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04/11/2019 | FRANCE | N°19BX01814

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 04 novembre 2019, 19BX01814


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2018 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1900035 du 6 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enreg

istrée le 2 mai 2019, M. D... représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2018 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1900035 du 6 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 mai 2019, M. D... représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 mars 2019;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 25 octobre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer sa situation et de la régulariser ;

4°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle à titre provisoire et de mettre à la charge de l'Etat, dans l'hypothèse où le bénéfice de l'aide juridictionnelle lui serait accordée, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, ou, dans l'hypothèse où les décisions contestées seraient annulées, la même somme au profit de son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet, en indiquant dans son arrêté la possibilité de demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle, sans préciser qu'en dérogation au droit commun, cette demande n'aurait pas pour effet de proroger le délai de recours contentieux, a suscité une ambiguïté portant atteinte à son droit à un recours effectif, qui doit être apprécié au regard du caractère particulier du contentieux de l'éloignement des étrangers ;

- sa demande de première instance n'était pas tardive car le dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle dans le délai de recours a, conformément aux dispositions de l'article 38 modifié du décret du 19 décembre 1991, suspendu le délai de saisine du tribunal administratif ;

- en écartant l'application de ces dispositions et en ne reconnaissant pas le caractère suspensif de sa demande d'aide juridictionnelle, le premier juge a méconnu le droit à un procès équitable et les droits de la défense qu'il tient des stipulations des articles 6-1 et 6-3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à un recours effectif et à l'accès à un tribunal impartial garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- l'arrêté dans son ensemble est entaché d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation, dès lors que le préfet ne prend pas en compte la menace qui pèse sur lui dans son pays d'origine ;

- le préfet s'est estimé à tort lié par la décision rendue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'en raison de son engagement politique au sein du principal parti politique d'opposition au Togo, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt et est recherché par les autorités togolaises ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est bien intégré dans la société française, qu'il est hébergé chez une dame âgée, atteinte de la maladie d'Alzheimer, dont il prend soin jour et nuit et qu'il justifie d'une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison du risque d'emprisonnement arbitraire et des persécutions encourus par lui et sa famille au Togo.

Le préfet de la Gironde a produit un mémoire ne défense, enregistré le 26 août 2019, qui n'a pas été communiqué.

Par une ordonnance du 11 juin 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 28 août 2019 à 12H00.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 7 octobre 2019 :

- le rapport de Mme E...;

- et les observations de Me B..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... D..., ressortissant togolais, est entré sur le territoire français selon ses déclarations le 19 décembre 2017. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejeté par une décision du 31 juillet 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par un arrêté du 25 octobre 2018, le préfet de la Gironde a refusé son admission au séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement 6 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. D... tendant à l'annulation dudit arrêté. M D... relève appel de ce jugement.

2. Par une décision du 20 juin 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont ainsi devenues sans objet.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, d'une part, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger (...) ". Aux termes du I bis de l'article L. 512-1 du même code: " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement (du) 6° du I de l'article L. 511-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II du même article L. 511-1 peut, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision mentionnant le pays de destination (...) / L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin le concours d'un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise. / L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu'il lui en soit désigné un d'office ". Aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " I - (...) / Conformément aux dispositions du I bis de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, (...) la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application (du) 6° du I de l'article L. 511-1 du même code, fait courir un délai de quinze jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au délai de départ volontaire, au pays de renvoi (...) notifiées simultanément (...) ". Aux termes du II de l'article R. 776-5 du même code, ce délai de quinze jours n'est susceptible d'aucune prorogation.

4. Il résulte de ces dispositions, issues des règles spéciales organisant le contentieux des obligations de quitter le territoire français, que le délai de quinze jours dont l'étranger bénéficie pour exercer un recours contentieux contre une telle décision et les mesures dont l'annulation peut être demandée par le même recours n'est susceptible d'aucune prorogation. Ainsi, ces dispositions dérogent aux dispositions générales de l'article 38 du décret pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, selon lequel, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée. En conséquence, une demande d'aide juridictionnelle, alors même qu'elle a été présentée dans le délai de quinze jours précité, ne peut avoir pour effet d'interrompre et par suite de proroger le délai de recours contentieux.

5. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux que l'obligation de quitter le territoire français, dont M. D... a fait l'objet, a été prise sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 511-1 I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la suite du rejet de sa demande d'asile. Cette mesure ayant été assortie d'un délai de départ volontaire, M. D... disposait d'un délai de quinze jours suivant la notification, intervenue au plus tard le 12 novembre 2018, date à laquelle il a introduit sa demande d'aide juridictionnelle, pour présenter un recours contentieux contre l'arrêté pris à son encontre le 25 octobre 2018 en vertu des dispositions précitées des articles L. 512-1 I bis du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et R. 776-2 du code de justice administrative. Il ressort des pièces du dossier que sa demande tendant à l'annulation des décisions contenues dans cet arrêté a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 6 janvier 2019, au-delà de ce délai de quinze jours. Compte tenu de ce qui précède, la demande d'aide juridictionnelle, déposée le 12 novembre 2018 dans ce même délai, n'a pu avoir pour effet d'interrompre et par suite de proroger le délai de recours contentieux.

6. En second lieu, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Pour rendre opposable le délai de recours contentieux, l'administration est tenue de faire figurer dans la notification de ses décisions la mention des délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais des recours administratifs préalables obligatoires. Elle n'est pas tenue d'ajouter d'autres indications, comme notamment les délais de distance, la possibilité de former des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs ou la possibilité de former une demande d'aide juridictionnelle.

7. En l'espèce, l'arrêté contesté du 25 octobre 2018 portant notamment obligation de quitter le territoire français à la suite du rejet d'une demande d'asile a été notifié à M. D... avec les indications exactes selon lesquelles il pouvait introduire un recours administratif dans le délai de deux mois, ce recours n'ayant pas d'effet suspensif, ou introduire un recours contentieux devant le tribunal administratif de Bordeaux dans le délai de quinze jours. De telles mentions sont conformes à l'article R. 421-5 du code de justice administrative. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'en indiquant la possibilité de demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle sans préciser que cette demande n'aurait pas pour effet de proroger le délai de recours contentieux, le préfet de la Gironde aurait méconnu l'article R. 421-5 du code de justice administrative et que les dispositions du II de l'article R. 776-2 du même code seraient ainsi inopposables.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ". Aux termes de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. (...) Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ".

9. M. D... disposait de la possibilité d'introduire un recours contentieux devant le tribunal administratif de Bordeaux dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêté du préfet de la Gironde et de demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné la désignation d'un avocat commis d'office dans les conditions mentionnées au point 3. Par suite, la circonstance que la demande d'aide juridictionnelle déposée le 12 novembre 2018 n'ait pas prorogé le délai de recours contentieux n'a pas porté atteinte au droit au recours effectif et à un procès équitable devant une juridiction dont M. D... bénéficie et n'a donc pas méconnu les stipulations citées au point précédent.

10. En quatrième lieu, le litige dont M. D... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, relatif à une obligation de quitter le territoire français ne porte pas sur une accusation en matière pénale. Ainsi, ce litige n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6-3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article est inopérant.

11. En dernier lieu, à supposer que M. D... ait entendu invoquer la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ce moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le caractère sérieux.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 mars 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a estimé que sa requête enregistrée le 6 janvier 2019 tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde qui lui avait été notifié au plus tard le 12 novembre 2018 était tardive et l'a rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par M. D....

Article 2 : Le surplus de la requête de M. D... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Nouvelle Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 7 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme C... A..., présidente-assesseure,

Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 novembre 2019.

Le rapporteur,

E...Le président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°19BX01814 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01814
Date de la décision : 04/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par la convention - Droit à un recours effectif (art - 13).

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.

Procédure - Jugements - Frais et dépens - Aide juridictionnelle.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : JAMMES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-04;19bx01814 ?
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