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22/07/2019 | FRANCE | N°17BX00598

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 22 juillet 2019, 17BX00598


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la société Orange à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des faits de harcèlement moral dont elle estime être victime, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2014.

Par un jugement n° 1402983 du 19 décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de MmeC....

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire en production de pièces et un mémoire

en réplique, enregistrés les 17 février 2017, 28 juillet 2017 et 21 décembre 2018, MmeC..., représ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la société Orange à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des faits de harcèlement moral dont elle estime être victime, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2014.

Par un jugement n° 1402983 du 19 décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de MmeC....

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire en production de pièces et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 février 2017, 28 juillet 2017 et 21 décembre 2018, MmeC..., représentée en dernier lieu par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 décembre 2016 ;

2°) de condamner la société Orange à lui verser la somme de 100 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2014, en réparation, à titre principal, des faits de harcèlement moral dont elle estime être victime, ou à titre subsidiaire, de la responsabilité pour faute de la société Orange dans la gestion et l'organisation du service et dans la mise en oeuvre de ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de son agent ;

3°) de mettre à la charge de la société orange la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a subi des faits de harcèlement moral depuis le dernier trimestre de 2009 et jusqu'en 2014 ; depuis 2009, elle a en effet souffert d'une constante dégradation de ses conditions de travail, à savoir un accroissement de sa charge de travail, une dégradation de ses rapports avec sa hiérarchie, l'inertie de son employeur dans les différentes demandes d'adaptation de son poste et un retard inexpliqué dans la gestion de ses demandes ;

- la surcharge de travail était telle qu'elle ne pouvait y faire face, ce qui a entraîné chez elle un état dépressif sévère à compter de 2011 ; les documents médicaux qu'elle produit montrent que cet état dépressif est réactionnel et en lien avec le travail ; le médecin du travail a relevé qu'elle travaillait dans un contexte professionnel tendu ; elle ne présentait aucun antécédent psychiatrique avant 2010 ;

- ses rapports avec sa hiérarchie se sont dégradés à compter du désaccord survenu lors de l'entretien du 1er octobre 2010, dégradation qui est allée jusqu'à la rupture de communication ; ce conflit a été entretenu par sa supérieure hiérarchique ; la direction des ressources humaine a laissé perdurer le conflit ; sa demande de changement de service n'a été étudiée que trois ans plus tard ; face à cette inertie, le médecin du travail l'a dirigée vers la cellule d'aide psychologique ;

- l'employeur a également manifesté une grande inertie pour aménager son poste de travail ; cela a accentué la pénibilité de ses conditions de travail sur poste informatique, sur lequel elle effectue des tâches répétitives ; l'employeur a donc failli à son obligation de sécurité, alors que le médecin du travail avait émis des préconisations en raison de ses problèmes oculaires et rhumatologiques ; à la suite de son accident de service de 2011, la mise en oeuvre des prescriptions médicales ne s'est faite que huit mois après la visite médicale ; aucune fiche de poste adapté n'a été établie ; cet accident, dont il n'a pas été fait état dans l'enquête interne, est bien la conséquence de ses conditions d'emploi ;

- l'administration a traité avec beaucoup de retard ses deux demandes de reconnaissance de maladie professionnelle ; elle a manifestement refusé d'instruire, malgré ses relances, ce qui a d'ailleurs participé de la dégradation de ses relations de travail ; ces retards ne sont pas justifiés par Orange ; ses deux supérieures ont failli à leur devoir en ne transmettant pas ses demandes ; elle s'est vue opposer un refus d'accès à son dossier médical, ce qui l'a obligée à saisir la CADA ;

- en conséquence de ces faits de harcèlement, son état de santé s'est dégradé, nécessitant des arrêts de travail à compter du 10 janvier 2012, alors qu'antérieurement, elle n'avait jamais présenté de pathologie anxio-dépressive ; tous les médecins du travail ou experts ont constaté le lien exclusif et direct avec ses conditions de travail ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité pour faute de la société Orange est établie ; son employeur a manqué aux obligations imposées par l'article L. 4121-1 du code du travail et par l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que, à compter de 2010, elle a lancé de nombreux appels à l'aide et que tant la médecine du travail que les institutions représentatives du personnel ont alerté l'employeur sur sa situation ; la cour devra donc constater le caractère tardif de la réaction de la hiérarchie et le caractère insuffisant des réponse apportées ; par suite, si la cour considérait que les faits de harcèlement moral n'étaient pas établis, il lui appartiendrait de retenir la responsabilité pour faute de la société Orange ;

- en ce qui concerne la réparation de son préjudice, il y a lieu de prendre en compte sa souffrance physique et psychique ; les documents médicaux produits établissent clairement le lien entre la dégradation de son état de santé et ses conditions d'emploi ; il y a également lieu de prendre en compte le retard mis dans l'aménagement de son poste de travail et l'accident de travail du 18 juin 2014 qui en est résulté ; ayant été fréquemment placée en maladie ordinaire puis en disponibilité, elle e a subi une baisse de son niveau de rémunération.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2017, la société Orange, représentée par la SCP Delvolvé - Trichet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme C...la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête d'appel est irrecevable, dès lors qu'elle n'est pas accompagnée d'une copie du jugement attaqué et qu'elle consiste en la reproduction littérale de son mémoire de première instance du 15 mars 2016, sans présenter de moyen de nature à critiquer le jugement attaqué ;

- en tout état de cause, la requête doit être rejetée au fond ; aucun fait de harcèlement moral n'est avéré ; en particulier, sa charge de travail a été allégée, il n'est pas avéré que les rapports avec la hiérarchie se soient dégradés et la société Orange a toujours mis en oeuvre les préconisations du médecin du travail.

