La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/10/2019 | FRANCE | N°19BX00306

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 octobre 2019, 19BX00306


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 29 juin 2017 par lequel le préfet de la Guyane lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1800079 du 28 juin 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du t

ribunal administratif de la Guyane du 28 juin 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 juin 2017 du préfe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 29 juin 2017 par lequel le préfet de la Guyane lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1800079 du 28 juin 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 juin 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 juin 2017 du préfet de la Guyane ;

3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, en tout état de cause, de faire procéder à la suppression de son signalement dans le système d'information Schengen, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif du 28 juin 2017 est irrégulier dès lors qu'il a omis de répondre au moyen, qui était opérant, tiré de la méconnaissance du deuxième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence de son auteur ;

- il est insuffisamment motivé en fait au regard des critères prévus par le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne relatif aux droits de la défense et à la bonne administration de la justice ;

- il viole les dispositions du deuxième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des circonstances humanitaires qu'il a fait valoir, tirées de la séparation d'avec sa concubine et leurs deux enfants, dont la plus jeune a demandé et obtenu le statut de réfugiée ;

- il viole les dispositions du septième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'agissant du principe et de la durée de l'interdiction de retour, au regard de sa situation personnelle et familiale, alors qu'il travaille et qu'il a contesté l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il viole les stipulations de l'article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2018/016261 du 22 novembre 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Par une ordonnance du 4 mars 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 6 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant bissau-guinéen né le 25 novembre 1983, est entré en France, selon ses déclarations, au cours de l'année 2010 et a sollicité l'asile, qui ne lui a pas été accordé. Il a fait l'objet, le 19 octobre 2016, d'un arrêté du préfet de la Guyane portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Interpellé par les services de police, le 29 juin 2017, le préfet de la Guyane a alors pris à son encontre, le même jour, un arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et l'informant de ce qu'il ferait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'information dit Schengen pendant la durée de cette interdiction. M. B... relève appel du jugement du 28 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2017 du préfet de la Guyane.

Sur la régularité du jugement :

2. Il résulte des termes du jugement attaqué que le tribunal, après l'avoir visé, a omis d'examiner le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du deuxième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que ce moyen tiré des circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour n'était pas inopérant. Il suit de là que M. B... est fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif du 28 juin 2018 est irrégulier et doit, pour ce motif, être annulé. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les moyens présentés par M. B... en première instance et en appel.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 29 juin 2017 :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le préfet :

3. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence des cas prévus au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans. (...) / Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. (...) / L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. (...) " ;

4. Si le préfet de la Guyane a soutenu, dans son mémoire en défense devant le tribunal, que la requête de M. B... était irrecevable au motif qu'il n'établissait pas résider hors de France au moment de l'introduction de sa requête, il est constant que cette dernière avait pour objet l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2017 portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, pris en application du sixième alinéa du III de l'article L. 511-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non l'abrogation de cette mesure, laquelle n'était pas définitive à la date d'introduction de la requête et n'avait pas été exécutée par l'intéressé. D'ailleurs, l'arrêté contesté précise, au titre des voies et délais de recours, qu'il peut faire l'objet d'un recours juridictionnel tendant à l'annulation de cette décision. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Guyane doit être écartée.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 29 juin 2017 :

5. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence des cas prévus au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans. (...) / Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

6. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

7. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément. Il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour.

8. Il ressort de l'arrêté attaqué que, pour prendre à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, le préfet s'est uniquement fondé sur la double circonstance que M. B... s'est maintenu illégalement au-delà du délai de départ de trente jours qui lui était imparti et qu'il ne justifie pas de l'existence d'une vie privée et familiale stable et ancienne en France. Cette décision, qui ne fait pas état de la durée de la présence de M. B... sur le territoire français, n'est dès lors pas motivée au regard de l'ensemble des critères légaux précités.

9. En outre, si M. B... se maintient irrégulièrement sur le territoire national et n'a pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français du 19 octobre 2016, qu'il aurait d'ailleurs contestée dans une requête pendante devant le tribunal, ces seules circonstances ne sont pas de nature à justifier la durée maximale de l'interdiction de retour sur le territoire français, soit deux ans dans le cas d'espèce, alors qu'il ressort, au demeurant, des pièces du dossier, dont le préfet avait connaissance, que M. B... est le père de deux enfants nés à Cayenne le 26 mai 2014 et le 4 octobre 2015, et qu'il vivait en concubinage avec la mère de ces enfants. Dans ces circonstances, le préfet de la Guyane a fait une inexacte appréciation de la situation de M. B... au regard des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2017 par lequel le préfet de la Guyane lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'annulation, prononcée par le présent arrêt, de l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français n'implique pas que le préfet procède au réexamen de la situation de M. B... au regard de son droit au séjour non plus qu'à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour. Les conclusions du requérant présentées en ce sens ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

12. En revanche, aux termes de l'article R. 511-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " (...) Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour prise en application du III de l'article L. 511-1 sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010, aux cas d'extinction du motif d'inscription au fichier des personnes recherchées. ". Aux termes de l'article 7 du décret du 28 mai 2010 mentionné ci-avant : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas d'aboutissement de la recherche ou d'extinction du motif de l'inscription. (...) ". Le présent arrêt annule l'interdiction de retour prise à l'encontre de M. B... et il résulte des dispositions précitées qu'une telle annulation implique nécessairement l'effacement sans délai du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information dit Schengen. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Guyane de mettre en oeuvre la procédure d'effacement de ce signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement, au bénéfice de son conseil de la somme de 1 200 euros qu'il demande sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve que Me C... renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 juin 2018 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Guyane du 29 juin 2017 portant interdiction de retour pendant deux ans à l'encontre de M. B... est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de mettre en oeuvre la procédure d'effacement du signalement de M. B... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. B... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., au ministre de l'intérieur et à Me C.... Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, président-assesseur,

M. Thierry A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 8 octobre 2019.

Le rapporteur,

Thierry A...Le président,

Catherine Girault

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 19BX00306


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00306
Date de la décision : 08/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. thierry SORIN
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : MARCIGUEY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-08;19bx00306 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award