Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société " FamilleB... " a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 3 juin 2015 par laquelle le préfet des Pyrénées-Atlantiques lui a enjoint d'apporter des modifications aux mentions figurant sur les conditionnements de sirop d'érable qu'elle commercialise ainsi que sur le site internet consacré à ses produits.
Par un jugement n° 1501436 du 26 octobre 2017, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision litigieuse en tant qu'elle exige la suppression du terme " pur " sur les étiquettes des bouteilles de sirop et en tant qu'elle prescrit deux modifications de texte sur le site internet " mieuxsucrer.com ". Il a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 novembre 2017 et un mémoire enregistré le 4 juillet 2018, la société " FamilleB... ", représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 octobre 2017 du tribunal administratif de Pau en tant qu'il ne fait pas intégralement droit à sa demande ;
2°) d'annuler dans son entier la décision contestée du 3 juin 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le règlement (CE) n° 1169/2011 ne contient aucune définition de ce qu'est un produit liquide ; le tribunal a fait sienne à tort la définition donnée par l'administration ; cependant, cette définition n'est étayée par aucune pièce ;
- le tribunal s'est mépris sur le taux de viscosité du sirop d'érable ; cette notion de viscosité est déterminante ; selon les analyse du cabinet Intertek, la viscosité du sirop d'érable est de 241 cp, soixante fois supérieure à celle du sirop de tomate ;
- compte tenu de sa viscosité, la quantité de sirop doit être exprimée en masse ;
- l'injonction préfectorale visant à ce qu'elle soit exprimée en volume doit donc être annulée ;
- il n'existe pas de définition du sirop d'érable ; la dénomination " pur sirop d'érable " est usuelle même en France ; elle se distingue des sirops mélangés ou avec additifs ; elle se distingue aussi des produits dilués ; la précision " pur " apporte une information au client sans distorsion de concurrence ; il ne s'agit pas d'une information trompeuse.
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2018 et une pièce communiquée le 13 septembre 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il invalide la décision du 3 juin 2015 en ce qu'elle prescrit la suppression du mot " pur " sur les étiquettes des emballages et de deux mentions sur le site internet.
Il soutient que :
- la réglementation européenne impose que la quantité nette des produits liquides soit exprimée en volume et non en masse ; le tribunal ne s'est pas mépris sur la définition des liquides et en estimant que le sirop d'érable commercialisé par la société entre dans cette catégorie ;
- la dénomination usuelle de ce sirop est " sirop d'érable " sans adjonction du terme " pur " ; alternativement, la législation canadienne prévoir l'usage du terme " succédané " ; en cas de produit non pur, la réglementation européenne prévoit l'usage d'un terme descriptif ; accoler les termes " pur " et " sirop d'érable " ne correspond pas aux prescriptions européennes applicables et peut être de nature à entraîner une confusion pour le consommateur européen dans la mesure où elle laisse entendre que les produits concurrents baptisés de la seule appellation " sirop d'érable " seraient des succédanés ; c'est donc à tort que le tribunal a annulé la décision du 1er juin 2015 en ce qu'elle prescrit la suppression du terme " pur " sur les étiquettes et sur le site internet commercialisant le produit.
Par ordonnance du 26 mars 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 avril 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 1169/2011 du parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires ;
- le code de la consommation ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société FamilleB....
Considérant ce qui suit :
1. La société " Famille B...", qui exerce une activité d'achat, de conditionnement et de vente de miel, sirop d'érable et sirop d'agave, a fait l'objet en janvier 2011 d'un signalement pour concurrence déloyale portant sur les mentions figurant sur les emballages du sirop d'érable qu'elle commercialise sous la dénomination " Maple Joe ". A la suite de ce signalement, un contrôle a été effectué le 8 décembre 2011 par les services de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), à l'issue duquel il a été indiqué à la société que l'étiquetage du produit n'était pas conforme à la réglementation applicable en ce qu'il indiquait la quantité nette contenue dans les flacons en masse et non en volume. De nouveaux contrôles ont été effectués à la fin de l'année 2014 et au début de 2015. Ces contrôles ont permis de constater que l'étiquetage des flacons comportait toujours une désignation de la quantité nette en masse et, par ailleurs, le rapport d'infraction établi subséquemment le 27 février 2015 dénonce l'utilisation impropre de l'appellation " pur " sirop d'érable, la mention " riche en manganèse " non accompagnée d'un schéma nutritionnel complet dans la présentation faite du produit sur le site internet " mieuxsucrer.com ", et l'absence, sur le même site, des informations obligatoires relatives à l'identification de l'exploitant. Par une décision du 3 juin 2015 prise en application de l'article L. 218-5-5 du code de la consommation, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a enjoint à la société " Famille B..." de prendre dans un délai d'un mois les mesures destinées à se mettre en conformité avec la réglementation applicable, sur les différentes infractions relevées. Saisi par la société, le tribunal administratif de Pau, par un jugement du 26 octobre 2017, a annulé la décision litigieuse en tant qu'elle exige la suppression du terme " pur " sur les étiquettes des bouteilles de sirop " Maple Joe " et en tant qu'elle prescrit deux modifications dans la présentation du produit sur le site internet " mieuxsucrer.com ". Le tribunal a rejeté en revanche les conclusions de la société s'agissant de l'injonction portant sur la désignation de la quantité nette de produit par son volume. La société relève appel dans cette mesure du jugement du 26 octobre 2017. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'économie et des finances demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il invalide les autres injonctions prononcées.
