Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société (SELARL) Christophe Mandon a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler l'arrêté du 4 mars 2013 par lequel le représentant de l'Etat à Saint-Martin a déclaré cessibles au profit du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres des parcelles situées dans le périmètre du projet de sécurisation de la Baie de l'Embouchure.
La société Christophe Mandon a aussi demandé au tribunal, à titre principal, de prononcer un non-lieu à statuer sur sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 9 mai 2017, déclarant cessibles au profit du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, les parcelles situées dans le périmètre du projet de protection et de sécurisation du site de la Baie de l'embouchure ; à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté du 9 mai 2017.
Par deux jugements n° 1300043 du 2 juin 2016 et n° 1700093 du 28 avril 2018, le tribunal administratif a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 16BX02600 le 2 août 2016, le 27 octobre 2017 et le 30 novembre 2017, la société Christophe Mandon, société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Boramar, et représentée par MeB..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 2 juin 2016 et de constater le non-lieu à statuer sur sa requête en raison de la caducité de l'arrêté de cessibilité du 4 mars 2013 ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 4 mars 2013 ;
3°) de mettre à la charge in solidum de l'Etat et du Conservatoire du littoral la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne le non-lieu à statuer, que :
- par un arrêt du 27 avril 2017, la Cour de cassation a annulé l'ordonnance du juge de l'expropriation ayant prononcé le transfert de propriété ; cette décision doit conduire la cour à prononcer un non-lieu à statuer sur la requête d'appel, le juge de l'expropriation n'ayant par définition pas été saisi dans le délai de six mois suivant l'arrêté de cessibilité, en application de l'article R. 221-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que l'identité du propriétaire indiquée dans le dossier d'enquête était erronée ;
Elle soutient, en ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée, que :
- il n'est pas établi que le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat à Saint-Martin ait bénéficié d'une délégation lui permettant de signer l'arrêté en litige, ni de la publication de cette délégation ; dès lors que l'expropriation se situe dans le cadre spécifique de l'article L. 123-6 du code de l'environnement, la délégation de signature devait, elle aussi, revêtir un caractère spécifique ; au demeurant, si l'expropriation devait s'inscrire dans le cadre général du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le tribunal ne pouvait admettre qu'une délégation de signature générale pût être prise ;
- le dossier d'enquête parcellaire était incomplet car seule la société Boramar y apparaît alors même qu'elle faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ; il n'a pas été indiqué que cette société était représentée par la SELARL Christophe Mandon qui disposait d'une adresse propre ;
- l'avis d'enquête publique n'a été publié que dans deux journaux locaux alors que la publicité aurait dû s'étendre à l'ensemble de la Guadeloupe mais aussi au territoire national, au regard de l'importance nationale du projet ;
Elle soutient, en ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée, que :
- l'arrêté en litige est illégal du fait de l'illégalité, soulevée par voie d'exception, de la déclaration d'utilité publique du 1er août 2007 ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le projet ne se contentait pas de prévoir l'acquisition de parcelles mais il comportait aussi la réalisation de travaux ; ainsi, le dossier d'enquête publique devait être constitué conformément aux articles R. 11-14-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et, à tout le moins, R. 11-3 du même code ; le dossier était ainsi incomplet car il ne comportait pas le plan général des travaux, les caractéristiques sommaires des ouvrages les plus importants et l'appréciation sommaire des dépenses ; l'avis d'enquête publique conjointe a fait l'objet d'une publicité insuffisante au regard de l'étendue du projet qui s'étend au-delà de Saint-Martin ;
- l'opération projetée est dépourvue de nécessité ;
- les inconvénients que comporte le projet sont excessifs au regard de ses avantages attendus ; l'atteinte à la propriété privée l'emporte en particulier sur l'aspect positif de l'opération ; l'administration a attendu très longtemps avant de décider de mettre en oeuvre le projet en litige.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 septembre 2016 et le 15 novembre 2017, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, en ce qui concerne le non-lieu à statuer, que :
- il n'existe aucun lien de droit entre l'arrêté de cessibilité du 4 mars 2013 et l'ordonnance du juge de l'expropriation du 6 décembre 2010 annulée par la Cour de cassation ;
Il soutient, au fond, que :
- tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par une ordonnance du 30 octobre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 30 novembre 2017 à 12h00 heures.
II - Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 12 juin 2018 et le 7 décembre 2018 sous le n° 18BX02316, la société Christophe Mandon, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Boramar, et représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif du 28 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté de cessibilité du 9 mai 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et du Conservatoire du littoral la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que l'identité du propriétaire indiquée dans le dossier d'enquête était erronée ;
Elle soutient, en ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée, que :
- il n'est pas établi que le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat à Saint-Martin ait bénéficié d'une délégation lui permettant de signer l'arrêté en litige, ni de la publication de cette délégation ; dès lors que l'expropriation se situe dans le cadre spécifique de l'article L. 123-6 du code de l'environnement, la délégation de signature devait, elle aussi, revêtir un caractère spécifique ; au demeurant, si l'expropriation devait s'inscrire dans le cadre général du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le tribunal ne pouvait admettre qu'une délégation de signature générale pût être prise ;
- le dossier d'enquête parcellaire était incomplet car seule la société Boramar y apparaît alors même qu'elle faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ; il n'a pas été indiqué que cette société était représentée par la SELARL Christophe Mandon qui disposait d'une adresse propre ;
- l'avis d'enquête publique n'a été publié que dans deux journaux locaux alors que la publicité aurait dû s'étendre à l'ensemble de la Guadeloupe mais aussi au territoire national, au regard de l'importance nationale du projet ;
Elle soutient, en ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée, que :
- l'arrêté est dépourvu de base légale car il se fonde sur les articles R. 11-3 et R. 11-19 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, lesquels ont été abrogés ;
- l'arrêté en litige est illégal du fait de l'illégalité, soulevée par voie d'exception, de la déclaration d'utilité publique du 1er août 2007 ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le projet ne se contentait pas de prévoir l'acquisition de parcelles mais il comportait aussi la réalisation de travaux ; ainsi, le dossier d'enquête publique devait être constitué conformément aux articles R. 11-14-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et, à tout le moins, R. 11-3 du même code ; le dossier était ainsi incomplet car il ne comportait pas le plan général des travaux, les caractéristiques sommaires des ouvrages les plus importants et l'appréciation sommaire des dépenses ; l'avis d'enquête publique conjointe a fait l'objet d'une publicité insuffisante au regard de l'étendue du projet qui s'étend au-delà de Saint-Martin ;
- l'opération projetée est dépourvue de nécessité ;
- les inconvénients que comporte le projet sont excessifs au regard de ses avantages attendus ; l'atteinte à la propriété privée l'emporte en particulier sur l'aspect positif de l'opération ; l'administration a attendu très longtemps avant de décider de mettre en oeuvre le projet en litige.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 septembre 2018 et le 3 janvier 2019, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville , rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la SELARL Christophe Mandon, et de MeA..., représentant le Conservatoire du littoral.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 1er août 2007, le préfet de la Guadeloupe a déclaré d'utilité publique le projet de protection et de sécurisation du site de la Baie de l'embouchure à Saint-Martin et a déclaré cessibles au profit du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (Conservatoire du littoral) les parcelles situées à l'intérieur du périmètre de ce projet. Le 6 juillet 2012, le représentant de l'Etat dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin a prorogé de cinq ans les effets de la déclaration d'utilité publique du 1er août 2017. Par un arrêté du 4 mars 2013, le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat à Saint-Martin et Saint-Barthélemy a, notamment, déclaré cessibles au bénéfice du Conservatoire du littoral les parcelles figurant au cadastre à la section AW n° 46 à 49 appartenant à la société Boramar. Au motif que l'arrêté du 4 mars 2013 est devenu caduc, un nouvel arrêté de cessibilité a été pris le 9 mai 2017. La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Christophe Mandon, désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société Boramar par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 7 juin 2006, a présenté au tribunal administratif de Saint-Martin deux requêtes successives tendant à l'annulation des arrêtés de cessibilité du 4 mars 2013 et du 9 mai 2017. Ses demandes ont été rejetées, respectivement, par deux jugements du tribunal rendus le 22 juin 2016 (n° 1300043) et le 28 avril 2018 (n° 1700093). Par une première requête d'appel, enregistrée sous le n° 16BX02600, la société Mandon, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Boramar, demande à la cour d'annuler le jugement ayant rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 4 mars 2013. Par une seconde requête d'appel, enregistrée sous le n° 18BX02316, la société Mandon demande, en cette même qualité, l'annulation du jugement ayant rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 mai 2017.
