Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
La société coopérative agricole Uniré a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision de rejet du 5 février 2015 par laquelle le directeur départemental des finances publiques a rejeté la réclamation tendant à l'application du régime de faveur dit " mères-filles " visé aux articles 145 et 216 du code général des impôts, d'enjoindre au directeur départemental des finances publiques d'admettre la validité de l'option pour l'impôt sur les sociétés qu'elle a formée au titre des exercices clos en 2011 et de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012.
Par un jugement n° 1500800 du 22 mai 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2017 et un mémoire enregistré le 19 mars 2018, la société Uniré, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) d'enjoindre à la direction départementale des finances publiques d'admettre la validité de son option en faveur de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2011 et 2012 ;
3°) subsidiairement de tenir compte d'un taux d'imposition limité à 24 % ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête tend à obtenir la prise en compte d'une déclaration rectificative d'impôt sur les sociétés déposée dans le délai légal de réclamation ;
- elle n'a pas cherché à frauder ou à échapper à l'impôt et elle est par conséquent fondée à demander à bénéficier rétroactivement du régime de l'article 216 du code général des impôts ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'administration n'a pas procédé aux rappels d'impôt au titre des libéralités mais par référence à la notion de distributions au profit d'un associé ; ces sommes ne peuvent être des libéralités puisqu'elles ont une contrepartie matérielle réelle, à savoir la livraison de produits viticoles à la société Saveurs de Ré ; en conséquence, le tribunal aurait dû accepter l'application du régime mère/fille ;
- les rappels d'impôt portent sur la rectification du résultat de la société Saveurs de Ré à raison de la marge que celle-ci aurait dû constater dans le cadre de son activité ;
- elle est exonérée d'impôt sur les sociétés à raison des activités qu'elle développe pour le compte de ses membres et l'erreur commise dans un choix juridique, à savoir la constitution d'une filiale, ne doit pas aboutir à la sanction d'une faute intentionnelle ;
- il résulte d'une réponse ministérielle à M. B...que lorsqu'ils sont perçus par un organisme sans but lucratif, les revenus distribués sont taxables au taux de 24 % en tant que revenus de capitaux mobiliers ; elle est fondée à se prévaloir de cette doctrine et donc, à supposer que le régime mère/fille s'applique, il conviendrait alors à tout le moins qu'il soit fait application de ce taux ;
- la charge fiscale qu'elle subit revient à une double imposition confiscatoire ; cette double imposition résulte de ce que la société Saveurs de Ré a été dissoute.
Par des mémoires enregistrés les 22 décembre 2017 et 17 décembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics (direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-ouest) conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le débat ne peut être regardé comme excluant les conséquences de la mise en oeuvre de son option en faveur de la création d'une filiale ;
- la société ne peut exercer valablement l'option en faveur du régime mère/fille dans la mesure où l'avantage anormal consenti par la société Saveurs de Ré résultant de la majoration du prix d'acquisition ne constitue pas un produit net de participation ; le versement des sommes litigieuses trouve son origine dans la livraison de produits par la coopérative à la filiale ; cette dernière achetait 10 % plus cher en moyenne que les autres clients de la grande distribution pour revendre ensuite au même prix que ceux-ci ;
- cette surfacturation a permis de faire échapper à l'impôt sur les sociétés les bénéfices tirés de la vente de la société Saveurs de Ré, qui était ainsi structurellement déficitaire ; or, compte tenu des liens existant entre les deux entités, l'appelante ne pouvait ignorer le caractère imposable des sommes perçues ; il s'agit d'un choix de gestion irrégulier, réitéré durant plusieurs années ; la société est donc passible de l'impôt sur les sociétés et ne peut bénéficier de l'exonération prévue à l'article 207-1-3° du code général des impôts, qui ne s'applique pas en l'absence de vente directe de ses produits, ni revendiquer l'application du taux réduit de l'article 219 bis du code, qui ne concerne pas les revenus visés à l'article 206-1 ;
- en considérant que ces majorations constituaient des libéralités, le tribunal ne s'est pas mépris ; cette qualification correspond à celle retenue par le service ;
- il n'y a pas de double imposition en l'espèce ; il est légitime que des bénéfices soient imposés d'abord entre les mains de la société puis entre les mains des associés qui les perçoivent;
- il n'y a pas davantage de rupture d'égalité devant la loi ;
- la société ne peut davantage bénéficier d'un taux d'imposition de 24 % dans la mesure où elle n'est ni un établissement, ni une association, ni un organisme sans but lucratif ; la doctrine qu'elle invoque ne contient à cet égard aucune interprétation différente de la loi fiscale.
