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29/08/2019 | FRANCE | N°18BX03362,18BX03478

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 29 août 2019, 18BX03362,18BX03478


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Bordeaux à Coeur, M. R... G..., M. D... A... M..., Mme E... L..., M. H... O..., M. J... F... et M. N... Q... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 2 août 2017 par lequel le préfet de la Gironde a déclaré d'utilité publique, au profit de Bordeaux Métropole, les travaux de réalisation de la ligne de bus à haut niveau de service sur les communes de Bordeaux, Mérignac, Eysines, Le Haillan, Saint-Médard-en-Jalles, Le Taillan-Médoc et Saint-Aubin de Médoc.r>
Par un jugement n° 1704516 du 19 juillet 2018, le tribunal administratif de Bo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Bordeaux à Coeur, M. R... G..., M. D... A... M..., Mme E... L..., M. H... O..., M. J... F... et M. N... Q... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 2 août 2017 par lequel le préfet de la Gironde a déclaré d'utilité publique, au profit de Bordeaux Métropole, les travaux de réalisation de la ligne de bus à haut niveau de service sur les communes de Bordeaux, Mérignac, Eysines, Le Haillan, Saint-Médard-en-Jalles, Le Taillan-Médoc et Saint-Aubin de Médoc.

Par un jugement n° 1704516 du 19 juillet 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 2 août 2017.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 5 septembre 2018 sous le n° 18BX03362, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1704516 du tribunal administratif de Bordeaux du 19 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de première instance.

Il soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- au regard de son objet social, défini à l'article 2 de ses statuts, l'association Bordeaux à Coeur était dépourvue d'intérêt à agir à l'encontre de l'arrêté de déclaration d'utilité publique ; cette association a pour objet de défendre le cadre de vie alors que la déclaration d'utilité publique concourt précisément à la réalisation de cet objectif ; de plus, l'objet social de l'association est trop général pour lui conférer un intérêt à agir ;

- les requérants personnes physiques étaient également dépourvus d'intérêt à contester la déclaration d'utilité publique ; M. G... ne réside pas à proximité du projet et n'est pas susceptible d'en subir les incidences ; M. Q... dispose d'un espace de stationnement privatif et ne peut donc invoquer la circonstance que le projet entraînera la suppression de places publiques de stationnement ; il en va de même pour MM. O... et F... ;

- la qualité de contribuable ne confère pas aux requérants un intérêt à agir à l'encontre de la déclaration d'utilité publique ;

Il soutient, en ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de la notice explicative retenu par le tribunal administratif, que :

- les tracés envisagés au stade de la concertation n'ont pas conduit Bordeaux Métropole à étudier des partis d'aménagement distincts au sens de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; un seul fuseau de tracé ayant été envisagé, il en résulte que les différents scénarii étudiés sont très proches les uns des autres ; en raison de cette proximité, les variantes étudiées ne sont pas des partis d'aménagement distincts ;

- dès lors qu'un seul parti a été envisagé pour l'opération, les dispositions de l'article R. 112-6 en tant qu'elles prévoient que la notice expose les raisons pour lesquelles le projet a été retenu n'étaient pas applicables ;

- à supposer que la notice explicative était soumise aux dispositions de l'article R. 112-6, l'omission relevée par les requérants n'aurait pas privé le public d'une garantie ou d'une information complète ;

- les autres moyens soulevés par les requérants doivent être écartés compte tenu des éléments apportés par le préfet dans ses écritures de première instance.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 septembre 2018, le 14 janvier 2019 et le 2 février 2019, Bordeaux Métropole, représentée par Me I..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de première instance ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur les conclusions à fin d'annulation afin de permettre la régularisation de la déclaration d'utilité publique ;

4°) de mettre à la charge de chacun des demandeurs de première instance la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le jugement est irrégulier car il ne comporte pas les signatures prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le tribunal a commis une irrégularité en ne communiquant pas son mémoire en défense présenté cinq jours avant la clôture de l'instruction ; ce mémoire comportait pourtant un élément nouveau tiré de l'absence d'incidence du moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; il comportait aussi des pièces établissant que le public avait eu connaissance des différents tracés envisagés pour le projet ; au surplus, le tribunal s'est abstenu de communiquer la note en délibéré présentée par Bordeaux Métropole alors qu'elle reprenait la même argumentation et comportait les mêmes pièces ;

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- l'objet social de l'association requérante est trop général pour qu'elle se voit reconnaître un intérêt à agir à l'encontre de la déclaration d'utilité publique ;

- l'intérêt à agir des requérants personnes physiques n'est pas non plus établi ; aucun élément n'a révélé que la réalisation du projet litigieux aurait des incidences négatives sur leurs conditions de vie ; ainsi, des dispositifs ont été mis en place pour pallier la suppression des places de stationnement entraînée par la réalisation du projet ; les études réalisées ont montré que le projet n'aura pas pour effet d'entraîner un report de la circulation vers les quartiers riverains ;

