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15/10/2019 | FRANCE | N°17BX03484

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 15 octobre 2019, 17BX03484


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise " Service à la Personne 87 (SAP 87) " a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, de condamner le département de la Haute-Vienne à lui verser la somme de 332 313,87 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des refus opposés par le président du conseil général de la Haute-Vienne à ses demandes tendant au bénéfice du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestati

on de compensation du handicap et, d'autre part, d'annuler la décision du 30 ja...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise " Service à la Personne 87 (SAP 87) " a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, de condamner le département de la Haute-Vienne à lui verser la somme de 332 313,87 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des refus opposés par le président du conseil général de la Haute-Vienne à ses demandes tendant au bénéfice du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap et, d'autre part, d'annuler la décision du 30 janvier 2013 par laquelle le président du conseil général de la Haute-Vienne a rejeté son recours indemnitaire et d'enjoindre au département de la Haute-Vienne de faire droit à sa demande tendant à bénéficier du dispositif du versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande.

Par un jugement n° 1400429 du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n°16BX02122 du 24 janvier 2017, le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 29 juin 2016 au greffe de cette cour, présentée par l'entreprise SAP 87.

Par une décision n°407290 du 26 octobre 2017, le conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé le jugement de la requête de l'entreprise SAP 87 à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 juin 2016, et un mémoire complémentaire enregistré le 4 décembre 2018 l'entreprise SAP 87, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 4 mai 2016;

2°) de condamner le département de la Haute-Vienne au paiement de la somme de 332 313,87 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des refus opposés par le président du conseil général de la Haute-Vienne à sa demande tendant à bénéficier du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap ;

3°) d'annuler la décision du 30 janvier 2013 ;

4°) d'enjoindre au département de la Haute-Vienne de lui délivrer une convention et à titre subsidiaire, de lui enjoindre de réexaminer sa demande ;

5°) de mettre à la charge du département de la Haute-Vienne une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas statué ultra petita, car elle recherche bien la responsabilité du département depuis le premier refus de conventionnement, soit depuis le 10 novembre 2004 ;

- le premier motif de refus opposé à sa demande est illégal, dès lors qu'elle est titulaire d'un agrément prévu par l'article L.7232-1 du code du travail, d'une autorisation de fonctionnement prévue par l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles et d'une certification Afnor ;

- le second motif opposé à sa demande par les décisions des 18 octobre et 1er décembre 2011, tenant à son absence d'habilitation à l'aide sociale, est erroné car elle est titulaire d'un agrément et d'une autorisation au titre des deux législations et doit être regardée comme habilitée à l'aide sociale au sens de l'article 101 du règlement départemental d'aides sociales ;

-elle remplit toutes les conditions pour obtenir le versement direct par le biais d'un conventionnement avec le département ;

- le refus de conventionnement du 10 novembre 2004 est illégal car elle avait cinq ans pour solliciter l'autorisation au titre de l'aide sociale ;

- le refus de conventionnement des 18 octobre et 1er décembre 2011 est illégal car elle était toujours titulaire de son autorisation du 12 juillet 2005 ;

- si l'article L. 232-5 du code de l'action sociale et des familles précise que le versement direct est une possibilité, cela ne permet pas au département de poser des conditions supplémentaires à ce versement direct qui auraient pour but de lui laisser un pouvoir discrétionnaire dans le choix des entreprises ayant l'autorisation et l'agrément pouvant être ou non conventionnées ;

- le refus de conventionnement est discriminatoire et porte atteinte à sa liberté d'entreprendre ;

- les refus de conventionnement lui ont causé une perte de son chiffre d'affaire depuis l'année 2006 jusqu'à l'année 2015, ainsi qu'un préjudice d'image et ont eu des retombées commerciales importantes.

Par des mémoires, enregistrés les 4 juin 2018 et 24 janvier 2019, le département de la Haute-Vienne représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de prendre acte du décès de M. E... survenu en cours d'instance ;

2°) de rejeter la requête de l'entreprise SAP 87 ;

3°) de mettre à la charge de l'entreprise SAP 87 une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la cour prendra acte du décès de M. E... intervenu en cours d'instance et en tirera les conséquences juridiques ;

- la demande de l'entreprise SAP 87 est irrecevable faute de présenter un intérêt à agir pour demander réparation d'un préjudice commercial toutes taxes comprises ;

- le refus qui lui a été opposé le 10 novembre 2004 était légal compte-tenu de la législation en vigueur à cette date ;

- il était même en situation de compétence liée ;

