La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/04/2019 | FRANCE | N°17BX01503

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 12 avril 2019, 17BX01503


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. C...L..., G...J..., D...E..., H...M..., K...B..., et I...A..., ainsi que la société 3J4M et la société SAEN, ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le maire de Toulouse sur leur demande, présentée le 6 juillet 2015, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 7 décembre 1999 portant réglementation de la vente à emporter de boissons alcoolisées sur le territoire de la commune.

Par un jugement n° 1504162-1504240

du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ces demandes.

Proc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. C...L..., G...J..., D...E..., H...M..., K...B..., et I...A..., ainsi que la société 3J4M et la société SAEN, ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le maire de Toulouse sur leur demande, présentée le 6 juillet 2015, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 7 décembre 1999 portant réglementation de la vente à emporter de boissons alcoolisées sur le territoire de la commune.

Par un jugement n° 1504162-1504240 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif, et des mémoires en réplique, enregistrés respectivement les 13 mai 2017, 22 mai 2017, 22 juin 2017, 23 avril 2018,12 mai 2018 et 14 décembre 2018, MM.L..., J..., E..., M..., B..., etA..., ainsi que la société 3J4M et la société SAEN, représentés par Me F..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 avril 2017 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le maire de Toulouse sur leur demande, présentée le 6 juillet 2015, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 7 décembre 1999 portant réglementation de la vente à emporter de boissons alcoolisées sur le territoire de la commune ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier : il n'est pas signé par le magistrat rapporteur, le président et le greffier d'audience ; il ne répond pas au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- l'arrêté du 7 décembre 1999 portant réglementation de la vente à emporter de boissons alcoolisées sur le territoire de la commune est entaché d'un vice d'incompétence de son auteur ;

- la réalité de troubles à l'ordre public directement liés à la consommation de boissons alcoolisées et de circonstances locales propres à justifier l'arrêté municipal du 7 décembre 1999 n'est établie ni à la date de son édiction, ni aujourd'hui ; le caractère nécessaire, adapté et proportionné de la mesure contestée, laquelle s'applique à l'ensemble du territoire communal et à toutes les boissons alcoolisées pour la totalité de l'année, n'est aucunement démontré, compte tenu notamment du dispositif pénal et du régime de police des débits de boissons permettant de lutter contre l'ivresse sur la voie publique ;

- le tribunal administratif a méconnu la chose jugée par son jugement n° 1104634 devenu définitif du 15 avril 2015 ;

- la mesure contestée est disproportionnée au but poursuivi et porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 septembre 2017, la commune de Toulouse, représentée par la SCP Flint-Sanson-Saint Geniest, conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation des requérants à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient qu'aucun des moyens présentés par les requérants n'est fondé.

Vu l'ordonnance n° 17BX01503 du 11 février 2019 par laquelle le président de la 3ème chambre a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. L...et autres.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 ;

- la loi du 11 juillet 1979 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant M. L...et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 7 décembre 1999, le maire de Toulouse a interdit la vente de boissons alcoolisées à emporter de 22 heures à 6 heures dans les commerces ouverts la nuit, notamment les épiceries, sur l'ensemble du territoire communal et pendant toute l'année. Par un courrier réceptionné le 6 juillet 2015, MM. L..., J..., E..., M..., B..., A...et les sociétés 3J4M et SAEN ont demandé au maire d'abroger cet arrêté. Cette demande a été implicitement rejetée. Par la présente requête, MM. L..., J..., E..., M..., B..., A...et les sociétés 3J4M et SAEN font appel du jugement du 18 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ce refus d'abrogation.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ne peut être accueilli.

3. En second lieu, il ressort des motifs du jugement attaqué, tels qu'ils sont exposés au point 11 de celui-ci, que le tribunal administratif a répondu au moyen tiré de ce que le refus d'abrogation en litige porterait atteinte au droit de propriété tel que protégé par l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, même s'il ne cite pas expressément ce protocole. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif aurait insuffisamment motivé son jugement sur ce point.

Au fond :

4. Aux termes de l'article 5 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public alors applicable, repris à l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais de recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants aient demandé la communication des motifs de la décision implicite contestée. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'absence de motivation de cette décision implicite ne peut qu'être écarté.

5. L'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Toutefois, cette autorité ne saurait être tenue d'accueillir une telle demande dans le cas où l'illégalité du règlement a cessé, en raison d'un changement de circonstances, à la date à laquelle elle se prononce.

6. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; (...) ". Aux termes de l'article L. 2214-4 du même code : " Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, tel qu'il est défini au 2º de l'article L. 2212-2 et mis par cet article en règle générale à la charge du maire, incombe à l'Etat seul dans les communes où la police est étatisée, sauf en ce qui concerne les bruits de voisinage. / Dans ces mêmes communes, l'Etat a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes. / Tous les autres pouvoirs de police énumérés aux articles L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2213-9 sont exercés par le maire y compris le maintien du bon ordre dans les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ". Aux termes de l'article L. 2215-1 du même code : " La police municipale est assurée par le maire, (...) ".

7. Aux termes de l'article 95 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : " Sans préjudice du pouvoir de police générale, le maire peut fixer par arrêté une plage horaire, qui ne peut être établie en deçà de 20 heures et au-delà de 8 heures, durant laquelle la vente à emporter de boissons alcooliques sur le territoire de sa commune est interdite. ".

8. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 6 ci-dessus, applicables tant à la date de l'arrêté du 7 décembre 1999 qu'à celle du refus d'abrogation, que, dans les communes où la police est étatisée, le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne les bruits de voisinage relève du pouvoir de police municipale du maire. A la date du refus d'abrogation, le maire était en outre compétent pour règlementer la vente à emporter de boissons alcoolisées sur le territoire de la commune en vertu des dispositions citées au point 7 ci-dessus. Dès lors, le moyen tiré du vice d'incompétence doit être écarté.

9. En deuxième lieu, si, par son jugement n° 1104634 du 15 avril 2015, devenu définitif, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du maire de Toulouse du 16 août 2011 interdisant la consommation de boissons alcoolisées sur une partie de l'espace public, l'autorité absolue de chose jugée s'attachant à ce jugement est sans incidence sur la légalité du refus d'abrogation litigieux portant sur une interdiction de vente à emporter de boissons alcoolisées.

10. En troisième lieu, s'il incombe au maire, en vertu des dispositions susmentionnées, de prendre les mesures qu'exige le maintien de l'ordre public, il doit concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté du commerce et de l'industrie. Le respect de la liberté d'entreprendre implique, notamment, que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers, des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Une mesure de police administrative entravant l'exercice d'une liberté fondamentale ne peut être légalement prise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.

11. L'arrêté du 7 décembre 1999 est motivé par le fait qu'un précédent arrêté du 18 mars 1998 interdisant la vente de boissons alcoolisées à emporter, de 24 h00 à 6h00 du matin, dans les épiceries ouvertes la nuit sur le territoire de la commune, ainsi qu'un arrêté du 24 septembre 1999 réglementant la consommation de boissons alcoolisées sur le domaine public, n'avaient pas permis de réduire les bruits excessifs, les bagarres et les rixes provoquées par la consommation d'alcool et génératrice de troubles à l'ordre public.

12. Afin d'établir la réalité des troubles à l'ordre public ayant motivé le refus d'abrogation de l'arrêté du 7 décembre 1999, la commune de Toulouse produit notamment le plan départemental de prévention de lutte contre les alcoolisations excessives, daté du mois de décembre 2014, un tableau retraçant les interpellations pour des infractions commises sur la voie publique, au cours des mois de janvier à septembre 2015, par personnes sous l'emprise de l'alcool et un compte rendu établi par le chef de service de police municipale le 3 novembre 2015, retraçant les faits et infractions constatés au cours des nuits du 30 octobre au 1er novembre 2015. De cet ensemble de documents, il ressort que l'usage régulier d'alcool et les ivresses répétées, chez les jeunes de 17 ans, dépassent, en Haute-Garonne, la moyenne nationale, et connaissent, dans ce département, une augmentation plus importante que sur le plan national, que l'alcool intervient dans de nombreux cas de violence, vols, accidents de la route, noyades et décès, que les tests d'alcoolémie réalisés la nuit auprès des conducteurs de véhicules dans la commune de Toulouse sont très souvent positifs, que depuis 2007, près d'un tiers des accidents mortels dans le département sont liés à l'alcool et, enfin, que la totalité des interventions réalisées la nuit, à Toulouse, par la brigade de police, entre le 30 octobre et le 1er novembre 2015, ont impliquées des personnes fortement alcoolisées, dont un groupe de jeunes qui s'étaient approvisionnés auprès d'une " épicerie de nuit ". La commune de Toulouse établit ainsi suffisamment la réalité et l'intensité des troubles à l'ordre public que l'arrêté a pour objet de prévenir. L'arrêté du 7 décembre 1999, qui ne porte que sur la vente à emporter de boissons alcoolisées et ne l'interdit que sur une tranche horaire limitée, de 22h00 à 6h00, doit être regardé comme ayant pour seul objet de limiter la consommation d'alcool en période nocturne, sur le domaine public et dans des lieux publics. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la mesure qu'il prescrit ne serait pas nécessaire et proportionnée à l'objectif de maintien de l'ordre public et porterait une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie.

13. Il résulte de ce qui précède que M. L... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le maire de la commune de Toulouse sur leur demande, présentée le 6 juillet 2015, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 7 décembre 1999 portant réglementation de la vente à emporter de boissons alcoolisées sur le territoire de la commune.

14. Pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il convient de mettre à la charge de M. L... et autres une somme de 1 500 euros au titre des frais engagés par la commune de Toulouse et non compris dans les dépens. En revanche, cette commune n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante, les conclusions présentées au même titre par M. L... et autres ne peuvent être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. L... et autres est rejetée.

Article 2 : M. L... et autres verseront à la commune de Toulouse une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à MM. C...L..., G...J..., D...E..., H...M..., K...B..., et I...A..., à la société 3J4M, à la société SAEN, et à la commune de Toulouse.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2019 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 avril 2019.

Le rapporteur,

Sylvie CHERRIERLe président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 17BX01503


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX01503
Date de la décision : 12/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Disparition de l'acte - Abrogation - Abrogation des actes réglementaires.

Police - Autorités détentrices des pouvoirs de police générale - Maires.

Police - Étendue des pouvoirs de police.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Sylvie CHERRIER
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : CRUSOE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-04-12;17bx01503 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award