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19/11/2019 | FRANCE | N°17BX03998

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 19 novembre 2019, 17BX03998


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... D... veuve C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers et l'Etat à lui verser une indemnité de 30 000 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation du préjudice que lui a causé le décès de son époux au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne

le 23 mars 2012.

Par un jugement n° 1501538 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à lui verser une ind

emnité de 3 000 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... D... veuve C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers et l'Etat à lui verser une indemnité de 30 000 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation du préjudice que lui a causé le décès de son époux au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne

le 23 mars 2012.

Par un jugement n° 1501538 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 3 000 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2017, Mme C..., représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne retient pas la responsabilité du CHU de Poitiers et ne fait pas droit à la totalité de sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner solidairement le CHU de Poitiers et l'Etat à lui verser une indemnité de 30 000 euros, avec intérêts à compter de la date de sa demande préalable et capitalisation à chaque échéance annuelle ;

3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Poitiers et de l'Etat une somme

de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- un pilulier contenant 35 pilules a été retrouvé dans la cellule, ce qui démontre que l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) n'a pas vérifié si Jean-Michel C... ne conservait pas les médicaments ; cette faute est corroborée par l'audition de l'infirmière ;

- l'intoxication au citalopram (Seroplex) associé à la morphine révèle une faute dans la distribution des médicaments et la surveillance du patient détenu ;

- dès lors que la prescription de citalopram associée à la morphine était contre-indiquée, ce traitement fautif a nécessairement contribué au décès de Jean-Michel C... en précipitant la dégradation de ses fonctions vitales ;

- l'Etat a commis des fautes en s'abstenant de vérifier si Jean-Michel C... ne conservait pas dans sa cellule des médicaments non conformes à son traitement ou en trop grande quantité, et en raison de l'inadaptation du dispositif d'appel d'urgence qui avait été signalée à l'administration pénitentiaire ; c'est à tort que le tribunal a limité à 10 % la perte de chance de survie dès lors que ce taux n'est pas justifié, aucun élément du dossier médical ne permettant de conclure que le décès aurait été imminent ou n'aurait pu être évité ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la conscience de son état par la victime n'a pas d'incidence sur la détermination de la perte de chance de survie, qui est liée aux possibilités de guérison en fonction des données acquises de la science ; ainsi, le taux de perte de chance doit être fixé à 100 %, ou à tout le moins, ne saurait être inférieur à 80 %.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2018, le CHU de Poitiers, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- l'UCSA a respecté le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues ;

- la preuve d'un lien de causalité direct entre le décès et l'intoxication au citalopram associé à la morphine n'est pas apportée ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions dirigées à son encontre.

Par ordonnance du 28 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée

au 28 février 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le corps sans vie de Jean-Michel C..., âgé de 47 ans, a été découvert

le 23 mars 2012 vers 7 h 10 sur le lit médicalisé de la cellule qu'il occupait seul au centre pénitentiaire de Poitiers. Si l'autopsie a attribué le décès aux pathologies graves dont il souffrait, les analyses toxicologiques ont mis en évidence une intoxication au citalopram associé à une prise de morphine, susceptible d'avoir provoqué une dépression cardio-respiratoire pouvant être reliée au processus de décès. Mme C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers a seulement condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 3 000 euros, et rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre le CHU de Poitiers.

Sur la responsabilité du CHU de Poitiers :

2. Aux termes de l'article D. 368 du code de procédure pénale : " Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d'éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l'autorité médicale d'un praticien hospitalier, dans le cadre d'une unité de consultations et de soins ambulatoires (...). " Aux termes de l'article D. 383 du même code : " Le personnel infirmier répond aux demandes de soins dans le cadre de son rôle propre, dispense les soins et administre les médicaments sur prescription médicale, en application des articles R. 4311-1 à R. 4311-15 du code de la santé publique. ".

3. Ainsi que l'a relevé le tribunal, la mission du personnel infirmier se limite à remettre aux détenus un pilulier contenant le traitement et à le reprendre vide. Les dispositions citées au point précédent ne lui confèrent aucun pouvoir de contrôle sur la réalité et les modalités de la prise du traitement. Les dispositions alors en vigueur de l'article D. 273 du code de procédure pénale, selon lesquelles les détenus ne peuvent garder à leur disposition aucun objet ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide, sont relatives à la sécurité intérieure des établissements pénitentiaires, qui incombe au personnel de l'administration pénitentiaire. Par suite Mme C... n'est pas fondée à reprocher à l'UCSA de ne pas avoir surveillé la prise du traitement médicamenteux de son époux.

