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18/11/2019 | FRANCE | N°19BX01746,19BX01747

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 18 novembre 2019, 19BX01746,19BX01747


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel il a été assigné à résidence et, d'autre part, d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un dossier de demande d'asile dans le délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par u

n recours distinct, Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'un...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel il a été assigné à résidence et, d'autre part, d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un dossier de demande d'asile dans le délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un recours distinct, Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de la Haute Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel elle a été assignée à résidence et, d'autre part, d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un dossier de demande d'asile dans le délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n°s 1900996, 1900997 du 27 février 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, qui a joint les recours, a annulé les quatre arrêtés précités du préfet de la Haute-Garonne en date du 19 février 2019 et a enjoint au préfet de réexaminer les demandes respectives de M. B... et de Mme C... dans un délai de deux mois.

Procédures devant la cour :

I.- Par une requête au fond, enregistrée le 26 avril 2019 sous le n° 19BX01746, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 27 février 2019 ;

2°) de rejeter les demandes présentées en première instance par M. B... et Mme C....

Il soutient que :

- des conditions minimales d'accueil sont parfaitement assurées en Italie, où l'afflux de migrants a très sensiblement diminué en 2018 et 2019 ;

- l'Italie est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en l'absence d'éléments spécifiques signalant une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, ce sont là des garanties suffisantes, comme l'a récemment rappelé le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Lyon ; les rapports établis par l'OSAR, dont se prévalent les requérants, ne sont pas de nature à caractériser les conditions d'accueil sur le territoire italien ; le Conseil d'Etat exige, pour définir le risque systémique, que le demandeur démontre avoir fait l'objet de mauvais traitements ou de prouver, par des éléments de fait précis et circonstanciés, qu'il a été privé des garanties attachées à l'exercice du droit d'asile, les éléments de preuve devant être personnalisés ; en l'espèce, le couple n'apporte aucun élément probant de nature à étayer utilement leurs dires ou à mettre en évidence l'incapacité des autorités italiennes à assurer le respect de leurs droits fondamentaux ; en tout état de cause, aucun organisme institutionnel européen ou international n'a relevé l'existence de défaillances systémiques dans le respect du droit d'asile en Italie ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont considéré que ce couple, ayant un enfant de six mois, était dans un état de vulnérabilité tel qu'il s'opposerait à son transfert en Italie, alors en outre qu'ils arriveront en Italie, non de manière irrégulière, mais dans le cadre d'un transfert organisé par la France ; ainsi, ils ne seront pas en situation de précarité migratoire ; en tout état de cause, rien ne permet d'établir que l'exécution du transfert apportera une aggravation significative et irrémédiable de leur vulnérabilité ; en outre, le simple fait d'être parent d'un enfant en bas âge ne justifie pas en soi l'application de la clause discrétionnaire du préfet ;

- les arrêtés contestés ne sont donc pas entachés d'erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 17.1 et 17.2 du règlement Dublin III ; ils ne méconnaissent pas davantage l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- tous les autres moyens de première instance soulevés par M. B... et Mme C... sont infondés.

Par une ordonnance en date du 11 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 septembre 2019.

M. C... B... et Mme A... C... ont produit un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2019, qui n'a pas été communiqué.

II.- Par une requête, enregistrée le 26 avril 2019 sous le n° 19BX01747, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse du 27 février 2019.

Il soutient que les moyens qu'il a déjà présentés dans l'instance au fond sont sérieux et de nature à entraîner, outre l'annulation du jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... et Mme C... ; par ailleurs, l'exécution du jugement en litige aurait des conséquences difficilement réparables quant à la mise en oeuvre effective de la procédure de transfert ; ainsi, les deux conditions posées par les articles R. 811 15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont-elles réunies pour prononcer un sursis à exécution.

Par une ordonnance en date du 11 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 septembre 2019.

M. C... B... et Mme A... C... ont produit un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2019, qui n'a pas été communiqué.

M. C... B... a été maintenu dans le bénéfice de l'aide juridictionnel de plein droit par des décisions du bureau d'aide juridictionnel du 14 novembre 2019.

Mme A... C... a été maintenue dans le bénéfice de l'aide juridictionnel de plein droit par des décisions du bureau d'aide juridictionnel du 14 novembre 2019.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, dit " règlement Dublin III " ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B... et Mme A... C..., son épouse, tous deux de nationalité nigériane, ont déclaré être entrés en France le 20 septembre 2018, afin d'y solliciter l'asile. A l'occasion de l'enregistrement de leurs dossiers complets, il a été constaté que M. B... avait déposé une demande similaire en Italie le 21 juin 2016 et que Mme C... avait fait l'objet d'un contrôle de police le 17 juin 2017 sur le territoire italien et qu'elle y avait également déposé une demande d'asile le 10 juillet 2017. Par voie de conséquence, par quatre arrêtés en date du 19 février 2019, le préfet de la Haute-Garonne a décidé de leur transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de leurs demandes d'asile et les a assignés à résidence. Par une requête, enregistrée sous le n° 19BX01746, ledit préfet fait appel du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse du 27 février 2019 qui, après avoir joint les recours formés séparément par les époux à l'encontre des arrêtés précités du 19 février 2019, a annulé l'ensemble de ces arrêtés et lui a enjoint de réexaminer les demandes de M. B... et de Mme C... dans le délai de deux mois. Par une requête, enregistrée sous le n° 19BX01747, le préfet demande le sursis à exécution de ce même jugement. Ces deux requêtes présentant des questions identiques à juger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul et même arrêt.

