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13/02/2019 | FRANCE | N°17BX00754

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 13 février 2019, 17BX00754


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Yara France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler un arrêté interministériel en date du 6 février 2013 modifiant et complétant la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, mentionnée au 1° du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, en tant qu'il inscrit l'établissement de Pierrefitte-Bassens situé avenue des industri

es, à Ambarès, en Gironde, sur la période de 1963 à 1996.

Par un jugement n° 15...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Yara France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler un arrêté interministériel en date du 6 février 2013 modifiant et complétant la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, mentionnée au 1° du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, en tant qu'il inscrit l'établissement de Pierrefitte-Bassens situé avenue des industries, à Ambarès, en Gironde, sur la période de 1963 à 1996.

Par un jugement n° 1501410 du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 23 février 2017 et 14 juin 2018, la société Yara France, représentée par la société d'avocats Cms Bureau Francis Lefebvre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté interministériel du 6 février 2013 susmentionné ;

3°) de lui allouer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés tant en première instance qu'en appel.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant que l'article V bis de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 n'était pas applicable à l'égard de la société Yara France, au motif tiré de ce qu'elle n'aurait pas été employeur sur le site durant la période concernée de 1994 à 1996, dès lors que, d'une part, l'arrêté litigieux procède à l'inscription de l'établissement d'Ambarès pour la période de 1963 à 1996 et que, d'autre part, il visait la société Hydro Agri France, devenue Yara France, de sorte que ledit arrêté devait lui être notifié conformément à ces dispositions, ainsi que le tribunal administratif l'a d'ailleurs jugé dans un précédent jugement n° 1202165 du 17 octobre 2013 ;

- c'est également à tort que le tribunal a considéré que l'arrêté contesté constitue une décision d'espèce devenue définitive du fait de sa publication, alors qu'ainsi que l'a rappelé le commissaire du gouvernement M. C...dans ses conclusions rendues sur les deux arrêts du Conseil d'Etat du 30 novembre 2005, n° 257594, Société Alstom Power, et n° 267137, Société Vinci Energies, les arrêtés modifiant la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante constituent des décisions collectives regroupant plusieurs décisions individuelles requérant leur notification à leur destinataire ;

- si, par extraordinaire, l'arrêté contesté devait être qualifié de décision d'espèce, les délais de recours contentieux ouverts ne sauraient, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, commencer à courir à compter de sa publication au Journal Officiel mais à compter de sa notification à l'entreprise concernée, cette solution s'imposant compte tenu des effets juridiques qu'un tel arrêté est susceptible d'emporter pour les salariés, lesquels peuvent alors non seulement quitter de façon anticipée l'entreprise, mais aussi demander à être indemnisés du préjudice d'anxiété ayant résulté de leur exposition à l'amiante par la société qui les employait alors sur le site, l'inscription de l'établissement en cause sur la liste fixée par l'arrêté interministériel constituant une condition nécessaire à une telle indemnisation ;

- à cet égard, la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt n° 366861 du 4 février 2015, Commune de Sarzeau, en matière de déclenchement des délais de recours des propriétaires à l'encontre des actes administratifs créant des servitudes d'urbanisme, doit être transposée à de tels arrêtés interministériels ;

- en l'espèce, les délais de recours mentionnés à l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne lui sont pas opposables faute de notification régulière de l'arrêté litigieux du 6 février 2013, et dès lors qu'elle n'a eu connaissance dudit arrêté qu'à la date du 29 janvier 2015, lors de sa production en justice dans le cadre de la procédure contentieuse devant le Conseil de prud'hommes, le délai d'un an posé par l'arrêt du Conseil d'Etat n° 387763 du 13 juillet 2016, M. D...n'était pas expiré lors de l'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif de Bordeaux, le 30 mars 2015 ;

- ainsi, c'est à tort que les premiers juges, qui ont entaché le jugement attaqué d'irrégularité, ont rejeté sa demande comme tardive ;