- le tribunal a statué ultra petita en statuant sur la question de l'éventuel caractère fautif de cette décision ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité du département ne peut être engagée pour ce refus, dès lors qu'il n'est pas fautif ;

- le conventionnement ne pouvait pas être attribué à cette entreprise car elle ne bénéficiait pas de l'autorisation prévue par l'article L.313-1 du code de l'action sociale et des familles ;

- au surplus, le bénéfice du conventionnement ne constitue pas un droit, mais une possibilité, une modalité de versement de l'allocation ;

- faute d'avoir présenté une demande, aucun refus de conventionnement n'a pu lui être opposé en 2005, à la suite de l'autorisation qui lui a été délivrée le 12 juillet 2005 au titre de l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles ;

- de ce fait, elle n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du département pour la période allant du 1er janvier 2006 au 18 octobre 2011 ;

- le refus qui lui a été opposé par les décisions des 18 octobre et 1er décembre 2011 à la demande de la société tendant à bénéficier du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap était justifié par le fait que l'autorisation du 12 juillet 2005 délivrée au titre de l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles était devenue caduque, suite à la désaffiliation de M. E... du réseau de franchise de l'entreprise dont le projet d' établissement avait été approuvé ;

- ce refus est également en conformité avec les articles 52 et 82 du règlement départemental d'aide sociale du département de la Haute-Vienne, dès lors que la société SAP n'est pas habilitée à l'aide sociale départementale ;

- l'entreprise SAP 87 ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 101 du règlement départemental d'aide sociale ;

- en vertu de l'article L. 313-1-1 du code de l'action sociale et des familles, elle pouvait exiger d'un service d'aide et d'accompagnement à domicile agréé en application de l'article L. 7232-1 du code du travail, une habilitation à l'aide sociale ;

- il dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour verser directement à un service d'aide et d'accompagnement, l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap ;

- son comportement n'est pas discriminatoire et ne porte pas atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ;

- le préjudice invoqué n'est ni certain, ni direct ;

- le montant de ses préjudices n'est pas justifié et elle n'est pas fondée à demander réparation de son préjudice commercial toutes taxes comprises.

Par ordonnance du 28 janvier 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 1er mars 2019.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2003-1135 du 26 novembre 2003 relatif aux modalités d'autorisation de création, de transformation ou d'extension d'établissements et services sociaux et médico-sociaux ;

- le décret n°2004-613 du 25 juin 2004 relatif aux conditions techniques d'organisation et de fonctionnement des services de soins infirmiers à domicile, des services d'aide et d'accompagnement à domicile et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... B...,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant l'entreprise SAP 87, et de Me D..., représentant le département de la Haute-Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... exploite depuis 2000, à titre personnel, une entreprise de services d'aide à la personne à domicile. Cette exploitation s'est effectuée sous l'enseigne " L'Âge d'Or Services " puis, à compter du 1er octobre 2010, sous l'enseigne " SAP 87" (Services A la Personne 87). M. E... a, au cours de l'année 2004, saisi le département de la Haute-Vienne d'une demande tendant à ce que l'entreprise " L'Âge d'or Services " bénéficie du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie instituée par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie. Cette demande a été rejetée par le président du conseil général de la Haute-Vienne le 10 novembre 2004. Le 22 juin 2011, M. E... a saisi ce département d'une nouvelle demande tendant à ce que l'entreprise " SAP 87 " bénéficie du dispositif de versement direct de cette même allocation ainsi que de la prestation de compensation au bénéfice des personnes handicapées, instituée par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005. Cette demande a été rejetée par le président du conseil général de la Haute-Vienne par une décision du 18 octobre 2011, qui a été confirmée à la suite de son recours gracieux le 1er décembre 2011. Estimant que ces refus étaient à l'origine de pertes de chiffres d'affaires pour ses deux entreprises, il a, le 20 novembre 2013, saisi le département de la Haute-Vienne d'une demande tendant au bénéfice d'une indemnité destinée à réparer ce préjudice. Suite au refus opposé à cette demande le 30 décembre 2013, M. E... agissant en qualité d'exploitant de l'entreprise "SAP 87 " a recherché devant le tribunal administratif de Limoges la responsabilité du département à raison des refus selon lui illégaux opposés les 10 novembre 2004, 18 octobre et 1er décembre 2011 et a demandé l'annulation de la décision de rejet de sa demande indemnitaire par le département et qu'il soit enjoint au département de procéder à un réexamen de sa demande tendant au bénéfice du paiement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation, ainsi que sa condamnation au versement d'une indemnité de 332 313,87 euros. L'entreprise " SAP 87 " relève appel du jugement du 4 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