Par ordonnance du 17 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 février 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Uniré, coopérative agricole de production-vente ayant pour objet d'assurer ou de faciliter la production, l'écoulement ou la vente des produits agricoles provenant exclusivement des exploitations des associés coopérateurs, était l'associée unique de la SARL Saveurs de Ré, qui a exercé jusqu'au 10 octobre 2013, date de sa radiation du registre et des sociétés, une activité de vente au détail des produits de l'Ile de Ré issus de la coopérative. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant porté, en matière d'impôt sur les sociétés, sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. Le contrôle a révélé qu'au cours de la période concernée, la coopérative lui avait vendu des produits à un prix supérieur à celui pratiqué auprès des ses autres clients. Le service a regardé ces surfacturations comme un acte anormal de gestion et les rectifications notifiées en conséquence à la société Saveurs de Ré ont été qualifiées de revenus distribués entre les mains de la société Uniré, en application de l'article 109 I-2° du code général des impôts. Il en est résulté pour cette dernière des rappels d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et 2012. Par une lettre du 23 décembre 2014, la société Uniré a demandé à bénéficier du régime fiscal " mère-filiales " visé aux articles 145 et 216 du code général des impôts et a produit en ce sens des déclarations rectificatives en procédant à la réintégration extracomptable des montants rectifiés. L'administration a toutefois refusé l'exercice de l'option " mère-filiales " par une décision du 5 février 2015, au motif que son bénéfice ne peut être obtenu à posteriori en cas de dissimulation volontaire de l'avantage consenti ou de distributions. La société Uniré, qui a contesté en vain ce refus, relève appel du jugement du 22 mai 2017 par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à titre principal à l'annulation de la décision refusant de lui accorder le bénéfice de l'option du régime " mère-filiales ", à la décharge des rappels d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés ou, à tout le moins, à leur réduction par application d'un taux réduit.
2. Au regard des conclusions de sa demande de première instance et de son argumentation tant devant le tribunal administratif que devant la cour, la société Uniré, quand bien même elle a par ailleurs adressé à l'administration fiscale le 25 juin 2015 une réclamation en contestation des rectifications notifiées, doit être regardée comme sollicitant du juge, dans la présente instance, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, à tout le moins leur réduction par application du régime fiscal " mère-filiales " ou, subsidiairement, par application d'un taux réduit d'imposition de 24 %.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 206 du code général des impôts : " 1. Sous réserve (...), sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, (...) les sociétés coopératives et leurs unions (...) ". L'article 207 du même code prévoit que : " 1. Sont exonérés de l'impôt sur les sociétés : (...) 3° A condition qu'elles fonctionnent conformément aux dispositions qui les régissent, les sociétés coopératives de production, de transformation, conservation et vente de produits agricoles ainsi que les unions de sociétés coopératives de production, transformation, conservation et vente de produits agricoles, sauf pour les opérations ci-après désignées : a. Ventes effectuées dans un magasin de détail distinct de leur établissement principal ; b. Opérations de transformation portant sur les produits ou sous-produits autres que ceux destinés à l'alimentation de l'homme et des animaux ou pouvant être utilisés à titre de matières premières dans l'agriculture ou l'industrie ; c. Opérations effectuées par les sociétés coopératives ou unions susvisées avec des non-sociétaires. (...) ".
