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25/02/2020 | FRANCE | N°18BX00585

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 25 février 2020, 18BX00585


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 11 janvier 2016 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Seguin a refusé de reconnaître comme imputable au service le congé de maladie de longue durée dont elle a bénéficié du 1er octobre 2012

au 31 mars 2016.

Par un jugement n° 1601113 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant

la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2018 et un mémoire enregistré

le 21 janvie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 11 janvier 2016 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Seguin a refusé de reconnaître comme imputable au service le congé de maladie de longue durée dont elle a bénéficié du 1er octobre 2012

au 31 mars 2016.

Par un jugement n° 1601113 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2018 et un mémoire enregistré

le 21 janvier 2019, Mme C..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la directrice de l'EHPAD Seguin du 11 janvier 2016 ;

3°) d'enjoindre à la directrice de l'EHPAD Seguin de réexaminer sa demande d'imputabilité au service dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'EHPAD Seguin une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le rapport d'expertise du docteur Pouyeto admet que son mal-être est lié aux conflits qui l'opposaient à son employeur et ne justifie l'absence d'imputabilité au service par aucune autre cause ; la commission de réforme, qui était en possession de ce rapport, a conclu à l'existence d'un lien direct entre le congé de longue maladie et le service ; la circonstance que les conditions de travail difficiles concernaient l'ensemble des employés de l'EHPAD n'est pas de nature à affaiblir ce lien ; son état de santé s'est amélioré depuis qu'elle a changé de cadre de travail ; ainsi, c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu ce lien de causalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2018, l'EHPAD Seguin, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre

à la charge de Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

Il fait valoir qu'une nouvelle organisation du travail des aides-soignantes a été adoptée depuis le rapport rédigé en 2009 par des psychologues du travail, que Mme C... ne produit aucun élément de nature à mettre en cause les conclusions de l'expert, et que la directrice

de l'EHPAD n'était pas liée par l'avis de la commission de réforme.

Par une ordonnance du 4 février 2019, la clôture de l'instruction a été fixée

au 22 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public,

- et les observations de Me D... représentant Mme C... et Me F..., représentant l'EHPAD Seguin.

Une note en délibéré présentée pour l'EHPAD Seguin a été enregistrée

le 28 janvier 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., aide-soignante en fonctions à l'EHPAD Seguin à Cestas, en congé de maladie depuis le 4 mai 2012, a été placée en congé de longue maladie à compter

du 1er octobre 2012, pour une durée initiale de douze mois, puis en congé de longue durée

du 1er octobre 2013 jusqu'au 31 mars 2016. Sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie, présentée par lettre du 18 février 2015, a été rejetée par une décision de la directrice de l'EHPAD du 11 janvier 2016. Mme C... relève appel du jugement

du 14 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans. (...). " Aux termes de l'article 21 du décret

du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière : " La demande tendant à ce que la maladie ouvrant droit à congé de longue durée soit reconnue comme ayant été contractée dans l'exercice des fonctions doit être transmise à la commission départementale de réforme des agents des collectivités locales. / Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. / (...). "

3. D'autre part, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

4. Pour conclure à l'absence d'imputabilité au service des troubles psychiques ayant entraîné la mise en congé de longue durée, l'expert qui a examiné Mme C... relève qu'elle a " développé au cours des années à l'encontre de la directrice de son établissement un sentiment de persécution associé à des revendications multiples, à un sentiment de spoliation pouvant aller jusqu'à la dépression, qui signent un trouble de la personnalité ". Il indique que les difficultés relationnelles de Mme C... avec la directrice entrée en fonctions en 2008 n'ont fait qu'augmenter, qu'elle s'est sentie persécutée, reprochant à la directrice de refuser de la recevoir et de lui adresser des " regards en coin " et des " sourires narquois ", qu'elle mettait ses espoirs dans l'obtention d'un poste de nuit et que, lorsque celui-ci lui a été refusé en 2012, " elle n'a pratiquement plus travaillé, s'est déprimée de plus en plus, jusqu'à une tentative de suicide et une hospitalisation (brève) en psychiatrie. " L'expert diagnostique des troubles dépressifs névrotiques sur fond de personnalité pathologique (paranoïa sensitive), dont il estime qu'ils ne peuvent être considérés comme directement imputables aux conditions de travail, " même si le mal-être de Mme C... est étroitement lié aux conflits qui l'opposaient à son employeur ".

5. Toutefois, le rapport cité au point précédent apparaît contradictoire dès lors que l'expert, après avoir longuement rappelé les conflits de Mme C... avec son employeur, ne justifie pas la non-imputabilité de ses troubles psychiques à ses conditions de travail. Par ailleurs, il ressort des pièces produites devant le tribunal que le revirement brutal du médecin du travail, qui a émis un avis défavorable à l'affectation sur un poste de nuit après l'avoir appuyée durant trois ans, ainsi qu'un précédent conflit sur la reconnaissance de l'imputabilité professionnelle de souffrances à l'épaule, finalement obtenue par Mme C... du tribunal administratif, ont contribué à la fragilité psychologique et au développement des troubles dépressifs névrotiques de l'intéressée. Dans ces circonstances, l'avis de l'expert ne suffit pas à écarter le lien que la chronologie des évènements et l'absence d'autres facteurs personnels permet d'établir entre les conditions de travail de Mme C... et la pathologie pour laquelle elle a été placée en congé de longue durée. Ni les circonstances que les conditions de travail à l'EHPAD Seguin étaient difficiles pour l'ensemble des personnels, ni la mise en place d'un plan de prévention des risques psycho-sociaux ne permettent d'écarter ce lien, au demeurant reconnu à l'unanimité par la commission de réforme. Dans ces circonstances, et alors même que la directrice de l'EHPAD n'était pas liée par l'avis de la commission, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation du refus de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision de la directrice de l'EHPAD Seguin du 11 janvier 2016, et par voie de conséquence à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

7. Eu égard à l'annulation de sa décision prononcée au point précédent, il y a lieu d'enjoindre à la directrice de l'EHPAD Seguin, ainsi que le demande Mme C..., de réexaminer sa demande et de prendre une nouvelle décision dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EHPAD Seguin une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... à l'occasion du présent litige. L'EHPAD étant la partie perdante, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1601113 du 14 décembre 2017 et la décision de la directrice de l'EHPAD Seguin du 11 janvier 2016 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la directrice de l'EHPAD Seguin de réexaminer la demande de Mme C... et de prendre une nouvelle décision dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'EHPAD Seguin versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... C... et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Seguin.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 25 février 2020.

La rapporteure,

Anne B...

Le président,

Catherine GiraultLa greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00585


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00585
Date de la décision : 25/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-02 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Congés. Congés de longue durée.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : RIVIERE AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-25;18bx00585 ?
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