2. Si l'entreprise SAP 87 reprend ses conclusions de première instance notamment celle tendant à l'annulation de la décision du 30 décembre 2013 par laquelle le président du conseil général de la Haute-Vienne a rejeté ses conclusions indemnitaires, cette décision qui lie le contentieux, n'est pas susceptible de recours pour excès de pouvoir. C'est pourquoi, l'ensemble des conclusions de la requête d'appel de l'entreprise SAP 87 doivent être regardées comme tendant à la condamnation du département de la Haute-Vienne à réparer les préjudices subis par elle à raison des refus qui lui ont été opposés de la faire bénéficier du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation au bénéfice des personnes handicapées.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

3. Aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer un avocat ".

4. Le conseil du département de la Haute-Vienne a informé la cour administrative d'appel le 24 janvier 2019 du décès de M. E... survenu le 17 juillet 2018. Toutefois, à la date du décès de M. E..., l'affaire étant en l'état d'être jugée, il y avait lieu pour la cour d'y statuer, alors même qu'aucun ayant-droit n'aurait déclaré reprendre l'instance.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité du département de la Haute-Vienne à raison du refus opposé le 10 novembre 2004 :

5. Aux termes de l'article L. 232-15 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable à la date du refus opposé le 10 novembre 2004 : " L'allocation personnalisée d'autonomie peut, sur délibération du conseil général, être versée directement (...), aux services d'aide à domicile, notamment ceux visés à l'article L. 129-1 du code du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 129-1 du code du travail, en vigueur à la date du refus : " (...) II. - Les entreprises dont les activités concernent exclusivement les tâches ménagères ou familiales doivent (...) être agréées par l'Etat lorsqu'elles souhaitent que la fourniture de leurs services au domicile des personnes physiques ouvre droit au bénéfice de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 sexdecies du code général des impôts. (...) III. - Un décret détermine les modalités et conditions de délivrance des agréments prévus au présent article, et notamment les conditions particulières auxquelles sont soumis les agréments (...) des entreprises dont l'activité concerne (...) l'assistance aux personnes âgées ou handicapées. (...) ". Ces dispositions ont été à plusieurs reprises modifiées sans que soit toutefois remis en cause le principe de la détention d'un agrément pour une entreprise fournissant ses services au domicile des personnes âgées ou handicapées, avant d'être reprises en substance, à compter du 1er mai 2008 à l'article L. 7232-1 du code du travail. Selon l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles : " I. - Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ; 7° Les établissements et les services (...) qui accueillent des personnes adultes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert ; "..En vertu de l'article L. 313-1 du même code : " La création, la transformation ou l'extension des établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1 sont soumises à autorisation. (...) / Sauf pour les établissements et services mentionnés au 4° du I de l'article L. 312-1, l'autorisation est accordée pour une durée de quinze ans. (...) ".

6. Aux termes de l'article 8 du décret du 26 novembre 2003 relatif aux modalités d'autorisation de création, de transformation ou d'extension d'établissements et services sociaux et médico-sociaux : " Sans préjudice de l'application de l'article L. 129-1 du code du travail, à compter de la date de publication du présent décret, les personnes morales publiques et privées gestionnaires de services prestataires d'aide à domicile relevant des dispositions des 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles sont soumises aux dispositions suivantes : 1° Les projets de création, transformation et extension se voient appliquer le régime des autorisations prévu par la section 1 du chapitre III du titre Ier dudit code.. 2° Les services existants à cette date et agréés en application de l'article L. 129-1 du code du travail disposent d'un délai de cinq ans pour solliciter l'autorisation mentionnée au 1° ".