- l'arrêté contesté est intervenu au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'en méconnaissance de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, la société Yara France n'a, d'une part, reçu aucun courrier de l'inspection du travail de la Gironde au préalable l'informant de l'ouverture d'une enquête relative à l'établissement d'Ambarès, contrairement à ce qui avait été fait précédemment lors de l'inscription de 2012 et, d'autre part, jamais bénéficié d'une information préalable sur l'inscription de l'établissement d'Ambarès, la privant de la possibilité de faire valoir son point de vue ou être simplement entendue ;

- sur le fond, c'est à tort que l'établissement d'Ambarès a été inscrit sur la liste fixée par l'arrêté litigieux dès lors qu'il ne constitue pas un établissement " de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales " au sens de l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 du 23 décembre 1998, la société Yara France n'exerçant pas, dans son usine d'Ambarès, de telles activités mais la seule production d'engrais agricoles pour laquelle l'amiante n'est pas utilisée dans le processus de fabrication ;

- à cet égard, alors que de nombreuses réponses ministérielles insistent sur le caractère strict de l'admission sur les listes, appréciée au regard de l'activité exercée par l'entreprise concernée, le Conseil d'Etat a indiqué, dans un arrêt de principe n° 345749 du 12 novembre 2012, que les opérations de calorifugeage à l'amiante doivent, pour l'application de ces dispositions, s'entendre des interventions qui ont pour but d'utiliser l'amiante à des fins d'isolation thermique, de sorte que ne sauraient ouvrir droit à l'allocation prévue par ce texte les utilisations de l'amiante à des fins autres que l'isolation thermique ;

- ainsi, il ne peut y avoir calorifugeage à l'amiante que si les travaux d'isolation avec ce matériau sont inhérents au processus de production, relèvent de tâches directement nécessaires à la fabrication des produits ou si l'isolation est fondamentale au regard des équipements et de l'activité de l'établissement, le calorifugeage étant alors directement lié à un outil de production calorifère au coeur de l'activité ;

- de même, pour être reconnu comme un établissement de calorifugeage à l'amiante, l'exposition à l'amiante doit être significative au regard de la périodicité et de l'intensité des travaux concernés et au regard du nombre de salariés exposés à l'amiante ;

- en l'espèce, les seules traces d'amiante ayant pu être présentes dans l'établissement d'Ambarès se limitent à la toiture de certains bâtiments de l'usine et des joints en amiante sur des fours entretenus ponctuellement, étant précisé que si l'activité de fabrication d'engrais est source d'importantes poussières présentes dans l'air, qui s'accumulent au sol et nécessitent de fréquents balayages, il s'agit de poussières d'engrais et aucunement d'amiante ;

- sur ce point, l'administration s'est fondée sur un rapport du 27 octobre 2011 dont l'objectivité est sujette à caution dès lors qu'il a été rédigé par l'inspecteur du travail sur la base des témoignages des personnels de production et maintenance ayant eux même fait une demande d'inscription du site sur le dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

Par un mémoire en intervention et un mémoire en réplique enregistrés les 10 octobre 2017 et 5 juillet 2018, M. B...H...et M. E...A..., représentés par Me G..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la société Yara France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- si le jugement doit être confirmé dans son dispositif, en revanche, son motif portant sur la question de l'étendue du litige n'est pas justifié, dès lors qu'en considérant que l'arrêté du 6 février 2013 n'avait pour objet que de modifier et compléter la liste fixée par le précédent arrêté du 25 avril 2012, alors que le second acte est totalement autonome par rapport au premier et qu'il vient le remplacer pour l'avenir au sein de l'ordonnancement juridique, le tribunal a méconnu l'impératif de sécurité juridique reconnu par le Conseil d'Etat comme principe général du droit, ainsi que les objectifs de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et de clarté de la norme et de confiance légitime ;