- la qualité de contribuables locaux des requérants ne leur confère pas un intérêt à agir dès lors que la déclaration d'utilité publique, par elle-même, n'a pas d'effets sur les finances de Bordeaux Métropole ;

Elle soutient, en ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal, que :

- ne saurait être regardé comme un " parti envisagé " un projet qui, après avoir fait l'objet d'une étude, a été abandonné par la collectivité compte tenu du délai qui s'est écoulé à la date de l'arrêté prescrivant l'ouverture de l'enquête publique ; en l'espèce, ce délai est de près de cinq années ; ainsi, aucun autre mode de transport, constituant un parti distinct, n'a été envisagé au sens de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; le moyen d'annulation retenu par le tribunal est infondé ;

- le dossier d'enquête publique faisait référence aux différents tracés envisagés et exposait les raisons pour lesquelles celui ayant fait l'objet de la déclaration d'utilité publique a été retenu ;

- la circonstance que la notice explicative ne comportait pas de précisions détaillées sur les partis examinés par les études préalables est sans incidence dès lors que les informations portées à la connaissance du public dans le cadre de la procédure de concertation ont permis d'informer pleinement et totalement les personnes intéressées à l'opération ;

Elle soutient, en ce qui concerne la légalité externe de la déclaration d'utilité publique, que :

- la délibération du 21 octobre 2016 du conseil de Bordeaux Métropole autorisant son président à solliciter une enquête publique comporte la mention selon laquelle la convocation des membres du conseil est intervenue le 14 octobre 2016 ; le courrier de convocation comporte la même date, ce que confirme l'attestation établie par la société chargée de l'envoi dématérialisé des convocations ; le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;

- la délibération du 7 juillet 2017 déclarant le projet d'intérêt général est un acte préparatoire et le moyen tiré de son absence de publication est inopérant ; par ailleurs, le public était informé sur les motifs justifiant l'intérêt général de l'opération dès lors que la déclaration d'utilité publique comportait en annexe un document reprenant les termes de la délibération du 7 juillet 2017 ;

- aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'avis du service des domaines sur le coût d'acquisition des biens nécessaires au projet doive figurer dans le dossier d'enquête publique ; en l'espèce, l'avis a été sollicité et rendu avant l'enquête publique ; il ne comporte pas d'erreur dans l'estimation sommaire des dépenses ; la circonstance que l'avis a été émis postérieurement à la délibération approuvant le dossier d'enquête n'entache pas d'illégalité l'arrêté attaqué car elle n'a exercé aucune influence sur le sens de la décision et n'a privé les intéressés d'aucune garantie ;

- les conditions d'affichage de l'avis d'enquête publique sont conformes à la réglementation applicable ;

- ainsi qu'il a été dit précédemment, la notice explicative contenait les informations prévues à l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- l'étude d'impact n'avait pas à prendre en compte les effets des travaux réalisés sur la place Gambetta et la rue Castéjà qui sont étrangers au projet en litige et n'étaient pas soumis à étude d'impact ; il n'est pas établi que l'étude d'impact n'aurait pas envisagé les moyens de réduire les effets négatifs du projet ; l'étude d'impact comporte une analyse détaillée de l'ensemble des effets sur son environnement ; l'étude d'impact renvoie au dossier de concertation concernant l'analyse des autres options possibles pour la mise en oeuvre du projet ; la question des vibrations entraînées par le projet a été étudiée dans les pièces soumises à enquête publique ; l'étude d'impact n'avait pas à comporter les informations en termes de diagnostic archéologique et pouvait renvoyer à des procédures ultérieures ;

- le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale doit être écarté dès lors que celui-ci a été émis par un service doté d'une autonomie vis-à-vis du préfet de région, auteur de la décision attaquée ; en tout état de cause, ce vice pourra être régularisé ;

- les analyses socio-économiques réalisées sont suffisantes ; une analyse des incidences du choix sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation ainsi que sur les conditions d'exploitation a été réalisée ; les quelques erreurs relevées dans l'évaluation socio-économique sont sans incidence sur la légalité de la déclaration d'utilité publique ; les conditions de financement du projet ont été précisées ;

Elle soutient, en ce qui concerne la légalité interne, que :

- les projections réalisées en termes d'évolution démographique ont montré de manière exacte l'importante augmentation de la population prévue dans les communes desservies par le projet ;

- l'actuelle ligne de bus Lianes 3+ présente des faiblesses en matière de temps de parcours par rapport aux autres moyens de transport que sont la voiture et le vélo ; l'évaluation socio-économique met en lumière que la mise en place du bus à haut niveau de service (BHNS) permettrait un gain de temps de l'ordre de 30 % ; une étude réalisée a montré que le retard lié à la présence de cycles sur l'itinéraire du bus n'excède pas une minute sur le temps de parcours ;

