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28/06/2019 | FRANCE | N°17BX02238

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 28 juin 2019, 17BX02238


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... L..., M. G... L... et Mme H... L... ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la région Limousin à leur verser une somme totale de 200 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite du harcèlement moral dont aurait été victime Mme F... L... sur son lieu de travail.

Par un jugement n° 1401699 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

:

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 13 juillet 2017 et 21 dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... L..., M. G... L... et Mme H... L... ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la région Limousin à leur verser une somme totale de 200 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite du harcèlement moral dont aurait été victime Mme F... L... sur son lieu de travail.

Par un jugement n° 1401699 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 13 juillet 2017 et 21 décembre 2018, Mme F... L..., M. G... L... et Mme H... L..., représentés par Me C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 mai 2017 du tribunal administratif de Limoges ;

2°) d'annuler la décision du 30 juillet 2014 par laquelle le président de la région limousin a rejeté leur réclamation préalable ;

3°) de condamner la région Limousin à leur verser la somme totale de 200 000 euros susmentionnée ;

4°) de mettre à la charge de la région Limousin la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- à titre liminaire, il ressort d'une jurisprudence constante que si l'intérêt du service peut justifier un retrait de fonctions de l'agent, il ne doit pas s'accompagner d'une dégradation de ses conditions de travail visant à l'empêcher d'exercer ses fonctions et conduisant à une dégradation de son état de santé ;

- or en l'espèce, l'arrivée d'un nouveau proviseur en août 2013 a marqué le début du harcèlement moral subi par Mme F... L..., qui, sous couvert d'une réorganisation de service, s'est vue priver de ses fonctions exercées depuis dix ans au sein de l'établissement, mise à l'écart du service et de ses collègues, et a vu se dégrader ses conditions de travail conduisant à une dégradation brutale de son état de santé ;

- à cet égard, et contrairement à ce qu'a relevé le tribunal, la redéfinition des missions de Mme F... L... au sein de l'établissement s'est imposée à elle - et aux autres agents du service qu'elle encadrait - sans qu'elle en ait été informée au préalable par le proviseur, l'entretien du 3 octobre 2013 auquel la région fait référence n'ayant, en réalité, jamais été organisé, de sorte que ce n'est qu'à son retour de congé maladie, le 15 octobre 2013, que sa nouvelle fiche de poste lui a été remise ;

- il convient de relever, sur ce point, que cet amoindrissement de ses responsabilités et, partant, la modification de sa situation, s'est produite sans que, d'une part, la commission administrative paritaire ait été consultée en application des dispositions de l'article 52 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ni, d'autre part, qu'elle ait été mise à même de consulter son dossier administratif en application des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;

- contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, les missions qui ont été dévolues à Mme F... L... à la rentrée 2013, qui consistaient notamment en la gestion des produits et matériels d'entretien en concertation avec le technicien, l'identification des besoins et la vérification des livraisons ainsi que l'établissement des inventaires, ce qui l'amenait à être en relation avec les prestataires et fournisseurs de matériels et produits d'entretien, requéraient l'usage d'un téléphone de service, lequel ne constituait dès lors pas un simple avantage qui lui aurait été retiré mais un outil essentiel et indispensable à l'exercice de ses fonctions ;

- en outre, à son retour de congé maladie, le 15 octobre 2013, Mme F... L... a découvert que toutes ses affaires avaient été vidées de son ancien bureau et, après avoir été avisée de ce qu'elle serait affectée dans le bureau du technicien, elle a, dès le lendemain de la remise de sa nouvelle fiche de poste, été informée de ce qu'elle occuperait désormais le local de stockage des produits d'entretien, lequel était dépourvu de fenêtre et de chauffage, situé à l'opposé du bureau du technicien et isolé par rapport au reste du personnel du service général auquel elle appartenait et du service de l'intendance, et mal odorant puisque situé près du local des déchets alimentaires ;

- contrairement à ce que prétend la région, ce n'est pas elle mais M. D... qui a refusé qu'elle occupe son bureau, prétextant une réorganisation ;

- Mme F... L... a également subi l'attitude humiliante du proviseur qui, lors d'une réunion du conseil d'administration le 6 février 2014, l'a accusée de polémiquer, alors qu'elle souhaitait simplement pouvoir exprimer les propos de l'une de ses collègues de travail (Mme B...) qu'elle suppléait ;