7. Il résulte de l'instruction que l'entreprise " L'Âge d'or Services ", exploitée par M. E..., avait obtenu des agréments au titre de l'article L. 129-1 du code du travail, d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, qui lui avaient été délivrés par arrêtés du préfet de la Haute-Vienne en date des 24 juillet et 5 septembre 2000 pour assurer la fourniture de prestations de livraison de courses et de repas à domicile, petits travaux de jardinage, prestations " hommes toutes mains ", aide à la mobilité de la personne, aide administrative simple, y compris auprès des personnes âgées de plus de 70 ans, des personnes handicapées ou dépendantes. Toutefois, le 26 novembre 2003, il a présenté un projet d'extension de son activité aux prestations de ménage, de repassage et de préparation et d'aide à la prise de repas. Par suite, à la date de l'entrée en vigueur du décret du 26 novembre 2003, ce projet d'extension d'activités devait se voir appliquer le régime des autorisations prévu par l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles conformément au 1° de l'article 8 de ce décret précité. La circonstance qu'à la date du refus du 10 novembre 2004, son projet d'extension avait été agréé par deux arrêtés du préfet de la Haute-Vienne des 6 janvier 2004 et 24 février 2004 ne permet pas de considérer qu'il s'agissait d'un service existant au sens de 2° de l'article 8 de ce décret, cette condition devant exister à la date d'entrée en vigueur de ce décret, ni que M. E... disposait d'un délai de cinq ans pour solliciter cette autorisation. Or, il est constant qu'il ne justifiait pas à la date du refus du 10 novembre 2004 d'une autorisation prévue à l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles pour son entreprise " L'Âge d'or Services ", laquelle lui a été accordée le 12 juillet 2005. Dès lors, l'entreprise " SAP 87 " n'est par suite pas fondée à soutenir que le motif de refus qui lui a été opposé le 10 novembre 2004 à sa demande tendant au bénéfice du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée à l'autonomie et de la prestation de compensation est illégal.

En ce qui concerne la responsabilité du département de la Haute-Vienne à raison des refus opposés les 18 octobre et 1er décembre 2011 :

8. Pour opposer un refus à la demande tendant au bénéfice du dispositif de versement direct de l'allocation personnalisée à l'autonomie et de la prestation de compensation, présentée par M. E..., en sa qualité d'exploitant de l'entreprise " SAP 87 ", le président du conseil général du département de la Haute-Vienne a retenu deux motifs tenant, pour le premier, à l'absence de détention par cette entreprise de l'autorisation prévue à l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles, et pour le second, à la circonstance que l'entreprise n'était pas habilitée à l'aide sociale départementale.

9. Aux termes de l'article L. 313-1 du même code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable à la date des décisions en litige : " Sauf pour les établissements et services mentionnés au 4° du I de l'article L. 312-1, l'autorisation est accordée pour une durée de quinze ans. / (...) Toute autorisation est caduque si elle n'a pas reçu un commencement d'exécution dans un délai fixé par décret à compter de sa date de notification. / Lorsque l'autorisation est accordée à une personne physique ou morale de droit privé, elle ne peut être cédée qu'avec l'accord de l'autorité compétente concernée. (...) / Tout changement important dans l'activité, l'installation, l'organisation, la direction ou le fonctionnement d'un établissement ou d'un service soumis à autorisation doit être porté à la connaissance de l'autorité compétente. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une autorisation peut perdre son objet, lorsqu'en raison d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, elle ne peut plus produire d'effets, ce que l'administration est en droit de constater.

10. Aux termes de l'article L. 232-15 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction applicable aux décisions en litige : " L'allocation personnalisée d'autonomie peut, après accord du bénéficiaire, être versée directement aux services d'aide à domicile, notamment ceux mentionnés à l'article L. 129-1 du code du travail, utilisés par le bénéficiaire de l'allocation ". Selon les dispositions de l'article L. 313-1-2 du même code : " La création, la transformation et l'extension des services d'aide et d'accompagnement à domicile mentionnés aux 1°, 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 sont soumises, à la demande de l'organisme gestionnaire : / 1° Soit à l'autorisation prévue à la présente section ; / 2° Soit à l'agrément prévu à l'article L. 7232-1 du code du travail (...). Les services mentionnés au premier alinéa peuvent, même en l'absence d'habilitation à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, intervenir auprès des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie ".

11. Enfin, selon l'article 52 du règlement départemental d'aide sociale approuvé par une délibération du conseil général de la Haute-Vienne du 29 juin 2010 : " L'APA est versée mensuellement à son bénéficiaire. / L'APA est versée directement au service prestataire habilité à l'aide sociale et conventionné pour le paiement direct, sauf refus exprès du bénéficiaire ". L'article 82 du même règlement, intégré au livre II relatif aux " actions sociales et médico-sociales en faveur des personnes âgées et handicapées " énonce : " Ces aides sont versées directement au bénéficiaire, sauf en cas de recours à un service prestataire habilité à l'aide sociale et conventionné pour le paiement direct ; dans ce cas, et afin de lui éviter les contraintes de gestion de son allocation, la (...) [prestation de compensation] est versée directement au service prestataire désigné par lui, sauf refus exprès de sa part. (...) ".

12. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du président du conseil général de la Haute-Vienne du 12 juillet 2005 avait autorisé M. E..., responsable de l'entreprise commerciale " Âge d'Or Services " à mettre en place un service d'aide et d'accompagnement à domicile en direction des personnes âgées ou handicapées. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. E... a quitté le réseau et enseigne " Âge d'Or Services " et a créé le 1er octobre 2010 l'entreprise " Service d'Aide à la Personne 87 ". En outre, M. E... a bénéficié d'un agrément pour son entreprise commerciale SAP 87 au titre de services à la personne le 12 avril 2011, élargi par arrêté préfectoral du 6 juillet 2011 à des activités complémentaires telles la garde d'enfants de plus trois ans, la collecte et la livraison à domicile de linge repassé, les soins et la promenade d'animaux de compagnie et la télé-visio-assistance. Ce changement de dénomination de l'entreprise commerciale, qui s'est également accompagné d'un changement important des prestations proposées, a eu pour conséquence que l'autorisation initiale qui avait été délivrée à M. E... pour son entreprise " Âge d'Or Services " le 12 juillet 2005 ne pouvait plus produire d'effets. Dans ces conditions, le motif tiré de ce que l'autorisation initiale était devenue caduque, était légal.

13. Il résulte également de l'instruction que l'arrêté du président du conseil général de la Haute-Vienne du 12 juillet 2005 n'habilitait pas expressément le service d'aide et d'accompagnement à domicile en direction des personnes âgées ou handicapées, mis en place par l'entreprise " Âge d'Or Services ", à l'aide sociale départementale. Si l'entreprise SAP 87 soutient que, bénéficiant d'un agrément prévu à l'article L. 7232-1 du code du travail, elle doit être considérée comme habilitée à l'aide sociale en application de l'article 101 du règlement départemental d'aide sociale, il résulte toutefois du règlement départemental d'aide sociale que l'article 101 s'applique à l'accueil familial social, à titre onéreux, au domicile des particuliers et non des entreprises. Par suite, le motif tiré du défaut d'habilitation du service à l'aide sociale départementale était fondé.

14. Par ailleurs, le versement direct de l'allocation personnalisée à l'autonomie et de la prestation de compensation institué par L. 232-15 du code de l'action sociale et des familles ne constituant pas un avantage dont l'attribution serait un droit pour les services d'aide à domicile, mais seulement une possibilité prévue par cet article, les articles 52 et 82 du règlement départemental à l'aide sociale précités pouvaient légalement instituer des règles plus favorables pour les services d'aide à domicile bénéficiant d'une habilitation à l'aide sociale, lesquelles ne prive l'entreprise SAP 87 du dispositif de versement direct prévu par le CASF. Par suite, le président du conseil général de la Haute-Vienne a pu légalement refuser le versement direct de l'allocation personnalisée à l'autonomie et de la prestation de compensation à l'entreprise SAP 87 qui ne bénéficiait ni d'une autorisation pour mettre en place un service d'aide et d'accompagnement à domicile en direction des personnes âgées ou handicapées, ni d'une habilitation du service à l'aide sociale.

15. Enfin, ces décisions étant légalement justifiées, l'entreprise SAP 87 ne peut utilement soutenir que le refus de conventionnement serait discriminatoire à son détriment, ni qu'il porterait atteinte à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

16. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence d'illégalité fautive des décisions contestées, l'entreprise SAP 87 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de la Haute-Vienne à réparer ses préjudices subis du fait de ces illégalités. Le présent arrêt n'implique pas par ailleurs qu'il soit enjoint au département de la Haute-Vienne de réexaminer la demande présentée au nom de l'entreprise " SAP 87 ".

Sur les frais d'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du département de la Haute-Vienne au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l'entreprise SAP 87 dès lors que cette collectivité n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'entreprise SAP 87 la somme que demande le département de la Haute-Vienne au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'entreprise SAP 87 et les conclusions du département de la Haute-Vienne présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise " Service à la Personne 87 (SAP 87) " et au conseil général de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme F... G..., présidente-assesseure,

Mme C... B..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 15 octobre 2019.

Le rapporteur,

Déborah B...Le président,

Dominique NAVESLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX03484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17BX03484
Date de la décision : 15/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Aide sociale - Différentes formes d'aide sociale - Aide sociale aux personnes âgées - Allocation personnalisée d'autonomie.

Aide sociale - Différentes formes d'aide sociale - Aide sociale aux personnes handicapées.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET FCA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-15;17bx03484 ?
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