- concernant les dimensions du BHNS et son mode de propulsion, le dossier d'enquête publique a analysé les impacts d'un matériel roulant au gaz et a conclu à des gains environnementaux par rapport à la situation actuelle ;

- les plans des tracés du BHNS et de la ligne D du tramway montrent que les deux lignes seront complémentaires et non concurrentes ; en particulier, la ligne D du tramway ne desservira pas l'intégralité des communes situées sur le tracé du BHNS ;

- les études réalisées ont montré que la mise en service du BHNS entraînera un report de l'usage des véhicules au profit du nouveau projet et une diminution de la circulation automobile ;

- le taux de rentabilité interne d'un projet ne constitue pas un critère d'appréciation de son utilité publique ; en tout état de cause, il est positif en ce qui concerne le projet de BHNS ;

- les requérants n'ont produit aucun élément de nature à établir que le taux de fréquentation prévu pour le BHNS aurait été surestimé ;

- les avantages du projet l'emportent sur ses inconvénients et le moyen tiré de son absence d'utilité publique doit être écarté ;

- le moyen tiré de ce que le projet est contraire à l'article L. 1511-1 du code des transports dès lors qu'il ne répond pas à un besoin réel, que la sécurité n'a pas été prise en compte et que l'efficacité économique et sociale de l'opération n'est pas garantie doit être écarté.

Par des mémoires, enregistrés le 17 décembre 2018 et le 25 janvier 2019, l'association Bordeaux à Coeur, M. R... G..., M. D... A... M..., Mme E... L..., M. H... O..., M. J... F... et M. N... Q..., représentés par Me K..., concluent au rejet de la requête du ministre de l'intérieur et des conclusions présentées par Bordeaux Métropole et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat et de Bordeaux Métropole la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- l'expédition du jugement adressé aux parties n'a pas à être signé et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit être écarté ;

- le second mémoire en défense présenté par Bordeaux Métropole ne comportait aucun élément nouveau ; le tribunal n'a donc pas commis d'irrégularité en décidant de ne pas le communiquer ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- compte tenu de son objet social, qui est suffisamment précis, et des incidences du projet sur le cadre de vie, l'association Bordeaux à Coeur justifie d'un intérêt à contester la déclaration d'utilité publique ;

- les requérants personnes physiques ont aussi intérêt à agir en leur qualité de riverains d'un projet de transports publics ; ils demeurent tous dans des rues le long desquelles le BHNS circulera ; ils subiront des nuisances liées aux travaux, aux suppressions de places de stationnement et difficultés accrues d'accès au moyen de leurs véhicules ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal, que :

- les différents tracés envisagés dans l'étude commandée par Bordeaux Métropole en 2012 constituent bien autant de partis d'aménagement distincts ; aucun élément n'indique que les autres partis auraient été abandonnés par Bordeaux Métropole, notamment au moment de la concertation ; c'est dès lors à juste titre que le tribunal administratif a accueilli le moyen tiré de l'insuffisance de la notice explicative au regard de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne la légalité externe, que :

- en l'absence de publicité de la délibération déclarant le projet d'intérêt général, le préfet aurait dû refuser de prendre la déclaration d'utilité publique ;

- l'avis du service des domaines ne comporte pas d'estimation des biens dont l'acquisition est nécessaire au projet et cet avis est postérieur à la délibération de Bordeaux Métropole ayant approuvé le contenu du dossier d'enquête publique ;

- l'étude d'impact jointe au dossier de déclaration d'utilité publique est entachée de plusieurs insuffisances ; elle a omis de prendre en compte certains travaux dans l'analyse des effets cumulés du projet sur l'environnement ; elle ne présente pas les mesures destinées à réduire les impacts du projet ; les solutions de substitution n'y sont pas non plus présentées ; les effets liés aux vibrations entraînées par le projet ne sont pas pris en compte ; il n'a pas été procédé aux recherches archéologiques prévues à l'article R. 523-1 du code du patrimoine ;

- l'avis de l'autorité environnementale a été émis dans des conditions irrégulières dès lors que son auteur ne justifie pas d'une autonomie vis-à-vis du préfet de région, auteur de la décision attaquée ;

- l'évaluation socio-économique du projet est entachée d'insuffisances ; elle ne comprend aucune justification du choix du projet parmi les autres partis envisagés ; les effets du BHNS sur les autres lignes de transport n'ont pas été évalués ; l'évaluation comporte également des erreurs dans l'analyse du potentiel commercial de la zone ou de l'implantation de certaines institution (lycée, faculté de médecine) ;

- le dossier ne comporte pas d'analyse sur le financement du projet et son taux de rentabilité financière en méconnaissance de l'article R. 1511-4 du code des transports ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne la légalité interne, que :