Par une ordonnance en date du 29 novembre 2018, la clôture de l'instruction a été reportée au 9 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant MmeC....

Considérant ce qui suit :

Mme A...C...a été recrutée en décembre 1973 comme agent d'exploitation du service général des postes et télécommunications, devenu France Télécom puis Orange, où elle est restée fonctionnaire et où elle exerce, depuis 2002, les fonctions de chargée d'approvisionnement sur le site d'Eysines. Par une lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2014 réceptionnée par Orange le 30 avril suivant, elle a sollicité l'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime être victime depuis 2009. Par un courrier en réponse du 26 mai 2014, la société Orange lui a demandé de lui communiquer tous éléments de nature à étayer sa demande. MmeC..., qui n'y a pas donné suite, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la société Orange à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation du harcèlement moral dont elle estime être victime. Elle fait appel du jugement de ce tribunal en date du 19 décembre 2016 qui a rejeté sa demande, en réitérant en appel sa demande indemnitaire à hauteur de 100 000 euros en réparation, à titre principal, des faits de harcèlement moral qu'elle dit avoir subis et, à titre subsidiaire, des fautes de la société Orange dans la gestion et l'organisation du service et dans la mise en oeuvre de ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de son agent.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. Mme C...soutient qu'elle est victime depuis 2009 de faits de harcèlement moral caractérisés, d'une part, par un accroissement de sa charge de travail, d'autre part, par une dégradation de ses rapports avec sa hiérarchie, et enfin, par l'inertie de son employeur à adapter son poste de travail à ses problèmes de santé et à traiter ses demandes, notamment d'accident de travail.

5. Il résulte cependant de l'instruction, et notamment du rapport de l'enquête interne diligentée par Orange sur les " accusations de faits constitutifs de harcèlement moral au sein du département de la gestion des approvisionnements à la direction supply chain à Eysines " que Mme C...n'a pas, en reprenant une partie des activités d'une collègue absente et en contribuant avec d'autres au tutorat de nouveaux agents, subi un accroissement anormal de sa charge de travail et que, à la suite de ses remarques sur sa surcharge de travail, une nouvelle répartition des tâches a été mise en oeuvre et le portefeuille de fournisseurs dont Mme C...assurait le suivi a été allégé. S'agissant des rapports de l'intéressée avec sa hiérarchie, les documents qu'elle produit n'établissent pas la dégradation alléguée. En particulier, les appréciations portées par sa supérieure hiérarchique directe dans ses compte rendus d'entretien professionnel relatives à sa démotivation, son émotivité, sa sensibilité et son stress, n'excèdent pas les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, alors au demeurant que cette supérieure souligne par ailleurs ses qualités professionnelles. S'agissant des avis du médecin du travail à la suite des visites de reprise des 19 août 2011, 3 janvier 2013, 7 mai 2013, 4 juin 2013 et 13 mai 2014 la déclarant apte avec aménagement de poste et restrictions en raison de ses problèmes de santé, la société Orange a effectué les diligences nécessaires pour faire installer le fauteuil ergonomique et le clavier avec pavé tactile côté droit préconisés par ledit médecin du travail, et lui ménager les temps de repos prescrits. Par suite, comme l'ont déjà relevé à bon droit les premiers juges, la seule circonstance que la société Orange aurait traité ses demandes de reconnaissance de maladie professionnelle et d'accident de travail dans des délais de six et quatre mois ne suffit pas à caractériser l'existence d'agissements relevant du harcèlement moral. Enfin, si Mme C... invoque la dégradation de son état de santé, à la fois au plan physique et psychique, les documents produits n'établissent pas que sa pathologie rhumatologique ou sa pathologie dépressive seraient en lien avec des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral dès lors que, comme cela vient d'être dit, l'existence de tels faits n'est pas avérée.

6. Si en appel, Mme C...invoque pour la première fois, à titre subsidiaire, des fautes commises par la société Orange dans la gestion et l'organisation du service et dans la mise en oeuvre de ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de son agent, il résulte de ce qui a été dit au point ci-dessus que l'employeur a, d'une part, à partir d'octobre 2010, allégé sensiblement la charge de travail de la requérante et a, d'autre part, répondu dans un délai raisonnable à ses demandes de reconnaissance de maladie professionnelle et d'accident du travail et diligenté une enquête interne à la suite de la plainte pour harcèlement formé par MmeC.... Dans ces conditions, ce chef de préjudice ne peut, en tout état de cause, être accueilli.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les fins de non-recevoir opposées à la requête, que Mme C...n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C...et les conclusions présentées par la société Orange sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et à la société Orange.

Délibéré après l'audience du 12 juin 2019 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 juillet 2019.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N° 17BX00598


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00598
Date de la décision : 22/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-01-01 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales. Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SCP DELVOLVE-TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-07-22;17bx00598 ?
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