2. Les requêtes visées ci-dessus concernent une même opération et présentent à juger de questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 16BX02600 :
3. Aux termes de l'article R. 12-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Le préfet transmet au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier un dossier qui comprend obligatoirement les copies : (...) 6° De l'arrêté de cessibilité ou de l'acte en tenant lieu, ayant moins de six mois de date (...) ". Aux termes de l'article R. 12-2 du même code : " Dans un délai de quinze jours à compter de la réception du dossier complet au greffe de la juridiction, le juge saisi prononce, par ordonnance, l'expropriation des immeubles ou des droits réels déclarés cessibles au vu des pièces mentionnées à l'article R. 12-1. L'expropriation est prononcée directement au bénéfice de la personne au profit de laquelle elle a été poursuivie. ". Il résulte de ces dispositions qu'un arrêté de cessibilité devient caduc dès lors que dans le délai de six mois suivant son adoption, il n'a pas été transmis au juge de l'expropriation.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'un arrêté de cessibilité du 23 mars 2010, les parcelles en litige ont été expropriées par une ordonnance du juge de l'expropriation rendue le 6 décembre 2010. Toutefois, par un jugement définitif, rendu le 21 décembre 2012 (n° 0700971,1000048, 1200070), le tribunal administratif de Saint-Martin a annulé l'arrêté du 23 mars 2010 pour un vice d'incompétence, ce qui a conduit la cour de cassation à annuler, par un arrêt du 27 avril 2017, l'ordonnance du juge de l'expropriation. Entre temps, le préfet délégué de Saint-Bartélémy et de Saint-Martin a édicté le 4 mars 2013 un nouvel arrêté de cessibilité qui n'a pas été suivi, dans les six mois de son édiction, d'une nouvelle saisine du juge de l'expropriation. Par suite de cette circonstance, l'arrêté du 4 mars 2013 était frappé de caducité compte tenu des règles édictées aux articles R. 12-1 et R. 12-2 précités du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Dès lors, le litige soulevé à l'encontre de l'arrêté du 4 mars 2013 a perdu son objet et il n'y a plus lieu, pour la cour, de statuer sur les conclusions tendant à son annulation.
Sur la requête n° 18BX02316 :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
5. Au point 5 de son jugement, le tribunal a relevé que si l'état parcellaire joint au dossier d'enquête ne précisait pas que la société Boramar, propriétaire des parcelles déclarées cessibles, était en liquidation judiciaire, il n'était pas établi au dossier que cette circonstance aurait eu une incidence sur l'identification du propriétaire à exproprier. Ce faisant, le tribunal n'a pas omis de statuer sur le moyen qui était soulevé devant lui.
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté de cessibilité du 9 mai 2017 :
6. En premier lieu, par arrêté du 29 août 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, le signataire de l'arrêté en litige a reçu du représentant de l'Etat délégation de signature à l'effet de signer toutes les décisions relevant des attributions de l'Etat dans la collectivité de Saint-Martin à l'exception de certains actes précisément désignés et parmi lesquels ne figurent pas les arrêtés de cessibilité. Contrairement à ce que soutient la requérante, cette délégation de signature est limitée dans son champ matériel et, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 131-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " I. - (...) l'expropriant adresse au préfet du département, pour être soumis à l'enquête dans chacune de ces communes, un dossier comprenant : 1° Un plan parcellaire régulier des terrains et bâtiments ; 2° La liste des propriétaires établie à l'aide d'extraits des documents cadastraux délivrés par le service du cadastre ou à l'aide des renseignements délivrés par le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques, au vu du fichier immobilier ou par tous autres moyens (...) ". La circonstance que le dossier d'enquête parcellaire présentait la société Boramar comme propriétaire des parcelles cadastrées section AW n° 46 à 49 sans préciser que celle-ci avait été placée en liquidation judiciaire n'entache pas d'irrégularité la procédure suivie dès lors qu'elle n'a pas empêché l'identification du propriétaire des parcelles dont la cessibilité était prévue. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le Conservatoire du littoral connaissait l'existence du liquidateur judiciaire, la société Mandon, à qui elle a notifié l'ouverture de l'enquête parcellaire.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'avis d'enquête publique et parcellaire a été publié dans deux organes de presse de la collectivité de Saint-Martin ainsi qu'en mairie et sur le site du futur projet en quatre points différents. Le projet de protection et de sécurisation du site de la Baie de l'embouchure à Saint-Martin revêt, eu égard à son caractère localisé, une importance relativement limitée qui ne justifiait pas, comme le soutient la requérante, que l'avis d'enquête publique et parcellaire fût également publié au niveau du département et de la région d'outre-mer de la Guadeloupe et a fortiori sur l'ensemble du territoire national. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante publicité de l'avis d'enquête au regard de la nature du projet doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté de cessibilité du 9 mai 2017 :
S'agissant de l'erreur de droit alléguée :
9. La circonstance que l'arrêté en litige mentionne les articles R. 11-3 et R. 11-19 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, alors qu'ils ont été abrogés au 1er janvier 2015 par le décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014, constitue une simple erreur de visa qui est sans incidence sur sa légalité.
S'agissant de l'exception d'illégalité de la déclaration d'utilité publique du 1er août 2007 prorogée le 6 juillet 2012 :
10. En premier lieu, il résulte du point 8 que les modalités de publicité de l'avis d'enquête publique et parcellaire du 13 mars 2007 étaient adaptées à la nature du projet.
