Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Gironde a décidé sa remise aux autorités italiennes, comme étant responsables de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, d'enjoindre audit préfet, sous astreinte, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.
Par un jugement n° 1901524 du 12 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2019, et un mémoire en production de pièces, enregistré le 1er août 2019, M. A... E..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 mars 2019 par lequel le préfet de la Gironde a décidé sa remise aux autorités italiennes, comme étant responsables de l'examen de sa demande d'asile ;
3°) d'enjoindre audit préfet de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale dans le délai de 10 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans le délai d'un mois sou la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a commis une erreur de droit dès lors qu'il entrait dans le champ d'application du paragraphe 1 point d) de l'article 18 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013 et non dans celui du b) , dès lors qu'il a indiqué, lors de son entretien, que sa demande d'asile en Italie avait été refusée :
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 17 du règlement UE du 26 juin 2013 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le préfet n'a en effet pas procédé à un examen sérieux de sa situation et s'est estimé en situation de compétence liée, dès lors qu'il a omis de faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour examiner sa demande d'asile ;
- l'Italie est un Etat présentant des défaillances systémiques ; son transfert vers cet Etat méconnaît donc les stipulations de l'article 3 du règlement Dublin et les dispositions de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2019, me préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés et informe la cour de ce que l'arrêté de transfert a été exécuté le 8 mai 2019.
Par une ordonnance du 11 octobre 2019, la clôture d'instruction a été reportée au 6 novembre 2019.
Par une décision du 13 juin 2019, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à M. E....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E..., ressortissant nigérian, né le 16 avril 1992, qui déclare être entré irrégulièrement en France le 13 janvier 2019, s'est présenté à la préfecture de la Gironde le 31 janvier 2019 afin d'y déposer une demande d'asile. Le relevé de ses empreintes décadactylaires ayant révélé qu'il avait déposé une demande similaire en Italie le 11 novembre 2016, les autorités italiennes ont été saisies le 11 février 2019 d'une demande de reprise en charge, implicitement acceptée le 26 février 2019. Par arrêté du 19 mars 2019, le préfet de la Gironde a prononcé sa remise aux autorités italiennes, arrêté de transfert qui a été exécuté le 8 mai 2019. M. E... fait appel du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2019, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article 18 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...)d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ".
3 Le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a relevé que : " M. E... soutient que le préfet a commis une erreur de droit dès lors que les autorités italiennes devaient être sollicitées sur le fondement du d) de l'article 18 et non sur celui du b). Toutefois, ainsi qu'on l'a dit, le relevé d'empreintes digitales issu d'une fiche Eurodac a révélé que le requérant a demandé à bénéficier de l'asile en Italie, puis est entré irrégulièrement en France, où il a à nouveau déposé une demande d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités italiennes aient prononcé à son encontre un rejet de sa demande d'asile. En outre, et contrairement à ce que soutient M. E..., il ne ressort pas du résumé de l'entretien individuel réalisé le 31 janvier 2019 produit en défense, que ce dernier ait fait part dans ses observations du fait que sa demande d'asile avait été rejetée par l'Italie. Ainsi, M. E... se trouve dans la situation visée au b du 1) de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 précité, celle du ressortissant étranger qui a formulé une demande d'asile en Italie et qui se trouve irrégulièrement sur le territoire d'un autre Etat que celui auprès duquel il a sollicité l'asile. Il incombe donc aux autorités italiennes, qui ont donné leur accord de manière implicite de mener à bien l'examen de sa situation, en application des dispositions précitées du b) de l'article 18 précité. Par suite, le préfet de la Gironde pouvait valablement décider la remise aux autorités italiennes sur le fondement de l'article précité. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut qu'être écarté ". En appel, le requérant n'apportant aucun élément nouveau à l'appui de ce moyen, qu'il réitère, il y a lieu d'adopter la motivation du jugement attaquée telle qu'elle vient d'être rappelée.
4. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 17 du règlement (CE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'État responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État. ".
5. Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
6. L'arrêté en litige indique que M. E... ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France stable, qu'il est entré récemment en France et qu'il n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Italie et que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 17-1 ou 17-2 du règlement (UE) n°604/2013. A cet égard, M. E... ne fait état, et ce pas plus en appel qu'en première instance, d'aucun élément personnel et circonstancié tiré de sa vie privée et familiale, justifiant que le préfet de la Gironde fasse application de la clause de souveraineté permettant à l'État français de se reconnaître compétent pour examiner, à titre dérogatoire, sa demande d'asile.
7. D'autre part, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Aux termes de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
8. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.
9. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de M. E..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. E... n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prononçant son transfert aux autorités italiennes, le préfet de la Gironde aurait méconnu les stipulations de l'article 3.2 du règlement du 26 juin 2013, ni celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, non plus que les dispositions de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 10 ci-dessus que M. E... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Gironde n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation, et aurait méconnu l'étendue de sa compétence ou aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle, ou encore des risques qu'il encourrait en Italie, en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme D... C..., présidente-assesseure,
Mme F..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 décembre 2019.
Le rapporteur,
F...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX02734