4. Il résulte de l'instruction que Jean-Michel C..., qui avait subi une néphrectomie gauche à une date indéterminée, souffrait d'un diabète de type II, d'hypothyroïdie, ainsi que d'une neuropathie périphérique, apparue en 2006 au décours d'une réanimation pour détresse respiratoire aiguë, responsable d'une paralysie radiale droite et de méralgie paresthésiante par atteinte du nerf fémoro-cutané gauche. Il présentait en outre un tabagisme de 20 cigarettes par jour, une obésité morbide, et un syndrome d'apnée du sommeil pour lequel il était appareillé la nuit. Son traitement associait une douzaine de médicaments, dont, depuis octobre 2009, le Skenan, spécialité à base de morphine pour le traitement des douleurs paresthésiques, et le Seroplex, antidépresseur à base de citalopram. L'analyse toxicologique réalisée après le décès a révélé la présence dans le sang de morphine en concentration élevée et de citalopram en concentration toxique. Son compte-rendu conclut que l'intoxication au citalopram, associée à une prise de morphine, est susceptible d'avoir provoqué une dépression cardio-respiratoire pouvant être reliée au processus de décès. Toutefois, eu égard à la lourdeur des pathologies et à la complexité du traitement, ni le constat de cette intoxication, ni la notice du Seroplex selon laquelle il convient d'informer le médecin en cas d'insuffisance rénale ou de diabète, ne suffisent à faire regarder comme fautive l'association de Seroplex et de Skenan aux doses prescrites.

Sur la responsabilité de l'Etat :

5. Aux termes de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 dans sa rédaction applicable au litige : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. ". Aux termes de l'article D. 273 du code de procédure pénale : " Les détenus ne peuvent garder à leur disposition aucun objet ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide, une agression ou une évasion, non plus qu'aucun outil dangereux en dehors du temps de travail. Au surplus, et pendant la nuit, les objets et vêtements laissés habituellement en leur possession peuvent leur être retirés pour des motifs de sécurité. Sauf décision individuelle du chef d'établissement motivée par des raisons d'ordre et de sécurité, un détenu peut garder à sa disposition, selon les modalités prescrites par les médecins intervenant dans les établissements pénitentiaires, des médicaments, matériels et appareillages médicaux. ".

6. En l'absence d'éléments de nature à faire suspecter un risque de suicide, les services pénitentiaires n'ont pas commis de faute en s'abstenant de procéder à une fouille de la cellule à la recherche d'un éventuel stockage de médicaments potentiellement dangereux. Au demeurant, le stock de médicaments non pris retrouvé dans la cellule n'est pas à l'origine du décès de Jean-Michel C....

7. Le tribunal a retenu une faute à raison de la carence de l'administration pénitentiaire à installer, en sus du bouton d'alarme situé près de la porte, un système d'alarme accessible depuis le lit de Jean-Michel C..., alors que la nécessité d'un tel équipement avait été soulignée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté plusieurs mois auparavant. De fait, l'administration n'a apporté aucune précision sur les circonstances qui auraient fait obstacle à ce que la commande passée en juillet 2011 soit exécutée dans de brefs délais. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de la perte de chance de survie en lien avec cette faute en la fixant à 10 % compte tenu des incertitudes relatives, d'une part, à l'état de conscience

de Jean-Michel C... dont le décès a pu survenir durant son sommeil, et d'autre part, à la possibilité de le sauver s'il avait eu à la fois la conscience d'un état de mort imminente et la possibilité physique et matérielle d'alerter les secours.

Sur le préjudice :

8. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice d'affection de Mme C... en le fixant à la somme de 3 000 euros après application de la part

de responsabilité de 10 % de l'Etat.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

9. D'une part, lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, à défaut, à compter de la date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif des conclusions tendant au versement de cette indemnité. D'autre part, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée, et pourvu qu'à cette date, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

10. Il résulte du mémoire en défense produit devant le tribunal que la demande préalable a été reçue par les services du ministère de la justice le 8 juillet 2014. Ainsi, la requérante a droit aux intérêts au taux légal sur la condamnation prononcée à son profit à compter de cette date et à leur capitalisation à compter du 8 juillet 2015, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

11. Le CHU de Poitiers n'est pas partie perdante et il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre des frais exposés par Mme C... à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à Mme C... portera intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2014. Les intérêts échus à la date du 8 juillet 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 25 octobre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... D... veuve C..., au centre hospitalier universitaire de Poitiers et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 novembre 2019.

La rapporteure,

Anne B...

Le président,

Catherine GiraultLa greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice, et à la ministre des solidarités et de la santé, en ce qui les concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 17BX03998


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