2. Aux termes de l'article L. 218-5-5 du code de la consommation, en vigueur à la date de la décision contestée : " Les agents habilités à constater les infractions ou manquements au présent livre ou aux textes pris pour son application peuvent, après une procédure contradictoire, enjoindre à un opérateur, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ces dispositions ".
Sur l'appel principal de la société " FamilleB... " :
3. Aux termes de l'article 23 du règlement (CE) susvisé n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. La quantité nette d'une denrée alimentaire est exprimée, en utilisant, selon le cas, le litre, le centilitre, le millilitre ou bien le kilogramme ou le gramme : a) en unités de volume pour les produits liquides ; b) en unités de masse pour les autres produits (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que le taux de viscosité du sirop d'érable à la température de 20 degrés centigrades s'établit dans une fourchette généralement comprise entre 200 et 250 centipoises, ainsi que l'indique la société requérante elle-même. La circonstance que ce taux de viscosité soit relativement élevé n'a pas par lui-même pour effet de faire perdre au produit sa qualité de liquide. Doit être considéré comme tel, au sens et pour l'application des dispositions précitées du règlement européen susvisé du 25 octobre 2011, tout produit qui possède un volume stable et dont l'organisation moléculaire, à température ambiante moyenne, est désordonnée et lui permet, fut-ce après un laps de temps, d'épouser la forme du récipient dans lequel il se trouve tout en conservant une surface plane et horizontale. Ces caractéristiques étant celles du sirop d'érable, c'est à juste titre, contrairement à ce que soutient la société " FamilleB... ", que les premiers juges ont regardé comme justifiée l'injonction, contenue dans la décision contestée du 2 juin 2015, de procéder à une modification de l'étiquetage et de la présentation du produit " Maple Joe " afin que la quantité nette de produit y soit exprimée en volume et non en masse.
Sur l'appel incident du ministre :
5. Aux termes de l'article 7 du règlement (CE) n° 1169/2011 : " Les informations sur les denrées alimentaires n'induisent pas en erreur, notamment : a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et, notamment, sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, le pays d'origine ou le lieu de provenance, le mode de fabrication ou d'obtention de cette denrée ; b) en attribuant à la denrée alimentaire des effets ou qualités qu'elle ne possède pas ; c) en suggérant que la denrée possède des caractéristiques particulières, alors que toutes les denrées alimentaires similaires possèdent ces mêmes caractéristiques, notamment en insistant particulièrement sur la présence ou l'absence de certains ingrédients et/ou nutriments (...) ; ".