4. Si la société Uniré bénéficiait habituellement d'exonérations d'impôt sur les sociétés pour les opérations réalisées avec ses sociétaires, il résulte des dispositions précitées du a) du 3° de l'article 207 du code général des impôts que sont exclues du régime exonératoire les ventes effectuées dans un magasin de détail distinct de l'établissement principal. Tel est le cas des ventes de produits de la société Coopératives Uniré par la société Saveurs de Ré, qu'elle détenait à 100 %. Les bénéfices en résultant sont donc soumis à l'impôt sur les sociétés en application des dispositions de l'article 206-1 du code général des impôts.
5. En deuxième lieu, l'article 145 du code général des impôts prévoit que : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : (...) ". L'article 216 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. (/) La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. ". Et aux termes de l'article 109-1 du code : " Sont considérés comme revenus distribués : ... 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. "
5. Il résulte, d'une part, de l'instruction, et n'est pas contesté, que la société Uniré vendait les productions agricoles de ses membres à la société Saveurs de Ré à un prix en moyenne 10 % plus élevé que celui qu'elle pratiquait auprès de ses autres clients distributeurs. En se bornant à faire valoir que les factures acquittées par la société Saveurs de Ré n'étaient pas fictives dès lors qu'elles correspondaient à des ventes de produits, notamment viticoles, par la coopérative, la requérante n'apporte aucune explication quant à la surfacturation qu'elle pratiquait vis-à-vis de cette société ni quant à la raison pour laquelle celle-ci y consentait, et ne justifie donc pas d'une contrepartie effective à cette surfacturation. C'est par suite à juste titre que l'administration a regardé le paiement des excédents de prix correspondants comme constitutif d'un acte anormal de gestion de la part de la société Saveurs de Ré et c'est également à bon droit qu'elle a qualifié ces sommes de revenus distribués par la société Saveurs de Ré à son associé unique, en application des dispositions de l'article 109-1-2° du code général des impôts, alors même que les résultats de la société distributrice étaient déficitaires. Elle a ainsi pu légalement imposer ces distributions entre les mains de la société Uniré, qui en était bénéficiaire.
6. D'autre part, ainsi que l'a souligné le tribunal, l'avantage anormal consenti par la société Saveurs de Ré résultant de la majoration des prix d'acquisition des produits de la coopérative alors même que cette société se trouvait en situation déficitaire ne constitue pas un produit net de participation susceptible de permettre à la société coopérative requérante de bénéficier du régime fiscal prévu par les dispositions précitées des articles 145 et 216 du code général des impôts, quand bien même elle n'aurait pas cherché à éluder l'impôt, ainsi qu'elle le soutient. Ainsi, c'est à bon droit que l'administration a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'application rétroactive de ce régime.
7. Enfin, contrairement à ce que soutient la société Uniré, la mise en jeu régulière par l'administration des dispositions combinées des articles 206 et 109-1-2° du code général des impôts, qui aboutit à taxer d'une part des bénéfices provenant de son activité et d'autre part des revenus distribués qu'elle a perçus en sa qualité d'associée de la société Saveurs de Ré, ne saurait être regardée comme une double imposition entre ses mains d'un même revenu. Il ne saurait ainsi en résulter davantage une charge fiscale confiscatoire.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 219 du code général des impôts : " Par dérogation aux dispositions de l'article 219, le taux de l'impôt sur les sociétés est fixé à 24 % en ce qui concerne les revenus visés au 5 de l'article 206, perçus par les établissements publics, associations et collectivités sans but lucratif. (...) ".
9. Il est constant que la société coopérative Uniré n'est ni un établissement public, ni une association, ni une collectivité sans but lucratif. Elle ne peut donc, sur le terrain de la loi fiscale dont les termes sont rappelés ci-dessus, bénéficier de l'application du taux réduit de 24 %. Elle ne peut par ailleurs se prévaloir utilement, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la réponse ministérielle à M. B...en date du 23 février 1995, reprise à la documentation administrative 4-H-6112 du 12 juillet 1997, qui vise le seul cas des associations et ne comporte donc pas en ce qui la concerne d'interprétation du texte fiscal différente de celle dont il est ici fait application.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Uniré n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de la société Uniré tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société coopérative agricole Uniré est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société coopérative agricole Uniré et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2019, à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 25 juillet 2019.
Le rapporteur,
Laurent POUGET Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX02255