- à cet égard, l'ensemble des témoignages qu'elle produit démontre que le proviseur a instauré et entretenu un climat relationnel malsain, conduisant à des divisions au sein de l'établissement ainsi qu'à un isolement de Mme F... L..., qui a fait l'objet d'un véritable acharnement de sa part, ce qui constitue un dépassement de l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique ;

- alors que Mme F... L... bénéficiait depuis son intégration au sein de la Région, le 1er janvier 2007, de l'indemnité d'administration et de technicité (IAT), son coefficient a été revu pour la première fois à la baisse, soit à 6,3, au titre de l'année 2013, conduisant à une perte de 30 euros par mois, alors qu'elle était un agent exemplaire, qu'elle s'était investie au sein de l'établissement dès le début de sa carrière et que sa manière de servir avait toujours donné satisfaction ;

- sa tentative de suicide, survenue le 11 février 2014, est bien imputable aux agissements répétés du proviseur, qui ont conduit à une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé et ont eu de graves conséquences sur sa vie personnelle et familiale, son état d'anxiété généralisée avec des éléments dépressifs ayant été confirmé par diverses expertises psychiatriques ;

- ainsi, Mme F... L... est fondée à demander la condamnation de la Région à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation de ses préjudices professionnels et de carrière ainsi que dans troubles dans ses conditions d'existence ;

- quant à son époux et sa fille, victimes par ricochet du harcèlement moral subi par Mme F... L..., ils ont droit respectivement au versement des sommes de 80 000 euros et 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 novembre 2018, la région Nouvelle-Aquitaine, venant aux droits de la région Limousin, représentée par SELARL Claisse et Associes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge des appelants sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la responsabilité de la région ne saurait être engagée dès lors qu'elle n'a commis aucun agissement constitutif d'un harcèlement moral vis-à-vis de Mme F... L... dans le cadre de ses fonctions ;

- à cet égard, s'agissant d'abord du retrait de ses fonctions exercées depuis 2003 dont se plaint Mme F... L..., il convient de relever, en premier lieu, que les attestations communiquées par l'agent sont empreintes de subjectivité dès lors qu'elles ont nécessairement été rédigées par des agents ou des tiers qui ont entretenu de bons rapports avec l'intéressée et - pour certains - qui ont eux-mêmes des différends avec le proviseur du lycée et, en second lieu, que les missions dévolues à l'intéressée correspondent à la nature de son poste et aux dispositions de l'article 4 du décret n° 2007-913 du 15 mai 2007 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux des établissements d'enseignement, étant précisé que la nomination de Mme F... L... aux fonctions d'adjoint de l'agent chef du secteur maintenance constituait dès l'origine une erreur d'appréciation et a été effectuée en 2005 par l'équipe de direction de l'établissement, sans l'aval des services du rectorat de l'académie de Limoges, qui était alors son employeur ;

- s'agissant ensuite des moyens logistiques, il convient de relever également que l'ensemble du matériel (bureau, téléphone, imprimante et ordinateur) qui lui a été retiré lui avait été attribué sans raison valable, les missions confiées n'exigeant pas de tels moyens, la requérante étant d'ailleurs toujours en possession d'un ordinateur portable prêté en 2012 par le lycée Cabanis et jamais restitué ;

- quant au nouveau bureau qui lui a été réservé et dont elle se plaint, c'est Mme F... L... elle-même qui a indiqué au proviseur, le 15 octobre 2013, qu'elle souhaitait gérer le stock des produits d'entretien directement depuis le local de stockage et non depuis le bureau situé à côté de celui du technicien, étant précisé, d'une part, que, contrairement à d'autres agents, les fonctions exercées par l'intéressée l'amènent à passer la majeure partie de son temps en dehors de ce bureau et que, d'autre part, le local d'entretien ne comporte aucun produit nocif entreposé et est uniquement dédié au stockage de ouate, de sacs poubelle et de divers matériels ;

- contrairement à ce que soutient l'intéressée, les tâches qui lui ont été retirées n'ont jamais été redistribuées à des agents de même grade, dès lors que, dans le cadre de l'organisation des services, les fiches de poste des agents d'entretien sont toutes identiques et ne comprennent pas de fonctions d'encadrement, lesquelles relèvent, pour leur part, d'un grade supérieur ;

