Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement Hautes-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées ont demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 25 septembre 2014 du préfet des Hautes-Pyrénées relatif à la chasse à tir du grand tétras et du lagopède pour la campagne 2014-2015.
Par un jugement n° 1402055 du 2 juin 2016, le tribunal administratif de Pau a annulé cet arrêté en tant qu'il a autorisé le prélèvement de 19 grands tétras pour la campagne de chasse 2014-2015 (du 28 septembre 2014 au 26 octobre 2014 inclus).
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2016, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 2 juin 2016 ;
2°) de rejeter la demande déposée par les associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement Hautes-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées devant le tribunal administratif de Pau.
Il soutient que :
- l'article 7 de la directive 2009/147/CE ne saurait être interprété comme interdisant, de manière absolue, la chasse, en cas de diminution, même sensible, des effectifs d'une espèce inscrite à son annexe II ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation quant à l'évolution de la population de grands tétras au cours des dernières années ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation quant à l'incidence de la pratique de la chasse, telle que règlementée par l'arrêté en litige, sur l'état de conservation de l'espèce.
Par un mémoire, enregistré le 13 avril 2018, les associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement Hautes-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées, représentées par MeB..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Par une intervention, enregistrée le 17 mai 2018, la Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, représentée par MeA..., demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.
Elle fait valoir que :
- son intervention est recevable ;
- l'annulation de l'arrêté en litige aurait pour conséquence d'autoriser un prélèvement illimité de grands tétras, menaçant ainsi gravement l'intérêt public ;
- le grand tétras est une espèce pouvant être chassée ;
- les effectifs de grands tétras ne sauraient conduire à considérer que la population est au bord de l'extinction ;
- telle que règlementée par l'arrêté en litige, la chasse n'est pas une menace pour l'espèce.
Par ordonnance du 14 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 1er juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer relève appel du jugement du 2 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du préfet des Hautes Pyrénées du 25 septembre 2014 en tant qu'il a autorisé le prélèvement de 19 grands tétras pour la campagne de chasse 2014-2015 (du 28 septembre 2014 au 26 octobre 2014 inclus).
Sur l'intervention :
2. La Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, dont l'objet est, conformément à l'article L. 421-5 du code de l'environnement, de participer à la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats, justifie d'un intérêt à l'annulation du jugement attaqué et au maintien de l'arrêté préfectoral en litige. Par suite, son intervention au soutien de la requête du ministre est recevable.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 1er de la directive 2009/147/CE du parlement européen et du conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages : " 1. La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d'oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l'exploitation. / 2. La présente directive s'applique aux oiseaux ainsi qu'à leurs oeufs, à leurs nids et à leurs habitats. ". Aux termes de l'article 2 de la même directive : " Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. ". Selon l'article 7 de cette directive : " 1. En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l'ensemble de la Communauté, les espèces énumérées à l'annexe II peuvent faire l'objet d'actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution (...) / 4. Les États membres s'assurent que la pratique de la chasse (...) telle qu'elle découle de l'application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d'une utilisation raisonnée et d'une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d'oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l'article 2. / Ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s'applique la législation sur la chasse ne soient pas chassées pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions, éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, qu'elles poursuivent un objectif d'intérêt général de protection des espèces d'oiseaux sauvages qui doit être concilié, en vertu de l'article 2 de la directive, avec des exigences économiques et récréationnelles. En vertu de l'article 7 de la directive, les espèces concernées, tel que le grand tétras, peuvent en principe faire l'objet d'actes de chasse, dès lors qu'ils ne compromettent pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution et qu'ils respectent les principes d'une utilisation raisonnée et d'une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d'oiseaux concernées.
5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient le ministre, le tribunal n'a pas exclu par principe que des actes de chasse puissent être autorisés y compris dans le cas où la population de l'espèce protégée serait en diminution. Il a seulement estimé, en l'espèce, que de tels actes ne pouvaient pas être autorisés lorsque la diminution des effectifs du grand tétras des Pyrénées, que les mesures de sauvegarde ne parviennent pas à enrayer, est susceptible de conduire à la disparition de cet oiseau.
6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier du document intitulé " Stratégie nationale d'action en faveur du grand tétras 2012-2021 " établi par le ministère de l'écologie, que la population globale de grands tétras a connu, au plan national et sur l'ensemble de la chaîne des Pyrénées, qui accueille la population la plus importante de grands tétras en France, une réduction importante de ses effectifs, de l'ordre de 60 % entre 1960 et 1994 et d'environ 25 % entre 1995 et 2003. Si l'on a pu observer une stabilisation des effectifs entre 2003 et 2006, la période de 2007 à 2009 a été marquée par une nouvelle tendance à la baisse. Il ressort également des bilans démographiques réalisés par l'Observatoire des galliformes de montagne, auquel appartient d'ailleurs la Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, que, dans les deux zones bio-géographiques concernées par l'arrêté en litige, le taux de variation, correspondant à l'évolution des effectifs entre 2010-2011 et 2014-2015, est de 0 dans la haute chaine centrale pyrénéenne, et de - 2 dans le piémont central pyrénéen. Plus encore, dans l'unité naturelle du bassin du gave de Pau, alors que l'arrêté en litige prévoit le prélèvement de 6 grands tétras, le taux de variation est de - 8 sur la période 2010-2011 à 2014-2015. De la même façon, alors que l'arrêté en litige prévoit le prélèvement d'un grand tétras dans l'unité naturelle Barousse, le taux de variation y est de - 7. Dans ces conditions, les prélèvements autorisés par l'arrêté en litige, même limités, sont de nature à compromettre les efforts de conservation de l'espèce des grands tétras dans les zones concernées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 25 septembre 2014 en tant qu'il autorise le prélèvement de 19 grands tétras au cours de la campagne de chasse 2014-2015.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme globale de 1 500 euros à verser aux associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement Hautes-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de la Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées est admise.
Article 2 : La requête du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer est rejetée.
Article 3 : L'État versera aux associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement Hautes-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées une somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire et aux associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement
Hautes-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées et à la Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées. Copie en sera transmise au préfet des Hautes-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2019 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
M. David Katz, premier conseiller,
M. Romain Roussel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 15 février 2019.
Le rapporteur,
Romain Roussel
Le président,
Philippe Pouzoulet Le greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02645