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08/10/2019 | FRANCE | N°18BX04174

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 octobre 2019, 18BX04174


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 juin 2018 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 1802920 du 26 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devan

t la cour :

Par une requête enregistrée le 1er décembre 2018 et un mémoire en production de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 juin 2018 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 1802920 du 26 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er décembre 2018 et un mémoire en production de pièces enregistré le 28 février 2019, Mme D..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 26 juin 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 juin 2018 du préfet des Pyrénées-Orientales ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4, 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France dès lors qu'elle a toujours déclaré être mineure ; elle a obtenu postérieurement au jugement attaqué un nouvel extrait du registre des actes de l'état civil délivré le 9 juillet 2018, légalisé par le consul de la Côte d'Ivoire en France le 24 juillet 2018, qui atteste de sa date de naissance et établit sa minorité ; le préfet n'apporte pas de preuves suffisantes de nature à renverser la présomption de validité que cet acte d'état civil tient de l'article 47 du code civil ; le préfet ne peut sérieusement se prévaloir de l'appréciation subjective de l'évaluateur de l'IDEA, non accompagnée d'un compte-rendu détaillé de l'entretien, ni de l'examen osseux effectué, lequel comporte une trop grande marge d'erreur ainsi que l'a relevé l'académie de médecine et le haut conseil de la santé publique ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- les décisions portant refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans sont privées de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2019, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2018/015813 du 31 octobre 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code civil,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante ivoirienne, est entrée en France le 26 mars 2018 selon ses déclarations et, se déclarant mineure, a été placée auprès de l'Institut départemental de l'enfance et de l'adolescence (IDEA) de Perpignan. Par un arrêté du 20 juin 2018, le préfet des Pyrénées-Orientales lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour. Mme D... relève appel du jugement du 26 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Cependant, ces dispositions n'interdisent pas aux autorités françaises de s'assurer de l'identité de la personne qui se prévaut de cet acte. Par ailleurs, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Cette preuve peut être apportée par tous moyens.

4. Mme D..., qui est entrée en France irrégulièrement en mars 2018, sans document de voyage, soutient qu'elle était mineure à la date de la décision attaquée en se prévalant d'un extrait du registre des actes de l'état-civil, établi le 8 février 2018 par le sous-préfet de la circonscription d'état civil de Sassandra en Côte d'Ivoire, et d'un certificat de nationalité ivoirienne à ce nom. Le procureur de la République de Perpignan a saisi les services de la police aux frontières le 12 avril 2018 d'une demande de vérification de l'authenticité des actes d'état-civil produits par Mme D.... Pour écarter la valeur probante de ces documents faisant état d'une naissance le 30 décembre 2003, le préfet des Pyrénées-Orientales s'est fondé sur l'analyse à laquelle la cellule " fraude documentaire " de la direction départementale de la police aux frontières de Perpignan a procédé, selon laquelle le premier document extrait du registre d'état-civil était contrefait et le second défavorable dès lors qu'il était fondé sur le premier. Il s'est également fondé sur les conclusions du rapport d'évaluation sociale de l'IDEA daté du 29 mars 2018, concluant à l'incohérence entre les déclarations et la maturité cognitive et physique de Mme D... et sollicitant une authentification de ses documents, ainsi qu'un examen osseux afin de confirmer la minorité de l'intéressée.

5. Mme D... produit pour la première fois en appel un nouvel extrait du registre des actes d'état-civil, établi le 9 juillet 2018 par le même sous-préfet de la circonscription de Sassandra en Côte d'Ivoire, légalisé par le consul de la Côte d'Ivoire en France le 24 juillet 2018. Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de tenir compte des justifications apportées devant lui dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration lorsqu'elle se prononce. Ce document, qui mentionne que l'intéressée est née le 30 décembre 2003, a été communiqué au préfet qui fait valoir qu'il ne prouve pas la véritable identité de Mme D..., mais ne soutient pas avoir procédé à des investigations complémentaires, et n'apporte aucun élément de nature à établir que l'acte d'état-civil ainsi produit ne serait pas authentique, ni, par suite, que Mme D... n'aurait pas été mineure à la date de la décision contestée. Si l'expertise de détermination de l'âge osseux décidée par le Parquet, effectuée le 19 juin 2018 par un praticien attaché du pôle médicotechnique du centre hospitalier de Perpignan, conclut, avec une réserve quant à la nécessité de confronter ces résultats aux données cliniques et biologiques, à un aspect iconographique de stade III de Schultze, témoignant d'un " âge osseux d'environ 20 ans avec une tranche d'âge plus fréquent entre 19 et 23 ans ", la détermination de l'âge par examen osseux comporte une importante marge d'erreur. Ainsi que l'a relevé la décision du Conseil constitutionnel QPC n° 2018-68 du 21 mars 2019, dès lors que le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce qui est le cas en l'espèce, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé. Par suite, Mme D... doit être regardée comme mineure à la date de l'arrêté contesté. Dès lors, elle est fondée à se prévaloir des dispositions précitées du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français. Par voie de conséquence, les décisions du même jour lui refusant un délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans doivent être annulées.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

6. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au profit de Me E..., avocate de Mme D..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que le préfet des Pyrénées-Orientales demande sur ce fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1802920 du 26 juin 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du 20 juin 2018 du préfet des Pyrénées-Orientales sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à Me E... sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Les conclusions du préfet des Pyrénées-Orientales tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... C..., présidente-assesseure

M. Thierry Sorin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 octobre 2019.

La rapporteure,

Anne C...Le président

Catherine Girault

La greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 18BX04174


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX04174
Date de la décision : 08/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03-04 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : GALINON

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-08;18bx04174 ?
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