- en outre, Mme F... L... a été informée à de nombreuses reprises, notamment lors de réunions, des modifications apportées au service ainsi qu'à l'étendue de ses missions, tout au long de la période de mars à décembre 2013, soit pour partie avant l'arrivée même du nouveau proviseur, sachant qu'elle n'a jamais contesté par la voie contentieuse le repositionnement de ses fonctions afin d'en critiquer le bien-fondé ;

- s'agissant de la réduction de l'indemnité d'administration et de technicité dont elle fait état, l'intéressée n'a aucunement été pénalisée mais a bénéficié, au titre de l'année scolaire 2012-2013, d'un coefficient médian, qui témoigne au contraire du sentiment de satisfaction de l'administration vis-à-vis de son travail ;

- si les appelants affirment que Mme F... L... a subi un accident imputable au service en lien avec le harcèlement moral subi, il convient de relever, en premier lieu, que l'incident du 11 février 2014 n'est plus qualifié de tentative de " suicide " en appel par les intéressés, en deuxième lieu, que cet évènement n'a été qualifié ainsi ni par le SDIS, ni par le service des urgences, lesquels ont seulement évoqués une crise de tétanie et un trouble anxieux et dépressif mixte et, en troisième lieu, que l'intéressée présentait des antécédents sans lien avec le comportement du nouveau proviseur arrivé en août 2013 dès lors que son dossier médical indique qu'il s'agit du deuxième épisode de crise de tétanie en une année ;

- en tout état de cause, le préjudice moral de Mme F... L... n'est pas établi en l'absence d'existence d'un harcèlement moral, étant précisé qu'aucune des pièces produites ne permet d'établir un lien direct et certain entre l'état de santé de l'intéressée et le comportement du proviseur du lycée ;

- il en est de même pour le préjudice de carrière invoqué, les pièces fournies ne permettant pas d'établir une relation de cause à effet entre les agissements dont elle se prétend victime et son absence de présentation aux épreuves du concours de technicien et aux tests de sélection pour suivre la préparation du concours d'adjoint technique principal, sachant que tous les fonctionnaires bénéficiant d'une bonne évaluation ne peuvent pas nécessairement prétendre à un avancement ;

- en outre, c'est l'intéressée qui a expressément demandé à quitter le lycée Cabanis, lors d'un entretien le 14 avril 2014 avec la directrice des ressources humaines et l'assistante sociale, pour rejoindre Limoges, demande à laquelle la région a fait droit en lui réservant un poste correspondant à son grade dans l'établissement concerné, pour lequel elle bénéficiait d'un logement pour nécessité absolue de service (gratuité du logement et des charges) et d'une nouvelle bonification indiciaire de dix points jamais perçue auparavant ;

- le préjudice financier dont se prévaut M. L... est inexistant dans la mesure où la mutation de son épouse n'a pas nécessairement eu pour effet de le contraindre à se constituer une nouvelle clientèle, sachant que les difficultés financières rencontrées par l'intéressé sont étrangères à la mutation de son épouse et lui préexistaient ;

- si Camille L... a effectivement sollicité une suspension de formation, cette demande est intervenue le 18 mars 2014, soit plus d'un mois après l'incident dont a été victime sa mère, de sorte que l'on ne saurait alléguer de l'existence d'un quelconque lien entre l'état de santé de Mme F... L... et les choix scolaires de sa fille ;

- si par extraordinaire, la cour venait à reconnaître l'existence d'un préjudice subi par la famille L..., elle devrait néanmoins constater le caractère manifestement disproportionné et excessif des sommes réclamées.