Sur la requête au fond :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013: " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, en vertu de l'article 20, alinéa 3 de la directive 2011/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 13 décembre 2011 susvisée : " Lorsqu'ils appliquent le présent chapitre [contenu de la protection internationale, y compris la protection contre le refoulement], les États membres tiennent compte de la situation spécifique des personnes vulnérables telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents seuls accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle. " Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " et, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatives, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

3. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur et le cas échéant, de sa particulière vulnérabilité définie par les dispositions précitées de l'article 20 de la directive 2011/95/UE.

4. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de M. B... et de Mme C..., qui sont parents d'un enfant né le 11 octobre 2018 sur le territoire français, il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, ils ne bénéficieraient pas d'un examen effectif de leurs demandes d'asile et risqueraient de subir, eux-mêmes ou leur enfant, des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou, pour ce qui concerne l'enfant, un traitement méconnaissant son intérêt supérieur au sens de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

5. Pour annuler les arrêtés en litige, le magistrat désigné du tribunal administratif a considéré qu'eu égard aux conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, le préfet de la Haute-Garonne, en s'abstenant de requérir des garanties des autorités italiennes quant à la prise en charge adaptée de l'enfant et au maintien de la cellule familiale, devait être regardé comme ayant méconnu l'article 3 de la convention européenne des droits de l'Homme et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

6. Cependant, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. B... et Mme C... n'apportent aucun élément de nature à établir l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que leurs demandes d'asile ne seraient pas traitées par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. La seule circonstance que le couple soit accompagné de leur fille âgée de quelques mois ne saurait, dans ces conditions, faire obstacle à leur transfert en Italie, compte tenu notamment des équipements médico-sociaux, du niveau de protection sociale et du réseau de protection maternelle et infantile, disponibles dans cet Etat membre de l'Union européenne. Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 et en prononçant leur transfert aux autorités italiennes, le préfet de la Haute-Garonne se serait livré à une appréciation manifestement erronée de leur situation personnelle, notamment du degré de gravité des conséquences de leur éloignement vers l'Italie, et aurait de ce fait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

7. Il s'ensuit que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a annulé, pour ce motif, ses arrêtés litigieux du 19 février 2019 ordonnant le transfert des intéressés vers l'Italie ainsi que, par voie de conséquence, ses arrêtés du même jour les assignant à résidence.

8. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. B... et par Mme C....

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... et Mme C... devant le tribunal administratif de Toulouse :

9. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque: a) le demandeur a pris la fuite; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. (...) ".

10. En premier lieu, M. B... et Mme C... soutiennent que l'agent de la préfecture ayant mené l'entretien individuel n'était pas suffisamment qualifié au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013. Les requérants ne peuvent à ce titre utilement se prévaloir des dispositions du paragraphe 3 de l'article 4 la directive 2013/32/UE, lesquelles sont applicables, en vertu de l'application combinée du paragraphe 1 de cet article et du f) de l'article 2 de cette directive, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par ailleurs, si l'agent de la préfecture menant l'entretien individuel relève du paragraphe 4 de l'article 4 de cette directive, ces dispositions, qui se bornent à prévoir que l'autorité compétente pour traiter les cas en vertu du règlement n° 604/2013 du même jour doit disposer des connaissances appropriées ou recevoir la formation nécessaire pour remplir ses obligations, n'appellent aucune mesure de transposition en droit interne. Or, en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent de la préfecture n'a pas bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013. M. B... et Mme C... ne précisent d'ailleurs pas en quoi l'agent de la préfecture n'aurait pas mené cet entretien conformément aux exigences prévues par le règlement du 26 juin 2013, ni en quoi la procédure de détermination de l'Etat responsable aurait été faussée en l'espèce compte tenu des conditions dans lesquelles cet entretien s'est déroulé. Contrairement à ce que soutiennent les intéressés, aucune disposition n'impose à cet agent une qualification particulière, ni la mention, dans le compte-rendu de cet entretien, de ses noms et qualités. Enfin, en tout état de cause, la directive n° 2013/32 dont se prévalent M. B... et Mme C... a été entièrement transposée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 et ne peut donc pas être directement invoquée à l'encontre des décisions litigieuses. Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire de soulever auprès de la CJUE une quelconque question préjudicielle, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration doivent être écartés.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et Mme C..., qui ont déclaré comprendre la langue anglaise, le créole et pidgin d'anglais, ont été reçus, séparément, en entretien individuel conformément à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 précité, le 11 octobre 2018, avant l'édiction de l'arrêté attaqué, au cours duquel ils ont pu présenter tous les éléments utiles à l'appui de leurs demande d'asile et qu'ils ont bénéficié, tout au long de la procédure, de l'assistance d'un interprète en créole et pidgin d'anglais mandaté par l'association ISM interprétariat, laquelle bénéficie d'un agrément ministériel aux fins d'interprétariat et de traduction par décision du 7 mars 2017 régulièrement publié au Journal officiel de la République française. Si les intéressés mettent en outre la confidentialité de ces entretiens, ils ne font état d'aucun élément, ni d'aucune circonstance particulière tenant au déroulement de cet entretien, de nature à démontrer que celui-ci aurait été mené en l'absence des garanties prévues par les dispositions précitées, alors en outre que, comme cela a été dit au point ci-dessus, ils n'apportent non plus aucun élément de nature à établir que lesdits entretien n'auraient pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Ainsi, les moyens tirés de ce que les arrêtés de transfert attaqués seraient intervenus au terme d'une procédure irrégulière pour méconnaissance de la confidentialité des entretiens, doivent être écartés.