- les avantages du projet en termes de rentabilité, d'évolution démographique et de fréquentation ont été surestimés par Bordeaux Métropole ;

- le projet ne présente pas un réel gain de temps par rapport aux services offerts par les autres lignes de bus ; le BHNS doit notamment emprunter les voies ouvertes à la circulation générales déjà encombrées et les vélos ont vocation à emprunter la ligne qui lui sera réservée, ce qui entraînera un risque pour la sécurité ;

- le projet constitue un doublon avec la future ligne D du tramway et n'est aucunement complémentaire avec celle-ci contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole ;

- le report attendu de l'usage des véhicules vers l'utilisation du BHNS n'est pas établi dans les proportions avancées par Bordeaux Métropole ;

- l'estimation du taux de rentabilité interne effectuée par Bordeaux Métropole pour son projet est erronée ;

- le projet entraînera de nombreuses nuisances pour les riverains, en termes de cadre de vie, d'impact environnemental et de sécurité ; son coût financier est également très important ;

- il existe des solutions alternatives présentant des coûts moindres ;

- le bilan coût avantage du projet est négatif et, ainsi, la déclaration d'utilité publique doit être annulée pour défaut d'utilité publique ;

- la déclaration d'utilité publique méconnait les dispositions de l'article L. 1511-1 du code des transports dès lors que le projet ne répond pas à un réel besoin des usagers.

Par ordonnance du 14 janvier 2019, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 févier 2019 à 12 heures.

II- Par une requête et des mémoires enregistrés le 18 septembre 2018, le 14 janvier 2019 et le 2 février 2019 sous le n° 17BX03478, Bordeaux Métropole, représentée par Me I..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de première instance ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur les conclusions à fin d'annulation afin de permettre la régularisation de la déclaration d'utilité publique ;

4°) de mettre à la charge de chacun des demandeurs de première instance la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le jugement est irrégulier car il ne comporte pas les signatures prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le tribunal a commis une irrégularité en ne communiquant pas son mémoire en défense présenté cinq jours avant la clôture de l'instruction ; ce mémoire comportait pourtant un élément nouveau tiré de l'absence d'incidence du moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; il comportait aussi des pièces établissant que le public avait eu connaissance des différents tracés envisagés pour le projet ; au surplus, le tribunal s'est abstenu de communiquer la note en délibéré présentée par Bordeaux Métropole alors qu'elle reprenait la même argumentation et comportait les mêmes pièces ;

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- l'objet social de l'association requérante est trop général pour qu'elle se voit reconnaître un intérêt à agir à l'encontre de la déclaration d'utilité publique ;

- l'intérêt à agir des requérants personnes physiques n'est pas non plus établi ; aucun élément n'a révélé que la réalisation du projet litigieux aurait des incidences négatives sur leurs conditions de vie ; ainsi, des dispositifs ont été mis en place pour pallier la suppression des places de stationnement entraînée par la réalisation du projet ; les études réalisées ont montré que le projet n'aura pas pour effet d'entraîner un report de la circulation vers les quartiers riverains ;

- la qualité de contribuables locaux des requérants ne leur confère pas un intérêt à agir dès lors que la déclaration d'utilité publique, par elle-même, n'a pas d'effets sur les finances de Bordeaux Métropole ;

Elle soutient, en ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal, que :

- ne saurait être regardé comme un " parti envisagé " un projet qui, après avoir fait l'objet d'une étude, a été abandonné par la collectivité compte tenu du délai qui s'est écoulé à la date de l'arrêté prescrivant l'ouverture de l'enquête publique ; en l'espèce, ce délai est de près de cinq années ; ainsi, aucun autre mode de transport, constituant un parti distinct, n'a été envisagé au sens de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; le moyen d'annulation retenu par le tribunal est infondé ;

- le dossier d'enquête publique faisait référence aux différents tracés envisagés et exposait les raisons pour lesquelles celui ayant fait l'objet de la déclaration d'utilité publique a été retenu ;

- la circonstance que la notice explicative ne comportait pas de précisions détaillées sur les partis examinés par les études préalables est sans incidence dès lors que les informations portées à la connaissance du public dans le cadre de la procédure de concertation ont permis d'informer pleinement et totalement les personnes intéressées à l'opération ;

Elle soutient, en ce qui concerne la légalité externe de la déclaration d'utilité publique, que :

- la délibération du 21 octobre 2016 du conseil de Bordeaux Métropole autorisant son président à solliciter une enquête publique comporte la mention selon laquelle la convocation des membres du conseil est intervenue le 14 octobre 2016 ; le courrier de convocation comporte la même date, ce que confirme l'attestation établie par la société chargée de l'envoi dématérialisée des convocations ; le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;

- la délibération du 7 juillet 2017 déclarant le projet d'intérêt général est un acte préparatoire et le moyen tiré de son absence de publication est inopérant ; par ailleurs, le public était informé sur les motifs justifiant l'intérêt général de l'opération dès lors que la déclaration d'utilité publique comportait en annexe un document reprenant les termes de la délibération du 7 juillet 2017 ;

- aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'avis du service des domaines sur le coût d'acquisition des biens nécessaires au projet doive figurer dans le dossier d'enquête publique ; en l'espèce, l'avis a été sollicité et rendu avant l'enquête publique ; il ne comporte pas d'erreur dans l'estimation sommaire des dépenses ; la circonstance que l'avis a été émis postérieurement à la délibération approuvant le dossier d'enquête n'entache pas d'illégalité l'arrêté attaqué car elle n'a exercé aucune influence sur le sens de la décision et n'a privé les intéressés d'aucune garantie ;

- les conditions d'affichage de l'avis d'enquête publique sont conformes à la réglementation applicable ;

- ainsi qu'il a été dit précédemment, la notice explicative contenait les informations prévues à l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- l'étude d'impact n'avait pas à prendre en compte les effets des travaux réalisés sur la place Gambetta et la rue Castéjà qui sont étrangers au projet en litige et n'étaient pas soumis à étude d'impact ; il n'est pas établi que l'étude d'impact n'aurait pas envisagé les moyens de réduire les effets négatifs du projet ; l'étude d'impact comporte une analyse détaillée de l'ensemble des effets sur son environnement ; l'étude d'impact renvoie au dossier de concertation concernant l'analyse des autres options possibles pour la mise en oeuvre du projet ; la question des vibrations entraînées par le projet a été étudiée dans les pièces soumises à enquête publique ; l'étude d'impact n'avait pas à comporter les informations en termes de diagnostic archéologique et pouvait renvoyer à des procédures ultérieures ;

- le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale doit être écarté dès lors que celui-ci a été émis par un service doté d'une autonomie vis-à-vis du préfet de région, auteur de la décision attaquée ; en tout état de cause, ce vice pourra être régularisé ;

- les analyses socio-économiques réalisées sont suffisantes ; une analyse des incidences du choix sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation ainsi que sur les conditions d'exploitation a été réalisée ; les quelques erreurs relevées dans l'évaluation socio-économique sont sans incidence sur la légalité de la déclaration d'utilité publique ; les conditions de financement du projet ont été précisées ;

Elle soutient, en ce qui concerne la légalité interne, que :

- les projections réalisées en termes d'évolution démographique ont montré de manière exacte l'importante augmentation de la population prévue dans les communes desservies par le projet ;

- l'actuelle ligne de bus Lianes 3+ présente des faiblesses en matière de temps de parcours par rapport aux autres moyens de transport que sont la voiture et le vélo ; l'évaluation socio-économique met en lumière que la mise en place du bus à haut niveau de service (BHNS) permettrait un gain de temps de l'ordre de 30 % ; une étude réalisée a montré que le retard lié à la présence de cycles sur l'itinéraire du bus n'excède pas une minute sur le temps de parcours ;

- concernant les dimensions du BHNS et son mode de propulsion, le dossier d'enquête publique a analysé les impacts d'un matériel roulant au gaz et a conclu à des gains environnementaux par rapport à la situation actuelle ;

- les plans des tracés du BHNS et de la ligne D du tramway montrent que les deux lignes seront complémentaires et non concurrentes ; en particulier, la ligne D du tramway ne desservira pas l'intégralité des communes situées sur le tracé du BHNS ;

- les études réalisées ont montré que la mise en service du BHNS entraînera un report de l'usage des véhicules au profit du nouveau projet et une diminution de la circulation automobile ;

- le taux de rentabilité interne d'un projet ne constitue pas un critère d'appréciation de son utilité publique ; en tout état de cause, il est positif en ce qui concerne le projet de BHNS ;

- les requérants n'ont produit aucun élément de nature à établir que le taux de fréquentation prévu pour le BHNS aurait été surestimé ;

- les avantages du projet l'emportent sur ses inconvénients et le moyen tiré de son absence d'utilité publique doit être écarté ;

- le moyen tiré de ce que le projet est contraire à l'article L. 1511-1 du code des transports dès lors qu'il ne répond pas à un besoin réel, que la sécurité n'a pas été prise en compte et que l'efficacité économique et sociale de l'opération n'est pas garantie doit être écarté.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 décembre 2018 et le 25 janvier 2019, l'association Bordeaux à Coeur, M. R... G..., M. D... A... M..., Mme E... L..., M. H... O..., M. J... F... et M. N... Q..., représentés par Me K..., concluent au rejet de la requête du ministre de l'intérieur et des conclusions présentées par Bordeaux Métropole et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat et de Bordeaux Métropole la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- l'expédition du jugement adressé aux parties n'a pas à être signé et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit être écarté ;