Par ordonnance du 20 novembre 2018, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée ;

- le décret n° 2007-913 du 15 mai 2007 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... E...,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... L... a été affectée à compter de la rentrée de septembre 1998 au lycée Cabanis de Brive-la-Gaillarde, où elle a initialement exercé les fonctions d'agent d'entretien en qualité de remplaçant avant d'être titularisée, auprès de la région Limousin, afin d'assurer les fonctions d'ouvrier d'entretien et d'accueil de deuxième classe à la suite du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) aux régions, prenant effet au 1er janvier 2007. Par une lettre en date du 20 juin 2014 adressée par l'intermédiaire de leur conseil, Mme F... L..., promue au grade d'adjoint technique territorial de 1ère classe des établissements d'enseignement le 1er juillet 2008, son époux (M. G... L...) et leur fille majeure (Mme H... L...) ont sollicité du président de la Région Limousin le paiement d'une somme totale de 200 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis tous les trois en raison de faits constitutifs d'un harcèlement moral dont Mme F... L... aurait été victime dans l'exercice de ses fonctions à la suite de l'arrivée d'un nouveau proviseur au lycée Cabanis à partir de la rentrée scolaire de septembre 2013 jusqu'à sa mutation au lycée Saint-Exupéry de Limoges, prononcé à compter du 1er septembre 2014. Par lettre du 30 juillet 2014, l'exécutif territorial a rejeté leur demande. Les consorts L... relèvent appel du jugement du 11 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande tendant la condamnation de la Région Limousin à leur verser la somme totale de 200 000 euros susmentionnée.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...). ". D'une part, il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration, dont il relève, à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se déterminant au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. D'autre part, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels agissements répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas de telles limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées. A cet égard, une souffrance psychologique liée à des difficultés professionnelles ne saurait caractériser à elle seule un harcèlement moral, qui se définit également par l'existence d'agissements répétés de harcèlement et d'un lien entre ces souffrances et ces agissements.

3. Aux termes de l'article 1 du décret du 15 mai 2007 susvisé, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Les adjoints techniques territoriaux des établissements d'enseignement constituent un cadre d'emplois technique de catégorie C au sens de l'article 5 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984. ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " I. - Les adjoints techniques territoriaux de 2e et de 1re classe des établissements d'enseignement sont notamment chargés de fonctions d'entretien courant des locaux et des surfaces non bâties des établissements d'enseignement, qui incluent le maintien en bon état de fonctionnement des installations et la participation au service de magasinage et de restauration. / Ils sont également chargés de fonctions d'accueil consistant à recevoir, renseigner et orienter les usagers et les personnels des établissements ainsi que, plus généralement, le public y accédant, à contrôler l'accès aux locaux et à assurer la transmission des messages et des documents. / II. - Les adjoints techniques territoriaux de 1re classe des établissements d'enseignement sont appelés en outre à exécuter des travaux ouvriers ou techniques nécessitant une qualification professionnelle. (...) ". En vertu de l'article R. 421-10 du code de l'éducation : " En qualité de représentant de l'Etat au sein de l'établissement, le chef d'établissement : 1° A autorité sur l'ensemble des personnels affectés ou mis à disposition de l'établissement. Il désigne à toutes les fonctions au sein de l'établissement pour lesquelles aucune autre autorité administrative n'a reçu de pouvoir de nomination. Il fixe le service des personnels dans le respect du statut de ces derniers ; (...) ".

4. Mme F... L... soutient qu'alors que sa manière de servir avait toujours apporté entière satisfaction depuis son arrivée au lycée Cabanis en septembre 1998, ainsi qu'en attestent l'ensemble de ses évaluations annuelles établies par ses supérieurs hiérarchiques successifs et de nombreux collègues de travail, le nouveau proviseur officiellement entré en fonctions à compter du 1er septembre 2013 n'a cessé, sous couvert d'une réorganisation du service, d'exercer à son encontre des faits constitutifs d'un harcèlement moral, en modifiant sans aucune information préalable, à compter du 15 octobre 2013, l'étendue de ses missions exercées depuis l'année 2003, en lui retirant brutalement, le 24 septembre 2013, les moyens logistiques (ordinateur et téléphone de service) qui lui avaient été attribués pour ce faire, en la mettant volontairement à l'écart de ses collègues en l'affectant dans le local de stockage des produits d'entretien du bâtiment exigu, mal odorant et sans fenêtres et en l'humiliant publiquement au cours d'une réunion de service le 6 février 2014, ce qui l'a conduite à tenter de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail dans la matinée du 11 février 2014 puis à être placée en arrêt de travail pour syndrome dépressif sévère jusqu'au 1er septembre 2014.

5. Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, l'ensemble des agissements mentionnés ci-dessus et le placement de Mme F... L... en congé maladie pendant plusieurs mois en raison de son syndrome dépressif sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 2, il incombe, d'une part, à l'administration de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement et, d'autre part, de tenir compte des comportements respectifs des agents auxquels il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

6. En premier lieu, il est constant qu'après avoir exercé pendant cinq ans les fonctions d'agent d'entretien, Mme F... L..., placée sous l'autorité hiérarchique de Mme I..., arrivée au lycée Cabanis en 2002 en sa double qualité d'adjoint gestionnaire de cet établissement public local d'enseignement et de comptable public, s'est vu proposer par la direction de l'établissement, au cours de l'année 2003, d'assurer pendant une période de trois mois les fonctions d'agent chef du secteur maintenance, en remplacement du titulaire du poste, M. K..., qu'elle a continué à assurer en partie depuis lors, en plus de ses missions initiales, en dépit du retour de ce dernier dans le service. D'une part, il résulte de l'instruction que sur la base du diagnostic réalisée par M. D..., technicien de la région Limousin, affecté lui-même au lycée Cabanis en février 2013, le nouveau proviseur de l'établissement (M. J...) a entrepris de procéder à une réorganisation d'ensemble des services à compter de la rentrée scolaire de septembre 2013, afin de mettre un terme à l'inadéquation du positionnement fonctionnel de plusieurs personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) au regard de leur statut. C'est ainsi que Mme F... L... s'est vu retirer les fonctions d'encadrement et de coordination qu'elle avait exercées sans discontinuer depuis l'année 2003 en qualité d'adjoint de l'agent chef et que sa nouvelle fiche de poste, remise contre signature à son retour de congés maladie le 14 octobre 2013, ne comportait plus aucune référence à des missions d'encadrement, que son grade d'adjoint technique territorial de 1ère classe des établissements d'enseignement ne lui donnait pas vocation à exercer. Contrairement à ce que persistent à faire valoir les appelants, la circonstance que les services du rectorat d'académie, puis de la région Limousin, auraient été respectivement informés en 2003 et en 2007 de ce qu'elle exerçait diverses fonctions en qualité d'agent chef du secteur maintenance, sans émettre d'objections sur un tel positionnement fonctionnel, ne saurait avoir légalement eu ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le nouveau proviseur du lycée Cabanis fixe, en sa qualité de directeur de l'établissement, le service des personnels dans le respect de leur statut, sur le fondement des dispositions, précitées au point 3, de l'article R. 421-10 du code de l'éducation. Si les appelants soutiennent également que Mme F... L... n'a jamais été informée au préalable de ce repositionnement fonctionnel sur ses missions statutaires avant son retour de congés maladie, le 14 octobre 2013, et que l'entretien du 3 octobre 2013 avec le proviseur à 18 h 30 auquel la région Limousin fait référence n'a jamais eu lieu, il résulte de l'instruction que Mme F... L... s'est vu remettre par M. D..., dès le 13 juin 2013, une nouvelle fiche de poste qui ne contenait d'ores et déjà plus aucune référence à son rôle d'encadrement et que, dès le 27 août 2013, le nouveau proviseur du lycée Cabanis (M. J...), anticipant sa prise de poste officielle au 1er septembre 2013, a réuni l'ensemble des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) afin de leur faire part de l'organisation qu'il souhaitait mettre en oeuvre en matière de gestion du personnel à compter de la rentrée scolaire à venir. D'autre part, il résulte de l'instruction que dans le cadre de cette réorganisation générale des services de l'établissement, Mme F... L... s'est vu confier pour missions principales, en conformité avec les dispositions de l'article 4 du décret du 15 mai 2007, la réalisation des travaux de nettoyage et d'entretien des surfaces, équipements et locaux du lycée ainsi que la gestion des produits d'entretien du service général et du service restauration et la petite maintenance des matériels " vapeur " du service général. Si Mme F... L... s'est vu retirer par le proviseur du lycée Cabanis, le 24 septembre 2013, l'usage de l'ordinateur et du téléphone portable de service qui avaient été mis jusqu'alors à sa disposition, notamment dans le cadre de ses missions d'adjoint de l'agent chef, il ne résulte pas de l'instruction que la possession de tels moyens matériels eût été rendu indispensable pour le bon accomplissement de ses missions. A cet égard, la région Limousin fait valoir sans contredit utile des appelants qu'un personnel de l'établissement était spécialement dédié à la réception des marchandises et, partant, à la résolution éventuelle des problèmes correspondants. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction qu'en retirant certaines des missions exercées par Mme F... L... ainsi que les moyens matériels susmentionnés, le nouveau proviseur du lycée Cabanis n'ait eu d'autre objectif que d'assurer la continuité du service au sein duquel l'intéressée était affectée et que, ce faisant, ladite autorité administrative aurait excédé les limites de son pouvoir hiérarchique.