12. M. B... et Mme C..., qui ont pu saisir le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, le 22 juin 2017, de deux recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation des quatre arrêtés, de transfert et d'assignation à résidence, pris à leur encontre le 19 février 2019 par le préfet de la Haute-Garonne, et qui ont eu la possibilité de défendre dans la présente instance d'appel, ne sont pas fondés à soutenir qu'ils auraient été privés de leur droit au recours effectif tel que garanti par les articles 27 du règlement Dublin III et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

13. Les dispositions des articles 20 et suivants du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé fixent les règles selon lesquelles sont organisées les procédures de prise en charge ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile par l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile et déterminent notamment les conditions dans lesquelles l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile requiert de l'Etat qu'il estime responsable de l'examen de la demande de prendre ou de reprendre en charge le demandeur d'asile. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, de prononcer l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise sans qu'ait été obtenue, au préalable, l'acceptation par l'Etat requis de la prise ou de la reprise en charge de l'intéressé.

14. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et Mme C... ont formulé chacun une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Haute-Garonne le 11 octobre 2018, et que le relevé de leurs empreintes, effectué le même jour, a révélé qu'elles avaient déjà été relevées par les autorités italiennes le 21 juin 2016 pour ce qui concerne M. B..., et le 10 juillet 2017 pour ce qui concerne Mme C.... Le préfet a alors, le 12 octobre 2018, saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de leurs demandes d'asile sur le fondement de l'article 18.1 b du règlement n° 604/2013, soit dans le délai de deux mois prévu par le paragraphe 2 de l'article 23 du règlement en cas de résultat positif Eurodac. En outre, il ressort des pièces du dossier que les autorités italiennes ont implicitement accepté ces demandes de reprise en charge. Dès lors, les moyens tirés de ce que la France serait responsable de leurs demandes d'asile en l'absence de saisine, ou de justification de ladite saisine par le préfet, des autorités italiennes dans le délai susmentionné et d'accord de ces mêmes autorités doit être écarté.

15. Il résulte de ce qui précède que M. B... et Mme C... ne sont pas fondés à exciper des arrêtés ordonnant leur transfert aux autorités italiennes à l'encontre des arrêtés les assignant à résidence.

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle proposée par M. B... et par Mme C... au soutien de leur moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 et relative à la qualification des agents préfectoraux qui mènent les entretiens individuels dans le cadre dudit règlement, que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ses arrêtés en date du 27 février 2019 et, par voie de conséquence, lui a enjoint de réexaminer les demandes d'asile des intéressés. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens présentées par M. B... et Mme C... doivent être rejetées.

Sur la demande de sursis à exécution :

17. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du préfet de la Haute-Garonne, ses conclusions à fins de sursis à exécution du jugement attaqué ont perdu leur objet.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête enregistrée sous le n°19BX01747.

Article 2 : Le jugement n°s 1900996, 1900997 du 27 février 2019 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 3 : Les demandes présentées par M. B... et par Mme C... devant le tribunal administratif de Toulouse sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... B... et à Mme A... C.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Karine Butéri, président-assesseur,

Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.

Le rapporteur,

D...Le président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°s 19BX01746, 19BX01747 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01746,19BX01747
Date de la décision : 18/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : ATY AVOCATS ASSOCIES AMARI DE BEAUFORT-TERCERO-YEPONDE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-18;19bx01746.19bx01747 ?
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