- le second mémoire en défense présenté par Bordeaux Métropole ne comportait aucun élément nouveau ; le tribunal n'a donc pas commis d'irrégularité en décidant de ne pas le communiquer ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance ; que :

- compte tenu de son objet social, qui est suffisamment précis, et des incidences du projet sur le cadre de vie, l'association Bordeaux à Coeur justifie d'un intérêt à contester la déclaration d'utilité publique ;

- les requérants personnes physiques ont aussi intérêt à agir en leur qualité de riverains d'un projet de transports publics ; ils demeurent ... ; ils subiront des nuisances liées aux travaux, aux suppressions de places de stationnement et difficultés accrues d'accès au moyen de leurs véhicules ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal, que :

- les différents tracés envisagés dans l'étude commandée par Bordeaux Métropole en 2012 constituent bien autant de partis d'aménagement distincts ; aucun élément n'indique que les autres partis auraient été abandonnés par Bordeaux Métropole, notamment au moment de la concertation ; c'est dès lors à juste titre que le tribunal administratif a accueilli le moyen tiré de l'insuffisance de la notice explicative au regard de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne la légalité externe, que :

- en l'absence de publicité de la délibération déclarant le projet d'intérêt général, le préfet aurait dû refuser de prendre la déclaration d'utilité publique ;

- l'avis du service des domaines ne comporte pas d'estimation des biens dont l'acquisition est nécessaire au projet et cet avis est postérieur à la délibération de Bordeaux Métropole ayant approuvé le contenu du dossier d'enquête publique ;

- l'étude d'impact jointe au dossier de déclaration d'utilité publique est entachée de plusieurs insuffisances ; elle a omis de prendre en compte certains travaux dans l'analyse des effets cumulés du projet sur l'environnement ; elle ne présente pas les mesures destinées à réduire les impacts du projet ; les solutions de substitution n'y sont pas non plus présentées ; les effets liés aux vibrations entraînées par le projet ne sont pas pris en compte ; il n'a pas été procédé aux recherches archéologiques prévues à l'article R. 523-1 du code du patrimoine ;

- l'avis de l'autorité environnementale a été émis dans des conditions irrégulières dès lors que son auteur ne justifie pas d'une autonomie vis-à-vis du préfet de région, auteur de la décision attaquée ;

- l'évaluation socio-économique du projet est entachée d'insuffisances ; elle ne comprend aucune justification du choix du projet parmi les autres parties envisagées ; les effets du BHNS sur les autres lignes de transport n'ont pas été évalués ; l'évaluation comporte également des erreurs dans l'analyse du potentiel commercial de la zone ou de l'implantation de certaines institution (lycée, faculté de médecine) ;

- le dossier ne comporte pas d'analyse sur le financement du projet et son taux de rentabilité financière en méconnaissance de l'article R. 1511-4 du code des transports ;

Ils soutiennent, en ce qui concerne la légalité interne, que :

- les avantages du projet en termes de rentabilité, d'évolution démographique et de fréquentation ont été surestimés par Bordeaux Métropole ;

- le projet ne présente pas un réel gain de temps par rapport aux services offerts par les autres lignes de bus ; le BHNS doit notamment emprunter les voies ouvertes à la circulation générales déjà encombrées et les vélos ont vocation à emprunter la ligne qui lui sera réservée, ce qui entraînera un risque pour la sécurité ;

- le projet constitue un doublon avec la future ligne D du tramway et n'est aucunement complémentaire avec celle-ci contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole ;

- le report attendu de l'usage des véhicules vers l'utilisation du BHNS n'est pas établi dans les proportions avancées par Bordeaux Métropole ;

- l'estimation du taux de rentabilité interne effectuée par Bordeaux Métropole pour son projet est erronée ;

- le projet entraînera de nombreuses nuisances pour les riverains, en termes de cadre de vie, d'impact environnemental et de sécurité ; son coût financier est également très important ;

- il existe des solutions alternatives présentant des coûts moindres ;

- le bilan coût avantage du projet est négatif et, ainsi, la déclaration d'utilité publique doit être annulée pour défaut d'utilité publique ;

- la déclaration d'utilité publique méconnait les dispositions de l'article L. 1511-1 du code des transports dès lors que le projet ne répond pas à un réel besoin des usagers.

Par ordonnance du 14 janvier 2019, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 févier 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code du patrimoine ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. P... C...,

- les conclusions S... Florence Madelaigue, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant Bordeaux Métropole, et de Me K..., représentant l'association Bordeaux à Coeur et autres.