12. En deuxième lieu, aux termes l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : / 1° Une notice explicative ; / 2° Le plan de situation ; / 3° Le plan général des travaux ; / 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; / 5° L'appréciation sommaire des dépenses ; / 6° L'étude d'impact définie à l'article R. 122-3 du code de l'environnement, lorsque les ouvrages ou travaux n'en sont pas dispensés ou, s'il y a lieu, la notice exigée en vertu de l'article R. 122-9 du même code ; / 7° L'évaluation mentionnée à l'article 5 du décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 pris pour l'application de l'article 14 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, lorsque les travaux constituent un grand projet d'infrastructures tels que défini à l'article 3 du même décret. / II.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : / 1° Une notice explicative ; / 2° Le plan de situation ; / 3° Le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ; / 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser. / (...) ".
13. Comme dit précédemment, le projet déclaré d'utilité publique porte sur l'acquisition par le Conservatoire du littoral de terrains s'étendant entre les salines d'Orient et l'embouchure de l'Etang aux poissons, situé à la pointe sud du cordon de sable de la Baie de l'Embouchure à Saint-Martin. L'objectif poursuivi est d'assurer la protection de cette zone qui présente un intérêt écologique incontestable, pourtant altéré par la présence de construction en ruines et les effets, sur sa végétation et ses écosystèmes, de la fréquentation publique qu'aucune mesure n'est jusque-là venue limiter. Si les mentions portées dans la notice explicative jointe au dossier d'enquête font apparaître que l'acquisition des terrains devrait être accompagnée de divers aménagements dans la perspective d'une éventuelle ouverture du site au public, il ressort des pièces du dossier que ces travaux sont distincts de l'opération d'acquisition foncière projetée et n'étaient pas encore définis quant à leur emplacement et leur consistance. Ainsi, la déclaration d'utilité publique en litige doit être regardée comme ayant été demandée en vue de l'acquisition d'immeubles en application des dispositions précitées du II de l'article R.11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Il en résulte que le dossier devait être composé des seules pièces prévues par ces dernières dispositions et n'avait pas à comprendre le plan général des travaux, les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants et l'appréciation sommaire des dépenses, éléments qui ne sont exigés que lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages sur le fondement du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
14. En troisième lieu, il résulte du point précédent que la déclaration d'utilité publique ne porte, par elle-même, sur aucun aménagement ou travaux à réaliser dans la Baie de l'Embouchure. Dans ces conditions, le projet en cause n'est pas au nombre des opérations susceptibles d'affecter l'environnement au sens de l'article L. 123-1 du code de l'environnement et, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'enquête publique aurait dû être menée conformément aux dispositions des articles R. 11-14-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique applicables aux enquêtes publiques dites environnementales.
15. En cinquième lieu, une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
16. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la notice explicative jointe au dossier d'enquête, que le site de la Baie de l'Embouchure, bien que constituant l'une des dernières " fenêtres naturelles " ouvertes sur le littoral de l'île, a déjà été urbanisé. Le projet déclaré d'utilité publique vise à protéger et à mettre en valeur ce site dont les écosystèmes, aussi divers qu'intéressants d'un point de vue écologique, sont fragiles et dégradés en raison tant de la fréquentation touristique que de l'abandon dans lequel se trouvent un certain nombre de propriétés présentes. Au regard de ces considérations, l'acquisition et la gestion des parcelles situées dans le site de la Baie de l'Embouchure par le Conservatoire du littoral présente, compte tenu des objectifs assignés à cet établissement public administratif par l'article L. 322-1 du code de l'environnement, un caractère d'intérêt général. Par ailleurs, la circonstance que le conseil d'administration du Conservatoire du littoral ait approuvé, depuis le 26 avril 1995, l'acquisition de ces parcelles et que ces dernières bénéficient d'une protection par le plan local d'urbanisme qui les a classées en zone naturelle ne révèle pas que le projet litigieux serait dépourvu de nécessité. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'atteinte à la propriété privée que comporte l'opération est excessive par rapport aux avantages escomptés du projet en termes de protection et de gestion par un opérateur unique des terrains formant le site de la Baie de l'Embouchure.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société Mandon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de cessibilité du 9 mai 2017.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Les conclusions de la société Mandon présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées dès lors qu'elle n'est pas la partie gagnante à l'instance d'appel. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la société Mandon la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le Conservatoire du littoral et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 16BX02600 présentée par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Christophe Mandon.
Article 2 : La requête n° 18BX02316 présentée par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Christophe Mandon est rejetée.
Article 3 : La société d'exercice libéral à responsabilité limitée Christophe Mandon versera au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Christophe Mandon, liquidateur judiciaire de la SARL Boramar, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, à la ministre des outre-mer et au Conservatoire du littoral.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 février 2019.
Le rapporteur,
Frédéric FaïckLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°s 16BX02600, 18BX02316