre ses apports et ses attributions.

15. En dernier lieu, M. E... n'assortit le moyen tiré de ce que la décision en litige compromettrait la mise en valeur des espaces naturels ruraux d'aucun élément permettant d'en apprécier le caractère opérant et a fortiori le bien-fondé.

16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, que le département de la Charente est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 6 novembre 2014 de la CDAF de la Charente.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

17. Le département de la Charente n'étant pas la partie perdante, les conclusions susvisées de M. E... doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1500534 du tribunal administratif de Poitiers en date du 29 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. E... devant le tribunal administratif de Poitiers et les conclusions de M. E... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Charente, à M. M... E..., à M. et Mme M... B..., à M. C... K..., à M. G... K..., à Mme I... K..., à Mme D... K... et à Mme F... K....

Délibéré après l'audience du 6 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

M. M... Ferrari, président-assesseur,

M. L... J..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 mars 2020.

Le rapporteur,

Stéphane J... Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 18BX00353


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00353
Date de la décision : 12/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

03-04 Agriculture et forêts. Remembrement foncier agricole.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: M. Stéphane GUEGUEIN
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS GAND PASCOT PENOT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-03-12;18bx00353 ?
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