Considérant ce qui suit :

1. En 2015, Bordeaux Métropole a organisé une concertation concernant un projet de bus à haut niveau de service (BHNS) destiné à améliorer la desserte du quadrant Nord-Ouest de l'agglomération sur une ligne traversant les communes de Bordeaux, Mérignac, Eysines, Le Haillan, Le Taillan-Médoc, Saint-Médard-en-Jalles et Saint-Aubin de Médoc. Après avoir tiré le bilan de la concertation par une délibération du 25 mars 2016, Bordeaux Métropole a pris, le 21 octobre suivant, une nouvelle délibération autorisant son président à solliciter du préfet de la Gironde l'organisation d'une enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique du projet. A l'issue de l'enquête, qui s'est déroulée du 3 avril au 5 mai 2017, la commission d'enquête a émis un avis favorable au projet assorti de réserves. Par une délibération du 7 juillet 2017, le conseil de Bordeaux Métropole a déclaré d'intérêt général le projet de liaison en BHNS de la gare de Bordeaux Saint-Jean à Saint-Aubin de Médoc dont les travaux que nécessite sa réalisation ont été déclarés d'utilité publique par un arrêté du préfet de la Gironde du 2 août 2017. A la demande de l'association Bordeaux à coeur, de MM. G..., A... M..., O..., F..., Q... et S... L..., le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la déclaration d'utilité publique du 2 août 2017. Par deux requêtes enregistrées respectivement sous les n° 18BX03362 et 18BX03478, le ministre de l'intérieur et Bordeaux Métropole relèvent appel de ce jugement.

2. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger des mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué a été signée par le rapporteur, le président et le greffier, conformément aux dispositions précitées. La circonstance que l'expédition du jugement notifiée aux parties ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties (...) Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Dans son premier mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2018 et communiqué aux parties adverses, Bordeaux Métropole a notamment répondu au moyen tiré de ce que la notice explicative du projet n'exposait pas les raisons pour lesquelles le projet soumis à l'enquête avait été retenu parmi les différentes options envisagées en faisant valoir que le renvoi au dossier de concertation opéré par la notice avait permis de satisfaire le droit à l'information du public. Les éléments contenus dans le second mémoire en défense présenté le 30 juin 2018 ne présentaient pas un caractère nouveau qui eût obligé le tribunal, dont les motifs du jugement répondent à l'argumentation de Bordeaux Métropole, à procéder à sa communication. Par suite, en s'abstenant de soumettre ce dernier mémoire au débat contradictoire, les premiers juges n'ont, en tout état de cause, pas entaché leur jugement d'irrégularité.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

5. Selon l'article 2 de ses statuts, l'association Bordeaux à coeur a pour objet " au sein de la ville de Bordeaux : (...) - l'amélioration du cadre de vie, - la mise en place de systèmes de transports et de déplacements respectueux du cadre de vie, - la protection et l'amélioration de l'espace public pour tous les usagers (...) ". Ainsi défini, cet objet social ne présente pas un caractère trop général et donne au contraire à l'association Bordeaux à Coeur un intérêt à agir à l'encontre de la déclaration d'utilité publique en litige, laquelle porte sur un projet de transport en commun destiné à desservir les pôles d'habitation et le bassin socio-économique de Bordeaux Métropole, lesquels sont en voie de développement, et dont le tracé sur le seul territoire de la commune de Bordeaux représente environ le quart du trajet total de la future ligne. Par suite, et sans qu'il soit besoin pour la cour de se prononcer sur l'intérêt à agir des autres requérants de première instance, le tribunal a pu à bon droit juger que l'association Bordeaux à Coeur justifiait d'un intérêt à contester la déclaration d'utilité publique des travaux de réalisation du BHNS Bordeaux/Saint-Aubin de Médoc.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

6. Aux termes de l'article R. 122-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages, l'expropriant adresse au préfet du département où l'opération doit être réalisée, pour qu'il soit soumis à l'enquête, un dossier comprenant au moins : 1° Une notice explicative (...) ". Aux termes de l'article R. 112-6 du même code : " La notice explicative prévue aux articles R. 112-4 et R. 112-5 indique l'objet de l'opération et les raisons pour lesquelles, parmi les partis envisagés, le projet soumis à l'enquête a été retenu, notamment du point de vue de son insertion dans l'environnement. ".

7. Les dispositions précitées de l'article R. 112-6 ont été abrogées au 1er janvier 2016 par le décret n° 2015-1342 du 23 octobre 2015 avant d'être réintroduites dans l'ordonnancement juridique, avec une rédaction inchangée, par l'article 9 du décret n° 2017-626 du 25 avril 2017. Ce dernier décret ne prévoyant pas de dispositions transitoires, son article 9 est entré en vigueur le 28 avril 2017. La régularité d'une décision administrative s'appréciant, en principe, au regard des dispositions législatives et règlementaires en vigueur à la date de son édiction, il s'ensuit que l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, résultant de l'article 9 du décret du 25 avril 2017, était applicable à la déclaration d'utilité publique en litige du 4 août 2017.

