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12/04/2019 | FRANCE | N°16BX03380

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 12 avril 2019, 16BX03380


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Enzo et Rosso et la société EBM ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) à leur verser respectivement les sommes de 203 875,54 euros et de 16 744 euros en réparation du préjudice qu'elles ont subi du fait de la défaillance de la société Cinéjyb.

Par un jugement n° 1302714 du 18 juillet 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des

mémoires, enregistrés le 17 octobre 2016, le 13 mars 2017, le 19 avril 2017 et le 24 mai 2017, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Enzo et Rosso et la société EBM ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) à leur verser respectivement les sommes de 203 875,54 euros et de 16 744 euros en réparation du préjudice qu'elles ont subi du fait de la défaillance de la société Cinéjyb.

Par un jugement n° 1302714 du 18 juillet 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 octobre 2016, le 13 mars 2017, le 19 avril 2017 et le 24 mai 2017, les sociétés Enzo et Rosso, d'une part, et EBM, d'autre part, représentées par MeA..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 juillet 2016 ;

2°) de condamner la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe à réparer les préjudices que la société Enzo et Rosso et à la société EBM estiment avoir subi du fait de la défaillance de la société Cinéjyb, qui doit être regardée comme délégataire de la commune ;

3°) de mettre à la charge de la commune Saint-Sulpice-la-Pointe la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier car le rapporteur public a modifié le sens de ses conclusions sans permettre aux parties d'en être informé antérieurement à l'audience ;

- la motivation du jugement est incohérente et contradictoire, en particulier en ce qui concerne la qualification des contrats conclus entre la commune de Saint-Sulpice et la société Cinéjyb ;

- le jugement ne mentionne pas les textes dont il est fait application ;

- au fond : la commune était directement intéressée au projet, dès sa conception, et elle doit être regardée comme ayant délégué un service public à la société Cinéjyb et devant, à ce titre, les indemniser des sommes non payées en raison des défaillances de ce délégataire ;

- la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne concluant pas une délégation de service public en bonne et due forme, elle a de ce fait méconnu les règles de passation des délégations de service public ;

- le montage contractuel de la commune révèle un détournement de pouvoir et de procédure ;

- par ailleurs, la commune a bénéficié d'un enrichissement sans cause au détriment des sociétés requérantes du fait des prestations réalisées par ces dernières et non rémunérées ;

- le préjudice devant être indemnisé par la commune est constitué pour la société Enzo et Rosso et la société EBM des prestations exécutées qui n'ont pas été rémunérées.

Par deux mémoires, enregistrés les 13 avril et 12 mai 2017, la commune de Saint-Sulpice, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Enzo et Rosso et de la société EBM la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête doit être rejetée car portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître : il n'appartient pas au juge administratif de trancher un litige né de l'exécution d'un contrat de droit privé ;

- la requête est en outre irrecevable, pour défaut d'intérêt pour agir des sociétés ;

- au fond : aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par ordonnance du 15 mai 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 juin 2017.

Un mémoire en production de pièces présenté pour la société Enzo et Rosso et de la société EBM a été enregistré le 25 janvier 2018, postérieurement à la clôture.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvande Perdu,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de Me D...représentant les sociétés Enzo et Rosso et EBM et de Me C... représentant la commune de St-Sulpice-La Pointe.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat conclu le 18 septembre 2009, la société Cinéjyb, anciennement dénommée société " Le Sejefy's ", qui exploitait depuis 1997 un cinéma sur la base d'un contrat d'affermage conclu avec la commune de Saint-Sulpice renouvelé par tacite reconduction, a confié à la société d'architecture Enzo et Rosso la maîtrise d'oeuvre pour la réalisation d'un nouveau complexe cinématographique. Dans le cadre de ce projet, la société Cinéjyb a également confié, le 27 novembre 2009, à la société EBM, la réalisation d'une étude technique.

2. Par deux délibérations du 28 septembre 2010, le conseil municipal de Saint-Sulpice a décidé, d'une part, de céder un terrain municipal viabilisé pour la somme d'un euro à la société Cinéjyb afin d'y réaliser le complexe cinématographique projeté, moyennant des contreparties d'intérêt général, et d'autre part, de conclure, avec cette même société, un bail emphytéotique portant sur des terrains destinés à accueillir les espaces de stationnement accessoires au complexe. Mais la société Cinéjyb s'apprêtant à déposer le bilan, le conseil municipal a, par délibération du 27 septembre 2011, décidé d'abroger ces décisions et, par ailleurs, de renouveler le contrat d'affermage portant sur l'exploitation du cinéma existant. La société Enzo et Rosso et la société EBM ont obtenu, respectivement le 9 janvier 2013 et le 13 février 2013, un certificat d'irrécouvrabilité des créances qu'elles détenaient sur la société Cinéjyb et ont adressé à la commune, le 1er mars 2013, une demande préalable d'indemnisation tendant à obtenir le paiement des sommes restant dues au titre des prestations réalisées pour la société Cinéjyb.