7. En deuxième lieu, Mme F... L... soutient que le proviseur a sciemment adopté à son égard un comportement vexatoire et humiliant et cherché à l'isoler du reste de ses collègues en dégradant ses conditions de travail au quotidien. Toutefois, d'une part, si la région ne démontre pas plus en appel que devant le tribunal, par la seule production d'un document dénommé " situation de Mme L... / M... général " rédigé le 30 juin 2014 par le proviseur lui-même ainsi que le technicien M. D..., de ce que l'intéressée, jusqu'alors affectée dans un bureau jouxtant celui de la gestionnaire de l'établissement, aurait spontanément demandé son changement d'affectation dans le local de de stockage des produits d'entretien à compter du 15 octobre 2013, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle mesure, qui permettait à l'intéressée d'assurer directement les missions dont elle avait la charge en ayant à sa disposition l'ensemble des matériels correspondants, aurait été prise pour des motifs étrangers à l'intérêt du service. Au demeurant, la région intimée fait valoir sans aucun contredit utile que Mme F... L... exerçait une grande partie de son temps de travail en dehors du local de stockage, au contact de divers partenaires extérieurs. D'autre part, s'il résulte du compte rendu de la réunion organisée le 6 février 2014 que le proviseur du lycée a interrompu Mme F... L... en des termes peu amènes, voire brutaux, devant l'ensemble des participants présents à cette occasion, cette circonstance, pour regrettable qu'elle puisse être, ne saurait suffire à elle seule, compte tenu de son caractère isolé, à établir que Mme F... L... aurait fait l'objet d'un harcèlement moral au cours de la période litigieuse.

8. En troisième et dernier lieu, Mme F... L... soutient qu'alors que sa manière de servir avait toujours donné satisfaction, notamment depuis son intégration au sein de la Région Limousin, le 1er janvier 2007, le coefficient de son indemnité d'administration et de technicité (IAT) a été revu pour la première fois à la baisse au titre de l'année 2013, passant de 6,3 à 6, conduisant à une perte de trente euros par mois, ce qui démontre la volonté du nouveau proviseur du lycée Cabanis de nier ses compétences professionnelles et de la pénaliser financièrement. Toutefois, et alors que le choix d'attribution de ce coefficient n'a pas été effectué en l'espèce par le proviseur du lycée mais par le président de la région Limousin, sur la base des évaluations professionnelles de l'agent, qui ont souligné son professionnalisme et sa grande disponibilité, il résulte de l'instruction, et notamment de la lettre du président du conseil régional du 18 novembre 2013 adressée à Mme F... L..., que les coefficients de l'indemnité d'administration et de technicité ont été ramenés, au titre de l'année 2013, au taux de base à 6 à compter du 1er septembre 2013 pour l'ensemble des agents concernés. Dès lors, il n'est pas davantage établi que la réduction, au demeurant limitée, du coefficient de ladite prime serait constitutive d'un fait de harcèlement moral vis-à-vis de Mme F... L... contraire à l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Nouvelle-Aquitaine, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les consorts L... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la Région Limousin tendant à l'application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... L..., de M. G... L... et de Mme H... L... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la région Nouvelle-Aquitaine tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... L..., à M. G... L..., à Mme H... L... et à la région Nouvelle-Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2019, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président assesseur,

M. A... E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 28 juin 2019.

Le rapporteur,

Axel E...Le président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

9

N° 17BX02238


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17BX02238
Date de la décision : 28/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit - Principes généraux du droit - Principes intéressant l'action administrative - Garanties diverses accordées aux agents publics.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Axel BASSET
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-06-28;17bx02238 ?
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