- l'irrecevabilité pour tardiveté opposée par les premiers juges devra en revanche être confirmée ;

- en effet, il résulte des travaux préparatoires à l'adoption de l'article 48 de la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 introduisant un article V bis à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, que l'obligation d'information de l'employeur concerné au sens de ces dispositions ne vaut que pour l'établissement faisant l'objet de l'inscription sur la liste définie par l'arrêté interministériel, le législateur n'ayant pas souhaité aller jusqu'à informer tous les employeurs qui se sont succédé depuis la date à partir de laquelle l'établissement est inscrit, ce qui serait d'ailleurs absurde et contraire aux impératifs de sécurité juridique ;

- d'ailleurs, si le législateur avait voulu que chaque employeur successif soit informé de ce que l'établissement allait être inscrit, il aurait employé la formule " les employeurs en cause " au pluriel, ce que corrobore le fait que l'affichage soit prescrit " sur le lieu de travail concerné " et non sur " les lieux de travail " des différents employeurs qui se sont succédé ;

- or en l'espèce, à la date du 6 février 2013, l'employeur au sens de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 était la société Foresa France qui était totalement indépendante juridiquement de la société Yara France et venait également aux droits du dernier employeur de la période d'inscription, en l'occurrence la société Casco SAS, laquelle exploitait directement, au sein dudit établissement, sis avenue des industries à Ambarès, une activité de fabrication de stockage, de conditionnement et d'expédition de produits chimiques finis pour la société Norsk Hydro, de 1989 au 15 juin 2004, date de sa radiation, en raison de l'apport du fonds à la société Casco Industries ;

- ainsi, dès lors que la société Yara France n'est pas l'employeur au sens des dispositions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, aucune obligation de notification à l'intéressée de l'arrêté du 6 février 2013 ne s'imposait en l'espèce, celle-ci étant soumise au régime de droit commun applicable aux tiers, en vertu duquel le délai de recours contentieux ouvert à l'encontre des décisions d'espèce court à compter de la publication de l'acte ;

- or en l'espèce, l'arrêté ayant été publié au journal officiel du 15 février 2013, la société Yara France disposait d'un délai expirant le 16 avril 2013 à minuit pour contester cet acte devant le juge de l'excès de pouvoir, ce qu'elle n'a pas fait, sa demande de première instance n'ayant été enregistrée que le 30 mars 2015 ;

- sur le fond, pour l'inscription d'un établissement sur la liste prévue par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, doivent être pris en considération l'exposition de tous les salariés engendrée par les opérations de flocage et de calorifugeage réalisées en interne, y compris de ceux qui ne sont pas affectés directement auxdites opérations, ainsi que le nombre de cas recensés de maladies professionnelles, lequel constitue une preuve irréfutable d'une exposition à l'amiante qui vient renforcer le caractère significatif des opérations de calorifugeage ;

- il résulte de l'examen de la jurisprudence que c'est bien le caractère de l'habitude qui marque la significativité de la fréquence des activités de calorifugeage à l'amiante ;

- or en l'espèce, l'établissement d'Ambarès entre dans ces critères, de sorte que c'est à bon droit que l'arrêté litigieux l'a inscrit dans la liste prévue par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

- à cet égard, il ressort du rapport d'enquête de l'inspection du travail du 18 juillet 2012 qu'au sein de l'établissement d'Ambarès, jusqu'en 1992 - date à laquelle étaient fabriqués des engrais à base de phosphate d'ammoniaque et de nitrate d'ammoniaque à partir d'acide phosphorique issu du traitement des phosphates naturels par l'acide sulfurique - l'amiante était principalement présente et utilisée pour divers besoins et applications, en particulier l'isolation des réacteurs par la mise en place de joints amiantes et le calorifugeage des tuyauteries par la mise en place de tresses amiantées, l'amiante constituant la " matière première " du service de maintenance et se présentant sous la forme de tresses conditionnées en bobines, de cordons d'amiante tressés, et de plaques d'amiante ;