3. Le 2 mai 2013, le maire de Saint-Sulpice a rejeté la demande des sociétés Enzo et Rosso et EBM. Par la présente requête, les sociétés relèvent appel du jugement du 18 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de la commune de Saint-Sulpice devenue commune de Saint-Sulpice-la-Pointe à verser la somme de 203 875,54 euros à la société Enzo et Rosso et la somme de 16 744 euros à la société EBM.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

4. A l'appui de leur demande d'indemnisation, au titre du préjudice qu'elles ont subi du fait du non-paiement des prestations de maîtrise d'oeuvre d'un complexe cinématographique qu'elles avaient réalisées pour le compte de la société Cinéjyb, mise en liquidation judiciaire par un jugement du 2 septembre 2011, les sociétés Enzo et Rosso et EBM invoquent, non pas l'exécution du contrat qui les liait à la société Cinéjyb, mais la responsabilité incombant à la commune dont elles estiment qu'elle a la qualité de délégante d'un service public et qu'elle devrait, par conséquent, garantir les défaillances financières de la société Cinéjyb, regardée comme délégataire. Par suite, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, la juridiction administrative est compétente pour connaître de cette demande.

Sur la régularité du jugement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".

6. Il ressort du relevé de l'application " Sagace ", que le rapporteur public devant le tribunal administratif de Toulouse a porté à la connaissance des parties, le 30 juin 2016 à 20 h 15, le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer. Ce relevé comportait en particulier la mention suivante : " Rejet au fond. Sens des conclusions et moyens ou causes retenus : Dans le cadre de l'installation de la salle de cinéma dans de nouveaux locaux, il n'est pas établi que la délégation de service public se soit poursuivie ". Dès lors, en indiquant lors de l'audience, comme le soutiennent les sociétés requérantes, que " l'existence d'une délégation de service public ne serait pas avérée ", le rapporteur public devant le tribunal administratif de Toulouse n'a pas modifié le sens de ses conclusions. Par suite, le moyen tiré de l'atteinte au principe du contradictoire du fait de la méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Les premiers juges ont suffisamment détaillé aux points 1 à 4 du jugement attaqué les motifs justifiant la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la requête à fin d'indemnisation dirigée contre la commune, et ceux par lesquels elle a rejeté les conclusions dont ils étaient saisis. Par suite, le jugement n'est entaché d'aucune insuffisance de motivation ni, en tout état de cause, de contradiction de motifs.

8. En troisième et dernier lieu, l'article R. 741-2 du code de justice administrative dispose que la décision rendue par une juridiction administrative " contient (...) les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. ". Les visas du jugement attaqué font mention du code général des collectivités territoriales et du code de justice administrative. Par suite, le moyen selon lequel le jugement ne visait pas les textes appliqués manque en fait.

Sur le bien-fondé du jugement :

9. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales applicable au litige : " Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service. (...)".

10. Il résulte de l'instruction que la société Cinéjyb, à l'initiative du projet de création d'un nouveau complexe cinématographique, exploitait le cinéma existant, en vertu d'une convention d'affermage conclue avec la commune. La circonstance que la commune était intéressée par la réalisation de ce projet et l'a initialement soutenu en ayant, par deux délibérations du 28 septembre 2010, d'une part, autorisé la vente du terrain d'assiette du projet à la société pour la somme d'un euro, moyennant des contreparties d'intérêt général, et, d'autre part, décidé de la conclusion d'un bail emphytéotique en vue de la location de places de stationnement attenantes aux constructions projetées avant de se rétracter, ne saurait ni suffire à révéler l'existence d'une concession ou d'une délégation de service public conclue avec Cinéjyb pour la réalisation de ce nouveau complexe cinématographique, ni, en tout état de cause, à caractériser l'existence d'un détournement de pouvoir et de procédure qui aurait consisté, pour la commune, à se soustraire aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

11. Par suite, les sociétés appelantes ne sont pas fondées à soutenir que, du fait que la commune avait décidé d'apporter une aide au projet de nouveau complexe cinématographique, la société Cinéjyb devrait être regardée comme ayant été de facto titulaire d'une délégation d'une de service public ayant pour objet la réalisation et l'exploitation du nouveau complexe et que, par suite, la responsabilité de la commune pouvait être recherchée en raison de l'insolvabilité de la société alors que la collectivité territoriale n'avait nullement la qualité de délégante en ce qui concerne ce projet.

12. Enfin, les prestations réalisées par les sociétés requérantes n'ont pas été utiles à la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe de sorte que cette dernière ne peut pas voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune, que la société Enzo et Rosso et la société EBM ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté l'ensemble de leurs demandes.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les appelantes au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge respective de la société Enzo et Rosso et de la société EBM la somme de 800 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Sulpice et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par la société Enzo et Rosso et la société EBM est rejetée.

Article 2 : La société Enzo et Rosso et la société EBM verseront chacune la somme de 800 euros à la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Enzo et Rosso, à la société EBM ainsi qu'à la commune de Saint-Sulpice-la-Pointe.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2019 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,

M. Romain Roussel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 avril 2019.

Le rapporteur,

Sylvande Perdu

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au préfet du Tarn en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX03380


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-01 Marchés et contrats administratifs. Exécution technique du contrat. Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. Concessions - droits et obligations des concessionnaires.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Sylvande PERDU
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : MARC

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 12/04/2019
Date de l'import : 23/04/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16BX03380
Numéro NOR : CETATEXT000038387941 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-04-12;16bx03380 ?
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