En ce qui concerne la dénomination " pur sirop d'étable " :
6. Aux termes de l'article 17 du règlement (CE) n° 1169/2011 : " La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer ". Et aux termes de l'article 2 du même règlement : " 1. Aux fins du présent règlement, les définitions suivantes s'appliquent (...) n) "dénomination légale": la dénomination d'une denrée alimentaire prescrite par les dispositions de l'Union qui lui sont applicables ou, en l'absence de telles dispositions, la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables dans l'État membre dans lequel la denrée alimentaire est vendue au consommateur final ou aux collectivités ; o) "nom usuel": le nom reconnu comme étant la dénomination de la denrée alimentaire par les consommateurs de l'État membre dans lequel celle-ci est vendue, sans que de plus amples explications soient nécessaires ; p) "nom descriptif": un nom qui décrit la denrée alimentaire et, si nécessaire, son utilisation, et qui est suffisamment clair pour que les consommateurs puissent déterminer sa véritable nature et la distinguer des autres produits avec lesquels elle pourrait être confondue (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que sont commercialisés en France, notamment dans le réseau des grandes et moyennes surfaces dans lequel la société " FamilleB... " écoule le produit " Maple Joe ", non seulement des sirops d'érable composés exclusivement de la concentration de sève brute, mais aussi des succédanés ou dérivés tels que des sirops mélangés, additionnés d'arômes ou d'autres composants, ou édulcorés. La société " FamilleB... " soutient qu'en l'absence de dénomination légale, le qualificatif " pur " accolé à l'appellation sirop d'érable, vise, dans l'intérêt du consommateur, à distinguer le véritable sirop d'érable des divers produits succédanés. Cependant, ainsi que le fait valoir le ministre, même si la dénomination " pur sirop d'érable " n'est pas fausse, elle est de nature à créer, par une ambigüité favorable au produit " Maple Joe ", une distorsion de concurrence avec les produits similaires proposés sur le marché concerné, dont la dénomination ne comporte pas en principe la précision selon laquelle le sirop est pur, dans la mesure où la dénomination usuelle de la denrée alimentaire considérée, dès lors qu'elle ne nécessite pas de plus amples explications, est " sirop d'érable ", sans adjonction d'un qualificatif. Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, et quand bien même quelques autres distributeurs de sirop d'érable apposeraient également la mention litigieuse sur les étiquettes de leurs produits, c'est donc à juste titre, en application du c) précité de l'article 7 du règlement européen du 25 octobre 2011, que le préfet des Pyrénées-Atlantiques, par la décision du 3 juin 2015, a enjoint à la société " FamilleB... " de modifier l'étiquette du produit " Maple Joe " en supprimant, dans la dénomination du produit, le terme " pur " pour ne garder que la dénomination " sirop d'érable ".
En ce qui concerne les mentions figurant sur le site internet " mieuxsucrer.com " :
8. Le jugement attaqué constate que, alors que dans le cadre de la procédure contradictoire prévue par l'article L. 218-5-5 du code de la consommation, la société " FamilleB... " avait fait savoir à l'administration qu'elle procédait à la modification du site internet " mieuxsucrer.com " en corrigeant la mention " riche en manganèse " y figurant et en précisant le nom ou la raison sociale de l'exploitant responsable des informations, afin de se conformer sur ces points aux conclusions du rapport de contrôle du 27 février 2015, la préfète des Pyrénées-Atlantiques ne pouvait enjoindre le 3 juin 2015 à la société de procéder à ces modifications sans avoir au préalable vérifié qu'elle ne s'était pas d'ores et déjà exécutée. Le ministre de l'économie et des finances n'expose devant la cour aucune critique de cette analyse ni aucun moyen y afférent. Ses conclusions d'appel incident, en ce qu'elles visent à l'infirmation du jugement attaqué en tant qu'il annule l'injonction administrative relative aux mentions du site internet " mieuxsucrer.com ", ne sauraient donc être accueillies.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société " FamilleB... " n'est pas fondée à soutenir que c'est tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande en tant qu'elle portait sur l'injonction, contenue dans la décision litigieuse du 3 juin 2015, de modifier les étiquettes du sirop d'érable " Maple Joe " pour y mentionner la quantité nette en volume. Le ministre de l'économie et des finances, pour sa part, est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le tribunal a annulé la décision du préfet des Pyrénées-Atlantiques en tant qu'elle prescrit à la société de supprimer, sur ces mêmes étiquettes, la mention " pur " précédant l'appellation " sirop d'érable ".
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société " FamilleB... " de la somme qu'elle sollicite au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1501436 du 26 octobre 2017 du tribunal administratif de Pau est annulé en tant qu'il prononce l'annulation de la décision du 3 juin 2015 du préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qu'elle prescrit à la société " FamilleB... " de modifier l'étiquette du produit " Maple Joe " en remplaçant la dénomination " pur sirop d'érable " par la dénomination " sirop d'érable ".
Article 2 : Les conclusions présentées en appel par la société " FamilleB... " et le surplus des conclusions du ministre de l'économie est des finances sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société " FamilleB... " et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience publique du 4 juillet 2019 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 25 juillet 2019.
Le rapporteur,
Laurent POUGETLe président,
Aymard DE MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX03673