8. Il ressort des pièces du dossier que la gare Saint-Jean, la place de la Victoire, la place des Quinconces et le quartier Mériadeck ont été envisagés comme autant de terminus possibles de la future ligne du BHNS. Il en résultait, compte tenu des distances séparant ces pôles les uns des autres, des différences de tracés significatives dessinant des partis différents. Aucun élément du dossier, en particulier la teneur des débats qui ont eu lieu pendant la concertation au cours de laquelle les tracés possibles du projet ont été présentés au public, ce qui a permis de souligner les écarts de fréquentation, et donc d'utilité et de rentabilité existants entre ces différents projets, n'établit que ces partis distincts auraient été abandonnés par le maître de l'ouvrage pour ne privilégier que le seul tracé soumis à enquête publique. Dans ces conditions, et en application des dispositions précitées de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, il incombait au maître de l'ouvrage de présenter, dans la notice explicative, les raisons qui l'ont conduit à retenir parmi les partis envisagés le projet soumis à l'enquête publique. Il ressort des pièces du dossier que la notice ne satisfait pas à cette exigence.

9. Selon Bordeaux Métropole, le renvoi au dossier de concertation auquel a procédé le dossier d'enquête publique aurait permis de pallier l'insuffisance de la notice explicative. Toutefois, la concertation et l'enquête publique constituent deux étapes distinctes de la procédure d'adoption d'une déclaration d'utilité publique répondant à des finalités distinctes. Ainsi, alors que la concertation associe le public et l'ensemble des personnes intéressées à la conception d'un projet qui n'est pas encore défini précisément, l'enquête publique porte au contraire sur le projet élaboré par le maître de l'ouvrage. Dans ces conditions, le simple renvoi au dossier de concertation auquel procède le dossier d'enquête ne saurait, en principe, pallier les insuffisances de ce dernier.

10. En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que parmi les pièces composant le dossier d'enquête publique figurait le bilan de la concertation que le conseil de Bordeaux Métropole a tiré dans sa séance du 25 mars 2016 au cours de laquelle ont été exposées les raisons permettant de privilégier un tracé passant par le nord du quartier de Caudéran, le centre-ville du Haillan avec un terminus à la gare Saint-Jean. Toutefois, cette délibération ne comporte pas de description des autres tracés envisagés, évoqués dans la délibération du conseil de Bordeaux Métropole du 29 mai 2015 ouvrant la concertation et pendant la concertation elle-même, ni un exposé des raisons pour lesquelles ces derniers n'ont pas été retenus. De plus, les motifs de la délibération du 25 mars 2016 font état de la nécessité de poursuivre les études et la concertation elle-même à propos des modalités de passage de la ligne dans le secteur des boulevards de Bordeaux. Dans ces conditions, le tracé de la future ligne n'était pas arrêté lorsque le bilan de la concertation a été effectué et, par suite, Bordeaux Métropole n'est pas fondé à soutenir que le seul renvoi auquel a procédé le dossier d'enquête publique au bilan de la concertation et au dossier de concertation, lui-même non versé à l'enquête publique, a remédié à l'insuffisance de la notice explicative. Et il ne ressort pas des pièces du dossier que les autres documents composant le dossier d'enquête auraient contenu les éléments propres à assurer l'information du public sur les raisons pour lesquelles le tracé retenu a été choisi parmi ceux envisagés.

11. Cette carence a, dans les circonstances de l'espèce, porté atteinte à l'information du public et, dès lors, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a accueilli les conclusions à fin d'annulation de la déclaration d'utilité publique en litige du 2 août 2017.

12. Enfin, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que le juge de la légalité d'une déclaration d'utilité publique doive surseoir à statuer afin de permettre la régularisation d'une telle décision.

13. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et Bordeaux Métropole ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la déclaration d'utilité publique du 2 août 2017.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. En application de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat et de Bordeaux Métropole la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés, non compris dans les dépens, exposée par l'association Bordeaux à Coeur. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Bordeaux Métropole qui n'est pas la partie gagnante à l'instance d'appel. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 par M. G..., M. A... M..., Mme L..., M. O..., M. F... et M. Q....

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes n° 18BX03362 et 18BX03478 présentées par le ministre de l'intérieur et Bordeaux Métropole sont rejetées.

Article 2 : L'Etat et Bordeaux Métropole, pris ensemble, verseront à l'association Bordeaux à Coeur la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. R... G..., M. D... A... M..., Mme E... L..., M. H... O..., M. J... F..., M. N... Q... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Bordeaux Métropole, au ministre de l'intérieur et à l'association Bordeaux à Coeur, désignée en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 9 juillet 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. P... C..., président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 août 2019.

Le rapporteur,

Frédéric C...Le président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°s 18BX03362, 18BX03478


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03362,18BX03478
Date de la décision : 29/08/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

34-01-01-02-04 Expropriation pour cause d'utilité publique. Notions générales. Notion d'utilité publique. Existence. Infrastructures de transport.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CABINET ADDEN BORDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-08-29;18bx03362.18bx03478 ?
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