- il ressort ainsi de ce rapport que des activités de calorifugeage régulières exercées par un nombre significatif de salariés étaient réalisées au sein de l'établissement d'Ambarès pendant la période en cause.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juillet 2018, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré que l'arrêté du 6 février 2013 paru au Journal officiel du 15 février 2013 portant inscription de l'établissement en cause ne pouvait être regardé que comme une modification de l'arrêté du 25 avril 2012, ayant pour seul objet d'étendre l'inscription du site à la période de 1995 à 1996, dès lors que ledit arrêté a été pris à la suite d'une demande formulée le 2 mai 2012 par M. H..., représentant le collectif des anciens salariés de l'usine Cofaz, ainsi que le secrétaire du CHSCT de l'entreprise Foresa, qui portait uniquement sur 1'extension de la période d'inscription de l'établissement d'Ambarès ;

- ainsi, il convient de n'examiner la situation de la société requérante qu'au titre de cette période de 1995 à 1996 visée par la modification en cause ;

- contrairement à ce que soutient la société Yara France, les décisions prises au titre du dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ne sont pas des décisions individuelles mais constituent des décisions d'espèce, à savoir des actes destinés à rendre applicable une règlementation générale à un élément ou une situation donnés ;

- aussi, dans une décision du 27 juin 2001, n° 224698, SMSL Briens Lamoureux, le Conseil d'Etat a jugé que la décision d'inscription ou de refus d'inscription d'un établissement, pris sous la forme d'un arrêté interministériel listant les établissements concernés ou bien sous la forme d'une décision de refus d'inscription, n'a ni un caractère réglementaire, ni un caractère individuel ;

- or en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant qu'une telle décision doive être notifiée, le délai de recours à son encontre court à compter de sa publication ;

- si le dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante comporte quant à lui une obligation particulière de notification à l'employeur concerné, en vertu du V bis de 1'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, la société Yara France, qui vient aux droits de la société Hydro Agri France, laquelle constitue la dernière société à avoir exercé l'activité de production d'engrais implantée sur le site d'Ambarès de 1963 à 1994, ne peut être regardée comme intéressée par les modifications faisant l'objet de l'arrêté litigieux, pris aux seules fins d'extension de la période d'inscription de l'établissement d'Ambarès pour la période de 1995 à 1996, dès lors que, sur la période de 1995-1996, les sociétés aux droits desquelles vient la société Yara France avaient définitivement cessé toute activité sur le site d'Ambarès, seule perdurant une activité de production de formol et de colle pour l'industrie du bois, reprise par les sociétés Casco Nobel Industrie devenue Casco Nobel Industrie SNS puis Casco Industries puis Casco SAS puis Foresa France en 2007, laquelle était dès lors la seule concernée ;

- à titre subsidiaire, la société requérante ne saurait se prévaloir de la décision D...du Conseil d'Etat, du 13 juillet 2016, n° 387763, par laquelle un requérant, auquel l'administration ne démontre pas avoir correctement notifié une décision individuelle, peut former un recours contentieux à l'encontre de cette décision dans un délai d'un an à compter du moment où il est établi qu'il en a eu connaissance.

Par ordonnance du 11 juillet 2018, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 août 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, notamment son article 41 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Axel Basset,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;

- et les observations de MeF..., représentant la société Yara France et de Me I..., représentant M. H...et M.A....

Une note en délibéré présentée pour la société Yara France a été enregistrée le 23 janvier 2019.

Considérant ce qui suit :

1. La société Yara France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler un arrêté interministériel en date du 6 février 2013 modifiant et complétant la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, mentionnée au 1° du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, en tant qu'il inscrit l'établissement de Pierrefitte-Bassens situé avenue des industries, à Ambarès, en Gironde, sur la période de 1963 à 1996. La société Yara France relève appel du jugement du 22 décembre 2016 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur l'intervention de M. A...et M.H... :

2. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Toutefois, une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions du requérant soit à celles du défendeur.

