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29/10/2019 | FRANCE | N°19BX00345

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 29 octobre 2019, 19BX00345


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... se disant Shaker Sherzad a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 10 janvier 2019 par lesquels le préfet de Lot-et-Garonne a ordonné son transfert aux autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile, et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1900181 du 18 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire

de régularisation, enregistrés le 25 janvier 2019 et le 27 avril 2019, M. A... se disant Shaker ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... se disant Shaker Sherzad a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 10 janvier 2019 par lesquels le préfet de Lot-et-Garonne a ordonné son transfert aux autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile, et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1900181 du 18 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire de régularisation, enregistrés le 25 janvier 2019 et le 27 avril 2019, M. A... se disant Shaker Sherzad, représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 18 janvier 2019 ;

3°) d'annuler les arrêtés du 10 janvier 2019 du préfet de Lot-et-Garonne ;

4°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 31 juillet 1991.

Il soutient que :

- la procédure à l'issue de laquelle a été prise l'arrêté de transfert contesté est irrégulière dès lors que que la lettre d'information ne lui a pas été notifiée, et les brochures d'information prévues par l'article 4 du règlement n°604/2013 ne lui ont pas été remises, dans une langue qu'il comprend ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation en tant qu'il vise l'article 18 du règlement n°604/2013 sans préciser de quel alinéa il est fait application ;

- le préfet a commis une erreur dans la motivation en tant que l'Autriche a accepté sa reprise en charge sur le fondement du d) de l'article 18.1 et non du b) du même article, ainsi qu'il est indiqué dans l'arrêté ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de l'article 17 du règlement n°604/2013 dès lors que sa remise aux autorités autrichiennes aura pour conséquence de le renvoyer en Afghanistan.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2019, et un mémoire en production de pièces du 3 juillet 2019, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- il n'était pas tenu de faire parvenir une lettre d'information au requérant alors qu'il a bénéficié de la possibilité de faire valoir ses observations lors de l'entretien du 18 octobre 2018 où il était assisté d'un interprète, au cours duquel lui a été remis le guide du demandeur d'asile et de l'information des règlements communautaires ;

- sa décision est suffisamment motivée en tant qu'il n'avait pas à viser l'alinéa de l'article 18 du règlement n°604/2013 ;

- les autorités autrichiennes ont répondu à sa demande de reprise en charge sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement n°604/2013 ;

- l'appelant n'a jamais fait l'objet d'un rejet de sa demande d'asile par les autorités autrichiennes, et la mise en oeuvre de l'article 17 du règlement n°604/2013 est discrétionnaire ;

- l'appelant est en fuite.

Par ordonnance du 13 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juillet 2019 à 12h00.

M. A... se disant Shaker Sherzad a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... C...,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... se disant Shaker Sherzad, ressortissant afghan né le 1er janvier 1992, est, selon ses déclarations, entré irrégulièrement en France le 1er octobre 2018. Le 18 octobre 2018, il a déposé une demande d'asile à la préfecture de police de Paris. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées par les autorités autrichiennes le 31 juillet 2016. Le préfet de police de Paris a alors adressé une demande de reprise en charge aux autorités autrichiennes le 26 octobre 2018. Cette demande ayant été explicitement acceptée le 30 octobre 2018, le préfet de Lot-et-Garonne a, par un arrêté du 10 janvier 2019, décidé de remettre M. A... se disant Shaker Sherzad aux autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Par un arrêté du même jour, le préfet de Lot-et-Garonne a ordonné son assignation à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours. M. A... se disant Shaker Sherzad relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur les conclusions relatives à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 11 avril 2019 le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis M. A... se disant Shaker Sherzad au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, ses conclusions tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont dépourvues d'objet. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 4. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle il décide la réadmission de l'intéressé dans l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

4. D'une part, la circonstance que la lettre du 26 décembre 2018, notifiée le 4 janvier 2019, soit rédigée en français est sans effet sur la légalité de la décision en cause dès lors qu'aucune disposition ne faisait obligation au préfet de faire parvenir une telle lettre au demandeur, alors que ce dernier avait été informé lors de son entretien du 18 octobre 2018 de ce que les autorités autrichiennes allaient être saisies d'une demande de reprise en charge, et qu'il pouvait présenter toutes les observations qu'il estimerait utile. En tout état de cause, il n'est pas établi ni même allégué que cette circonstance aurait privé l'intéressé d'une garantie.

5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le requérant s'est vu remettre lors de son entretien du 18 octobre 2018, soit antérieurement à la demande de reprise en charge, la brochure intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile " (brochure A) et celle intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est ce que cela signifie " (brochure B), documents qui contiennent les informations exigées par l'article 4 du règlement n°604/2013 précité. Ces documents lui ont été remis en langue pachto, langue dont il n'est pas contesté qu'il la comprend. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n°604/2013 doit être écarté.

6. En deuxième lieu, l'arrêté du 10 janvier 2019 vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et notamment ses articles 3 et 8, le règlement (UE) n°604/2013 et notamment ses articles 7-2 et suivants et 8, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment ses articles L. 742-1 à L. 742-6, les articles L. 531-1 à L. 531-4 et l'article L. 624-3. De plus, l'arrêté mentionne la nationalité du requérant, le parcours de celui-ci depuis son arrivée en France, l'acceptation des autorités autrichiennes sur le fondement de l'article 18.1 b), que sa situation ne relève pas des articles 3-2 ou 17 du règlement n°604/2013. La décision précise également qu'elle ne porte par une atteinte disproportionnée au respect du droit à sa vie privée et familiale au regard de sa situation et qu'il n'établit pas la réalité de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de sa demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. En troisième lieu, le requérant se prévaut de ce que l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne comporte une erreur de droit en tant qu'il indique que les autorités autrichiennes auraient accepté sa reprise en charge sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement n°604/2013, alors qu'elles auraient accepté sur le fondement du 18.1 d) du même règlement. Toutefois, il ressort de l'accord explicite du 30 octobre 2018 que les autorités autrichiennes ont accepté sa reprise en charge sur le fondement du 18.1 b), ainsi que l'indique l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne. Dès lors, le moyen manque en fait et ne peut qu'être écarté.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Il résulte de ces stipulations que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Cette possibilité doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Si le requérant fait état d'un risque en cas de retour en Afghanistan, il n'établit pas que l'Autriche aurait définitivement rejeté sa demande d'asile et qu'il y ferait l'objet d'une mesure d'éloignement à destination de l'Afghanistan. Dans ces conditions, en refusant de faire application de l'article 17 du règlement n°604/2013, le préfet de Lot-et-Garonne n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. A... se disant Shaker Sherzad.

10. Si M. A... se disant Shaker Sherzad a présenté des conclusions dirigées contre l'arrêté l'assignant à résidence du préfet de Lot-et-Garonne, il ne soulève toutefois aucun moyen à l'encontre de cette décision. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation de la mesure d'assignation à résidence ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les autres conclusions :

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... se disant Shaker Sherzad n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 10 janvier 2019 portant transfert aux autorités autrichiennes, et de l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... se disant Shaker Sherzad tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... se disant Shaker Sherzad est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... se disant Shaker Sherzad et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme D... F..., présidente-assesseure,

Mme B... C..., conseiller,

Lu en audience publique, le 29 octobre 2019.

Le rapporteur,

Agnès C...Le président,

Dominique NAVESLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

7

N°19BX00345


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00345
Date de la décision : 29/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : POUDAMPA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-29;19bx00345 ?
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