3. M. A...et M.H..., anciens salariés de l'établissement de Pierrefitte-Bassens situé avenue des industries, à Ambarès, en Gironde, dont les droits sont susceptibles d'être préjudiciés par l'annulation de l'arrêté interministériel litigieux du 6 février 2013, doivent être regardés comme s'associant aux conclusions du ministre du travail tendant au rejet de la requête d'appel de la société Yara France et, partant, à la confirmation du dispositif du jugement attaqué. Par suite, leur intervention doit être admise.

4. Toutefois, une telle intervention, qui présente un caractère accessoire, n'a pas pour effet de donner à M. A...et M. H...la qualité de partie à l'instance. Dès lors, si ceux-ci peuvent faire valoir tout éclaircissement de fait et de droit dans le cadre du débat contentieux tel qu'il est délimité par les conclusions et les moyens des parties, ils ne sont en revanche pas recevables à présenter des conclusions ou des moyens qui leur soient propres. Il s'ensuit que leurs conclusions, tendant à ce que la société Yara France soit condamnée à leur verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

5. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté litigieux : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ".

6. D'autre part, aux termes de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 susvisée, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ; / 2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ; / 3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget. (...) / V. bis - L'inscription des établissements ou des ports visés au I sur la liste donnant droit aux salariés à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité et de l'allocation correspondante ou la modification d'une telle inscription ne peut intervenir qu'après information de l'employeur concerné. La décision d'inscription d'un établissement ou de modification doit être notifiée à l'employeur. Elle fait l'objet d'un affichage sur le lieu de travail concerné. (...) ". L'arrêté par lequel les ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget inscrivent un établissement sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, visée par les dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée, s'il n'a pas un caractère réglementaire, ne présente pas pour autant le caractère d'une décision administrative individuelle, dès lors qu'il correspond au classement d'établissements sur une liste pour déterminer le champ d'application de la loi quant au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Par suite, et hors l'hypothèse susmentionnée en vertu de laquelle la décision d'inscription d'un établissement ou de modification doit être notifiée à l'employeur concerné, les délais de recours contentieux ouverts à l'encontre d'un tel arrêté interministériel courent en principe à compter de sa publication.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le site d'Ambarès, objet de l'arrêté litigieux, a initialement eu pour activité principale la fabrication d'engrais à base de phosphate et de nitrate d'ammoniaque réalisée dans un atelier de production créé en 1963, sous la dénomination sociale Pierrefitte-Bassens, devenue Gironde-Languedoc en 1965 puis compagnie française de l'azote en 1970 (Cofaz), NHA Norsk Hydro Azote en 1988, Hydro Azote en 1991 et Hydro Agri France en 1993, à laquelle s'est agrégée une activité secondaire de fabrication de colle et de formol pour l'industrie du bois. A la suite de l'achèvement, en 1990, de la construction d'une nouvelle usine de fabrication d'engrais, par NHA Norsk Hydro Azote, sur un site distinct situé à Ambès (33810), et du lancement du processus productif correspondant, ayant donné lieu à la création de la société Hydro Agri Ambès, devenue Yara Ambès, une opération de déconstruction d'une grande partie du site d'Ambarès a été effectuée, aboutissant à la cessation de toute production d'engrais sur celui-ci. Ainsi, seule a perduré, à compter de l'année 1994, l'activité secondaire de fabrication de colle et de formol pour l'industrie du bois, reprise alors par l'entreprise Casco Nobel industries, devenue Casco Nobel Industries SNC, Casco Industrie et Casco SAS, le site d'Ambarès ayant finalement été racheté, en 2006, par la société Foresa France, laquelle a procédé à un désamiantage des unités formol en 2007. A la suite d'une demande formulée par M. H...par lettre du 11 mars 2011, un arrêté conjoint du ministre du travail, de l'emploi et de la santé et du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat du 25 avril 2012 a inscrit l'établissement d'Ambarès sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, prévue par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, pour la période de 1963 à 1994, sous les dénominations " Pierrefitte-Bassens devenue Gironde-Languedoc, puis Compagnie française de L'Azote (COFAZ), devenue NHA Norsk Hydro Azote, devenue Hydro Azote, devenue Hydro Agri France ". Le 2 mai 2012, M. H...et le secrétaire du CHSCT de l'entreprise Foresa France ont sollicité l'extension de la période d'inscription dudit établissement jusqu'à l'année 2007 et l'ajout des dénominations Casco Nobel industries, devenue Casco Nobel Industries SNC, Casco Industrie et Casco SAS. C'est ainsi que, par un arrêté du 6 février 2013, les ministres concernés ont partiellement fait droit à cette demande en incorporant, d'une part, ces dénominations et en rajoutant, au titre de la période d'inscription du site d'Ambarès, les années 1995 et 1996. Comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges par un motif dont M. H...et M. A...ne sont pas recevables à contester en appel le bien-fondé en leur qualité d'intervenants volontaires ayant intérêt au maintien du dispositif du jugement attaqué, l'arrêté litigieux du 6 février 2013 doit être regardé, eu égard à son objet et au contexte de son adoption, comme étant seulement destiné à compléter le précédent arrêté interministériel du 25 avril 2012, alors encore dans l'ordonnancement juridique, et non à se substituer à celui-ci en procédant à son abrogation implicite. A cet égard, la circonstance, postérieure à l'arrêté du 6 février 2013, que, dans un jugement du 17 octobre 2013 devenu définitif à défaut d'avoir été frappé d'appel, le tribunal administratif de Bordeaux ait annulé rétroactivement l'arrêté du 25 avril 2012 au motif tiré de l'irrégularité de la procédure suivie, ne saurait avoir eu légalement pour effet de modifier la portée de l'arrêté litigieux, seul en cause dans la présente instance.

8. En second lieu, il est constant qu'au cours de la période de 1995-1996, laquelle - ainsi qu'il vient d'être dit au point 7 - a été rajoutée par l'arrêté du 6 février 2013, l'activité secondaire de fabrication de colle et de formol pour l'industrie du bois, gérée en dernier lieu par Casco SAS, constituait la dernière activité restante exercée alors au sein de l'établissement d'Ambarès. Dans ces conditions, seule la société Foresa France, qui a racheté le site en 2006 et a succédé à l'entreprise Casco Nobel industries, devenue Casco Nobel Industries SNC, Casco Industrie puis Casco SAS, pouvait être regardée comme l'employeur concerné, au sens des dispositions précitées du V bis de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, par les modifications introduites par ledit arrêté, lequel n'avait, dès lors, pas à être notifié individuellement à la société Yara France. Il est constant que l'appelante, qui disposait alors d'un délai de deux mois pour le contester à compter de sa publication au Journal officiel de la République française le 15 février 2013, n'en a demandé l'annulation auprès du tribunal administratif de Bordeaux que par une requête enregistrée le 30 mars 2015, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux, le 16 avril 2013. Il s'ensuit qu'ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, sa demande de première instance était tardive et, partant, irrecevable.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Yara France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une quelconque somme à verser à la société Yara France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de M. A...et M. H...est admise.

Article 2 : La requête de la société Yara France est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. A...et M. H...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Yara France et au ministre du travail. Copie en sera transmise à M. B...H...et à M. E...A....

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président assesseur,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2019.

Le rapporteur,

Axel Basset

Le président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

9

N° 17BX00754


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00754
Date de la décision : 13/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Introduction de l'instance - Délais.

Santé publique - Lutte contre les fléaux sociaux.

Travail et emploi - Conditions de travail - Hygiène et sécurité.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Axel BASSET
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-13;17bx00754 ?
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